
perdu 1a domination de la mer, s’y étoïent rendus
les plus redoutables.
On admiroit furr-tout à Sinope la magnificence
de fes portiques , celle, de la place publique
, de fon gymîiafe ou académie , & de fès
remparts. La beauté des faubourgs répondoit à
celle de la villes & les dehors embellis de jardins
agréables, étoient des plus charmans. Aufti
Etienne de Byzance nomment-il- Sinope la ville
la plus illuftre du Pont, <tqkiç fricttycLysTcU) t «
TIôvtov ; titre .qu’elle méritoit encore d’une manière
plus glorieufe, en mémoire des hommes de. lettres
qui y avoient pris naifïànce , entre lefquels Stra-
bon nomme Diogène le cynique, Timothée le
philolophe, Diphile, poète comique, Bathon qui
avoit écrit l’hiftoirejle Perfe.
Cette ville , qui eut Minerve & Apollon pour
patrons, doit avoir produit beaucoup d’autres
favans-, dont les ouvrages & les noms mêmes
ne font point arrivés jufqu’à nous , puifqu’Af-
térius , évêque d’Amafée , témoigne que Sinope,
ville ancienne , étoic très - féconde en grands
hommes & en philofophes,
Mais , entre tant de peffgnnages célèbres qui
y prirent naiftance', aucun ne Pa plus illuffrée
que Mithridàte , fixisme'du nom , dit Eupator,
le fléau & la terreur des Romains , 8c que Cicéron
dans fon Lucullus, nomme avec raifon le
plus grand des rois après Alexandre : regum j>oJ2
Alexandrum maximus.
Ce prince , que fon goût pour les arts or pour
les fciencës , que fa mémoire prodigieufe qui lui
'faifoit entendre 8c parler vingt - deux langues
•ufitéèi dans fes états , 8c que la vafte étendue
de fon génie à qui rien n’ échappoit, ' doivent
rendre recommandable , le plaifoit principalement
à faire fa réfidence à Sinope & à Amilè : i l
orna ces deux villes., & les remplit de tout ce
qu’il put ramaflei- de plus rare 8c de plus précieux
: Sinope & A mi fus domicilia régis Mithri-
datis omnibus rebus or-ata & referta > dit Cicéron,
pro Manilio. Mais le malheur fies guerres
que ce prince eut à foutenir contre les Romains.,
qui de tous les peuples de la terre étoient les
feuls capables de le vaincre, lui fit perdre cette
ville & tous fes états, après néanmoins avoir
gagné huit ou neuf batailles contre autant de
. généraux romains , avoir câufe des pertes îm.-
menfes à la république romaine, & après une
réfiftance des plus opiniâtres pendant près de
trente années , contre trois de fes plus fameux
capitaines, Sylla,, Lucullus, & Pompée.
Outre le profit immenfe que le négoce du fer
tiré dé leurs mines produifoit aux Sinopiens, ils
en tiraient encore un très - confidérable de la
pêche du thon , qui fe faifoit fur leur rivage,
où en certain temps , félon Strabon, ce poifion
fe rendoit en quantité , raifon pour laquelle ils
le repréfentoient fur leurs monnoies, comme il
paroit par les médailles de Géta. Ce poiffon yenoït
des Palus-Méotides , d’où il paffoit à Tré-
bizonde & à Pharnacie , où s’en faifoit la première
pêche ; il alloit de là le long de la côte
de Sinope où s’ en failoit la fécondé pêche , &
traverfoit enfuite jufqu’ à B y z a n c e o ù s’ en faifoit
une troifième pêclie.
La iteire de Sinope vantée par Diofcoride ,
Pline & Vitruve , était une efpèce .de bol plus
ou moins formé , que l’on trauvoit autrefois au
voifinage de cette v ille , & qu’on y apportoit
pour la diftribuer à l’étranger ; ce n’était au refie
qu’un petit objet de commerce pour les Sinopiens
: plufieurs autres villes de la Grèce avoient
des bols encore plus recherchés.
Je ne puis terminer cet article , fans ajoutes?
un mot du fameux Diogène , que j’ ai déjà nommé
à la tête dès hommes illuflres dont cette, ville,
a été ,1a patrie.
