
Avant le czar Pierre , les ufages, les vète-
ïnens , les moeurs en Ruflie , avoient toujours
plus tenu de l’Afie. que de l’Europe chrétienne.
Telle étoit l'ancienne . coutume de recevoir les
tributs des peuples en denrées , de.défrayer les,
ambafladeurs dans leurs routes 8c dans leur fé-
jour , & celle de ne fe prêtenter ni dans l’églife,
ni devant le trône avec une épée ; coutume orientale
oppofée à notre ufage ridicule 8c barbare’,
d’aller parler à D ie u ,'a u roi , à fes amis 8c
aux femmes , avec une longue arme oftènftve
qui defcend au bas des jambes. L’habit long
dans les jours de cérémonie , étoit bien plus
noble que le vêtement court des nations occidentales
de l’Europe. Une tunique doublée de
pelilfe , avec une longue fimarre enrichie de
pierreries dans les jours folemnels, & ces efpèces
de hauts turbans qui élevoient la taille , étoient
plus impofans aux yeux , que les perruques 8c
le jufte-au-corps , 8c plus cpnvenables aux climats
froids. Cet ancien vêtement de tous les peuples,1
paroît feulement moins fait pour la guerre , &
moins commode pour les travaux •, mais prefque
tous les autres ufages étoient grofïïers.
La nobleffe n’étoit ci-devant conipofée que
de Knias ou de- p r in c e s 8c d’autres gentilshommes
-, Pierre-le-Grand créa dés comtes &
des barons , introduifit en 1714 l’indivifibilité
des biens nobles , & accorda aux poffèffeurs le
droit de les transmettre au plus digne de leurs
enfans. Les anciens Boy ares étoient à peu près
ce que font aujourd’hui les confeillers intimes de
l ’empereur. .
Le gouvernement reffembloit à celui des Turcs
par la milice'des ftrelits , q u i, comme celle des
janiffaires , difpofa quelquefois du trône, 8c
troubla l’état prefque toujours autant qu’il le
foutint. Ces ftrelits étoient au nombre de 40
mille hommes > ceux qui étoient difperfés dans
les provinces, fubfiftoient de brigandages ; ceux
de Moskou vivoient en bourgeois, trafiquaient,
ne Servaient point, 8c poufloient à. l’excès l’in-
folence. Pour établir l’ordre en Ruflie , il falloir
les caffer, rien n’étoit ni plus néceflaire, ni plus
dangereux.
Quant au titre de czar , M fè peut qu’il vienne
des t*ars ou thcars, du royaume de Cafan. Lorfque
le foiürerain de Ruflie , Jean ou Ivan Bafilides
eut , au Seizième fiècîe , conquis ce royaume
fubjugué- par fon aïeul , mais perdu enfuite, il
en prit le titre qui eu demeuré à les fuccefleuis.
Avant Ivan Bafilides, les maîtres de la Ruflie
portoient le nom de veliki-knés, grand prince,
grand Seigneur, grand ch e f, que les nations
chrétiennes traduifent par celui de grand - duc.
Le czar Michel Frédérovits prit, avec l’ambaiîade
holftenoife , les titres de grand-feigneur 8c grandîmes,
eonfervateur de toutes les Ruflies, prince
d e Volodimer, Moskou, Novogorod , &c. i tzar
de Calan ? i ’Aftraean, çzap de Sibérie. Ce
nom des tçars étoit donc le titre de ces' princes
orientaux j il étoit donc vraisemblable qu’y dérivât
plutôt des tshas de Perfe , que des céfars
de Rome, dont probablement les tzars libériens
n’avoient, jamais entendu parler fur les bords du
fleuve Oby.
Un'titre , tel qu’il Soit, n’efl rien, fi ceux ■ sui Ie portent ne font grands par eux-mêmes.
Le nom d'empereur, qui ne fîgnïfioit que général
d armée > devint le nom des maîtres de la république
romaine.. On le donne aujourd’hui aux Souverains
des Rufles , à plus j iiftè titre qu’à aucun
autre potentat, fi on confidère l’étendue & la
puiflance de leur domination.
La religion de l’état fut toujours, depuis le
onzième Siècle , celle qu’on nomme grecque, par
oppofition à la latine ; mais il y avoit plus de
pays mahométans & de paÿens, que de chrétiens.
