
*epréfentations. Les gouverneurs n’en devinrent
que plus audacieux : ce ne fut par-tout que conçu
liions , vexations , tyrannie, qui firent éclore
enfin le deffein d’une confpiration contre l’ennemi
commun. Le peuple irrité, n’obtenant aucune
juftice de l’empereur, & ne trouvant plus
de falut que dans fon courage , concerta les mè-
fures propres à fe délivrer de l’affreux efclavage
fous lequel il gémiffoit.
Il y avoit trois hommes de ces trois Cantons ,
dont chacun étoit le plus accrédité dans le fien,
8c qui pour cette railon furent les objets principaux
de la perlecution des gouverneurs -, ils
s’appelloient Arnold Melcbstal, du canton d’Un-
derwald •, Werner Stauffacher , du canton de
Schwitz; 8c 'Walter Furft, de celui d’Ury. Ces
trois braves 8c généreux montagnards , étoient
de bons 8c honnêtes paylans -, la difficulté de
prononcer des noms fi refpe&ables , a nui peut-
être à leur célébrité.
Ces trois hommes naturellement courageux,
•également maltraités des gouverneurs, & unis
tous trois par une longue amitié que leurs malheurs
communs avoient affermie , tinrent des
affemblées lêcrètes, pour délibérer fur les moyens
d’affranchir leur patrie, & pour attirer chacun
dans leur parti tou r ceux de fon canton auxquels
il pourrait fe fier , 8c qu’il fauroit avoir
affez de coeur pour contribuer à exécuter les ré-
folutions qu’ils prendraient. Conformément à
cette convention , ils engagèrent chacun trois
amis fûrs dans leur complot, & ces douze chefs
devinrent les conducteurs de l’entreprife. Ils confirmèrent
leur alliance par ferment, & réfolurent
de faire, le jour qu’ ils fixèrent, un foulèvement
général dans les trois Cantons, de démolit; les
châteaux fortifiés, & de chaffer du pays les deux
gouverneurs avec leurs créatures.
Tous les hiftoriens nous apprennent que cette
confpiration acquit une force irréfiftible par un
événement imprévu. Griller, gouverneur d’U ry ,
s’avifa d’exercer un genre de barbarie également
horrible 8c ridicule. Il fit planter fur le marché
d’Altorff, capitale du canton d’U r y , une perche
au haut de laquelle il fit mettre fon chapeau ,
ordonnant fous peine de la vie , de le falue-r
en fe découvrant , & de plier le genou avec
le même refpect. que fi c’étoit le gouverneur en
perfonne.
Un des conjurés, nommé Guillaume Tell ,
homme in trépide, 8c incapable de baffeffe, ne
falua point le chapeau. Griller le .condamna à
être pendu, & par un raffinement de tyrannie,
il ne lui donna fa grâce, qu’à-condition que
ce père, qui paffoit pour archer très-adroit,
abattrait d’umcoup de flèche , une pommé placée
fur la tête de fon fils. Le père t ira , & fut affez
heureux ou affez adroit pour abattre la pomme,
fans toucher la tête de fon fils. Tout le peuple
battit des mains, & pouffa des cris de joie qui
s’élevèrent julqu’au ciel. Griller appercevant une
fécondé flèche fous l’habit de T e l l , lui en" demanda
la raifon , & Lui promit de lui par*
donner , quelque deffein qu’il eût pu avoir.
« Elle t’étoit deffinée, lui répondit T e l l , fi
» j’avois atteint mon fils. » Griller le fit faifir,
mais il eut le bonheur de s’échapper. Il attendit
ce barbare dans un endroit où il devoit paffer quel*
qùes jours après , 8c l’ayant apperçu , il décocha
le trait, lui perça le coeur de cette même flèche,
8c le laiffa mort fur la place. Il informa fur le
champ fes amis de fon exploit, & fe tint caché
jufqu^u jour de l’exécution de leur projet.
