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h l ' I KKI'AIITITION DKS INDIVIDUS DANS L'HAJJITATION DK L'SSPKCK.
ce sont surtout les plantes éparses et peu apparentes dans une localité qui
ont le plus de chance d'y prolonger leur existence. Elles changent un peu
de place, par une loi générale d'alternance ; mais elles sont dans des conditions
moyennes de force et d'exigences qui les conservent dans une proportion
moyenne. Au contraire, les espèces qui abondent et qui excluent
les autres dans certaines localités et à certaines époques, passent à l'autre
extrême et deviennent rares, soit par le changement de quelque cause, soit
par la rotation naturelle, dont le principe n'est pas certain, mais dont les
effets sont évidents. Ainsi, dans une prairie, il s'établit une alternative de
légumineuses et de graminées, selon la remarque de M. Bureau de la
Malle, après trente années d'observations (Ann. sc. nat., V, p. 373-376),
On voit dans beaucoup de prairies des pieds très vieux de Medicago sativa
ou de Medicago falcata, qui sont le reste d'une ancienne culture de Luzerne
ou de Sainfoin. Plus tard, d'autres Légumineuses, plus communes peutêtre,
comme le Trifolium repens, viendront quelquefois subjuguer les
graminées pour un certain laps de temps.
Ceci est plus important lorsqu'il s'agit de plantes forestières. L'essence
des forêts paraît changer à des époques éloignées, d'après quelques observations
curieuses, auxquelles les géologues devraient faire attention aussi
bien que les botanistes. Bureau de la Malle indiquait déjà des faits de
cette nature (Ann. sc. nat., V, p. 362) pour des forêts de la province du
Perche; mais M. Laurent (i!/em. Soc. sc., lettr. et arts de Nancy, 18/|9,
p. 122) vient de réunir des documents plus positifs, plus nombreux. Il dit
que dans le congrès de forestiers allemands tenu à Bade, en 18/|2, on a
cité plusieurs exemples de locahtés où les bois résineux ont cédé la place
à des forêts d'une autre espèce, et réciproquement, des forêts de Chênes ou
de Hêtres à des essences résineuses. Bans la principauté de Sigmaringen,
par exemple, l'Épicéa s'est montré il y a trois cents ans et a fini par supplanter
le Chêne et le Hêtre. Entre Landau et Kaiserslautern, de grandes
forêts de Chênes, de 250 à ZiOO ans, ne se renouvellent que de Hêtres, et
d'autres forêts de Chênes et de Hêtres sont remplacées par des Pins. B'après
les documents recueillis par les forestiers, la forêt deHaguenau, dont une
grande partie est aujourd'hui une futaie de Pins, était toute en Hêtres, il y a
150 à 160 ans. Bans les Vosges, Charlemagne venait chasser l'ours, dit
une vieille chronique, au milieu des belles forêts de Chênes ei de Hêtres
de Gerardmer, et l'on retire aujourd'hui de gros troncs de chênes du fond
du lac de cette localité. Cej.endant, sur la pente voisine de ce lac, on ne
trouve plus que du Hêtre, du Sapin et de l'Épicea, et dans les environs le
Chêne a presque disparu. On n'en connaît plus que deux arbres de très
forte dimension. Il y a dans les Vosges des localités appelées la Grande
CHANGEMENTS QUI S'OPÈHENÏ DANS LA UISTUIBUTION DES INDIVIDUS. ¿73
Charme, où il n'existe plus de Charmes ; d'autres, la Grande Pinasse, où
il n'y a pas un seul Epicéa; de même pour des localités nommées la Châtaigneraie^
la Tremblaie, la Boulaie, souvent elles n'ont plus les espèces
indiquées par les noms. M. Laurent cite des forêts de la Haute-Marne où
le Chêne a cédé la place au Hêtre; celle de Dreux, où le Chêne a été remplacé
par le Hêtre et le Bouleau, qui commencent à céder la place au
Charme.
M. Meugy(Jfem. de VAcad. de Lille^ 1850, p. 106) indique un autre
exemple remarquable. Dans le département du Nord, dit-il, le nom de
Fagne (de Fagus, Fayard, Hêtre), qu'on donne à la forêt de Trelon,
semblerait indiquer qu'à une époque reculée, cette forêt, dont le Chêne est
aujourd'hui l'essence dominante, n'était peuplée que de Hêtres, et cette
opinion est conforme à la tradition du pays, qui rapporte qu'autrefois la
forêt de Trelon était une forêt de Fayards. Dans l'île de Moen, en Danemark,
il est prouvé que, depuis la présence de l'homme, le Hêtre a succédé
au Chêne, et le Chêne au Sapin (a).
Tous ces exemples sont curieux, car ils ne concernent pas les soits-bois,
les bois blancs^ qui succèdent à des espèces plus élevées, à la suite de
coupes, et dont on peut attribuer l'apparition à une lumière plus forte, à
une humidité moindre, etc. Dans les exemples cités, il n'y a eu ni coupe
générale, ni incendie, et il s'agit de bois durs. Ce sont des espèces de haute
futaie qui 'succèdent naturellement, sans cause apparente, les unes aux
autres. Toutes les plantes sociales sont probablenient soumises à cette loi;
seulement elle est plus facile à observer pour des arbres que pour de petites
espèces.
On ne saurait trop recommander aux historiens de constater les faits de
cette nature au moyen de recherches dans les chroniques locales. Si une
alternance naturelle se manifeste après plusieurs siècles pour cert;ûnes
espèces, et sur une étendue un peu considérable dans certains pays, elle
devient une loi géologique. Non-seulement elle explique la disparition
dans le nord-ouest de l'Europe de grandes forêts, dont on ne trouve plus
de traces qu'en fouillant la tourbe; mais encore elle permet de croire à
une substitution de végétation, dans la même localité, pendant une même
époque géologique. Ce phénomène, j'en conviens, ne concerne que les
espèces sociales, c'est-à-dire un petit nombre d'espèces, et dans certaines
localités ou contrées seulement ; mais il est possible qu'à d'autres époques,
les espèces étant moins nombreuses et les conditions d'humidité et de
température moins variées, la majorité des espèces fût composée de
plantes sociales.
(a) Voyez ci-dcssiis, p. 159.
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