
enflammées •, tantôt fori influence facrée embrafe 1 imagination. Mille & mille idées le fuccèdent,
& l’oeil de l’efprit créateur en conçoit d’inac-
ceflibles au vulgaire. Les pallions qui corref-
pondent à ces idées auiïi variées, aufli fublimes
qu’elles , s’élèvent rapidement. On foupire pour
le mérite foüffrant *, on fent naître en foi le
mépris pour l’orgueil tyrannique , le courage
pour les grandes entreprifes , l’admiration pour
la mort du patriote , même dans les jfiècles les
plus reculés. Enfin l’on eft ému pour la vertu ,
pour la réputation , pour les fympathies , 8c
pour toutes les d o u ^ t émanations de l’ame
fociale.
Le foleil occidental ne donne plus que des
jours racourcis -, les foirées humides gliffent Fur
le firmament, 8c jètent fur la terre les vapeurs
condenfées. En même-temps la lune perçant à
travers les intervalles des nuages , fe montre
en fon plein dans l’orient cramoifi ■, les rochers
&, les eaux répercutent fés rayons tremblans -,
toute l’athmofphère fe blanchit par le reflux im-
menfe de 1a clarté qui vacille autour de M terre.
La nuit eft déjà plus longue, le matin paroît
plus tard, & développe les derniers beaux jours
de l’automne ; brillans d’éclat & de rofée. Toutefois
le foleil en montant difîipe encore les
brouillards. La g^lée blanche fe fond devant fes
rayons -, les i gouttes de rofée~ étincellent fur
chaque arbre , fur chaque rameau & fur chaque
plante. ' .
Pourquoi dérober la ruche pefante , & maf-
facrer dansjeur demeure fes habitans? Pourquoi
l’enlever dans'- l'ombre dé la nuit favorable aux
crimes , pour la placer fur le foufre , tandis
que ce'peuple innocent s’oçcupoit de fes foins
publics “»dans fes cellules de c ire , & projettoit
des* plans „d’économie pour le trille hiver |
Tranquille & content de l’abondance de fes tré-
fors , tout à coup la vapeur noire monte de tous
côtés, 8c cette tèndre efpëçe accoutumée à de
plus douçes odeurs , tombant en monceaux par
milliers de fes dômes mielleux , s’entaffé fur la
poullière. Race utile ! etoit-ce pour cette fin que
vous voliez au printemps de fleurs en fleurs | étoit-ce
pour mériter ce fort barbare que vous braviez j
les chaleurs de l’été , & que dans cet automne
même vous avez erré fans relâche, & fans perdre
un feul rayon du foleil I Homme cruel, maître
tyrannique ., combien1 de temps la nature prof-
ternée gémira - 1 - elle fous ton fç.eptre de fer ?
T u pouvois emprunter.de ces foibles animaux
leur nourriture d’ambrofie ;; tu devqis par re-
çonnoiffance les mettre à couvert des vents du 1
nord ; _8ç quand la faifon devient dure, leur
pfîrir quelque portion de leur bien. -Mais je me
laffe de parler à un ingrat qui ne rougit point
de l’être, & qui le ferajufqu’au tombeau. Encore
yn coup d’oeil fur la fin de cette faifon.
Tous les tréfors 4e U moiffon maintenant
recueillis , font en filreté pour le laboureur *, 8c
„ l’abondance retirée défie les rigueurs de l’hiver
qui s’approche. Cependant les habitans des villages
fe livrent à la joie fincère & perdent la
mémoire de leurs peines. La jeune fille laborieuse
, s’abandonnant au fentiment qu’excite la
mufique champêtre, faute ruftiquement , quoi-
qu avec grâce , dans fa danfe animée ; légère
& riche, en beauté' naturelle, c’eft la perle du
hameau. Accorde-t-elle un coup d’oeil, favorable,
les jeux en deviennent plus vifs & plus intérelfans.
La vieilleffe même fait des efforts pour briller.,
Sc raconte^ longuement à table les exploits de_
fon jeune âgé. Tous enfin fe réjouiffent & oublient
qu’avec le foieil du lendemain , leur travail
journalier doit recommencer encore.
