
aucun d’eux n’eut autant de réputation que lui.
Les flottes ottomanes 8c chrétiennes fe rencontrèrent
dans le golfe de Lépante , où les
chrétiens remportèrent une vi&oire doutant plus
éclatante, que c’ étoit la première de cetteefpèce j
mais le fruit de cette bataille n’aboutit à rien.
Les Vénitiens ne gagnèrent aucun terrain, &
lesTurcs reprirent l ’année fulvante le royaume
^de Tunis.
Cependant la république de Venife jouiffoit,
depuis la ligue de Cambrai, d’une tranquillité
intérieure qui ne fut jamais altérée. Les arts
de l’elprit étoient cultivés dans la capitale de
leur état. On y goûtoit la liberté & les plai-
firs 3 on y admiroit d’excellens morceaux de
peinture, & les fpeftacles y attiroient tous les
étrangers. Rome étoit la ville des cérémonies,
8c Venife la ville'des divertiffemens -, elle avoit
fait la paix avec les Turcs après la bataille de
Lépante, & fon commerce, quoique " déchu ,
étoit encore çonûdérable dans le Levant ; elle
poflédojt Candie, & plufieurs îles , l’ Iftrie , la
.Dalmatie, une partie de l’Albanie, & tout ce
fiTu’èlîe çonferve de nos jours en Italie.
Aii milieu de fes profpérités elle fut fur le
point d’être détruite en i 6j8 , par une conf-
piration qui n’avoit point d’exemple depuis la
fondation de la république. L’abbé de S,. Réal
qui a écrit pet événement célèbre avec le ftyle
de Sali u f ie , y a mêlé quelques embelliffeniens
.de roman ; mais le fonds en eft très-vrai. Ve-
fiife avoit eu une petite guerre avec la maifon
d’Autriphe fur les potes de l’ Iftrie. Le roi d’Ef-
pagne Philippe I I I , poffeffeur du Milanès, étoit
toujours l’ennemi fepret des Vénitiens. Le duc 4’Offone, viçeroi de Naples, dom Pedre de Tolède,
gouverneur de Milan , & le marquis de Be-
jderaar fon anibaffa.deur à Venife , depuis cardinal
de la Cueva, s’unirent t tous trois pour
anéantir la république. Les mefures étoient fi
extraordinaires, & - le projet fi hors d.e vrai-
femblanpe, que le fénat, tout vigilant & tout
éclairé qu’il é to it, né pouvoir en concevoir de
foupçon 3 mais tous les conspirateurs étant des
étrangers de nations différentes, le fénat inf-
frujt de tout par plufieurs perfonnes, prévint
les. ponjurés, & en fit noyer un grand nombre
dans Içs panaux de Venife. On refpeéta dans
JBedemar le cara&ère d’ambaffadeur, qu’on pouvoir
ne pas ménager ; & le fénat lé fit fortjr
feprètement de la v ille , popr le dérober à la
fureur, du peuple.
Venife échappée à çe danger , fut dans un
état floriffant jufqu’ à la prifè de Candie. Cette
république foutint feule la guerre contre
l ’empiré turp pendant près de trente ans , depuis
I£41 jufqu’ à 1669. Le fiége de Candie,,
le plus long Sc le plus mémorable dont Phif-
&?irç faffe mention , dura près de 7.0 ans ;
topr,î}é en JbJppps, tantôt railentS fe .abau- .
donné, puis recommencé à plufieurs reprlfes J
fait enfin dans les formes deux ans & demi
fans relâche , jufqu’à ce que ce monceau de
cendres fût rendu aux Turcs avec l’ile prefque
toute entière, en 1669.
Venife s’épuifa dans cette guerre •, le temps
étoit- paffé où elle s’enrichiffoit aux dépens du
refte de l’Europe, par fon induftrie & par l’ ignorance
des autres chrétiens. La découverte du paf-
fage du cap de Bonne-Efpérance avoit détourné
la fource de fes richeffes. En un mot, ce n’étoit
plus cette république qui , dans, le quinzième
fiècle, avoit excité la jaloufie de tant de rois :
elle leur eft encore moins redoutable aujourd’hui^.
La feule politique de fon gouvernement fubfifte ;
mais fon commerce anéanti lui ôte prefque-toute
.l'a force -, & fi la ville de Venife e ft, par fa fitua-
tion, incapable d’ être domptée, elle a ceffé d’être
formidable,, & quoique fa marine militaire foie
encore de quelque importance , elle n'eft plus
en état de tenter des conquêtes.