Le nombre des luthériens & . des proteftans efl
tres-confidérable -, ils ont liberté de confcience
8c des eglifes, ainfi que les Arméniens.
Dans cette vafte étendue de pays que renferme
la Ruflie , on compte environ 7400
moines , 8c $600 religieufes, malgré le. foin
que prît Pierre-le-Grand de les réduire à un plus,
petit nombre j foin digne d’un légiflateur dans
U? 011 ce fi11* manque principalement
c’efl: l’efpèce humaine. Ces treize, mille perfonnes
cloîtrées & perdues pour l’état, ont Soixante-
douze mille. ferfs pour cultiver leurs terres , 8c
c^eft évidemment beaucoup trop v rien ne fait
mieux voir combien les anciens abus font difficiles
à déraciner.
Pierre I défendit en 1722 de recevoir un
moine au-deflous de trente ans , 8c. une reli-
gieufe au-dêffous de cinquante , 8c même de
Soixante ans.
Les archevêques 8c évêques fe nomment
Archïjerei, 8c font au nombre de 30. Ces évêques
jufqu’ici font choifis parmi les moines. Les abbés des.
couvens font appellés Archimandrites ", les prieurs
Igumes r St une abbefle Igumenja. L e s 'popes
ou prêtres , & les protopopes ou archiprêtres r
font innombrables : les deflervans inférieurs feu?-7
lement montent à 67,833 perfonnes. Le nombre
des églifes grecques cathédrales & paroifliales,
eit de 18,312 , non compris celles qui appartiennent
aux couvens , dont le nombre eft très—^
grand. II efl: facile de voir que le clergé rufle
monte , au - delà de 2,00,000 âmes *, ce qui efl
hnmenfe , 8c beaucoup .plus confidérable que ne
le peut fapporter la population de l’empire..
Enfin on évalue , d’après un état drefle par
ordre du gouvernement, à 210,866 le nombre-
des payfans qui dépendent du cle/gé, & dont
i l percevoit le revenu-, mais, par un réglementa
qui a paru en 1764 ^l’impératrice a ordonné que
chacun de ces payfans qui dépendent de s, évêques,
des cloîtres & des églifes , païeroit annuellement
1 à rouble 5 que ce feyenu feroit adminiflré par
on collège economique , établi a Mofcou , 8c
que les évêques , les cloîtres <§£ les églifes en
recevroieiît une certaine fomme fixe par année, 8c que le furplus feroit employé à l’entretien
des invalides, des hôpitaux , des infirmeries,
comme aufli des veuves & des orphelins. Rien
de plus fage qu’un pareil réglement -, que ne
p eu t-il avoir üèu un jour dans le clergé de-,
France Je le fouhaite pour la gloire du gouvernement
8c le bonheur de la nation '■
L’ingénieur Perri 8c le baron de Stralemberg,
qui ont été fi long-temps en Ruflie , difent qu’ils
ont trouvé plus de probité dans les païens que j
dans les autres : ce n’efl pas le paganifme qui
les rendoit plus vertueux -, mais , menant une
vie paftorale, éloignés du commerce des hommes, 8c vivant comme dans ces temps qu’on appelle
le premier âge de monde , exempts de grandes |
paflions, ils. étoient néceflairement plus gens de
bien.
Le çhriftianifmé ne fut reçu que très-tard
dans la Ruflie., ainfi que dans tous les autres
pays du nord. On prétend qu’une princefle
nommée Olha l’y introduifit à la fin du dixième
fiècle , comme Cîotilde,, nièce d’un prince arien,
le fit recevoir chez les Francs la femme d’un
Miciflas', duc de Pologne , chez -les Polonois ,
8c la loeur de l’empereur Henri I I , chez les
Hongrois. C’eft le fort des femmes d’être fen-
fibles aux perfuafions des miniflres de la rèli-
gion, 8c de perfuader les autres hommes.
Cette princefTe Olha , ajoutê-t-on , fe fit bap-
tifer à Conflantinople. On l’appèlla Hélène ; 8c
, dès qu’elle . fut chrériènne , l’empereur Jean
ZimHces ne manqua pas d’en être amoureux.
