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ARTICLE XIL
CAUSES M L'ÉTENDUE RELATIVE DES AIRES.
§ L MARCHE DU RAISONNEMENT POUR PARVENIR AUX CAUSES.
Dans les articles qui précèdent, j'ai considéré les plantes comme groupées,
ou d'après leur organisation, ou d'après leur station, ou enfin d'après
leur existence dans telle ou telle division du globe, et j'ai cherché l'aire
moyenne des espèces dans chacun de ces groupes. Par cette marche, on
arrive à prouver des concordances de faits, non des causes.
Quelques exemples vont faire coinprendre ce que j'entends.
Les plantes aquatiques ont une aire plus vaste que les autres. Voilà un
fait; mais rien ne prouve que la cause en soit dans la nature du milieu ou
dans la structure qu'il nécessite. On a dit souvent c'est le résultat d'une
température moins variable dans l'eau que sur la terre ; erreur, car la température
\'arie moins d'une région équatoriale à une autre région équatorialeque
d'un étang situé en Italie à un étang situé en Suède, et cependant
les espèces terrestres sont presque toutes différentes entre deux régions
équatoriales. Inversement, les conditions physiques sont très différentes
entre la France et la Suède, et cependant les espèces aquatiques, ou même
terrestres, sont en grande partie semblables. L'extension des plantes aquatiques
pourrait tenir à une foule de causes entièrement étrangères à la
nature du milieu : par exemple, au mode de propagation, à des moyens
spéciaux de transport actuels ou anciens, etc. Voilà ce qu'il faut chercher,
et sans traiter maintenant cette question, je dirai, en passant, qu'aucune
des causes de l'époque actuelle n'est la véritable.
Autre exemple.
Les espèces ligneuses ont une aire restreinte. Ce n'est pas sans doute à
cause de la nature de leur tissu, personne ne peut le croire; mais les
plantes ligneuses ont probablement plus de peine à germer et à s'établir au
milieu des autres plantes; elles sont peut-être plus souvent détruites par
les animaux ou par l'homme; elles craignent davantage les extrêmes de
sécheresse et d'humidité ; voilà ce qu'il faut rechercher comme moyens
d'explication, c'est-à-dire comme causes.
Les plantes du littoral de la mer sont souvent communes entre pays
éloignés. Ici la cause paraît évidente, car nous savons que les courants
peuvent porter des graines à de grandes distances. La concordance entre la
station et l'extension s'explique par un fait connu. De même pour les
plantes dont les fruits sont accompagnés de crochets ou d'épines, qui les
font adhérer aux marchandises et aux poils des animaux.
L'aire n'est pas toujours en rapport avec une cause réelle d'extension.
CAUSES DE L'ÉTENDUE RELATIVE DES AIRES. 59 5
Ainsi, les Composées munies d'aigrette n'ont pas, d'après mes recherches
(p. 53/1), une aire moyenne plus grande que les mille espèces de Composées
dépourvues d'aigrettes. En conclurons-nous que l'aigrettë est
inutile au transport? Non, certes; mais l'effet en est peut-être moins
grand qu'on ne le pense, et, dans plusieurs cas, il est balancé par d'autres
causes qui ont empêché les plantes munies d'aigrettes de se propager d'un
pays à l'autre.
Ainsi, en constatant l'aire moyenne des espèces selon leur structure,
leur station ou leur habitation, nous n'avons fait que la moitié de la
recherche. Il faut de plus reconnaître les causes d'extension ou de nonextension
qui peuvent avoir affecté les espèces, et voir celles qui s'appliquent
à chaque cas particulier. On découvrira ainsi qu'il y a des causes d'une
grande énergie et des causes de peu d'influence, des causes botaniques ou
physiologiques tenant aux plantes, et des causes physiques ou géographiques
tenant aux pays; des causes actuelles faciles à connaître, et des causes
inconnues ou mal connues, qui ont cessé d'agir depuis longtemps peut-être!
§ IL INDICATION DES CAUSES D'EXTENSION OU DE NON-EXTENSION DES ESPÈCES.
Les omses actuelles dont nous voyons tous les jours des effets, et dont
j'étudierai la portée d'une manière plus spéciale encore dans le chapitre
prochain, à l'occasion des naturalisations, sont les suivantes :
Certaines plantes sont douées, par l'organisation de leurs fruits ou de
leurs graines, de moyens faciles de transport. Au premier rang, je mettrai
les plantes munies dans leurs organes reproducteurs de matières visqueuses,
de poils crochus, d'épines recourbées ou seulement pointues, qui
favorisent l'adhérence aux corps étrangers. C'est un moyen puissant de dispersion,
surtout depuis que l'homme traverse les mers et transporte au loin
des ballots de coton, de laine, etc. Les petites graines se trouvent souvent
dans le lest, ou avec le chargement des vaisseaux, ou mélangées avec des
graines destinées aux cultivateurs, etc. Les animaux peuvent les conserver
quelque temps dans leur estomac et les semer après un trajet plus ou
moins long. Si ces petites graines sont dures et conservent longtemps leur
faculté de germer, elles peuvent, à la suite de ces transports accidentels,
naturaliser leur espèce à de grandes distances. Le vent s'empare des graines
munies d'aigrettes ou d'ailes. Il les transporte facilement sur terre ferme.
Les spores de cryptogames peuvent s'élever davantage dans les airs, et sont
portées probablement à d'immenses distances, comme certaines poussières.
Enfin, les rivières et les courants transportent beaucoup de graines,
surtout les graines coriaces et assez grosses des légumineuses. S'il y a des
plantes organisées d'une manière favorable au transport; d'autres, au
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