
côte de celle qu’ il aime , pour alléger fon
travail par d’ utiles fervices -, ils fe baifTent tous
à la fois , 8c les gerbes groffrirent fous leurs
mains. Le maître arrive le dernier , plein des'
efpérances flatteufes de la moiffon -, témoin de
l’abondante récolte , fes regards fe portent de
toutes parts , fon oeil en eft raffafié , & fon
coeur peut à peine contenir fa joie. Les glaneurs
fe répandent tout autour -, le rateau fuccède au
rateau, & ramaffe les refies épars de ces tréfors.
O vous, riches labourèurs , évitez un foin trop
avare î laiffez tomber de vos mains libérale*
quelques épis de vos gerbes -, c’efl le vol de
la charité r offrez ce tribut de reconnoiffance
au Dieu de la moiffon qui verfe fes biens fur
vos champs , tandis que vos femblables , privés
du néceffaire , .viennent comme les oifeaux du
ciel pour ramaffer quelques grains épars , &
requièrent humblement leur portion * Confidérez
que l’inconfiance de la fortune peut forcer vos
enfans à demander^ eux-mêmes quelque jour ,
ce que vous donnez aujourd’hui fi foiblement
vc avec tant de répugnance !
On yoit en effet quelquefois le fud brûlant,
armé d’ un foufïle pernicieux , ravager par des
grêles la récolte de l’année -, cruel défaftre qui
détruit en inrelin-d’oeH les plus belles efpérances 1
dans cet événement fatal , le cultivateur défolé
gémit fur le malheureux naufrage de tout fon
bien ; il eft. accablé de douleur ; les befoins de
l’hiver s’offrent en cet affreux moment, à fa
jpenfée tremblante ; il prévoit, il croit entendre
les cris de fes chers enfans affamés. Vous ,
maîtres , foyez occupés alors de la "main rude
& laborieufe qui vous a fourni l’aifance &
l ’élégance dans laquelle vous vivez •, donnez des
vêtemens à ceux dont le travail vous procura
la chaleur^ & la parure de vos habits ; veillez
aux befoins de cette pauvre table , qui couvrit
la vôtre de luxe & de profufion •, foyey com-
patiffans , 8c gardez-vous fur-tout d’exiger la
moindre chofe de ce que les vents orageux 8c
les pluies affreufes ont emporté -, enfin que votre
bienfaifance tariffe les larmes, & vous procure
mille bénédidions 1
Les plailirs de la chaffe , le tonnerre des
armes , le bruit des cors , amufemens de cette
£aifon, ne font pas faits pour ma mùfe paifible,
qui craindroit de fouiller fes chants innocens
çar de -*els récits ; elle fe complaît à voir toute la
la création animale confondue, nombreufe & tranquille.
Quel miferàble triomphe que celui qu’on
remporte fur un lièvre faifi de frayeur ? quelle
rage que celle de faire gémir un cerf dans fon
angoiffe , & de voir de greffes larmes tomber
fu r fes joues pommelées ? s’il faut de la chaffe
à la jeuneffe guerrière , dont le fang ardent
bouillonne avec violence, qu’elle combatte ce
Bon terrible qui dédaigne de reculer , & qui
jRarebe lanternent; 8c avec courage , au devant
de la lance qui le menace , & de la troupe
effrayée qui fe dilfrpe & s’enfuit •, attaquez c®
loup raviffeur qui fort du fond des bois -, détachez
fur lui fon onnemi plein de vengeance, & que
le fcélérat périffe y courez à ce fanglier dont les
hurlemens horribles 8c la hure menaçante
préfagent le ravage *, que le coeur de ce monftre
foit percé d’un dard meurtrier.
Mais fi notre ffexe martial aime ces fiers
divertiffemens, du moins que cette joie terrible
ne trouve jamais d’accès dans le coeur de nos-
belles 1 que l’efprit de la chaffe foit loin de ce
fexe aimable ; c’eft un courage indécent , un
favoir peu convenable à la beauté, que de fauter
des haies , & de tenir les rênes d’un cheval
fougueux -, le bonnet, le fouet, l’habit d’homme t
tout l’attirail mâle, altèrent les traits délicate
des dames , & le s rendent groffiers aux fens -, leur
ornement eft de s’attendrir -, la pitié que leur
infpire le malheur , la prompte rougeur qui.
colore leur vifage au moindre gefte , au moindre
mot , voilà leur luftre & leurs agrémens -, leur
crainte , leur doflceur , &. leu*, coftiplaifance
muette , nous engagent même en paroiffanc-
réclamer notre protection.
