
’Europe & l’ autre pour l’Afie. Ce corps de juges,
qui a le mufti pour préfident, eft nommé ulama ;
& les affaires confidérables qui regardent la
religion & l’é ta t , font de fon reffort.
On parvient au grade de Cadilesker après avoir
pafle par les offices fubalternes de la judicature.
Le mufti eft choifi du nombre des cadileskers
par la faveur du fultan, 8c encore plus par celle
du vizir -, 8c îorfque ces deux grands officiers font
unis , ils peuvent faire la loi au grand-feigneur
même.
L’ordre qui concerne le maniement des finances,
efl: fi bien établi dans cèt empire, foit pour les
charges , foit pour les regîftres , que nos puif-
fances, chrétiennes y trouveraient de quoi s’inl-
truire.
Le gouvernement militaire politique eft divifé
en deux parties principales , favoir l’Europe &
EAfie, fous le nom de Romélie 8c d’Anatolie.
•On a confervé dans chacune de ces deux parties
du monde les mêmes divifions qu’elles avoient
Iorfque la Porte les conquit : ce qui étoit royaume,
l’ eft encore j ce qui n’étoit que province, ce qui
n’étoit que département, eft encore, aujourd’hui
fur le même pied. Ces grands gouvernemens ont
le titre de baehalas, quelques-uns de ceux qui en
font pourvus ont celui de vizir •, d’autres font de
limples bachas. qui peuvent quelquefois être du
rang des vizirs ou des beglerbegs ; & tant qu’ils
font en charge,.ils prennent le nom de la capitale
où. efl: leur réfidence.
Les provinces font partagées en plufieurs dépar-
temens gouvernés par un officier qu’on nomme
fiingiac j & ceux - ci ont fous eux un certain
nombre de zaïms & de timariots. Ils font tous
également fubordonnés, au bacha de la province
ou aux, vizirs, des royaumes, qui donnent audience
publique une fois la femaine, accompagnés des
premiers officiers de la judicature, des finances
8c de. la milice, pour entendre les plaintes des
zaïms & des timariots., des fiijets chrétiens ,
qu’on nomme indifféremment raja, c’eft-à-dire
Jujets , 8c des juifs qu’on appelle gifrit.
La forme du gouvernement eft defpotique en
Turquie,..mais le fultan court rifque d’être détrôné
& même d’être mis à m o r t lo r fq u ’il ne
gouverne pas au gré du peuple, 8c fur-tout à celui
des Janiffaires. L’ influence de la multitude, & la
■ vindicte publique/ainfi exercée , tempère le pouvoir
abfolu, & jète dans le gouvernement une
teinte d’admi.niftration populaire.
Les revenus publics forment deux tréfors ; Le
Tréfor de l’Empire, qui ne .peut être diverti par
l’empereur , même dans un befoin preffant, ni
employé pourfes intérêts particuliers -, & le Tréfor
du Grandesergneur dont il difpofeà lon gré. Précaution
admirable dont en ne fë fût point attendu
à trouver un exemple chez- une nation que nous
l'ommes accoutumés à regarder comme le ib.uet
d'une puiifance arbitraire*
Quoique les revenus de l’empire fe foient accru*
dans ces derniers temps ;. quoique , comme nous
l ’avons d it, fan immenfe domination s’étende en
Europe, en A fie , & e n Afrique -, quoiqu’il entretienne
une armée de 300,000 hommes, la totalité
de fes revenus , & on l’apprendra avec fur-
1 prife dans nos régions policées, la totalité, dis-je ,
de fes revenus ne s’élève pas au deffus de quatra-
vingt millions de notre monnoie.
Une queue de cheval teinte en rouge, attachée
a une pique furmontée d’un pommeau doré /eft
une marque de diftinélion chez les Turcs. On en
porte une devant un bey , deux devant un pacha,
trais devant un grand beglerbey ,. cinq devant le
grand vifir , & le.pt devant le fultan , lorfqu’ il
marche à la tête de fon armée.
L’empereur des Turcs fe nomme auffi fultan,
grand- turc, grand- feigneur ; on lui donne le
titre de hautefte. Il prend encore ceux d’ombre
de D ieu, frère du foleil & de la lune, &c. & c.