Le Centaure cède au Capricorne le trille empire
du firmament , & le fier Verfeau obfcurcit le
berceau dé l’année. Le foleil penché vers les
; extrémités de l’iinivers , répand un foible jour
fur le monde -, il darde obliquement fes rayon«
' émouffés dans l’air obfcurci.
Déjà le départ des Pléyades
A fait retirer les Nochers;
Et déjà les froides Hyades
Forcent les frilleufes Driades
De chercher l’abri des rochers.
Le "volage amant de Clytie
Ne careffe plus nos climats ;
Et bientôt des monts de Scythie,
Le. fougueux amant d.’Orythie
Va nous ramener les frimats.
Les nuages fortént épais de L’orient g la c é , 8c
les champs prennent leur robe d’hiver. Bergers ,
il eft temps de renfermer vos troupeaux, de
les mettre à l’abri du froid , & de leur donner
une nourriture abondante, Voici les jours fereins
de gelée j le nitre ethéré vole à travers le bleu
célefte , & ne peut être apperçu -, il chaffç les
exhalaifons inférés & yerfe de nouveau dans
l’air épuifé les tréfors de la vie élémentaire.
L’athmofphère s’approche , fe multiplie , comprime
dans fes froids embraffemens nos corps
qu’elle anime. Elle nourrit & avive notre fang ,
raffine nos efprits , pénètre avec plp.s de vivacité ,
& paffant par les. nerfs qu’elle fortifie , arrive juf*
qu'au cerveau, féjourde l’ame , grande, recueillie,
calme , brillante comme, le firmament. Toute la
nature fent la force rçnouvellante de l’hiver qui
ne paroît que- ruine a l ’oeil-vulgaire. Un rouge
plus foncé éclate fur les joues.. La terre relferrée
par la .gelée attire en abondance l’ ame végétale ,
& raffemble toute fa vigueur pour l’année fui-
vante. Les rivières plus pures &: plus claires ,
prçfentent dans.leur profondeur un miroir tranf*
parent au berger , & murmurent plus Lourdement
à mçfure que la gelée s’établit.
Alors la campagne devient plus déferte 8c les
troupeaux repofent tranquillement enfermés dans
leurs chaudes ëtables. Le boeuf docile ne fe
montre que , lorfque traînant un chariot du bois
qu’un bûcheron a coupé dans la forêt prochaine ,
il J’amène à l’entrée de la cabane du laboureur.
On n’apperçoit plus d’autres oifeaüx que la
ruftique méfange , le mignon roitelet qui fautille
ça 8c là , 8c le hardi moineau qui vient jufque
dans nos granges becqueter les grains’ échappés
au vanneur.
<■ Cependant l’hiver déploie des beautés ravif-
fantes. J’admire les germes du grain qui percent
la neige de leurs tendres pointes. Que ce verd
naifïant fe marie bien avec le blanc qui règne
à l’entour 1 -Il eft agréable de voir le foleil
dorer les collines blanchies par les frimats. Les
noires.Touches des arbres , & leurs branches
chauves , forment un contrafte majeftueux avec
le tapis éblouiffant qui couvre la plaine.1 Les
fombres buiffons d’épines rehauffent la'blanclieur
des champs , par cè brun même qui en coupe
l’afpeéfc trop uniforme. Quel éclat jètent "•les
arbres, lorfque La’ rofée , en forme de perles,
eft fufpendue à leurs foibles rameaux, auxquels
s’entrelacent des fils légers qui voltigent au gré
du vent. -
Dans ces jours froids 8c fereins , je choifis
pour ma retraite près de la ville , un féjour
agréable fi tué fur un /coteau fort élevé, couvert
d’un côté par des forêts, ouvert dé l’autre au
magnifique fpe&acle de Lai nature, & m’offrant
dans Téloignemeiit , la vue fans bornes des
vagues, tantôt agitées, & tantôt tranquilles. C’èft
dans cet abri folitâire, que lorfque le foyer
brillant , & les flambeaux allumés banniffent
l’obfcurité de mon cabinet , je m’âffieds , &
me livre fortement a l’étude.