Puiffent leurs yeux enchanteurs n’appercevûïr.
d’autres fpe6tad.es malheureux que les pleurs .des.
amans ! que .leurs membres délicats flottent négligemment
dans la fimplicité des habits i qu’inf-
truites dans les doux accords de l ’harmonie 5
leurs lèvres feduifantes captivent nos. âmes par
des fons raviffans ! que le luth s’attendriffe fous
leurs doigts I que les grâces fe développent fous,
leurs pas , & dans tous leurs mouvemens *. qu’elles
tracent la danfe dans fes contours qu’elles
fâchent former un verd feuillage fur la toile
d’un blanc de neige i qu’elles guident le pinceau
; que l’art des Amphions n’ait rien d inconnu,
poiir elles ; ou que leurs belles maâtis daignant
cultiver quelques fleurs , concourent ainfi à
multiplier Tes parfums de l’année 1
Que d’autre part , leur keureufë fécondité
perpétue le,s amours & les grâces; que la fociétc
leur doive fa politeffe & fes goûts les plus fins
qu’elles faffent les délices de l’homme économe
8c paifible ; & qiie par une prudence foumife 9
& une habileté modefte, adroite, & fans art „
elles excitent à la vertu, raniment le fënti'ment
du bonheur, & adouciffent les travaux de la
vie humaine r telle eft la gloire , tel eft le.
pouvoir & l’honneur des. belles.
Après avoir quitté les champs de ta moiffon y
parcourons, dams un fonge agréable le labyrinthe
de l’automne ; goûtons la fraîcheur & les. parfums
du verger chargé de fruits* Le plus mûr
fe détache & tombe en abondance , obéiffant
au fouffle du vent 8c au fôlerl qui hâte fa
maturité. Les poires fondantes font difperfées avec
profufion i la- nature féconde qui raffine tout ,
varia à l’infini la. compofitioa de fes. parfum* >
tous pris dans la matière première mélangée
des feux tempérés du foleil , d’eau , de terre
& d’air. Tels font les tréfors' odoriférans qui
tombent fréquemment dans les nuits fraîches j
ces tas de pommes difperféès ça & la , dont
la main de l’année forme la pourpre des vergers ,
& dont les pores renferment un fuc fpiritueux,
frais , déieélable , qui aiguife le cidre piquant
d’un acide qui flatte 8c délaitère. I c i la pêche
m’offre fon duvet ; là je vois le pavis rouge,
& la figue fucculente cachée fous fon ample
feuillage. , , . r 1 m
Plus loin , la vigne protegee par un loleil
puiffant , s’enfle & brille au jour, s’étend dans
le vallon, ou grimpe avec force fur la montagne ,
& s’abreuve au milieu des rochers de la chaleur
accrue par le reflet de tous les afpeéls. Les
branches chargées plient fous le poids. Les grappes
pleines, vives & tranfparentes , paroiffent fous
leurs feuilles orangées. Larofée vivifiante nouirit
& perfeétionne le fruit, 8ç le jus exquis qu’il
renferme, fe prépare par le mélange de tous les
rayons. Les jeunes garçons 8c les filles qui s’aiment
innocemment, arrivent pour cueillir les prémices
de l’automne : ils courent & annoncent en
danfant le commencement de la vendange. Le
fermier la reçoit-& la foule ; les flots de vin
& d’écume coulent en telle abondance , que le
marc écrafé en eft couvert. Bientôt la liqueur
fermente , fe raffine par degrés , & remplit de
lieffe la coupe des peuples voifins, Là fe prépare
le vin brillant , dont la couleur en le buvant
rappelle à notre imagination animée la lèvre que
nous croyons preffer. Ici fe fait le Bourgogne
dglicieux ou le joyeux Champagne , v if comme
l’efprit qu’il nous donne.^
Les Hyades, Vertumne , & Fhumide Onon,
Sur la terre embellie ont verfé-leurs largeffes-j
Et Bacchus échappé dès fureurs du Lion h
A bien fu. tenir fès promelTes*
Jouiffons en; repos de ce lieu fortune,
' Le, calme Sc l’innocence y tiennent leur empire *
Et des foucis affreux le fouffle empoifonné (
N’y corrompt point l’air qu’on refpire.