Toutes les fois qu’il y a un nouvel empereur,
on le conduit avec pompe dans un endroit des
faubourgs de Conftantinople , où le mufti lui
donne fa bénédidion, & le grand-feigneur promet
de défendre la religion mufulmane & les loix
de Mahomet* Auffitôt le premier vifir , les vifirs
du banc & les bachas font une profonde inclination
, baifent le bas de la vefte de fa Hauteffe
avec un refped extraordinaire, 8c le reconnoiffent
pour leur véritable empereur.
' Les grands officiers de l ’empire font le premier
vizir ou vizir - azem , entre les mains duquel eft
toute l’autorité ; les vizirs du banc au nombre de
fix, qui liégent avec le grand vizir dans le divan,
mais qui n’ont aucune voix délibérative ; auffi ne
>nt-ils pas fujets aux révolutions, parce que leurs
richeffes font médiocres, 8c que par leurs charges
ils ne Te mêlent point des affaires dangereufes de,
l’état : les beglerbegs ou bachas qui ont fous leur
jurifdicÜQn divers gouvernemens, des agas & plufieurs
autres officiers. Le fultan donne pour marque
d’honneur à chacun de ces beglerbegs trois en-
feignes que les Turcs appellent tug ; ce font des
bâtons au bout defquels il y a une queue, de cheval
attachée , 8c un bouton d’or par-deffus. Cette
marque les diftingue d’avec les bachas qui n’ont
que deux de ces. enfeignes , & d’avec les fangiacs
qui portent auffi le nom de bachas , mais qui n’en
ont qu’ une. Les gouvernemens des beglerbegs ,
qui ont loirs eux diverfes provinces nommées fan-
giacat&j font, de deux fortes-, les uns. ont un revenu
affigné fur leur propres gouvernemens, .& qui fè
lève par leurs propres officiers.; les autres font
payés du tréfor du grand-feigneur. Oh compte
vingt-deux beglerbegs de la première forte, & fix
de la' fécondé.
Il y a cinq beglerbegs de la .première forte qui
portent le titre de vizirs, c’ ëft-à-dire confeillers.
Ce font le bacha die Natolie, celui de Babylane,
Celui du Caire , celui de Romanie & celui de Bude >
qui ont les gouvernemens les plus riches 8c les
plus confidérables de l’empire ; les autres ont leur
rang félon la date: de, l’ére&ion de leurs gouvernemens
; car la poffeffion la plus ancienne constitue
le plus honorable gouvernement.
Le capitan eft l’amiral de -la flotte du grand-
feigneur : il commande partout où le pouvoir du
turc s’étend par mer. Il réfide à Gallipofi , 8c a
fous-lui treize fangiacs;
Le mufti ou grand pontife, le reis-effendi ou
chef des dépêches , & le defterdar ou grind-tré-
forier font trois autres grands officiers de l’empire
ottoman. Le grand-feigneur confulte le mufti
par forme & pour s’accommoder à la coutume ;
mais Iorfque les fentences de ce pontife ne s’accordent
pas avec les deffeins du prince, il ie prive
defon pontificat, & donne cette charge à un autre,
qui fait mieux faire répondre les oracles- aux intentions
de fon maître.
Le reis-effendi eft toujours auprès du premier
vizir , pour expédier les' ordres , les arrêts , les
lettres patentes 8c les-commiffions dans les diffère
ns endroits dè l’empire. On ne fauroit croire
combien il fe fait dans fon bureau de dépêches
chaque jour, parce que le gouvernement des Turcs
étant arbitraire, chaque affaire demande un vôrdre
exprès à part , & même la plÛpart des cours de
jufticé ne fe conduifent que par des ordres qu’elles,
reçoivent d’én haut. Cette multitude d’ affaires
oblige le reis-effendi d’employer un grand nombre
d’écrivains , & elle remplit fes coffres d’or &
d’argent.
Le defterdar reçoit le revenu du grand-feigneur ,
paye les foldats , & fournit l’argent néceffaire
pour les affaires publiques. Cette charge eft diffév
rente de celle de tréforier du. férail; car ce^Êêf-
nier ne pourvoit qu’ à la dépenfé de la cour ; il
reçoit les profits cafuels, ainfi que les préfens.qu’on
fait au grand-feigneur, préfens qui font auffi nombreux
que confidérables.
