
de ja i , ouvrent leurs urnes. Tous ceux quî depuis
1 etendue des montàgnes & des bois fe répandent
dans les Indes abondantes , & tombent fur la
cote de Coromandel ou de Malabar, depuis le
fleuve oriental de Menam , dont les bords brillent
au milieu de la nuit par ces infedes, qui
font autant.de lampes, jufqu’aux lieux où l’au-
rore répand fur les bords des Indes les pluies
de rofes -, tous enfin , dans la faifon favorable ,
verfent une moiffon fans travail fur la terre.
Ton nouveau monde , illuftre Colomb , ne
s’abreuve pas moins de ces eaux abondantes 8c
annuelles ; il eft auffi rafraîchi par 1’h.umidité
prodigue de l’année. L’Orénoque, qui a cent
embouchures , roule fur fes ailes un déluge
d’eaux fangeufes , 8c contraint les habitans du
rivage à chercher leur falut au haut des arbres
qui leur fourniffent tout à 1a fois , la nourriture
, le vêtement 8c des armes.
Accru par un million de fources, le puiffant
Orellana defcend avec impétuolité , fe précipitant
des Andes rugiffantes , immenfe chaîne
de montagnes qui s’étendent du nord au fud
jufqu’ au détroit de Magellan. A peine ofe-t-on
envifager cette maffe énorme de torrens qui y
prennent leur naiffance. Que dire de la rivière
de la PI ata , auprès de laquelle toutes nos
rivières réunies ne font que des ruiffeaux quand
elles tombent dans la nier. Avec une force égale,
les fleuves que je viens de nommer cherchent
fierement l’abyme , dont le flux vaincu recule
du çhoc f §c cède au poids liquide*de la moitié
du globe , tandis que l’Océan repouffé tremble
pour fon propre domaine.
Mais à quoi fert-il que des fleuves femblables
a des mers traverfent des royaumes inconnus ,
8c coulent dans des mondes de folitude , où le
folejl fourit en vain , où les faifons font in-
jruçtueufement abondantes ? Pour qui font ces
déferts fleuris , cette pompe de la création ,
cette profufioh riante de la nature prodigue ,
çes fruits délicieux qui n’ont pas été plantés 8c
qui font difperfés par les oifeaux , ou par les
vents furieux ? Pour qui les infeêtes briilans de
ces vaftes régions filent-ils leurs foies faperbes?
Pour qui les prés produifent-ils des robes végétales
? Quel avantage procurent aux habitans
les tréfors cachés dans les entrailles de la terre,
les diamans de Golconde , & les mines du
trifte Potofi , antique féjour des paifibles enfans
du Soleil ? De quelle utilité e f t - i l que les
rivières d’Afrique eharient de l’ or , que l’ivoire
y brille .^vec abondance ?
La race infortunée qui habite* ces climats , ne
connoît ni les doux arts de la paix , ni rien
de çe que les Mufes favorables accordent aux
humains. Elle ne pofsède point cette fageffe
prefque divine d’un efprit calme & cultivé ,
ni la vérité progreffive , ni la force patiente
âe la penfée ; ni la pénétration attentive donc
le pouvoir commande en filence au monde, fis
la lumière qui mène aux cieux , & gouverne
avec égalité 8c douceur, ni le régime des loix ,
ni la liberté prote&rice , qui feule foutiènt le
nom 8c la dignité de l’homme.
Le foleil paternel fëmble même tyrannifer ce
monde d’efclaves, 8c d’ un rayon oppreffeur il
flétrit la fleur de la beauté , 8c lui donne un«
couleur fombre 8c des traits grofîiers i ce qui
eft pis encore, les aftions cruelles de ces peuples ,
leurs jaloulies furicufes, leur aveugle rag e, 8c
leur vengeance barbare , allument fans ceffe
leurs efprits ardens. L’umcar , les doux regards ,
la tendreffe , les chanuos de la vie ? les larmes
du coeur, l’ ineffable délire de Ja douce humanité
n’habi tent point dans ce féjour \ toutes ces chofes
font des -fruits de plus doux climats. Là tout
eft confondu dans le défir brutal 8c dans la
fureur fauvage des fens ; les animaux mêmes
brûlent d’un horrible feu.
