70 DÉLIMITATION DES ESPÈCES. LIMITES POLAIRES DES ESPÈCES SPONTANÉES. 71
tacles matériels, comme la largeur des bras de mer et réteiidiie des océans ;
par des conditions de climat qui l'empêclienl de vivre ou de se reproduire
au delà de certaines limites. Les plantes surmontent quelquefois les
obstacles matériels, grâce a leurs moyens de dissémination et aux transports
accidentels, provenant de l'homme, des animaux, et des vents ou des courants;
mais elles ne sauraient vaincre l'action continue d'un climat contraire,
de sorte que sur la ligne où s'engage avec lui le combat, c'est toujours,
ou du moins c'est, à la longue, toujours le climat qui reste victorieux.
Pour le prouver, et pour bien comprendre ce qui se passe dans la nature,
examinons les limites de quelques espèces spontanées, en commençant
parles limites polaires, c'est-à-dire qui regardent les pôles. Ce sont probablement
les plus faciles à expliquer, car le froid dans différentes saisons doit
être la cause principale et souvent unique des phénomènes. Je parlerai
ensuite des limites dans les autres directions, et des limites des espèces
spontanées en altitude. Enfin, comme je l'annonçais tout à l'heure, je traiterai
des limites des plantes cultivées, soit en plaine, soit sur les montagnes
SECTION II.
LIMITES DES ESPÈCES SPONTANÉES, EN PLAINE.
ARTICLE PREMIER.
LIMITES POLAIRES DES ESPÈCES SPONTANÉES.
§ CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES PROBABLES DE CES LIMITES.
Une température trop basse peut agir sur une espèce et limiter sou
habitation par bien des systèmes différents. Tantôt le mal est produit
en hiver par un froid très intense, ou au printemps par un froid nuisible aux
fleurs et aux jeunes pousses, et dans ces divers cas l'effet est direct; tantôt
le mal résulte de l'absence de chaleur, et ce sera alors un effet indirect,
qui retardera ou empêchera telle ou telle fonction physiologique. 11 y
a ainsi une action positive et une action négative des températures
trop basses. Bien plus, chacun de ces modes d'action en cache véritablement
plusieurs, et voilà ce qui complique singulièrement les phénomènes.
Pour en simplifier l'étude il se présente naturellement à l'esprit de distinguer
les plantes annuelles, les plantes vivaces et les plantes ligneuses.
On peut croire que chacune de ces catégories est soumise à certains effets
du froid, plutôt qu'à d'autres. Il est surtout évident que les plantes annuelles
sont influencées par des causes plus simples, la température d'une partie
de l'année ne les concernant en aucune manière. A leur égard ce sera principalement,
peut-être uniquement, le défaut de chaleur pendant quelques
mois qui devra être envisagé. Les difficultés viendront de ce que la durée
d'une espèce annuelle peut différer d'un pays à l'autre, et que par conséquent
la température qu'elle reçoit et qu'elle doit recevoir pour vivre, est
donnée suivant les climats en deux mois, deux mois et demi, trois mois, etc.
Cette réflexion doit faire douter d'avance que les limites des espèces annuelles
se rapprochent d'une ligne isothère, c'est-à-dire passant parles points de
même température dans la moyenne des trois mois d'été, comme beaucoup
d'auteurs l'ont présumé et comme je l'ai cru moi-même autrefois. Ce que
j'ai dit dans les chapitres 1 et II fait comprendre qu'on doit envisager les
sommes de température au-dessus de certains degrés, bien plus que les
moyennes.
Quant aux espèces ligneuses et aux espèces herbacées vivaces, il est clair
que la température de toutes les saisons et de tous les mois de l'année
peut influer sur elles. Leurs limites géographiques seront donc déterminées
par des causes plus nombreuses.
Enfin lorsqu'il s'agit d'espèces ligneuses, un froid vif arrivant de temps
en temps peut les tuer. Si ce froid survient à des époques éloignées et
qu'il ne détruise pas les souches, les arbres repousseront du pied et se maintiendront
à l'état de buissons, comme les oliviers dans quelques points du
midi de la France. Si le froid agit d'une manière plus fréquente ou plus
intense, l'espèce n'arrivera pas à fleurir; elle sera peut-être atteinte jusqu'à
la racine ; par conséquent, elle sera arrêtée forcément dans son extension
géographique. Si le froid arrive au moment de la pousse des feuilles,
ou de la floraison, ou quand l'arbre est en séve au printemps, ou quand il
est chargé de feuilles et de fruits en automne, l'action d'une température
qui ne sera peut-être pas très basse deviendra nuisible. Si le climat est
humide, le froid sera plus fâcheux, avec un même degré du thermomètre.
Ce sera donc tantôt le froid de l'hiver, tantôt celui du printemps ou celui
de l'automne qui viendront limiter une espèce. L'absence de chaleur dan^
tel ou tel mois, dans telle ou telle saison, l'hiver excepté, sera une cause
non moins efficace d'exclusion. 11 faut en effet, pour chaque arbre, une
certaine température, pendant un certain temps, pour qu'il mette ses
feuilles, qu'il forme de la matière ligneuse, qu'il fleurisse, qu'il fructifie et
qu'il mûrisse convenablement ses graines.
Les plantes herbacées vivaces se trouvent à peu près sous les mêmes
influences que les arbres. Cependant elles sont moins exposées aux froids
de l'hiver, surtout dans les pays du nord où la végétation est tout à fait
suspendue pendant la saison froide et où la neige recouvre ordinairement
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