La milice de l’empire turc eft prodigieufe, 8c
conftitue toute fa force. Elle eft compofée de
zaïms qui font comme des barons en certains
pays, & de timariots , qui,peuvent être comparés
a ceux que les Romains appelloient decumani. Entre
les gens qui compofent toute la milice turque ,
les uns. font entretenus du revenu de certaines,
terres 8c de certaines fermes que le grand-feigneur
leur donne. ;. les. autres font payés, en argent
comme les fpahis-, les janiffaires , les armuriers,
les canôniers 8c lesffoldats.de mer appelles léventis.
J’abrège toutes ces choies ; le lecteur peutcon-
fulter les mots V iz ir , Bacha, Defterdar, A g a ,
San gia c y C a d i , Reis-effendi , Liamex ,: T i-
m a r , \&C.
, Les loix civiles font partie de la religion chez
le s Turcs, 8c ne compofent qu’ un corps avec elle,
parce que les Turcs fe perfuadent que les unes-&
les autres leur ont également été données par-
Mahomet. Les cérémonies, la doârine & les loix
de ,1a religion turque tont renfermées dans trois
livres qu’on peut appeller proprement le code-8c
les parnlectés de la religion des Mahométans. Le pre1-
mier eft l ’alcoran , le fécond l’affonah ou la tradition
, avec; les fentimens des fages-, le' troifième
comprend les conféquences que l’on en tire. Mahomet
a écrit l ’alcoran , 8c a fait quelques loix
pour le gouvernement civil ; le refte a été com-
pofé par fes quatre premiers fucceffeurs , Abube-
ker , Omar , Ofman 8c Aly. Les- califes de Baby-
lone & d’Egypte, ont été auffi dest interprètes de
la loi de Mahomet , & leurs decifionfs •' écoient
autrefois regardées comme d’autorité divine, mais
l ’opinion que l’on avoit de leur autorité infaillibles,
s’étant perdue avec leur puiffanee temporelle',
elle a été tranfportée au mufti.
Cependant, quoiqu’il y ait une grande divêrfité
en,tre les dodeurs. dans l’explication de leur lo i,
quiconque obferve les cinq articles fondamentaux
de leur religion, eft réputé comme véritable fidèle.
Le premier de ces articles regarde la pureté'
extérieure de leurs corps 8c de leurs habits. Le
fécond confifte à faire leurs prières cinq, fois le*
jour. Le troifième oblige à jeûnér le mois du Ra-
mazan. Le quatrième prefcrit, .de donner le zécat,
c’ëft-à-dire l ’aumône. Le cinquième recommander
le voyage de la. Mecqpe quand la chofe eft pof-
fible; mais- ils, n’ont qu’un feul article de foi ,
favoir , qu’ il n’y a qu’un fêul Dieu , 8c que Mahomet
eft fon prophète. Les- autres cérémonies
comme la circoncifion, l’obfervation du vendredi
peur un jour de dévotion , l’abftinence de la chair
de pourceau 8c du fang des animaux n’ont été
recommandées que pour- marques de l’obéiffanee.
d?un mufulman.
Le mufti, dont- j’ ai déjà dit un' mot, eft le chef
principal de la religion des Turcs , 8c l’oracle
de toutes les difficultés qui peuvent naître-Air
l’explication de leur loi. Le grand-feigneur 1er
nomme, & dans les eau fes civiles8ccriminelles r
il- donne , quand il eft"corifulté % fan avis par écrie
du oui ou du non,. à,- quoi il ajouté ces mots bien
fages-, Dieu fait ce qui eft meilleur. Lorfque ce
papier eft porté au cadi ou juge, on y conforme
toujours fon jugement, 8c la fentence s’exécute
fans délai 8s fans appel. Aujourd’hui , on ne confulte
guère le mufti q.ue pour la forme ; le grand-
vizir décide par lui - môme 8c exécute ce qu’il a
réfolu , apres quoi il demande l’approbation du
mufti & le feris- de la loi:; alors le mufti a un vafte-
champ pour trouver des interpirétâtions, d’ autant
plus que c’eft une maxime reçue que la loi ma-
h métane s’accommode aux temps 8c aux conjonctures.
Après fa charge de"mufti , celle de cadilesker
eft lu plus confidérable. Le cadilesker eft non-leu-
lement juge de la milice, mais il peut connoitre