
Puifle-je dans cette faifon quitter la ville
•enfevellé dans la fumée & dans le fommeil 1
Qu’il me foie permis de venir errer dans les
champs où l’on refpire la fraîcheur, & où l’on
voit tomber les gouttes tremblantes de l’arbufte
penché : Que je promène mes rêveries dans les
labyrinthes ruftiques , où naillent le.s herbes odoriférantes
, parfums des laitages nouveaux que
je parcoure les plaines émaillées de mille couleurs
tranchantes , & que, paflànt de plâifir en
plaifir, je me peigne les tréfors de l’automne
a travers les* riches voiles qui femblent vouloir
borner mes regards l
La fécondité des pluies printanières perce la
nue , abreuve les campagnes , & répand une
douce humidité dans toute l’atmofphère. La bonté
du ciel verfe fans mefure l’herbe, les fleurs 8c
les fruits. L’imagination enchantée voit tous
ces biens au moment même où l’oeil de l’expérience
ne peut encore que le prévoir. Cèlle-ci
apperçoit à peine la première pointe de l’herbe -,
&c l’autre admire déjà les fleurs , dont la verdure
doit être embellie.
La terre reçoit la vie végétative-, le foleil
change en lames d’or les nuages voifins : la lumière
frappe les’ montagnes rougies : fes rayons
Ce répandent fur les fleuves, éclairent le brouillard
jauniffant fur la plaine , & colorent les
perles de la rofée. Le payfage brille de fraîcheur
, de verdure, & de joie ; les bois s’épaif-
flflent, lamufique des airs commence , s’accroît,
fe mêle .en concert champêtre au murmure des
eaux.
Les troupeaux bêlent fur les collines •, l’écho
leur répond du fond des vallons. Le zephir
fouffle i le bruit de fes ailes réunit toutes les
voix de la nature égayée. L’arc - en - ciel , au
même inftant, fort des nuages oppofés : il développe
toutes les couleurs premières, depuis
le rouge jüfqu’ au v io le t, qui fe perd dans le
firmament que l’arc célefte embrafle, & dans
lequel il femble fe confondre. IJluftre Newton,
ces nuages opppfés au foleil ? 8c prêts a fe réfoudre
en ^au, forment l’effet de ton prifme ,
dévoilent à Pçeil inftruit l’artifice admirable des
couleurs , qu’il n’étoit réfervé qu’a toi de découvrir
, fous l’enveloppe de la blancheur qui
les dérobe à nos regards
Enfin l ’herbe vivante fort avec profufion , &
la terre entière en eft veloutée. .Le plus habile
botanifte ne fauroit #en nombeer les efpèces ,
quand , attentif à fe.s recherches , il marche le
long du vallon folitaire ■, ou quand il perce les
forêts , & rejette triftementles mauvaifes herbes,
fentant qu’elles ne “Font telles à fes yeux, que
parce que fon favoir eft bprné -, ou lorfqu’il franchit
les rocher? efçarpés, & porte au fommet
des montagnes des pas dirigés par le lignai des
plantes qui femblent appeller fon avide curio-
-, çar h ram e * prodigué par-tout fes faveurs
; elle en a confié les germes fans nombre
aux vents favorables , pour les dépofer au milieu
des élémeffs qui les doivent nourrir.
Lorfque le foleil dardera fes rayons du haut
de fon trône du midi, repofe-toi à,l’abri du
lilas fauvage , dont l’ odeur eft délectable. L à ,
la primevère penche fa tête baignée dè rof-e ,
8c la violette fe cache parmi les humbles en-
fans de l’ombre -, fi tu l’ aimes mieux , couche-
toi fous- ce frêne , d’où la colombe à l’ aile rapide
prend fon effor bruyant ; ou bien enfin , affis
au pied de ce roc fourcilleux, réfidence éternelle
du faucon, laifle errer tes penfées à travers
ces fcènes champêtres , que le berger de
Mantoue illuftra jadis par l’harmonie incomparable
de fes chants :
Tu vois fur ces coteaux fertiles
Des troupeaux riches & nombreux ;
Ceux qui les gardent font heureux ,
' Et ceux qui les ont font tranquilles*
Puifles-tu , à leur exemple , affoupi par les échos?
