
tin les fit tranfporter à Conftantînople , avec le
cfiar du lo le il, & les plaça dans l’hippodromé ou
cirque des jeux publics , 8c à la prife de Conftan-
tinople en 1206 , les Vénitiens les emportèrent
à Verçilè.
Dans un lieu joignant celui où l’on garde les
feliques, on voit les richefles du tréfor de
Saint-Marc, arrangées fur les tablettes d’une
grande armoire , dont le fonds eft de velours
n oir , pour les faire éclater davantage. Une ba-
luftrade dans laquelle fe tient le producteur qui
en a les clés , empêche qu’on ne puifle approcher
d’aflez près pour y atteindre de la main.'
On y remarque le bonnet duttel que l’on em?
ployé au couronnement du Doge , & qui eft
entouré d’un bandeau de perles & de pierres pré-
cieufes 3 un faphir d’un volume extraordinaire,
une urne d’une feule émeraude , une, perle d’un
pouce de hau t, des rubis, efcarboucles & autres
pierres d’une rare grofleur , douze couronnes d’or
ornées de pierreries , quifervoient aux douze filles
d’honneur de l’Impératrice Hélène | mère de Cenf-
tantin -, un plat d’une feule, turquoife , des chandeliers
8c des vafies en or , &c.
L’arfénal de Venîfe eft le fondement des forces
de l ’état. Son enceinte eft fermée de murailles
flanquées de petites tours. On fabrique dans cette
enceinte les vaifleaux, les galères & les galéaflès.
Les l’allés de l’arfenal font remplies de toutes
fortes d’armes ^pour. les troupes de terre & de
mer. Sous ces mêmes làlles font des magafins
féparés qui contiennent toutes fortes de munitions
& d’équipages de guerre. L’arfenal 1e gouverne
comme une petite république ; on y fait bonne
garde , 8c les ouvriers y travaillent fous l’autorité
de trois nobles Vénitiens qui réfident dans
l ’arfenal, & qu’on ne change que tous les trois
ans. La république entretient ordinairement 3 ou
400 ouvriers dans fon arfenal pendant la paix.
Le flux 8c reflux fe fait" remarquer deux fois
par jour à Venife. La différence des baffes eaux
a la pleine mer, eft d’environ deux pieds.
Venife eft prefque toute bâtie de marbre ou
de pierre d’ Iftrie , qui en approche beaucoup par
la fihefle du grain 8c le poli qu’elle reçoit. En face
de l’églife font trois piédeftaux qui, aux jours
de lolemnité , portent trois mâts d’une extrême
élévation , où, l’on arbore trois étendards aux
armes de Chypre, de Candie 8c de Negrepont,
qui furent du domaine de la république.
La place de S. Marc a 180 toifes de longueur :
les deux colonnes de granit d’un feul morceau , qui
en font un des ornemens & qui font placées au bord
de la mer , furent apportées de la Grèce en 1174-,
l’une eft furmontée du lion de Saint-Marc, fym-
bole de la république ; fur l’autre eft la ftatue
de S. Théodore, foulant un crocodile , 8c qui
eft l’ancien patron de la république. Cette place
eft fans contredit une des plus fuperbes de i ’Eu-
iope i <2fte débouche fur la mer , 8c elle eft
ceinte d’ailleurs de magnifiques éditées : tels-
font le palais du doge, l’églife de Saint-Marc,
l’horloge de la ville les procuraties vieilles-, l’églife
de Saint-Geminien, & les procuraties nouvelles.
Sur cette place s’élève la tour de S. Marc,
qui eft ifolée 8c exceffivement haute ; les murs
en font doubles, & on s’ élève jufqu’à la naiffance
de la pyramide par un plan incliné.
L’églife du Salut, qui eft à la fortie du grand
canal, eft d’un magnifique effet*,, elle fut bâtie
a l’occafion du voeu que fit le fénat dans la
pefte de 1630 •, elle eft deffervie par les Somaf-
ques. La douane de mer, qui en eft voifine,
préfente une belle colonnade en marbre qui fup-
porte une efpèce de tour furmontée d’un grand
globe de bronze doré, foutenue par plufieurs
figures. Sur le globe eft celle delà Fortune , qui y
tourne en formé de girouette, au gré des vents.