Ce philolophe fingulier 8c bizarre dans fes manières
, mais vertueux dans fes principes , naquit
à Sinope dans la 91e olympiade , & mourut a
Corinthe en allant aux jeux olympiques ^ la troifième
année de la 114e olympiade, âgé d’environ
90 ans , après avoir vécu dans l’étude de
la morale, dans la tempérance , & le .mépris des
grandeurs du monde/
Il fe ioucioit -peu d’être enterré, & cependant
il le fut fplendidement proche la porte de
l’ iflhme du Péloponnèfe ; plufieurs villes de Grèce
fe difputèrent l’honneur de fa fépulture. Son tombeau
, dont parle Panlanias , portoit un chien de
marbre de Paros, avec une .épitaphe. M. de Tour-
nefort a vu cette épitaphe , qui eft très - fingu-
lière, fur un ancien marbre à Venife ,, dans la.
cour de la maifon dfErizzo. Les habitans de Sir
nope lui drefsèr.ent auffi des ftatues de bronze.;
Il me. femble donc que ceux qui, ne profèrent
aujourd’hui le nom de Diogène que pour le rendre
ridicule , montrent bien peu de çonnbiffance de
fa vie & de l’antiquité. Les Athéniens en jugèrent
différemment, car ils honorèrent toujours;
fa pauvreté volontaire &. fon tonneau. Ils punirent
févèrement le jeune homme qui s’étoit
avifé de le lui roifopre , & lui en donnèrent uxâ
autre au nom de la république. Plutarque , Cicéron
, Sénèque, en un mot les premiers hommes
de l’antiquité, n’ent parlé de Diogène qu’en
termes pleins d’éloges,. & l’on ne fauroit guère
s’empêcher de les. lui accorder , Iorfqu’on envir-
fage philofophiquement la grandeur de fon ame.-
Je ne m’étonné., point qu'Alexandre ait admiré
un homme de cette trempe. Ce prince , maître
du monde , avoit vu venir à lui de toutes parts
les hommes d’états. 8c les philofophes pour lui
faire la cour. Diogène fut le feul qui ne bougea
de ik place-, 'i l fallut que le conquérant d’Aiig
allât trouver le fiige de .Sinope. Dans cette vi-
fite , il lui offrit- des rkheffes , des honneurs , &
fa protection , & le Cage lui demanda pour unique
faveur qu’ i l voulût lien fe retirer un peu de fou
fokil. Alexandre comprit bien la vigueur d’une
ame fi haute , & fe tournant vers les feigneurs
de fa cour : S i je n’ étais Alexandre , leur dit-il,
j e voudrais être Diogène.
Je n’ignore pas que ce feroit être ridicule de
porter aujourd’hui une lanterne dans la même
vue que le faifoit Diogène, pour_chercher un
homme raifcnnable -, mais il faut bien qu’il n’ ait
pas abufé de cette idée , puifqu’elle ne parut
point extravagante au peuple. d’Athènes. Il y a
mille chofes femblables chez les anciens , dont
qn pourroit fe moquer , fi on les interprétoit a
la rigueur; & félon les apparences , ce ne ferait
pas avec fondement.
Mais çe qu’on ne peut révoquer en^ doute ,
c’ efl la fagacité de fon. elprit , fes lumières , 8c
fes connoilfances. Le fel de fès bons mots, 1V
fineffe & la fubtilité de fes réparties, ont paffe
à la poflérité. Si Ariftipe , d ifo i t - il, favoit fe •
contenter de légumes, il ne feroit pas fans ceffe
là cour aux rois ; 8c quoi qu’en dife Horace ,
éternel adulateur d’Augufte , 8c détraâeur impitoyable
du philofophe de Sinope , qu’il n’appelle
que le mordant cynique, je ne fais pas trop
. ce qu’Âriflipe auroit pu répondre à Diogène. .
Ce qu’il V a de sûr , c’efl que nous ne lifons
point la-lifte des livres qu’il avoir compofés , fans
regretter la perte de plufieurs de fes-ouvrages.
Il poffédoit à un. degré éminent le talent de la
parole, 8c avoit une éloquence fi perfuafive,
qu’elle fubjuguoit tous les coeurs. C’ eft par cette
éloquence qu’ il s’acquit plufieurs difciples , que
diftinguoit dans le monde leur naiffance., leur
rang ou leur fortune. Mais fi vous voulez cori-
noître plus pafticulièrement Diogène & fa fe d e ,
voyei le mot C ynique, hijîoirc de. la Philofophie.
