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être d’ailleurs, qui ne fâche précifément 4e quelle
tribu il eft iffu.
Chaque tribu ou chaque branche féparée
d’une tribu, a fon phef particulier pris dans
la tribu même, qui porte le nom de niurfa -, 8c
c’eft proprement une elpèçe de majorât qui doit
tomber d’ aîné en aîné dans la poftérité du premier
fondateur d’une telle tribu, à moins que quelque
caui'e violente ne trouble cet ordre de fuç-
.célîion. Un tel mûrie doit avoir annuellement
la dîme de tous les bèftiaux de peux de fa
trib u, 8c la dîme du butin que fa" tribu peut
faire lorlqu’elle v$ à lg. guerre.
Les familles qui compolent une tribu , çam-
'pent d’ordinaire enfemble, & ne s’éloignent pas
du gros de la horde fans en faire part à leur
murfe, afin qu’ il puiffe lavoir où les prendre
lorfqu’il veut les rappeller. Ge§ murfes.ne font
confidérables pour leur chan, qu’à proportion que
leurs tribus font nombreulbs -, & les chans ne
lont redoutables à leurs voifins, qu’autant qu’ ils
ont beaucoup de tribus, & des tribus composes
d un grand nombre de familles fous leur obéif-
fance. C’eft en quoi çonfifte toute la puilfançe, la
grandeur &• la richeffe d’un chan des Tartareé.
C eft une coutume qui a été de tout temps
£n ufage chez les Tartares, que d’adopter le nom
du prince , pour lui marquer leur affeéfion $
} en citerai pour preuve le nom de Mo guis
ou Mungales, 8c celui de Tartars, que çette
partie de la nation turque qui obéiffoit à M ogull,
ou MungulrChan, & à fon frere Tartar-Chan, prit
anciennement. G’eft aulfi la véritable dérivation
du nom d’ TJsb'ecks que les Tar tares de la grande
Bucharie & du pays de Charafs’m , portent en
mémoire d’Usbeck-Chan. Les Mungales de l’eft
ont adopté le nom de Manfueurs ; de Moenfueu-
Chan, empereur de la Chine. Semblablement les
Calmoucks-Dlbngari, lu jets du Contaifçh , ou
grand chan des Kalmoucks, ont pris le nom de
Çontaifc/ii, pour témoigner leur attachement à ce
prince.
Tous les Tartares, même ceux qui ont des
Habitations fixes, emportent avec eux dans leurs
voyages, leurs effets dç prix, non-feulement
quand ils changent de demeure, mais même
en allant à la guerre. De là Vient que lorf-
qu’il leur arrive de perdre une bataille, une
Partie de leur bagage refte ordinairement au
vainqueur;, mais ils font en quelque manière ne-:
ceffités d’emporter leurs effets avec eux, parce
qu’ils laifferoient autrement leurs biens & leurs
familles en proie aux autres Tartares leurs voifins
qui ne manqueroient pas de profiter de leur ab-
fence pour les enlever.
On remarque que prefque tous les Tartares
çonfervent non-feùlemeht les mêmes ufages; en-
général , mais aulfi là même façon de bâtir leurs
cabanes-, car, fort qu’ils habitent dans des huttes,
pii qffils aient des demeures fixes, ils laiffent
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toujours une ouverture au- milieu du to it , qui
leur fert de fenêtre & de cheminée. Toutes
leurs habitations, foit fixes foit ambulatoires, ont
leur portes tournées au midi, pour être à l’abri
des vents di^nord , qui l’ont fort pénétrans dans
la grande Tartarie.
Les Tartares devroient être libres , & cependant
ils fe trouvent tous dans .l’efclavage politique.
L’auteur de l*Efprit des loix en donne
d’excellentes raifons, que perfonne n’a voit développées
avant lui.
Les Tartares, dit ce beau génie , n’ont point
de v i l l e s i l s n’ont point de forêts -, leurs rivières
font prefque toujours glacées', ils habitent
une immenfe plaine-, ils ont des pâturages
&: des troupeaux, & par conféquent des biens:
mais ils n’ont aucune efpèçe de,retraite, ni de
défenfe. Sitôt qu’un kan eft vaincu, on lui
coupe la tête, & fes fujets appartiennent au vainqueur
: on ne les condamne pas à un efçlavage
civil, ils feroient à charge à une nation qui n’a
point de terres à cultiver , & n’a befoin d’aucun
fëryice domeftique ', ils augmentent donc la
nation ; mais au lieu de l’efclavage ç iv il, on conçoit
que l’efclavage politique a dû s’introduire.
