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 XII  PREFACE,  
 J'étais  loin  de  les  fuir,  comme  quelques  auteurs.  Au  contraire,  elles  
 m'attiraient  et  faisaient  mon  tourment.  Je  n'apercevais  ni  solutions  
 ni  même  des  méthodes  pour  arriver  aux  solutions.  
 Heureusement  les  progrès  de  la  géologie  ont  fait  luire  sur  les  
 sciences  naturelles  un  jour  nouveau.  Ce jour  »commencé  comme  une  
 lumière  faible,  sans  doute,  mais  qui pénètre  partout.  Maintenant  cette  
 lumière  grandit  ;  elle  nous  montre  des  voies  étendues  et  toutes  nouvelles. 
   Nous  pouvons  essayer  de  remonter  dans  la  chaîne  des  temps  
 aux  origines  du  régne  végétal  et  du  règne  animal.  Nous  sommes  
 arrivés  à  la  persuasion  que  les  êtres  organisés  de  notre  époque  ont  
 traversé  des  conditions  diverses  de  climats  et  des  conditions  géographiques  
 antérieures  non  moins  variées.  Ainsi,  lorsque  la  distribution  
 actuelle  des  espèces  paraît  bizarre,  lorsqu'elle  n'est  pas  conforme  
 aux  conditions  modernes  des  climats,  c'est  probablement  parce  que  
 des  circonstances  géologiques  et  physiques  précédentes  ont  influé  sur  
 elles.  Nous  ne  voyons  que  la  suite  d'un  ordre  de  choses  différent,  qui  
 lui-même  se  rattachait  à  des  conditions  antérieures  différentes.  
 A  ce  point  de  vue  nouveau,  la  géographie  botanique  cesse  d'être  
 une  simple  accumulation  de  faits.  Elle  prend  au  contraire  une  belle  
 position  dans  le  centre  des  sciences.  Elle  doit  avoir  pour  but  principal  
 de  montrer  ce  qui^  dans  la  distribution  actuelle  des  végétaux,  
 peut  s'expliquer  par  les  conditions  actuelles  des  climats  et  ce  qui  dépend  
 des  conditions  antérieures.  
 En  lui  assignant  ce  but  élevé,  elle  concourt,  avec  l'histoire  des  
 êtres  organisés  fossiles  (paléontologie)  et  avec  la  géologie  proprement  
 dite,  à  la  recherche  de  l'un  des  plus  grands  problèmes  des  
 sciences  naturelles,  que  dis-je  ?  des  sciences  en  général  et  de  toute  
 philosophie.  Ce  problème  est  celui  de  la  succession  des  êtres  organisés  
 sur  le  globe.  Il  est  assurément  d'un  ordre  très  élevé.  Il  a  pris  
 la place  d'une  question,  également  importante,  qui  occupait  beaucoup  
 dans  les  deux  derniers  siècles,  celle  de  la  formation  des  organes  par  
 développements  successifs  (épigénésie)  ou  par  germes  préexistants.  
 Le  développement  des  règnes  organisés  est  bien  ce  qu'on  devait  
 envisager  après  le  développement  de  chaque  individu.  Ces  deux  
 questions  présentent  même  assez  de  rapports,  quoique  dans  le  fond  
 il  ne  soit  pas  permis  de  conclure  d'une  agglomération  d'organes  continus  
 à  une  association  d'individus  distincts,  constituant  une  espèce  
 ou  un  genre.  Dans  la  question  des  organes,  l'épigénésie  a  triomphé.  
 Il  est  prouvé,  pour  les  deux  règnes,  que  chaque  organe  s'ajoute  aux  
 autres,  sans  avoir  existé  précédemment:  qu'il  se  forme  à  nouveau  
 PREFACE.  XIII  
 par  une  impulsion  ou  force  incompréhensible.  Toute  plante,  par  
 exemple,  qu'elle  doive  être  un  chêne,  un  lis  ou  une  algue,  commence  
 par  être  une  cellule,  laquelle  ne  contient  pas  les  produits  
 ultérieurs,  comme  on  l'avait  supposé  par  un  grand  effort  d'imagination, 
   mais  est  douée  ou  accompagnée  d'une  force  qui  provoque  et  
 dirige  la  formation  des  développements  ultérieurs.  
 Voilcà  le  fait,  ou  plutôt  le  mystère,  en  ce  qui  concerne  les  individus  
 et  leurs  organes.  Maintenant,  de  quelle  manière  les  règnes  
 organisés  se  développent-ils  au  travers  des  siècles?  c'est-à-dire  comment  
 se  succèdent  et  se  forment  leurs  modifications  si  nombreuses  
 qui  périssent  de  temps  en  temps  par  des  causes  physiques  et  géologiques  
 ? Est-ce  par  une  liaison  matérielle  des  êtres  qui  se  succèdent,  
 ou  par  des  créations  de  formes  nouvelles  indépendantes  des  précédentes? 
   Et,  d'abord,  comment  se  sont  succédé  les  formes,  c'est-àdire  
 quelle  a  été  l'histoire  des  deux  règnes  jusqu'à  l'époque  actuelle?  
 Voilà  ce  qu'on  doit  appeler,  à  juste  titre,  la  grande  question  de  l'histoire  
 naturelle  dans  le  xix®  siècle.  
 On  ne  peut  essayer  de  la  résoudre  qu'au  moyen  de  plusieurs  
 sciences,  et  dans  chacune  en  marchant  lentement  du  connu  à  l'inconnu, 
   avec  toute  la  méthode  et  toute  l'exactitude  possibles.  
 A  certains  égards,  la  botanique  fournira  moins  de  renseignements  
 que  la  zoologie  ;  sous  d'autres  rapports,  au  contraire,  elle  donne  des  
 indications  plus  précises.  Ainsi,  pour  les  premières  époques  géologiques, 
   les  fossiles  animaux  sont  plus  nombreux,  plus  variés,  mieux  
 conservés,  et  leur  étude  présente  un  immense  intérêt  ;  mais  pour  
 l'époque  immédiatement  antérieure  à  l'époque  historique,  les  traces  
 de  végétaux  ont  une  signification  plus  réelle.  On  retrouve  dans  les  
 terrains  quaternaires  des  forêts  tenant  au  sol,  et  quand  elles  sont  
 constituées  par  des  espèces  qui  existent  encore  aujourd'hui,  on  peut  
 en  conclure  certaines  conditions  des  climats  et  certaines  communications  
 de  cette  époque  entre  des  terres  maintenant  séparées.  Les  
 ossements  d'animaux  conservés  dans  les  glaces  de  la  Sibérie,  dans  
 des  cavernes,  ou  dans  le  diluvium  des  terrains  supérieurs,  n'ont  pas  
 la  même  signification,  car  ils  peuvent  avoir  été  transportés,  ou  provenir  
 d'animaux  qui  fuyaient  de  grands  désastres.  
 La  fixité  des  végétaux,  comparée  à  la  mobilité  des  animaux,  a  cet  
 autre  avantage  qu'on  peut  arriver  par  eux  à  connaître  plus  exactement  
 l'influence  des  conditions  physiques  sur  les  corps  organisés.  
 Les  plantes  ne  choisissent  pas  leurs  conditions,  elles  les  subissent  ou  
 elles  meurent.  Il  résulte  de  là  que  chaque  espèce  vivant  en  un  cer