Fan, Diane, Apollon., lès Faunes , les-Syl vains*
Peuplent ici nos bois , nos vergers , nos montagnes-;*;
La ville eft le féjour dès profanes humains j.
Les dieux habitent les campagnes.
Quand l’année commence à décliner, Tes- vapeurs
de la terre fè condenfent, les exhalaifôns
s’épaiiîiffent dans l’a i t , les brouillards, paroiffent
8c roulent autour des collines ; le foleil verfe
foiblement fès rayons y fouvent il éblouir plus
qu’il n’éclaire, & préfente pUifieurs^orbes eratgis ,
effroi des nations fùperftitiéùfes '. Alors: les-, hi-
»oadelles- planent dans, les aie s . 8 c volent en
rafant la terre. Elles fe rejoignent enfemble pour
fe tranfporter dans des climats plus^ chauds ,
jufqu’à ce que le printemps les invite a revenir,
& nous ramène cette multitude légère fur les
ailes de l’Amour.
Oifeaux , fi tous les ans vous changez de climats ,
Dès que le vent d’hiver dépouille nos bocages,
Ce n’eft pas feulement pour changer de feuillages
Ni pour éviter nos frimats ;
Mais votre deftinée '
Ne vous permet d’aimer que la faifon des fleuri *
Et quand elle a paffé, vd^pla cherchez ailleurs
Afin d’aimer, toute l’année.
Il eft cependant encore des momens dans le
dernier périodè de l’automne , où la lumière
domine & où le calme pur paroît fans bornes.'
Le ruiffeau dont les eaux femblent plutôt frif-
fonner que couler, demeure incertain dans foit
'cours , tandis que les nuages chargés de rofée
imbibent le fo le il, qui darde à travers leurs
voiles fa lumière ,adoucie fur le monde paifible-
Ç’eft en ce temps que ceux qui font guidés par
la fageffe , favent fe dérober à la foule oifive
qui habite les villes , & prenant leur effor ai»
deffus des fo.ibles fcènes de l’a r t. „ viennent
fouler aux pieds les baffes idées du v ic e , cher-
. cher le calme , antidote des pallions turbulentes y
& trouver l’heureufe paix dans les promenades
ruftiques.
O doux amufemens, ô charme inconcevable
A ceux que du grand monde éblouit le chaos I
Solitaires vallons, retraite inviolable ,
De l’innocence 6c du. repos*
Puiffé--je , retiré , penfif & rêveur, venir, erref
fouvent dans vos fbmbres bofquets , où l’on
entend le gazouillement de quelques chantres
domeftiques qui égaient les travaux du bûcheron ,
tandis que tant d’autres oifeaux, dont les chants
fans- art formoient , il y a- peu de temps , des
concerts , maintenant privés de leur ame mélo-*
dieufe , fè perchent en tremblant fur l'arbre
dépouillé. Gette troupe découragée, qui a perdu.
; l-’éclat de fes plumes , n’offre" plus à l’oreille que
des tons difeords. Mais que le fufil dirigé par
: l'oeil inhumain , ne vienne pas détruire la mu—
• fique de l’aimée future , & ne faffe pas une proie
barbare de- ces foibles 8c innocentes efpèces*
1 L’année déclinante infpire des-fèn«laiens pitoyables.
La feuille, sèche 8c bruyante tombe dit
bofquet, & réveille fôuyent comme eh furfautr.
l’homme réfléchiffant qui fè promène fous, le si
arbres. Tout femble alors nous porter à la: mélancolie
piiilofôphique* Quel empire fon inrpulfiom
n’a t elle:pas fur les ames fenfibles? Tantôtarrachar. c
des larmes fubites y elle- fe manifèfte fu r lies: joæ s