des bois & le murmure des eaux, réunir milia
images agréables , émoufler dans le calme les
traits des pallions turbulentes , & ne fouffrir
dans ton coeur que les tendres émotions, fen-
timent pur , également ennemi de la léthargie
dé l’ame, 8c du trouble, de l’èfpriti
Toi que j’adore, toi que les grâces ont formée
, toi la beauté même, viens -avec ces yeux
modeftes , & ces regards mefurés où fe peignene-
à la fois iîne aimable légèreté, la fagefle’, la
raifon , la vive imagination , & la fenfibilité du
coeur -, viens , ma Thémire, honorer le printemps
qui paffe couronné de rofes. Permets-moi
de cueillir fes fleurs nouvelles , pour orner les
treffes de tes cheveux, 8c parer le fein délicieux
qui ajoute encore à leur douceur.
Vois dans ce vallon comme le lis s’abreuve
du ruiffeau caçhé, '8c cherche à perepr la touffe
du pâturage. Promenons-nous fur ces champs
couverts de févés fleuries , lieux où le zéphir
qui parcourt ces vsfi.es campagnes , nous apporte
les parfums, qu’il y a raflé mblés-, parfums mille
fois plus falubres. 8c plus flatteurs que ne
furent jamais ceux de l’Arabie. Ne crois pas
indigne de tes pas cette prairie riante -, c’eft
le négligé de la nature que l’art n’ a point défiguré*
Ici rempljflent leur tâche de nombreux efFaims
d’abeilles , nation laborieufe , qui fend l’a i r ,
& s’attache au bouton dont elle fuce l ’ame
éthérée ; fouvent elle ofe s’écarter fur la bruyère
éclatante de pourpre , où croît le thym fauvage,
& elle s’y charge du précieux butin.
L’ Océan n’eft pas loin de ce vallon *,v viens ,
belle Thémire, confidérer un moment la merveille
de fon flux.
Que j’aime, alors qu’il fe. rjsti re,
De le pourfuivre pas à pas ;
Au reflux il a des appas
Que l’on fent, & qu’on jie peut dire,.
Ici i 1-‘S cailloux, font du bruit;.
De là , fo gravier fe produit;
La vague y blanchit, & s’y crève f
L à , fort écume à gros bouillons-
Y couvre & découvre, la- grève »
Baifant ^os pieds fur les fablons».
Que j ’aime à voir fur ces rivage»
L’eau qui s'enfuit & qui revient,
Qui me préfente , qui retient,
Et laiiFe enfin fes coquillages;-
Cependant il eft temps dé nous, rendre dans-
lés jardins, que Le Noftre a formés, jardins admirables
par leurs perfpeétives. 8c leurs- allées,
dé boulingrins. Dans. les-, bofquers où. règne une
douce obfcurké, la-promenade s’étend en longs,
détours., & s’ouvrant tout à coup, offre aux
regards furpris le firmament qui s’abaifle, les.
rivières qui coulent en ferpentant , les étangs *
émus par les vents légers., des. groupes de
forêts, des-palais.qui fixent l’oe il, des montagnes,
qui fe confondent dans l’air ,. 8c la mer que '
nous, venons, de quitter.
Le long de ces. bordures, règne avec, la rofée ,
le printemps qui développe toutes les. grâces.
Mille plantes, embelli-flent le parterre , reçoivent.
& préparent les. parfums.} les. anémones ,. les-,
oreilles d’ours enrichies de cette poudre brillante
qui orme leurs, feuilles, de velours la:
double renoncule d’ un rouge ardent , décorent
la fcène. Enfuite la nation des. tulipes, étale fes
caprices, innocens, qui fe perpétuent de race en
race , 8c dont les couleurs variées fe mélangent
à l’infini , comme font- les. premiers germes*
Tandis. q,u’elles, ébloaiffent la vue charmée,’ le
fleurifte admire , avec/un fecret orgueil les mira
c le s de fa. main. Toutes les fleurs feTuccèdent
depuis le bouton qui naît avec le printemps,
jufqu’ à celles qui- embaument l’été. Les. hyacinthes
du blanc le plus, pur s’abaiflent, Sc pré-
fentent. leur calice incarnat. Les., jonquilles, d’un |
parfum fi puiflant la narciflè encore penchée J
fur la fontaine fabuleufe les oeillets agréable-"
ment tachetés la rofe de damas qui décore
l’arbufte ; tout s’offre à la- fois aux fens ravis. :
l’exprelfion ne fauroit rendre la variété , l’odeur ,
les couleurs fur couleurs., le fouffle de la.nature ,
ni fa beauté: fan s bornes.