Apparemment qu’elle étoit veuve. Elle ne voulut
point de l’empereur. L’exemple de la princefle
• Olha ou Olga ne fit pas d’abord un grand
nombre de. profélites -, fon fils qui régna longtemps,
ne penfa point du tout comme fa mère--,
mais fon; petit-fils Volodimer, né d’une <a>ncu-
bine., ayant aflafliné fon frère pour régner, &
ayant recherché l’ alliance de l’empereur de Conf-
•tantinople Bafile , ne l’obtint qu’à condition
qu’ il fe feroit baptifer •, c’eft à cette époque de
l’ année 987 , que la religion grecque commença
en effet à s’établir en Ruflîe. Le patriarche Pho-
tius, fi célèbre par fon érudition immenfe, par
fes querelles avec l’églife romaine & par fes
malheurs, envoya baptifer Volodimer,. pour
ajouter à fon patriarchat cette partie du monde.
Volodimer acheva donc i’ouyrage commencé
par fbn aieule. Un grec, fut premier métropolitain
de Ruflie , ou patriarche. C’efl de là que
les Rufles ont adopté dans leur langue un alphabet
tiré en partie du grec. Ils. y auroient
gagné , fi le fond de leur langue ,. qui efl la
flavone , n’étoit toujours demeuré le même, à
quelques mots près qui concernent leur liturgie
& leur hiérarchie... Un des patriarches grecs.,
nommé Jérémie, ayant un procès au divan, 8c
étant venu à Mofcou demander des fecours,
renonça enfin à fa prétention fur les eglifes
rufles , & facra patriarche l’ archevêque de Novogorod
nommé Job , en 1588.
Depuis ce temps, l’églife rufle fut aufli indépendante
que fon empire. Le patriarche de
Ruflie fut dès-lors facré par les évêques rufles ,
non par le patriarche de Conflantinople •, il eut
rang dans l’églife grecque après celui de Jéru-
falem ; mais il fut en effet le feul patriarche
fibre 8c puiflant , 8c par conféquent le feul
réel. Ceux de Jérufalem , de Conflantinople,
d’Antioche, d’Alexandrie, ne font que les chefs
mercenaires 8c avilis d’une églife efclave des
Turcs. Ceux même d’Antioche 8c de Jérufalem
ne' font: plus- regardés comme patriarches , &
n’ont pas plus' de crédit que les rabins des fy-
nagogues établies' en Turquie.
Il ,n’y a , comme nous l’avons d it , dans toute
la Ruflie , que 30 (abftraâion faite pourtant de
la Ruflie - Polonoife ) fiéges, épifcopaux , & du
temps de Pierre I on n’en coraptoit que vingt-
deux -, l’églife rufle étoit alors fi peu inftruite ,
que le czar Féaor , frère de Pierre-le-Grand ,
fut le premier qui introduifit le plain-chant
chez elle.
JFédor , 8c xiir-tout Pierre , admirent indifféremment
dans leurs armées 8c dans leurs çon-
feils ceux du rite grec ,. latin , luthérien , cal-
vinifie ils laifsèrent à chacun la liberté de fervir
Dieu fuivant fa confcience ,. pourvu que l’état
fût bien fèrvi. Il n’y avoit dans, cet empire de
deux mille lieues dè longueur aucune églife latine.
Seulement lorfque Pierre eut établi de nouvelles
manufactures dans Aftracan , il y eut environ
foixanté familles catholiques dirigées par
des capucins •, mais quand les. Jéfuites voulurent
s’introduire dans fes états, il les en chafla par
un édit du mois d’avril 1.718. Il fbuflroit les.
capucins comme des moines fans conféquence,
8c rêgardoit les Jéfuites comme des politiques,
dangereux-
L’églife grecque efl flattée de fe voir étendue-
dans un empiré de deux mille lieues, tandis que
la romaine n?a pas la moitié de ce terrain en
Europe. Ceux du rite grec ont voulu fur-tour
confèrver dans tous les temps leur égalité avec
ceux du rite latin , 8c ont toujours craint le
zèle de L’églife de Rome qu’ils ont pris pour
de l’ambition , parce qu’en effet l’églife romaine 9
' tr.es-reflerrée dans notre hémifphère &. fe difant
universelle , a voulu remplir ce grand titre.
Il n’y a -jamais eu en Ruflie d’établiflement.
pour les; Juifs,, comme ils en ont pris dans,
tant d’états, de l’E u ro p ed ep u is Conflantinople
jufqu’à: Rome. Les. ruîfes. ont toujours fait leur
commerce par eux-mêmes y 8c par les nations
, établies, chez eux. De toutes les églifes grecques^