£n effet, dans un pays où les diverfes hordes
fe font continuellement la guerre , & fe conquièrent
fans ceffe les unes les autres, dans un
pays où par la mort du chef, le corps pali-
tique de. chaque horde vaincue eft toujours
détruit, la nation en général ne peut guère
erre libre ; car il n’y en a pas une feule partie
qui ne doive av<5jr_ été un très-grand
nombre de fois fubjuguée.
Les peuples vaincus peuvent çonferver quel'*
que liberté lorfque, par la force de leur fitua-
tion, ils font en'état de faire des traités après
leur défaite : mais les Tartares, toujours fans
défenfè, vaincus une fois, n’ont jamais pu faire
des. conditions.
D’ailleurs, le peuple Tartare en conquérant
le midi de l’A fie , 8c formant des empires , doit
demeurer dans l’efclavage politique, parce que
la-partie de la nation qui refte dans le pays, fe
trouve foumife à un grand maître qui, defpo-
tique dan§ le midi, veut encore l’être dans le
nord -, 8c avec un pouvoir arbitraire fur les fujets
conquis, le prétend encore fur les fujets con-
quérans- Céla fe Voit bien aujourd’hui dans çe
vafte pays qu’on appelle la Tartarie chinoife,
que l’emperéur gouverne prefque auffi dçfpoti-
quement que la Chine même.
Souvent une partie de la nation Tartare qui
a conquis, eft ehaffée elle-même & elle rapporte
dans fes déferts un efprit de fervitude,
qu’elle a acquis dans le climat de l’é{clavage.’
L’hiftoire de la Chine nous en fournit des exemples,
& notre hiftoire ancienne auffi. Les Tardâtes
détruifàht l’empire grec ^ établirent dans
les pays conquis, la fervitude 8c le defpotif'me. -
Les Goths
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Xes Coths , conquérant l’empire romain f fondèrent
la monarchie 8c la liberté.
A moins que toute la grande Tartarie ne foit
entre les mains d’ un feul prince, comme elle
l’étoit du temps de Genghis-Kan , il eft impof-
fible que le commerce y fleuriffe jamais : car
maintenant que ce pays eft partage entre plu-
fieurs princes, quelque porté que puiffe ecre l ’un
ou 1 „utre d’entr’eux à favorifer le commerce f
si ne peut y parvenir fi les -voifins fe trouvent
dans des fentimens oppofés. Ce n’eft meme
que du côté de la Sibérie, de la Chine, 8c des
ïndes , que les marchands peuvent aborder
d’ ordinaire en toute liberté, parce que les
Kalmoucks 8c les Moungales. négocient paifi- |
blement avec les fujets des états voifins, qui
ne leur font pas la guerre.
- Difons un mot du droit des gens des Tartares.
Ils paroiffent entr’eux doux 8c humains , 8c ils
font des conquérons très - cruels : ils paffent au
fil de l’épée les habitans des villes qu’ ils
prennent -, ils croient leur faire jjrâce lorf'qu’ ils les
vendent, ou les diftribuent a leurs foldats. Us
ont détruit l’Afie depuis les Indes julqu’ à la
Méditerranée, tout le pays qui forme l’orient
de la Perfè, en eft refte défert. Voici ce qui
paroît avoir produit un pareil droit des gens.
Ces peuples n’avoient point de villes •, toutes
leurs guerres fe faifoient avec promptitude 8c
avec inipétuofité j quand ils efpér oient de vaincre ,
ils combattoient ', ils augmentoient l’armee
des plus forts, quand ils ne l’efpéroienr pas.
Avec de pareilles coutumes , ils trouvoient
qu’ il étoit contre le droit des. gens, qu’une ville
qui ne pouvoit leur réftfter, les arrêtât: ils lie
regardoient pas les villes comme une affemblee
d’habitans , mais comme des lieux propres a le
fouftraire à leur puiffance.' Ils n’avoient aucun
art pour les affiéger, & ils s’expofoient beaucoup
en les alfiégeant -, ils vengeoient par le fang tout
celui qu’ ils- venoient de répandre.
