
Plus h au t, en montant au nord, eft la province
d’Archangel, pays entièrement nouveau
pour les nations méridionales de l’Europe, mais
dont lés Anglois découvrirent le 'port en 1533 ,
& y commercèrent fans payer aucuns droits,
jufqu’au temps où Pierrefie-Grand a ouvert la
mer Baltique à fes état£
A l’occident d’Archangel , & dans fon gouvernement
, eft la Laponie ruffe -, troifième partie
de cette contrée : les deux autres appartiennent
a la Suède 8c au Danemarck. C’eft un très-grand
pays qui occupe environ 8 degrés-de longitude,
8c qui s’étend en latitude du cercle polaire au
cap nord.
Les Lapons mofcovites font aujojurd’hui cenfés
de l’églife grecque -, mais ceux qui errent vers
les montagnes feptentrionales du cap nord , fe
contestent d’adorer un D ieu , fous quelques
formes groftières i ancien ufage de tous les peuples
nomades.
Cette efpèce d’homme , peu nombreufe , a
tres-peu d’ idées , & ils font heureux de n’ en
avoir pas davantage , car alors ils auroient de
nouveaux befoins qu’ ils ne pourroient fatisfaire :
ils vivent contens 8c fans maladies, en ne buvant
guèrè que de l’eau dans le climat le plus fro id ,
8c arrivent à une longue vieilleffe. La coutume
qu’on leur imputoit de prier les étrangers de faire
à leurs femmes 8c à leurs filles l’honneur de
s’approcher d’ elles , vient probablement du fen-
timent de la fupériorïté qu’ ils reconnoiffoient
dans ces étrangers , en voulant qu’ils puffent fervir
à corriger les défauts de leur race., C’étoit un
ufage établi chez les peuples vertueux de Lacédémone
*, un époux prioit un jeune homme bien
fait , de lui donner de beaux enfans qu’il pût
adopter. La jaloufie & les loix empêchent les
autres hommes de donner leurs femmes *, mais
les Lapons étoient prefque fans loix , & probablement
n’étoient point jaloux.
Quand on a remonté la Dwina du nord au
fu d , on arrive au milieu des terres à Moskow,
capitale de la province de l’empire de Rufïie ,
appellée Mofcovie. Voye\ M oskow.
A l’occident du duché de Moskow , eft celui de
Smolensko, partie de l’ancienne Sarmatie européenne.
Les duchés de Mofcovie & de Smolensko
compofoient la Ruftie blanche proprement dite.
Entre Péterfbourg 8c Smolensko , eft la province
8c gouvernement de Novogorod. On dit
que c’eft dans ce pays que les anciens Slaves,.
ou Slavons , firent leur premier établiffement ,
mais d’où venoient ces Slaves , dont la langue
s’eft étendue dans le nord - eft de l’Europe ? Sla
lignifie un chef , 8c efclave, appartenant au chef.
Tout ce qu’on fait de ces anciens Slaves , c’ eft
qu’ils étoient des conquérans. Ils bâtirent la ville
de Novogorod la grande , fituée fur une rivière
navigable dès fa fburce, laquelle jouit long-temps
d’un floriffant commence } 8c fut une puiifante
alliée des villes anféatiques. Le czar Ivan BafP
lovitz (en ruflé Iwan 'Waflïlicwitfch ) la conquit
en 14 6 7 , & en emporta toutes les richelfes,
qui contribuèrent à la magnificence de la cour
de Moskow, prefque in6onnue jufqu’ alors.
Au midi de la province de Smolensko fe
trouve la province de K io v ie , qui eft la petite
Ruflie , la Ruftie rouge , ou l’Ukraine , traverfée
‘par le Dnieper , que les Grecs ont appellé Borifthène.
La différence de ces deux noms , l’un
dur à prononcer , l’autre mélodieux , fert à faire
voir , avec cent autres preuves , la rudeffe de
tous les anciens peuples-du nord , 8c les grâces
de la langue grecque. La capitale Kioti, autrefois
Kio v ie , fut bâtie par les empereurs de
Conftantinople , qui en firent une colonie. On
y voit encore des infcriptions grecques de douze
cents années : c’eft la feule ville qui ait quelque
antiquité , dans ces pays où les hommes ont
vécu tant de fiècles, fans bâtir des murailles.