Dans cette faifon où l’àmour , cette ame unL-
verfe lie , pénétré ,. échauffé l ’air , 8c fouffle fon
efprit dans toute la nature ,. la troupe, ailée- fent
t.aurore des.défirs. Le plumage des oifeaux mieux
fourni , fe peint de plus,, vives .couleurs ils-recommencent
leurs chants long-temps oubliés &
gazouillënt d’abord foiblement ; mais bientôt
L’a&ion. de la vie fe communique aux organes .
intérieurs ’, elle gagne , s’étend , 8c produit un
torrent de délices , dont l’éxprefiion fe déploie
en concerts , qui n’ont de bornes que celle d’une
joie qui 11’en connoît point.
La meflagère du matin l’alouette s’élève en
chantant à travers, les- ombres qui fuyent devant
le crépufcule du jour’, elle appelle d’une voix-
haute les chantres des- b ois , 8f les réveille au
fond de leur demeure ; toute la troupe g azo u illante
forme des accords.. Philom-èle les écoute ,,
8c leur permet de s’égayer, certaine de rendre-’
les échos dé la nuit préférables à ceux dm
jour.
Je demeure- faifi
D’entendre de fa voix l'harmonie & là grâce ;.
Vous croiriez fur la foi de fes charmans accords^
Que l’ame de Lirais, ou du chantre de Thraceê „»
A paffe dans ce petit corps ,.
Et d’un goffer fi doux, anime les reflorts,-
Les Faunes 8c les. Nayades ».
Pan ,. 8c les Hamadryacles ,
Au goût délicat 8c fin,
Au chant qui- les captive ,
Tenant une oreille attentives
En.appréhendent la fin,-
]Touto cette muiique n’eft autre chofé que-1&
voax de l’Amour C’eft lui* qui. enfeigne le tendre:
art de plaire aux oifeaux, & chacun. d’eux ei»
courtifant fa maîtrelfe verfe fon ame toute--
entière. D’àbord, à. une diftance refpe&ieufe, ils;
tant la roue dans le circuit de l’àir , & tâchent:
par. un million de tours d’attirer l’oeil rufé de:
leur enchantereffé volontairement diftraite. SI*
elle femble ne pas. défapprouver leurs voeux ,,
leurs couleurs deviennent plus vives.. Animés;
par l’efpcrance , ils. avancent promptement ,,
epfuite , comme frappés d’ une atteinte mvii.ble
ds fe retirent, en défordre ; ils fe rapprochent:
encore , battent de l’àile , & chaque plume:
rrulonne de., défir. Les, gages, de l’hymen font:
reçus. ; les amans s’envolent où les conduifentc
Jes P‘» i f i r a l ’inftinâ & le foin de leur fureté.
M u fe , ne dédaigne pas de pleurer, tes.frèrêsi
des b o is , furpris. par l’homme tyran , & ren—
termes dans une étroite prifon. Ces.jolis efcla—
vés , privés, de l’ étendue de - Faire, slattriftent-
_leur plumage eft terni-, leur beauté fanée leur-
vivacite perdue. Ce ne font plus ces. notes.ravil--
lantes qulils gazouillojent fur le hêtre. O vous;
amis des. tendres- chants, épargnez .ces. douces;
lignées , laiifez-les jouir de la liberté pou&-
peu que l’innocence , qpe les doux accords...
OU que la-pnie aient de pouvoir fur vos-coeurs ’
Cardez-vous.rur-tout d’-affliger Philomèle, en.
détruifant fes travaux. Cet- Orphée des bocages;
eft trop délicat pour fuppofeu les.durs liens.deblai
prifon. Quelle douleur pour la tendre, mère: ,
quand revenant- le. bec c h a r g é e l l e trouva.-