Prefqu’en face de la place de Saint - Marc
eft l’églife de Saint-George-le-Majeur, qui eft
du Palladio, & dont la belle façade toute en
marbre eft ornée de colonnes.& de ftatues.
Le commerce de cette ville confifte en glaces
qui fe fabriquent à Murano, en vins de Chypre ,
maràfquin de Corfou , en riz du Veronois 8c du
Vicentin , en armes de Brefce , en foies, en
toiles, en thériaque très - renommée , en bleds
de fon territoire , en criftal, corail, ouvrages
de verre , caraétères d’imprimerie.
Le carnaval de Venife eft célèbre , comme le
plus brillant de l’Europe*, il commence dès le
lendemain dé Noël. La cérémonie des époufailles
de la mer fe fait à l’Afcenfion , & attire à Venife
une prodigieufe quantité d’ étrangers.
Cette pompeufe fête s’établit & fe perpétue
en ligne du domaine de la république de Venife
fur la mer Adriatique. Le doge , accompagné
des nobles Vénitiens , du patriarche , 8c des am-
bafladeurs étrangersmonte le fuperbe navire
le Bucentaure , au fon de toutes les cloches de
la ville , & au bruit d’une immenfe artillerie.
Arrivé à une certaine diftance , & après certaines
formalités , il jète dans la mer un anneau d’or
en prononçant ces paroles : Defponfamus te mare
in jîgnum veri & perpetui dominii. Une foire famé
ufe qui fe tient dans le même temps à Venife
y augmente le concours, & y multiplie les
plaifirs. -
L’Etat Vénitien , en terre-ferme , a 70 lieues
d’étendue d’orient en occident, & il eft d’une
extrême fertilité en* toutes fortes- de"nroduâions*
Il eft borné au nord par le pays des Grifons,
le Trentin & le Tirol *, à l’orient, en partie
par le golfe Adriatique, & en partie par la Car-
niole *, au midi par le Ferrarois, le Mantoua»n,
& une partie du Milanez *, & à l’occident par
le Milanez feulement., C’eft la plus ancienne
république du monde.
On évalue fes revenus à vingt - cinq millions*
Elle entretient vingt-neuf mille hommes de
troupes de terre. Sa marine confifte en 24 vaif-
feaux de guerre , & 25 galères. Les impôts y
font à peu près réglés fur le vingt-deuxième du
revenu -, 8c les fuje.ts vivent dans l’aifance, a
l’ombre d’ un gouvernement févère, mais jufte,,
paternel, & confervateur des propriétés.
Outre les avantages que Venife partage avec
les autres villes -maritimes , elle en retire encore
un particulier de fa fituation au milieu des lagunes
, qui font comme le centre où aboutiiTent
diverfes rivières, entr’autres le PÔ , l’A d ig e , la
Trente , la Pi-ave, & quantité de canaux que la
république a fait creufer pour le commerce étranger,
qui toutefois eft à préfient réduit à celui
d’Allemagne, de Conftantinople & d’Alexandrie :
mais la banque de Venife dont le fonds eft fixé à
5 millions de ducats, conferVe encore fon crédit.
En 709 , les tribuns des douze principales
îles des Lagunes , jugeant qu’il étoit néceflaire
de donner une nouvelle forme au gouvernement
des îles qui s’étoient extraordinairement peuplées
, réfolurent de fe mettre en république,
6 d’élire quelqu’un d’entre eux pour en être
le chef-, mais comme ils reconnoifioient qu’ils
ne pouvoient en ufe.r de la forte contre le
droit que la ville de Padoue s’arrogeoit dans ces
lieux où ils avoient été chercher leur fureté,
ils obtinrent de l’empereur Léon , louverain de
tout le pays , &: du pape Jean V , la permif-
fion d’élire leur prince , auquel ils donnèrent
le nom de duc ou de doge. Le premier qu’ils
élurent s’appelloit Paul-Luce Jlnafejh.
Il n’y avoit point encore de ville de Venife *,
Héraclée_ dont il ne refte aujourd’hui que quelques
ruines , fut le premier fiége de cette nouvelle
république*, enïuite les doges réfidèrent à
Malamoque 8c à Rialte , où Pépin roi d’Italie ,
donna aux habitans cinq milles quarrés d’étendue
en terre ferme , avec une pleine liberté
de trafiquer par terre & par mer. Le même
Pépin voulut que l’ île de Rialte jointe aux îles
d’alentour, portât le nom de Venife, Venetioe ,
qui étoit alors celui de toute la côte voifine
des La'gunes.