Lè ferpent d’un verd effrayant, fortant à midi
de fon repaire fombre, que l’imagination craint
de parcourir , déploie' tout fon corps dans des
orbes immenfes ; s’ élançant alors de nouveau,
il cherche la fontaine rafraîçhiifante auprès de
laquelle il quitte fes plis -, 8c tandis qu’ il s’élève
avec une langue menaçante 8c des mâchoires
mortelles , ce monftre dreffe fa crête
enflammée. Tous les autres animaux , malgré
leur fo if, fuient effrayés & tremblans § ou s’arrêtent
à quelque diftance , n’ofant approcher.
Auffitôt que le jour pur a fermé fon oeil
facré, le tigre s’ élance avec fureur, & fixe lés
regards fur 1a proie -, l’ornement du défert , le
v if 8c brillant léopard , tacheté de différentes
couleurs , méprife aulli tous les artifices que
i’iiomme invente pour l’apprivoifer. Tous ces
animaux indomptables' fortent des bois inhabités
de la Mauritanie , ou des îles qui s’élèvent
au milieu de la fauvage Libye, lis admirent
leur roi hérilfé , qui marchant avec des ru-
giffemens impérieux , laiffe lur le fable la trace
de lés pas. Les troupeaux domeftiques font faifi$
de frayeur à l’approche de ces monftres. Le
village éveillé treffaillit, & la mère prpffe fon
enfant fur fon fein palpitant. Le captif échappé
de l’antre du.pirate , & des fers du fier tyran
de Maroc , regrette fes chaînes , pendant que
les cris font retentir les déferts depuis le mont
Atlas jufqu’ au Nil effrayé.
Malheureux celui qui, féparé des plaifirs de
la foçiété , eft laiffe feul au milieu de cette
région d’horreur 8c de mort. Tous les jours il
s’alfied triftement fur la pointe de quelque rocher
, 8c regarde la mer agitée , efpérant que
de quelque rivage éloigné où la vague forme
un tourbillon , il découvrira des .vaiffeaux qu’ il
fe trace dans les nuages. Le foir il tourne un
oeil trifte au coucher du fo le il, 8c l’on coeur
mourant fans fecours, fe ' plonge dans la trif-
teffe , quand le rugiflèment accoutumé vient fe
joindre au fiffiement continuel, pendant la nuit,
li longue 8c fi terrible.
Souvent les élémens furieux femblent porter
dans cette aride [otie, le démon de la vengeance.
Un vent fuffocant louffle une chaleur infup-
portable de la fournaife immenfe du firmament,
8c de la vafte 8c brillante étendue du fable
brûlant. Le voyageur eft frappé d’ une atteinte
mortelle. Le chameau, fils du défert, accoutumé
à la lo if & à la fatigue, lent fon coeur
percé & defféché par ce fouffle de feu.
Mais c’eft principalement fur la mer 8c fur
fes vagues flexibles que l’orage exerce fon cruel
empire. Dans le "redoutable Océan , dont les
ondes flottent fous la ligne qui entoure le globe,
le typhon tournoie d’un tropique à l’ autre, &
le terrible ecnéphia règne ; des vents rugiffans,
des flammes 8c dès flots combattent, -fe précipitent
& fe confondent en maffe. Tout l’ art
du navigateur eft inutile. Opprimé par le deftin
rapide , fon vaiffeau boit la vague , s^enfonce,
8c fe perd dans le fein du fombre abyme. Gama
combattit contre une femblable tempête pendant
plufieurs jours & pluficurs nuits , voguant
fans ceffe autour du cap orageux, conduit par
une ambition hardie, 8c par la foif encore plus
hardie de l’or.
Le requin , antropophage , accroît la .terreur
de cette tempête -, il parolt avec fes mâchoires
armées d’une triple défenfe •, attiré par l’odeur
des morts & des mourans , il fend les vagues
irritées aufïi promptement que le vent porte le
vaiffeau -, il demande ïa; part de la proie aux
affociés de ce cruel voyage, qui va priver de
fes enfans la malheureufe Guinée ; le deftin
orageux ob éit, la mort enveloppe les tyrans &
les efclaves j à l’ inftant leurs membres déchirés
lui fervent de pâture -, il teint la mer de fang,
& fe livre à ce repas vengeur.