Ge jour fixé au premier janvier 1308 , les
mefures des confédérés - fe trouvèrent fi bien
prifes, que dans le même temps les garnifons
des trois châteaux furent arrêtées 8c châffées
fans effiifion de fang , les fprtereffes r-afées., 8c
par une modération incroyable dans un peuple
irîité, les gouverneurs furent conduits fimple-
ment fur les frontières 8c relâchés , après en
avoir pris le ferment qu’ils ne retourneraient
jamais dans le pays. Ainfi trois hommes privés
des biens de la fortune, & des avantages que
donne la naiffance, mais épris de l’amour de.
leur patrie, 8c animés d’une juffe haine contre
leurs tyrans, furent les immortels fondateurs de
la liberté helvétique 1 Les noms de ces grands
hommes devroient être gravés fur le bronze.
L’empereur Alb e r t, informé de fon défaftre ,
réfolut d’en tirer vengeance ; mais fes projets
s’évanouirent par fa mort prématurée ; il fut tué
à Konigsfeld par fon neveu Jean, auquel il dé*
tenoit , contre toute juftice , J e duché de
Souabe.
Sept ans après cette aventure, qui donna le
temps aux habitans de Schwitz, d’Ury & d’Un*
derwaîd, de pourvoir à leur fureté,, l’archiduc
Léopold, héritier des états 8c des fentimens de
fon père Albert, affembla une armée, de vingt
mille hommes, dans le deffein de facca'ger ces
trois cantons rebelles,. 8c de les mettre à feu &
à fang. Leurs citoyens fe conduifirent comme les
Lacédémoniens aux Thermopyles. Ils attendirent,
au nombre de cinq cents hommes , la
plus grande partie de l’armée. autrichienne au
pas de Morgarten. Plus heureux que les Lacédémoniens
, ils portèrent le défordre dans, la
cavalerie de l’archiduc , i en faifant tomber fur
elle une grêle affreufe de pierres, & profitant
de la confufion , ils fe jettèrent avec tant de
bravoure fur leurs ennemis épouvantés, que leur
défaite fut entière.
Cette .victoire fignalée ayant été gagnée dans
le canton de Schwitz, les deux autres Cantons
donnèrent ce nom à leur alliance, laquelle devenant
plus générale, fait encore fouvenir par
ce feul nom , des fuccès brillans qui leur acquirent
la liberté.
En vain la maifon d’Autriche tenta pendant
trois fiècles de fubjuguer ces trois cantons ; tous
fes efforts eurent fi peu de réuffite , qu’ au lieu
de ramener les trois Cantons à fon obéiffance,
ceux-ci détachèrent au contraire d’autres pays
8c d’autres, villes du joug de la maifon d’Autriche.
Lucerne entra la première dans la confédération
en 1332,, Zurich en 13 5 1, Glaris 8c
Zug fuivirent leur exemple en 13 J2,$ Berne renforça
l’ alliance la même année. Ces huit, y compris
ceux d’Uri, Switz, 8c Underwald , font ceux
u’on nomme les anciens Cantons. En 1481 ,
ribourg & Soleure accrurent la confédération
qui s’augmenta en 1501 de Bâle 8c de Schaff-
houfe. Appenzel, le dernier de tous, s’y joignit
en 1513. Enfin, les princes de la maifon d’Autriche
fe virent forcés par le traité de Munfter ,
de déclarer les Suiffes un peuple indépendant.
Ç ’eft line indépendance qu’ ils ont acquife par
plus de foixante combats, & que félon toute
apparence, ils conferveront long-temps.
Les Suiffes ne voulant pas facrifier leur liberté
à l’envie de s’agrandir, ne fe mêlent jamais
des conteftations qui s’élèvent entre les
pniffances étrangères. Ils obfervent une exacte
neutralité , ne; fe rendent jamais garans d’aucun
engagement, & ne tirent d’autre avantage des
guerres qui défolent fi fouvent l’Europe, que de
fournir des hommes à leurs alliés , 8c aux princes
qui recourent à eux. Ils croient être affez pu if-
fans s’ils confervent leurs loix. Us habitent un
pays qui ne peut exciter l’ambition de leurs
voifins -, & il eft hors de doute qu’ils font affez
forts pour fe défendre contre la ligue de tous
ces mêmes voifins. Invincibles quand ils feront
unis, 8c qu’il ne s’agira que de leur fermer l ’entrée
de leur patrie, la nature de leur gouvernement
républicain ne leur permet pas de faire
des progrès au dehors. C’eft un gouvernement
pacifique , tandis que tout le peuple eft guerrier.