L’idée naturelle aux peuples policés qui^ cultivent
les terres, & qui habitent dans des m aifons,
a été de bâtir à Dieu unemaifon où ils piaffent
l’adorer ; mais les peuples qui n’ont pas de
maifons eux-mêmes, n’ont point fongé a bâtir
un temple à la divinité. (S’eft ce qui fit que
Genghis-Kan marqua le plus grand mépris pour
les mofquées., ne pouvant comprendre qu’il fallût
adorer Dieu dans un bâtiment couvert. Comme
les Tartares n’habitent point de maifons, ils
n’élèvent point de temples.
Les peuples qui n’ont point de temples, ont
un léger attachement à leur religion. Voilà pourquoi
les Tartares fe font peu de peine de paffer
du paganifme au mahométil’me, ou à la religion
grecque. Voilà pourquoi les Japonois, qui tirent
leur origine des Tartares, permirent de prêcher
dans leur pays la religion chrétienne. Voilà
pourquoi les peuples barbares, qui conquirent
Géogr. Tome III.
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l’émpire romain , ne balancèrent pas un moment
à embraffer le chriftianifme. Voilà pourquoi les
Sauvages de l’Amérique font fi peu attaches A
leur propre religion; enfin, voila pourquoi ,
depuis que nos millionnaires leur ont fait bâtir
au Paraguai des églifes, ils font devenus un
peu plus zélés pour la nôtre.
Mais l’immerifité des pays conquis par les
Tartares, étonne, 8c confond notre imagination.
Il eft humiliant pour la nature humaine,
que ces peuples barbares ^ aient fubjugué prefque
tout notre hémifphère , jufqu’au mont
Atlas. Ce peuple, fi vilain de figure, eft le
dominateur de l’univers : il eft également le
fondateur 8c le deftrufteur des empires. Dans
tous les temps, il a donne fur la terre des
marques de fa puiffance : dans tous les âges
il a été le fléau des nations. Les Tartares
dominent fur les vaftes pays qui forment l’empire
du Mogol : maîtres de la Perfe, ils vinrent
s’ affeoir fur le trône de C y rus , & d’Hyff-
tafpes : & pour parler de temps moins reculés ,
c’eft d’eux que font f’ortis la plupart des peuples
qui renversèrent l’empire romain , s’emparèrent
de l’Lfpagne, & de ce que les Romains
pofïedoient en Afrique, fl
On les vit enfuite affujettir les califes de Ba-
bylone. Mahmoud, qui fur la fin du onzième
fiècle, conquit la Perle & l’ Inde, etoit un
Tartare. Il ffeft prefque connu aujourd’ hui des
peuples occidentaux, que par la réponfe d’ une
pauvre femme. qui lui demanda juftice dans
les Indes, du meurtre de fon fils , commis
dans l’ Iraque perfienne. Comment voulez-vous
que je rende juftice de fi lo in, dit le fultan?
Pourquoi donc nous avez-vous conquis, ne
pouvant nous gouverner, répondit la même mère?
Les Tartares moungales , ou mongoules, ont
conquis deux fois la Chine , & la tiennent encore
fous leur obéiffance.. Voici comme l’auteur
de VÈfJhi fur Vkiftoire a peint cette étrange
révolution arrivée au treizième fiecle, c’eft un
morceau très - intéreffant.
G affar-K an, ayeul de G en gh is -K an , fe
trouvant à la tête des tribus mongoules, plus
aguerries 8c mieux armées- q.ue les autres,
força plufieurs de fes voifins a devenir fes
vaffaux, & fonda une efpèce de monarchie
parmi des peuples errans. Son fils affermit
cette domination naiffante , Sc Genghis - Kan
fon petit-fils , i’ étendit dans la plus grande
partie de la terre connue.
Après avoir vaincu un rival de gloire, qui
poffédoit un puiffant état entre les fiens & ceux
de la Chine , il le fit élire fonverain des chans-
tartares , fous, le nom de* Genghis-Kan, qui
fignifie le grand Kan. Revêtu de cette fuprême
dignité, il ' établit dans les troupes la plus
belle difeipline militaire, 8c ehtr’ autres lo ix , il
en porta une toute »ouyelle qui devoit faire de§