
P a ir de la Suiffe eft fain & pur. On y recueille
beaucoup & de très-bons vins fur la côte
qui longe, le lac de Neuchâtel , & fur celle qui
.s’étend le long du lac de Genève. On en recueille
abondamment dans la Valteline •> il en croît fur-
tout de très-délicat en blanc, dans le pays de
Vaud, près d’Aubonne. Les coteaux expofés au
.levant & au midi, donnent des vins communs
qui le confommenç dans le pays ; & quant à çe
. genre de produirions, la Suiffe n’attend rien de
fes voifins : en plufieurs endroits il croît des
marronniers.
Elle a d’exçellens pâturages qui nourriffent
beaucoup de beftiaux & de chevaux. Au commencement
de l’é té , on conduit le.bétail fur les
Alpes , 8c il y eft foigné par des pafteurs qui
trouvent des étables ou chalets, 8c qui y portent
tout ce qui eft néceffaire à la préparation du
fromage.
On tire de çe pays des bois de charpente , du
• beurre, des cuirs , & fur-tout quantité de fromages
, qui font la branche effentielle de l’on
•' commerce. On y recueille beaucoup de lin qui
' s’emploie dans les manufactures' du pays. Les
toiles qui en fortent, vont en France, en Ef-
• pagne, en Italie, en Allemagne, & donnent lieu
a :des retours conftdérables. Il s’y fait un grand
commerce de mouffelines , de. toiles de coton ,
d’indiennes, de futaines, 8cc. On y fabrique des
étoffes de foie & demi - foie. On y fait des
velours, des taffetas, des fatins unis & damalFés,
des bas de fo ie , des rubans, des dentelles, des
galons d’or & d’argent. On en tire beaucoup de
calemande-s, de flanelles, de ratines, de camelots,
de bouraçans ,.de couvertures de lit. L?horlogerie
. & l ’ imprimerie y font aulli fur un pied floriffant,
Sc il s’y trouve des ufines pour fabriquer 8c travailler
le fer.
On trouve fur les montagnes des (impies très-
.éftimées j J’pn y rencontre débondantes mines
de çriftal de roçhe, 8c des carrières de différens
marbres. À ces divers objets de commerce,
joignez le K.erfwafler, la réfine qui s’obtient des
fapins par incifions, la térébenthine , la houille ,
les ardoifes, qui font tirées principalement par
les Anglois '8c les Hpllandois.
, Les naturaliftes rencçntrent en Suiffe une
grande v a r ié té , & gn quelques endroits une abondance
fingulière de pétrifications, $le coquillages
marins •, & les vpyageurs y trouvent quantité de
cabinets d’hiftoire naturelle, devenus les dépôts
de ce qu’on a recueilli de plus précieux en ce
■ genre.
La Suiffe a des falines, du lalpêtre , du Ibufre ,
de l’antimoine \ elle a dés mines de cuivre & de
plomb. On y cultive le fafran, 8c on commence
a y planter le’ tabac. On n’y ti ouve prefque-
d’autres forêts que des forêts de fapins. C’eft
à peu près le fgul bois que l’on y emploie dans
jçs b âw e n s , 8ç d?nt qn pfe pour le chauffage.
Dans toutë la lifière occidentale de la Sûîlfë ,
on fait ufage de la langue françoife, qui règne
encore tout le long du lac de Genève, & dans
une partie du Vallais. Dans tout le refte de la
Suiffe , c’eft l’allemand: L’ italien le parle dans
les baillages ultramontains & dans la Valteline ,
qui font des démembremens de l’ Italie, aflujettis
aux Suiffes.
Chaque état de la Suiffe a fa monnoie particulière
; mais les monnoies d’or 8c d’argent des
états voifins y ont. cours.
Les Suiffes n’entretiennent point de troupes
réglées fur pied, & ils n’en eurent jamais. Dès
qu’un garçon a atteint l’ âge de 16 ans , il eft
enrôlé , exercé au maniement des armes •, & au
premier lignai, il doit le rendre au pofte qui lui
eft alfigné , avec fon bagage militaire 8c jufqu’à
l’âge de 6o ans il fait partie de la milice.