Je converfe avec ces morts illuftres, ces fages 4e l’antiquité , révérés comme des dieux, bien-
fai fans comme eux , héros donnes à Fhumanité
pour le bonheur des arts , des armes & de la
civilifation. Concentré dans ces penfées motrices
-dé l’infpiration, le volume antique me tombe
des mains -, méditant profondément ,. je crois
voir paffer devant mes yeux étonnés , ces ombres
facrées , objets de ma vénération.
Socrate d’abord , demeuré feul vertueux dans
un état corrompu., feul ferme & invincible. Il
brava la race des tyrans, fans craindre pour la
vie , ni pour la mort, & ne connoiffanc d’autres
maîtres que les faintes loix d’une raifon éclairée ,
cette voix de Dieu qui retentit intérieurement
à là confcience attentive.
Solon , le grand oracle de la morale , qui
fonda fa république fur la vafte bafe dé l’équité.
Il fut par des loix douces, réprimer un peuple
fougueux , lui conferver fon courage, Sc ce
feu v if > par lequel il devint fi. fupérieur dans
le champ glorieux des lauriers , des beaux-
arts , & de la noble liberté , & qui fe rendit
enfin l’orgueil de la Grèce Sc du genre humain.
Lycurgue , cet homme fouverainemenf grand ,
ce génie fublime , qui» plia toutes les paillon«
fous le joug de la difeipline la plus étroite ,
& qui par l’infaillibilité de fes inftitutions ,
conduifit Sparte à La plus haute gloire ,. & rendit
fon peuple , en quelque fo r te , le légiflateur de
la Grèce entière.
Après lui , s’avance ce chef intrépide , qui
s’étant dévoué pour la patrie , tomba glorieusement
aux Thermopyles , & pratiqua ce que
l’ autre avoit établi.
Ariftide lève fon front où brille la candeur ,
coeur vraiment pur , à qui la voix fincère de la
lib e r té d o n n a Le beau nom dé: jujïs. FCefpecté
dans l’a pauvrètéSainte 8c majeftueufe , i l fournit
au bien de là patrie jufqu’à fa propre gloire ,
& accrut la réputation de fon rival trop orgueilleux
, ru^is 'immortalifé par la vicloire _de
Salamine.
J’apperçois Cimon fon dilciple , couronné d’un
rayon plus doux-, fon génie s’élevant avec force,
répoülfa au loin la molle" volupté. Au. dehors le
fléau de l’orgueil des Perfes , au dedans il étoit
l’anii du mérite & des arts j modefte & fimple
au milieu de la pompe de la richeffe.
Je vois epiuite paraître & marcher ^penfifs les
derniers hommes de la Grèce lür fon déclin ,
héros appëliés trop tard à la gloire , 8c venus
dans dès temps malheureux. Timoléon , l’honneur
de Corinthé Homme heureufement n e , également
doux 8c ferme , 8c dont la haute' genérofitë
pleure fon frère dans le tyran qu’il immole. Les
deux Thébains: égaux aux meilleurs , dont i’hé-
roïfme combiné , éleva leur pays à la liberté y
à l’empire Sc à la renommée. Le grand Phocion,
difciple de Platon , 8c rival de Démofthène
dai^s le tombeau duquel l’honneur des Athéniens
fut .enfeveli : févère comme, homme public
inexorable au v ic e , inébranlable dans la vertu;
mais feus fon toit illuftre , quoique bas , la paix
& la fageffe heureufe adouciffoient fon front ;
l’amitié ne pouvoit être plus flatteufe , ni l’amour
plus tendre. A g is , le dernier des fils du vieux
Lycurgue , fut la généreufe vi&ime de l’entre-
prife toujours vaine de fauver un état corrompu ;
il vit Sparte même , perdue dans l’avarice
fervile.
Les deux frères Achéens ferment la fcène :
Aratus qui "ramina quelque temps, dans la Grèce
la liberté expirante , 8c l’aimable Philopoemen,
le favori , 8c le dernier efpoir de fon pays ,
qui ne pouvant en bannir le luxe 8c la pompe ,
fut le tourner du côté des armes -, berger fimple
8c laborieux à la campagne , 8c habile 8c intrépide
au < champ de Mars.
; Un peuple , roi du monde , racé de héros,
s avancé. Sur fon front plus févère éclate un amour