Le foleil regarde triftement ce monde noyé
par les pluies équinoxiales-, il en attire l ’odeur
infeâe , 8c il naît un million d’ animaux deftruc-
teurs de ces marécages mal-fains o J la putréfaction
fermente. Dans l’ombre des b ois , retraite
àffreufe, enveloppéè de vapeurs & de corruption
, & dont la fombre horreur ne fut jamais
pénétrée par le plus téméraire voyageur -, la terrible.
puiffance des maladies pestilentielles établit
fon empire. Des .millions de démons hideux
Paccompagnsnt , 8c flétriffent la nature affoi-
bLie v fléau terrible , qui louffle fur les projets
des hommes , 8c change en une défolation com-
plette les plus hautes elpérances de lefir orgueil.
Tel fut dans ces derniers .temps le défaftre qui.
altéra la nation britannique ,. prête à réduire
Carthagène.
Faut-il que je raconte la rigueur deces climats
, où la pefte, cette cruelle fille de la déeffe
Nemefis, defcend fur les villes infortunées. Cette*
deftru&rice du monde eft née des bois empoi
fonnés de l’Ethiopie , des matières impures du
grand Caire , & des champs infectés par des
armées de fauterelles entaffées 8c putréfiées.
Les animaux échappent à fa terrible rage -, l’homme
intempéré, l’homme feul lui fert de proie. Elle
attire un nuage de mort fur fa coupable demeure,
que. des vents tempérés & bienfaifans
ont abandonnée *. ce nuage eft taché par le foleil
d’un mélange empoifonné', & cet aftre fe montre
lui-même fous un afpeét irrité.
Tout alors n’eft que défaftre. La fageffe ma-
jeftueul’e 'détourne fon oeil vigilant-, l’épée 8c la
balance tombent des mains de la juftice , déformais
fans fon&ions on n’entend plus le bruit
du travail-, les rues font défèrtes , 8c l’herbe y
croît triftement. Les demeures agréables des
hommes fe changent en- des lieux pires que des
deferts-, rien ne fe montre , hormis peut-être
quelque malheureux , qui frappé de frénéfie ,
brife fes liens , & s’échappe de la maifon fatale
, féjour funefte de l’horreur , 8c fermée par
la crainte barbare : cet infortuné pouffe des cris
au c ie l, & l’accufe d’ inhumanité. La trifte porte ,
qui n’eft pas enco e infeélée, craint de tourner
lur fes gonds •, elle abhorre la fociété, les enfans
, les amis , les parens -, l’amour lui-même ,
eteint par le malheur, oublie le tendre lien 8c
les doux engagemens du coeur lenfible. Mais fa
tendreffe même eft inutile -, le firmament 8c Pair
qui anime tout , font femés des traits de la
mort-, chacun à fon tour frappe , tombe dans
des tourmens folitaires, fans fecours, fans derniers
adieux, 8c fans que perfonne le pleure.
Ainfi le noir défefpoir étend fon aile funèbre
fur la ville, terraffée , tandis que pour achever
la feene de défolation , les gardes inexorables
difperfés tout autour, refufent toute'retraite,
8c donnent une mort plus douce au malheureux
qui fuit-.
Ce ne font pas là tous les defaftres de l ’ intempérie
des élémens brûlans. La fureur d’un
ciel d’airain , les champs de fer , la féchereffe ,
n’offrent pour moiffon que la faim 8c la foif.
La montagne en convulfion pouffé des colonnes
de flamme, allumées par la triple rage de la
torche du midi , qui produit le tremblement de
terre. Ce dernier fléau fe forme dans le monde
fou terrain -, il frappe , ébranle , renverie fans
effort les villes les plus célèbres , & fait fartic
du fond des mers de nouvelles îles couvertes de
pierres calcinées , inconnues aux. fiècles précédons.
Arrêtons, c’eft affèz, j’ai moi-même befoin
de refpirer; outre que d’ autres fcènes d’horreur
& d’épouvante doivent entrer dans le tableau
des zones glaciales. (#.)
■ ZoNps glaciales -, les géographes dïftin-
guent deux zones glaciales : elles font r en fer