Chaque baillage, chaque communauté confidé-
rable, a fon arfenal, & on a pourvu aux moyens
de raflèmbler promptement la milice , en cas
d’alarme. A cet effet on a placé des lignaux dans
toute la Suiffe , à des diftances convenables , 8c
qui fe correfpondent. Dans chaque baillage on
entretient fur la cime d’une montagne , ou d’une
éminence , une pile de bois fec, & un monceau
de fourrage ; le bois pour donner de la flamme
pendant la nuit -, le fourrage pour faire de la
fumée pendant le jour. En temps de guerre , il
y a jour 8c nuit à chacun de ces fignaux un
détachement , avec ordre tide mettre le feu au
fignal, en cas qu’ il fe manifefte quelque irruption
de troupes étrangères, ou s’ils voient les fignaiix
de leurs voifins allumés *, tellement que d’un
moment à l’autre, la Suiffe peut .être fous les
armes. La milice des Suiffes eft la mieux réglée
de PEurope -, & au befoin elle peut être portée
à trois cents mille hommes.
Les lods, les péages, les cens, les dîmes ,
les biens patrimoniaux , forment les revenus des
différens états de la Suiffe -, 8c de plus, dans
les Cantons proteftans , les biens des chapitres
& des monaftères, qui font devenus les biens
de tous. Dans les Cantons démocratiques, on ne
çonnoît point les impôts ; le peuple ne paie rien.
Dans les'Cantons ariftocratiques , la qiiote dès
contribuables çft de 3 fols de notre monnoie,
à 15 fols. La juftiee eft rendue avec une rigou-
rçulè équité, promptement, & gratuitement. Les
moeurs font lurveillées •, il y a des tribunaux
nommés conjijîoires, pour tout ce qui les inté-
reffe *, 8c des loix fompraai.es profcrivent le luxe.
Point de fpeâacles dans le fe in de la Suiffe ;
8c dans ces dernières années feulement, lorlque
les ariftocrates de Genève eurent renverfé la
conftitution , en détruilant le régime populaire ,
ils crurent qu?il leur falloit d’autres hommes,
d’autres moeurs Scieur premier foin fut d’élever
dans les murs de Genève une falle de fpe&açîes,
qui d.épl«t aux gens de b ien , & qui dut être le
pronolUg.
|>ronoftic certain de la décadence de cettô v ille,
jufque-là fi floriffante.
Dans les Cantons proteftans , le divorce
«’accorde fur la feule incompatibilité d’humeurs.
La Suiffe fut le berceau de la maifon d’Autriche
, iffue des comtes de Hapfheurg. Ceux-ci,
fujets des empereurs d’Allemagne , parvinrent
eux-mêmes au trône impérial, dans la perfonne
de Rodolphe de Hapfbourg, à l’aide 8c par le
fecours des Suiffes. A cette époque , la foibleffe
des empereurs , leur divifion avec le faint-ftege,
Ses guerres où ils fe trouvoient engagés, avoient
donné lieu aux comtes de Hapfbourg de s’affranchir
de l’autorité impériale , en recevant a
titre de fiefs les poffefiions qu’ils avoient en
Suiffe, en lé rendant • indépendant en-d’autres
diftriéïs où ils avoient été établis-gouverneurs.
Jules-Céfar eft le premier qui ait fait mention
du peuple helvétique comme d’une nation. 11
rapporte au commencement de fes Commentaires
Sa guerre qu’il eut avec les Helvétiens. Pendant
fon gouvernement des Gaules, ils firent une
irruption en Bourgogne, dans le deffein de le
tranfplanter dans un pays plus agréable, 8c plus
capable que le leur de contenir le nombre infini
de monde dont il fourmilloit. Pour exécuter
d’autant mieux ce projet, ils brûlèrent 12 villes
qui leur appartenoient, & 400 villages, afin de
s’ôter toute elpérance de retour. Après cela, ils
fe mirent en marche avec leurs femmes & leurs
enfans , faifant en tout plus de 360 mille âmes,
dont près de 100 mille étoient en état de porter
|es armes. Ils voulurent fè jeter dans le gouvernement
de Céfar par la Savoie •, mais ne pouvant
|>affer le Rhône à la vue de fon armée qui étoit
campée de l’autre côté de ce fleuve , ils changèrent
de route, Sc pénétrèrent par la Franche-
Comté. Céfar les pourfuivit, 8c leur livra plusieurs
combats avec différeïïs fuccès , jufqu’ a ce
qu’ à la fin il les vainquit dans une bataille
rangée, les obligea de revenir chez eux, 8c ré-
duifit leur pays à l’obéiffance des Romains , le
joignant à la partie de fon gouvernement, appelée
la Gaule celtique.