Ce fut là que les grands ducs de Ruftie firent
leur réfidence dans le onzième fiècle, avant que
les Tartares, aflerviflént la Ruflie,
Si vous remontez au nord-eft de la province de
K io v ie , entre le Borifthène & le Tanaïs, c’eft
le gouvernement de Bielogorod qui fe préfente »
il étoit aufli grand que celui de Kiovie. C’eft
une des plus fertiles provinces de la Ruftie v c’ eft
élle qui fournit à la Pologne une quantité pro-
digieufe de ce gros bétail qu’on connoît fous le nom
de boeufs de VUkraine. Ces deux provinces font à
l’ abri des incurfions des petits Tartares., par
des lignes qui s’étendent du Borifthène an Tanaïs
, garnies de forts & de redoutes.
Remontez encore au nord, paffez le Tanaïs,
vous entrez dans le gouvernement de Voronielc,
qui s’étend jufqu’au bord des palus Méotides.
Vous trouvez enfuite le gouvernement de
Nifohneinowogorod, fertile en grains, 8c tra-
verfë par le Volga.
De cette province, vous entrez au midi dans-
le royaume ou gouvernement d’Aftracan. Ce
royaume, qui commence au 43e degré 8c demi
de latitude , 8c finit vers le 50e , èft une partie
de l’ancien Capshak , conquis par Gengiskan
8c enfuite par Tamerlan v ces Tartares dominèrent
jufqu’ à Mofcou. Le czar Jean Bafilides
petit-fils d’Ivan Bafilovitz , 8c le plus grand conquérant
d’entre les Ruffes , délivra fon pays du
joug tartare , au feizième fiècle , 8c ajouta le1
royaume d’Aftracan à fes autres conquêtes, en
1554- : ~ ' V:/*
Au-delà du Volga 8c du Jaïk, vers le fepten-
t r io n e f t le royaume de Cafan , • qui , comme
Aftracan , tomba dans le partage d’un fils de
Gengiskan , & enfuite d’un fils de Tamerlan ,
conquis de même par Jean Bafilides -, il eft encore
peuplé de beaucoup de Tartares mahométans.
Cette grande contrée. s’étend'jufqu’à la Sibérie z
il eft confiant qu’elle a été floriflânte- 8c riche
autrefois ; elle a confervé encore quelque refte
d’opulence. Une province de ce royaume, appelée
la grande Pcrmie, enfuite le
trepât des marchandifes de la Perfe , oc des
fourrures de Tartarie. .
Des frontières des provinces dArcftangei ,
de Refan, d’Aftracan , s’étend à l’orient la Sibérie
avec les terres ultérieures jufqu a la mer
du Japon. Là, font les Samoyedes , la contrée
des Oftiaks le long du fleuve Oby , les Burates,
peuples qu’on n’ a pas encore rendus chrétiens.
Enfin, la dernière province eft le Kamfchatka,
le pays le plus oriental du continent. Les habi-
tans étoient abfolument fans religion quand on
Ta découvert. Le nord de cette contrée fournit
.aufli de belles fourrures : les habitans s’en revê-
ioient l’hiver, 8c marchoient nuds 1 été.