Les murailles de Sinope étoient encore belles du
temps de Strabon. Celles d’ aujourd’hui ont été bâties
fous les derniers empereurs Grecs ; fon château
eft entièrement délahré. On ne trouve aucune
infeription dans la ville , ni dans les environs ;
mais on en voit quantité dans le cimetière des
Turcs , parmi des chapiteaux , baies 8c piédef-
taux. ,Ce fjn t les reftes des débris du magnifique
gymnaie, du marché , 8c des portiques dont
Strabon fait mention. Les eaux y font excellences
, 8c l’on cultive dans les campagnes voi-
. fines ., des oliviers d’ une grandeur alfez raifon-
nable,
Charatîqe , capitaine mahométan , Furprit Sinope
du temps d’Alexis Comnèné, dans le def-
fein d’enleyer les tréiors que les empereurs Grecs
y avoient mis en dépôt ; mais le fultan lui manda
par politique d’ abandonner la place fans en rien
enlever. Lorfque îescroiles fe rendirent maîtres
de Conftanûnople , Sinope rçfta aux Comnènes ,
8c fut une des villes de l’empire de-Trébifonde.
.Elle devint dans la faite une principauté indépendante,
dont Mahomet II fit la conquête en
1461 fur Ifmaël , prince de Sinope ; c’eft ainfi
que cette ville de là Natolie, qui a été épifeo-
pale dans le cinquième fiècle, & qui n’ eft aujourd’hui
qu’un bourg, a pafTé fous la domination
de la Porte ottomane.
Strabon qui ne négligeoit rien dans fes descriptions
, remarque que les côtes , depuis Sinope
jufqu’en Bithynie , font couvertes d’arbres
dont le bois eft propre à faire des navires ; que
les caijipagnes font pleines d’o liviers, & que les
menuifiers de Sinope faifoient de belles tables
de bois ‘ d’érable &: de noyer. Tout cela fe pratique
encore aujourd’hui , excepté qu’au lieu de
tables qui ne conviennent pas aux Turcs , ils
emploient l’érable 8c le noyer à faire des fophas ,
& à. boifer des appartemens. Ainfi ce n’eft pas
contre ce quartier de la mer Noire qu’Ovide a
déclamé avéc tin t de véhémence ., dans fa troi-
lièmë lettré écrite du Pont à Rufin.
Aquih , auteur d’ une verfion grecque de l’ancien
teftament, étoit de Sinope. Il publia deux
éditions de cet té yerfion ; la première parut l’année
12 de i’emperéur Adrien , la 128* de J. C.
Dans la premièie , il fe donna plus de liberté
pour rendre le fens de l’original, fans s’attacher
ièrvilement aux mots , 8c làns faire une verfion
littérale. Mais dans la fécondé , il traduilit mot
a m o t, fans en excepter même les termes qui
ne peuvent être bien rendus en grec , particulièrement
la particule etk , qui lorfqn’elle défigne
feulement l’accufatif en hébreu , n’a proprement
aucune lignification : cependant comme elle
fignifie ailleurs avec , Aquila la rendoit par la
particule <rvv, fans aucun égard au génie de la
langue grecque.
S. Jérome porte de cette verfion des jugemens
contradictoires -, tantôt il la loue , & tantôt il la
blâme. Dans un endroit il en parle d’une manière
défavorable, 8c ailleurs il dit qu’Aquila a rendu
l’original mot à m o t, avec tout le loin 8c toute
la fidélité poftibles , 8c non trop fcrupuleufèmen c
comme quelques - uns le croyant. Souvent il
préfère cette verfion à celle des feptante, particulièrement
fes quoejî. hebrdïc. in Genef. Origène
en parle toujours avec éloge. II eft vrai que
plufieurs autres anciens , comme Eufebe , ib
plaignent fouvent de l’inexactitude d’Aquila en
bien des paftàges.
Malgré toutes leurs plaintes , les ftivans
regrettent la perte des traductions d’Aquila s qui
fe feraient certainement confèrvées jufqu’à nous,*
fi les anciens en àvoîent connu le véritable ufage.
Elles niéritoient ces traductions , qu’on les eût
fouvent fait copier aux frais communs des ëglifes,
& qu’on les eût mïfes dans les bibliothèques publiques
, pour les tranfinettre à la poftérké '7
mais les copiftes de ces temps-là étoient employés
par des gens îgnorans à copier un nombre infini
de pièces inutiles, tandis qu’on négligeoit des
ouvrages importans , qui fout des pertes irréparables*