Ils vécurent fous la domination romaine jufqu’ a
ce que cet empiré même fut déchiré par les
invafions des nations feptentrionales , oc qu’il
s’éleva de nouveaux royaumes de fes ruines.
L’ un • de ces royaumes fut celui de Bourgogne ,
dont là Suiffe fit partie julque vers la fin du
douzième lièle. Il arriva pour lors que ce royaume
fut divifé en plulieurs petites fouverainetés, fous
les comtes de Bourgogne , de Maurienne , de
Savoie , de Provence, ainli que fous les dauphins
du Viennois , & fous les ducs de Zéringen.
Par ce démembrement, la Suiffe ne le trouva
plus réunie fous un même chef. Quelques-unes
de lès villes devinrent villes impériales : l’empereur
Frédéric Barberouffe en donna d’autres
3Yéc leur territoire ( pour les pQffédef en fief 4e
Géogr, Tome I IL
l’empire ) , aux comtes de Kp.bfpourg. D’autres
villes Suiffes, du moins leur gouvernement héréditaire
, fut accordé au duc de Zéringen. La race
de ces ducs s’éteignit dans le treizième ficelé ;
ce qui fournit l’occafion aux comtes de Hablpourg
d’ agrandir leur pouvoir dans tout le pays : mais
ce qui mit la liberté de la Suiffe le plus en
danger , ce fut le Ichilme qui partagea fi fort
l’empire dans le même fiècle, lorfqu’Othon IV
8c Frédéric II étoient- empereurs à la fois , 8c
alternativement excommuniés par deux papes qui
fe Recédèrent. Dans ce défordre , tout le gouvernement
fut bouleverfé, 8c les villes de la
Suiffe en particulier lèntirent les triftes effets de
cette anarchie? car , comme ce pays étoit rempli
de nobles 8c d’eccléfiaftiques puiffans, chacun y
exerça fon empire , & tâcha de s’emparer tantôt
d’une v ille , tantôt d’une autre , fous un prétexte
quelconque.
Cette oppreffion engagea plufieurs villes de la
Suiffe & de l’Allemagne d’entrer enfemble en
confédération pour leur défenfe mutuelle : c’eft
par ce motif que Zurich, Ury 8c Schwitz conclurent
une alliance étroite en 1x51 •, cependant
cette union ne fe trouvant pas une barrière fuffi-
lante contre la violence de plufieurs feigneurs ,
la plupart des villes libres de la Suiffe , Sc en-
tr’autres les trois Cantons que je viens de nommer,
fe mirent fous la proteâion de Rodolphe de
Habfpourg, en fe réfervant leurs droits 8c leur*
francnifes.
Rodolphe étant devenu empereur, la noblelïe
accula, juridiquement les Cantons de Schwitz
d’Ury & d’ Underwald , de s’être fouftraits à leur
domination féodale, & d’avoir démoli leurs châteaux.
Rodolphe, qui avoit autrefois combattu
ces peuples avec danger, jugea en faveur des;
citoyens.
Albert d’Autriche, au lieu de fuivre les traces
de fon père , fe conduilit, dès qu’il fut fur le
trône, d’une manière entièrement oppofée. H
tâcha d’étendre fa puiffance fur des pays qui
ne lui. appartenoient pas , 8c perdit par 1a. conduite
violente , ce que l’on prédéceffeur avoit
acquis par la modération. Ce prince ayant une
famille nombreufe , forma le projet de fôumettre
toute la Suiffe à la maifon d’Autriche, afin de
l’ériger en principauté pour un de fes fils. Dans
ce deffein, il nomma un certain Griller, bailli
ou gouverneur d’üry , & un nommé Lânder-
berg , gouverneur de Schwitz 8c d’Underwald ;
c’ étolent deux hommes dévoués à fes volontés.
L’ artifice , les promeffes, les moyens de corruption
furent ceux qu’employèrent d’abord les
gouverneurs Autrichiens. Les moyens de rigueur
& de menaces vinrent enfuite. Chaque jourportoit
de nouvelles atteintes aux privilèges des peuples.
Ceux-ci députèrent à l’empereur pour Je redref-
feaieut de leurs griefs, mais on fut lourd à leur*