Voilà les feize gouvernemens de la ^Ruftie -,
celui de Livonie , de Revel ou d’Eftonie, d Ingrie ,
de Vibourg , d’Archangel , de Laponie ruffe,
de Mofcovie, de Smolensko, de Novogorod,
de K io v ie , de . Belgorod, de V rô n , de Nitf-
naino wchgorod , d’Aftracan , de Cafan., & de
Sibérie. On peut y ajouter le gouvernement de
Polotsko, une partie de ceux fie MfciflaW &
de Witepsk, qui appartiennent à la Ruflie depuis
le démembrement de la Pologne , en 17 7 3*
Ces gouvernemens compofent en general la
domination de la Ruftie , depuis la ï in lande a
la mer du Japon. Toutes les grandes parties de
cet empire ont été unies en divers,temps, comme
daiîs tous les autres royaumes du monde. Des
Scythes, des Huns, des Maffagètes, des Slavons,,
fies Cinabres, des Gètes, des Sarmates , font
aujourd’hui les fujets des czars. Les .Ruffes proprement
dits , font les anciens Roxelans ou Slavons,
Cet empire renferme différentes fortes de
nations -, les Ruffes, les Cofaques, les Samoyèdés,;
les Morduans , les Tcherémis, les Tfchuwafchs,
les "Wotiaks , les 'Woguls, les Permiaks, les,
Sirjaniens , les Oftiaks , les Barabinfiens , lés
' Tungufiens , les Calmouques , les Burattes, les
Jakutiens , les Jukagiriens , les Korjaki , les
Kamftsbhadaliens, les Tartares, les Finlandois,
les Efthoniens , les Lettoniens ^ les Arméniens,
les Indiens , les Allemands 8c d’autres Européens
en petit nombre. Il eft bien difficile , pour
ne pas dire impoflîble , que, dans tant de nations,
la conftitution politique foit par-tout la même :
il eft encore moins poflible que le fol foit d un
produit égal. La nature change à chaque pas ,
8c par-tout la même dans fes principes, elle
varie fans ceffe dans fes productions -, mais ici
une province peut hepreufement fournir a une
fr autre ce qui lui manque. Au-delà du 60e degre
vers le pôle , la terre eft trop froide pour que
le bled vienne à maturité', & dans les contrées
plus feptentrionales encore, on ne voit ni arbres,
grains, ni légumes , mais des broffailles , des
animaux fauvages, du gibier & du poiffon. On
cultive cependant à Archangel plusieurs fortes
de fruits , avec fuccès -, on y éleve - aufli dut
bétail. Dans le centre de l’empire, l’air eft
doux & tempéré -, on y trouve différentes efpèces
de fruits, de grains, de légumes, des mouches
à m iel, des beftiaux h des terres labourables, 8c
de fort bons pâturages , des forêts abondantes
en gibier , des fleuves navigables 8c remplis des
meilleurs poiffons. Dans la ^partie la plus méridionale
, l’air eft très - chaud -, on y rencontre
beaucoup de terrains arides. A Aftracan 8c en
Ukraine , on cultive du vin & du tabac. Les
fleuves poiffonneux , les forêts 8c le gibier n y
manquent pas. < #
La Ruflie abonde en bled 8c autres grains t
avec un gouvernement différent, où l’on fubfti—
tueroit ‘ les bras des hommes libres à ceux des
efclaves , elle feroit bien plus riche & plus puif-
fante. encore. Une prodigieufe quantité de ces
grains eft employée à la diftillation de 1 eau-
de-vie : les chofes de première néceftité y font
à vil prix. On rencontre dans beaucoup d’endroits
des.falines & des foùrces minérales -, il s’y trouve
aufli des'mines d’o r , d’argent., du meilleur cuivre,
8c du fer excellent, plufieurs autres efpèces encore
de minéraux, & c . En hiver, les jours font courts
& le froid eft très-vif dans les contrées feptentrionales
& l’intérieur de l’empire -, mais l’éte
eft très-agréable 8c très-chaud. La terre , chargée
de glaces 8c de neiges, en peu de mois eft
couverte de fleurs 8c de fruits. Durant les nuits
courtes, le crépufcule • eft très-fort : le fro id ,
plus confidérable vers l’orient que dans les provinces
occidentales , fous la même élévation du
pôle , occâfionne plufieurs maladies épidémiques,
& attaque aufli le cerveau des perfonnes dont la
conftitution efLfoible.
On voyage en Ruflie en toute faifon, particulièrement
eft hiver , avec vîfeffe 8c à grand
marché ; les chevaux courent avec une vîteffe
incroyable : les chemins font bons , fur-tout en
hiver-, & la manière la plus ordinaire de voyager
dans cette faifon , eft d’employer des traîneaux*
Le bas peuple' en Ruftie fe nourrit d’alimens très-
gL-ofîiers -, il couche fur la dure -, jouit d’une conftitution
très - robufte , 8c n’eft prefque jamais
malade : a r r iv é - 1 - il qu’ il lé fo it , il fe fert de
trois remèdes , qui font l’eau-de-vie , le lait 8c
le bain. Les payfans portent la barbe -, & les
Ruffes de la plus baffe extraction , pour marquer
leur refpeft aux principaux de la nation, fe jettenc
tout à plat par terre devant eux. Les payfans
font ferïs ; mais le gouvernement ayant font!
combien l’efclavage affoibliffoit la conftitution
nationale , vient de s’occuper des moyens de
rendre peu à peu la liberté à ces malheureux.
Qui fait alors à quel point de grandeur peut,
s’élever un jour cette nation , fi jamais on n’y
commande plus qu’à des hommes libres 1
*■ xi