- Telle a été l’origine du nom & de la république
de Venife, dont la néceflité du commerce
procura bientôt la grandeur & la puif-
fance. Il ,eft vrai qu’elle pàyoit un manteau
d’étoffe d’ or aux empereurs , pour marque de
vaflalité ; mais elle acquit la province d’Iftrie
par fon argent & par les armes.
Les Vénitiens devenant de jour en jour une
république redoutable , il fallut dans l.es croila-
des s’adreffer à eux pour l’ équipement des flottes
ils y gagnèrent des' richefles & des terres. Us
üè firent payer dans la croifade contre Saladin
85000 marcs d’argent pour tranfporter feulement
l’ armée dans le trajet, & fe fervirent de cette
armée même pour s’emparer des côtes de la
Dalmatie, dont le doge prit le titre. La Méditerranée
étoit couverte de leurs vaifleaux, tandis
que les barons d’Allemagne 8c de Franca
bâtiflbient des donjons , & opprîmoient les
peuples.
Gèries% «rivale de Venife lui fit la guerre, &
triompha d’elle fur la fin du 14e fiècle ; mais
Gènes enfuite déclina de jour en jour , & Venife
s’éleva fans obftacle jufqu’ au temps de
Louis XII 8c de l’empereur Maximilien , intimidant
l’Italie , & donnant de la jaloufie aux
autres puiflances qui confpirèrent pour la détruire.
Prefque tous les potentats ennemis les
uns dès autres , fufpendirent leurs querelles,
pour s’unir enfemble à Cambrai contré Venife
en 1508. Jamais tant de rois ne s’étoient ligués
contre l’ancienne Rome. Venife étoit aufïi
riche qu’eux tous enfemble. Il ne tenoit qu’à
elle d’appaifer Jules I I , principal auteur de la
ligue *, mais elle dédaigna de demander cette
grâce , & elle’ ôfa attendre l’orage , c’eft peut-
être la feule fois qu’elle ait été téméraire.
Les excommunications plus méprifées chez les
Vénitiens qu’ailleurs, furent la déclaration du
pape. Louis XII envoya un héraut d’armes annoncer
la guerre au doge. Il redemanda le Cré-
monojs qu’il avoit cédé lui-même aux Vénitiens ,
quand ils l’avoient aidé à prendre le Milanèz.
Il revendiquoit le Breflan, Bergame , & d’autres
terres fur lefquelles il n’avoit aucun droit. Il
appuya fes demandes à la tête de fon armée.
Jules II voulut recouvrer la Romagne *, l’empereur
Maximilien réclama Padoue , Véronne ,
Vicence, Aquilée & le Frioul *, le roi de Naples
redemanda Brindes, Trani , Otrante 8cc *,
le duc de Savoie forma des prétentions fur l’ ile
de Chypre *, le duc de Ferrare fur Mantoue.
Tous ces princes fondirent à la fois fur les
états de la république. La bataille d’Agnadel,
fatale aux Vénitiens, leur fit perdre tous leurs
états de Terré ferme , & on crut voir un inftant
la chûte totale de cette république , qui dut
fon falut aux reflources de fa marine , de fes
richefles, au courage de fes citoyens & à,1a
défunion qui fé mit en 1510 entre les confédérés
: telle fut l’iflue de la fameufe ligue de
Cambrai. Jules II fe ligua avec cette république
contre les François qui le méritoient, 8c cette
ligue devint funefte à Louis XII.
Sur la fin du même fiècle, les Vénitiens entrèrent
avec le pape 8c le roi d’Elpagne Philippe
I I , dans une croifade contre les turcs.
Jamais grand armement ne fe fit £vec tant de
célérité. Philippe II fournit la moitié des frais;
les Vénitiens fie chargèrent des deux, tiers de
l’autre moitié , Sc le pape fournit !e refte. Dom
Juan d’Autriche, ce célèbre bâtard de Charles-
quint, comvnandoit la flotté. S'ébaftien Venicro
étoit général de la mer pour les Vénitiens. II
y ayoit eu trois doges dans fa maii’on , mais