L’ égalité , le partage naturel des hommes, y
fubfiftent autant qu’ il eft pofîible. Les loix y font
douces ; un tel pays doit refter libre ï
- La forme du gouvernement républicain n’eft
pas la même dans tous les Cantons. Il y en a fept
dont le gouvernement eft ariftocratique , avec
quelque mélange de démocratie •, 8c fix font purement
démocratiques.. Les fept ariftocratiques
font Zurich , Berne, Lucerne , Bade, Fribourg,
.-Soleure , & Schaftoufe •, les fix démocratiques font
Ury , Schwitz , Underwald , Zug , Glaris 8c
Appenzell. Cette différence dans leur gouvernement
femble être l’effet de l’état dans lequel
chacune de ces républiques fe trouva avant
qu’elles fuffent érigées en Cantons. C a r , comme
les fept premières ne confiftèrent chacune que
-dans une v ille , avec peu ou point de territoire,
tout le gouvernement réfida naturellement dans
les bourgeois , 8c ayant été une fois reûreint à
leurs corps , il y continue toujours, nonobfiant
les grandes acquisitions de territoires qu’elles
ont faites depuis. Au contraire, les'fix Cantons
démocratiques n’ayant point de villes ni de villages
qui puffent prétendre à quelque prééminence
par-deffus les autres, le pays fut divifj en
communautés , 8c chaque communauté ayant un
droit égal à la- fouveraineté , on ne put pas
éviter de les y admettre également, 8c d’établir
la pure démocratie.
Je me fuis étendu fur la Suiffe, 8c je n’ai
dit que deux mots des plus grands royaumes
d’A fie , d’Afrique 8c d’Amérique ; c’eft que tous
ces royaumes ne mettent au monde que des ef-
claves , 8c que la Suiffe produit des hommes
libres. Je fais que la nature , fi libérale ailleurs ,
n’a rien fait pour cette contrée , mais les habi-
tans y vivent heureux : les folides richeffes qui
confiftent dans la culture de la teire , y font
recueillies par des mains fages 8c laborieufes.
Les douceurs de la fociété , 8c la faine philo-
fophie , fans laquelle 4a fociété n’ a point cffo
charmes durables, ont pénétré dans les partiel
de la Suiffe , où le climat eft le plus tempéré ^
8c où règne l’abondance. Les fecles de la religion
y font tolérantes. Les arts & les fciences y ont
fait des progrès. Enfin, dans ces pays autrefois
agreftes, on eft parvenu en plufieurs endroits a
joindre la politeffe d’Athènes à la {implicite d%
Lacédémone, Que ces pays fe gardent bien au*
jourd’hui d’adopter le luxe étranger, & de laiffe?
dormir les loix fomptaaires qui le prohibent 1
Les curieux de l’hiftoire des révolutions de la*
Suiffe , confulteront les Mémoires de M. de
Bochat, qui forment trois volumes in-j?, Gef-
ner, Scheachzer 8c Wagner ont donné l’hiftoire'
naturelle de l’Helvétie.
La Suiffe eut fon nom du Canton de Switz ,
le plus confidérable des trois qui furent les premiers
à lever l’étendard de la liberté. C’eft d’ailleurs
dans ce canton que fe donna la première
bataille qui fonda la liberté du pays. La Suiffe
proprement d ite , eft le pays occupé par les
Treize-CantoAs. Les voici fuivant leur rang dam
la diète :
Zurich , Glaris ,
Berne , Bâle ,
Lucerne , Fribourg,
Uri, Soleure ,
SchyvitT^, S.chajfhoufe 0
Underwald , AppempeL
Zug, .
De ces Treize Cantons, quatre font protef-
tans, fept font catholiques, 8c deux mi-partis
de catholiques 8c de proteftans. Les quatre Cantons
protenans font : Berne , Bâle, Schaffhouje,
& Zurich ■ les fept catholiques fout : Fribourg,
Soleure , Zug, Lucerne , Underwald, Switi , Urip
F P il