On ne manque pas d’auteurs fur l’hiftoire de
cette république > voici les principaux par ordre
.des temps :
i° . Juftinianî ( Bernard ) , mort procurateur de
Saint-Marc, l’an 1489, dans la 82e année de
fon âge , a fait le premier l’hiftoire de.Venife ,
intitulée : de origine urkis Venetiarimi, rebufque
ejus , ab ipfâ ad oclingentejimum ufque annum
gefiis hifloria. Venife 1492 , in-fol., Sc dans la
même ville en 1534, in - fo l. Cette hiftoire eft
divifée en quinze livres , Sc va jufqu’à l’an 809,
Elle a été traduite en italien par Louis Domenichi,
Sc imprimée en cette langue à Venife en 1545
Sc en 1608 , in-8° . , avec une table des matières.
.2°. Sabellicus ( Marc-Antoine Coccius ) , né ,
fur le milieu du quinzième fiècle, à Vifcovaro ,
bourg d’ Italie, dans la Sabine , fut appelle par
le fénat de Venife pour deux emplois honorables
8c lucratifs : l’ un étoit celui d’écrire l’hiftoire
de la république 3 l’autre d’enfeigner les belles-
lettres. Il~s’ aequitta mieux du dernier que du
premier, car fon ouvrage hiftorique , rerum Vene~
tarum hijloricè , fut rempli de Batteries & de
menfonges : c’eft qu’il étoit payé pour être fin-
çère 8c exaél à l’égard de fes écoliers, 8c pour fe
garder de l’ être à l’égard des narrations.
3°. Suazzarini ( Domenico ) , contemporain de
Sabellicus , écrivit l’hiftoire de Venife beaucoup
plus abrégée , & tâcha d’imiter le ftyle de Tacite.
40. Le cardinal Bembo fut nommé par la république
en 1530, pour en écrire l’hiftoire. On
voulut qu'il la commençât où Sabellicus l’avoit
finie ( environ l ’an 1486) , Sc qu’il la continuât
jufques à fon temps. Cet intervalle comprenoit
44 années ; il ne remplit point eet intervalle ,
par il termina fon ouvrage à la mort de Jules U*
.Cette hiftoire eft divifée en douze livres, Sc fut
imprimée à V enife, l’an 15 51 , & contrefaite la
même année I Paris > chez Miçhel Valcofan,
in~4°. On en donna une nouvelle édition a Bâle ,
l ’an 15 6 7 , en 3 volumes in - 5° . avec les autres
oeuvres de l’auteur. Il ne put tirer aucun profit
du travail d’André Navagiero, qui avoit eu
avant lui la même commidion , mais qui ordonna
en mourant qu’on brûlât tous Ces çcrits.
"Quoique Bembo ait été l’une des meilleures
plumes latines du feizième fiècle, il faut avouer
qu’il a montré trop d’affeâation à ne fe fervir
dans fes écrits , Sc fur-tout dans fon hiftoire ,
_.ue des termes de là pure latinité *, mais l’hiftoire
e Venife de Bembo mérite encore plus la critique
du côté de la bonne fo i , comme Bodin l’a
prononcé dans fa méthode fur l’hiftoire.
5°. Paruta , né à Venife en 1540, a publié
entr’autres ouvrages , une grande hiftoire de
Venife , intitulée : IJloria venetiana, lib. X I I .
Venife 1605 , 164.5 & 1704, 2/1-4°. En qualité
d’hiftoriographe de la république, il fut chargé
de continuer Fhîftoire du cardinal Bembo , qui
avoit fini à l’année 1513 , année detl’élévation
de Léon X au pontificat. Il en écrivit le premier
livre en latin pour fe conformer à Bembo *,
mais il changea de deffein dans la fuite, & com-
pofa fon ouvrage tout en italien. Cet ouvrage
contient en douze livres tout ce qui eft arrivé de
plus confidérable dans la république , depuis Fan
1513 jufqu’en 1552. Il a été joint au recueil des
Liftoriens de Venife , publié en 1718 fous ce
titre général |iIJiorici dette Cofe veneqiane, i quali
hanno Jcritto per publico décréta.
6°. Morofini ( André) , né à Venife en• 155&,
& .mort dans les grands, emplois de fa patrie,.
Pan 1618^ a 60 ans, a fait une hiftoire latine de
la république ,. qui parut fous ce titre : Hijîoria
Veneta ab artno 1 , ad annum. z 61$. Venetiis
z 603 ,. in-fol. Cett§ hiftoire eft une continuation
de celle-de Paruta.
7°.. Nani- ( Jean-Baptifte noble Vénitien y
fut honoré dès premiers, emplois de la république,
& chargé par le fénat de continuer l’hiftoire de
îa république. Il divifa fon ouvrage en deux
parties; & imprimoit la fécondé , lorfqu’il mourut
en 1.678, âgé. de 62 ans. La première, partie a
été traduite en françois , & imprimée en Hollande
en 1702 , en 4 vol. in -ix . L’ouvrage eft
intéreftant ; mais Fauteur, dans tout ce qui concerne
fa patrie , a plus fiiivi- les. fentimens naturels
que la vérité de l’hiftoire. On en a fait une
nouvelle édition en 1720, & elle entre, dans le
recueil des hiftoriens de Venife.
8°. Le dernier écrivain de cette hiftoire eft le
fénateur Diedo., dont l’ouvrage intitulé , Storie
délia republica di Vene^ia, a. paru. à. Venife en
1 7 5 1 en 2 vol. in-40.
Les. F£ançpis: à qui les. langues latine- Sc italienne
font inconnues., peuvent lire Amelot de.
M Houlfaye hiftoire du gouvernement de Ve-
nife -, S. Difdier, defeription de la république.
àe, Venife 3. l’abbi Laugier | hiftoire de Venife x
depuis fa fondation jufqu’ à nos jours. Paris 1762 ÿ
en 5 vol. in-ix .
Les doges , ces princes de la république, ayant
fans céffe augmenté leur puilTance , les principaux
citoyens résolurent enfin de la modérer. S’ étant
aïfemblés dans l ’églife de Saint-Marc, ils établirent
, en 1 1 7 2 , un confeil indépendant, Sc
créèrent douze tribuns qui pourroient s’oppofer
aux ordonnances du prince. Ces tribuns eurent
encore le droit d’élire chaque année 40 per-
fonnes par quartier, pour compofer le grand-
confeil qu’on venoit de créer de forte qu’ il
étoit de 240 citoyens, la ville de Venife étant
divifée en fix quartiers ; & comme ce confeil
fe renouvelloit tous les an s , chacun avoit efpé-
rance d’y entrer.
L’ordre de ce gouvernement dura 117 ans ,
c’eft-à-dire jufqu’en 1.289, que le doge Pierre
Gradegino-entreprit de changer entièrement la
face de la république, 1& d’établir une véritable
ariftocratie, en fixant à perpétuité- le grand-
confeil à un nombre de citoyens Sc à leurs def-
cendans. Il fit pafler à la Quarantie criminelle ÿ
qui eft une chambre fouveraine de quarante juges ,
un décret portant que tous ceux qui avoient com-
pofé le grand-confeil des quatre années, précédentes
, feroient ballottés dans certe chambre 3 Sc
que ceux qui auroient douze balles- favorables,
compol’eroient , eux Sc leurs defeendans, le grand-,
confeil, à perpétuités
La noblefîe vénitienne eft divifée en différentes
cl ailes. La première comprend les familles desdouze
tribuns, qui- furent les éleéteurs du premier
doge ,. Sc qui fe font prefque toutes confervées
julqu’à préfént. A ces douze maifon», qu’on
nomme électorales, on en a joint douze autres
dont l’ancienne té va prefque de pair avec les
douze premières».
La féconde cîaiïe de la nobîeffê vénitienne’
fê trouve compofée des nobles qui ont pour titre
le temps de la fixation du grand - confeil., 8c
dont les. noms étoient écrits., dès ce temps-là,,
dans le livre d'or, qui eft le catalogue qu’on fit
alors de toutes les familles de la noblefie vénitienne1..
On met au rang de cette nobleffè du
fécond ordre les trente familles- qui furent agrégées
à la noblefîe en 1.380 , parce qu’elles: avoient
fecouru la république de fommes confidérables.
pendant la. guerre contre les. Génois..
Dans la troifième claffè de: la nobleffe vénitienne
on comprend environ *8o familles qui. ont
acheté la-nobleffe moyennant cent mille ducats.,,
dans, le befoin d’argent où. la république fe trouvai
réduite par la dernière guerre de Candie. On ne;
fit aucune diftinclion- entre les personnes qui fei
. préfentèrent, c’eft-à-dire , depuis le gentilhomme-
de terre-ferme jufqu’à. l’artifân. Cette troifième-
forte de nobleffe Vénitienne ne fut point d’abord;
employée dans les grandes charges de la. repu?-