» Quand vous l’aurez trempé, caffez-lè 5 confidé-
„ rez ion grain, & voyez s’il eft entièrement acier,
» ou s’il contient encore des parties ferrugineufes.
» Cela fait, reduilez tous les morceaux de fer en
» barre ; foufflez de nouveau ; rechautiez le creufet
» 6c le mélange; augmentez la quantité du mélange,
» 6c raffaîchiffez de cette maniéré ce que les pre-
» miers morceaux n’ont pas bu ; remettez-y ou de
v nouveaux morceaux de fe r , fi vous êtes content
» de la transformation des premiers, ou les mêmes ;
» s’ils vous paroiffent ferrugineux ; 6c continuez com-
» me nous avons dit ci-deilus ».
Voici ce que nous lifons dans Pline fur la maniéré
de convertir le fer en acier : fornacum maxima diffe-
rentia eft ;in iis equidem nucléus ferri excoquitur ad in-
durandam aciem , alioque modo ad denfandas incudes
malleorumque roftra. Il l'embleroit par ce paffage, que
les anciens avoient une maniéré de faire au fourneau
de Y acier avec le fer, 6c de durcir ou tremper
leurs enclumes 6c autres outils. Cette obfervation
eft de M. Lifter, qui ne me paroît pas avoir regardé
l’endroit de Pline affez attentivement. Pline parle
de deux opérations qui n’ont rien de commun, la
trempe 6c l’aciérie. Quant au nucléus ferri, au noyau
de fer, il eft à préfumer que c’eft une maffe. de fer
affiné, qu’ils traitoient comme nous l’avons lû dans
Ariftote , dont la delcription dit quelque chofe de
plus que celle de Pline. Mais toutes les deux font in-
liiffifantes.
Pline ajoûte dans le chapitre fuivant : Ferrum ac-
cenfum igni, nift duretur rectibus, corrumpitur : 6c ailleurs
, aquarum fumma differentia eft quibus immergi-
tur j ce qui rapproche un peu la maniéré de convertir
le fer en acier du tems de Pline, de celle qui étoit
en ufage chez les Grecs, du tems d’Ariftote.
Venons maintenant à celui des modernes, quis’eft
le plus fait de réputation par fes recherches dans cette
matière ; c’eft M. de Reaumur , célébré par un
grand nombre d’ouvrages, ou imprimés iéparément,
ou répandus dans les Mémoires de l’Académie des
Sciences ; mais furtout par celui où il expofe la maniéré
de convertir le fer forgé en acier. Son ouvrage
parut en 1 7 1 1 avec ce titre : Y Art de convertir le
fer forgé en acier, & l'Art d'adoucir le fer fondu, ou de
faire des ouvrages de ferfondu aujjifinis que le fer forgé.
Il eft partagé en différens Mémoires, parce qu’effec-
tivement il avoit été lu à l’Académie lous cette forme
, pendant le cours de trois ans.
M. de Reaumur, après avoir reconnu que l'acier
ne différé du fer forge , qu’en ce qu’il a plus de fou-
fre 6c de fe l, en conclut : i° . que la fonte qui ne
diffère auffi du fer forgé , que par ce même endroit,
peut être de Y acier : 20. que changer le fer forgé en
acier, c’eft lui donner de nouveaux foufres 6c de nouveaux
fels.
Après un grand nombre d’effais, M. de Reaumur
s’ eft déterminé, pour les matières fulphureufes, au
charbon pur 6c a la fuie de cheminée ; 6c pour les
matières lalines, au fel marin feul, le tout mêlé avec
de la cendre pour intermede. 11 faut que ces matières
foient à une certaine dofe entr’elles , 6c la quantité
de leur mélange dans un certain rapport avec la quantité
de fer à convertir ; il faut même avoir égard à fa
qualité.
Si la compofition qui doit changer le fer en acier
eft trop forte ; fi le feu a été trop long , le fer fera
trop acier ; trop de parties fulphureufes 6c falines introduites
entre les métalliques ., les écarteront trop
les unes des autres, 6c en empêcheront la liaifonau
point que le tout ne foûtiendra pas le marteau. M. de
Reaumur a donné d’excellens préceptes pour prévenir
cet inconvénient ; & ceux qu’il preferit pour fai*
re qfage de Y acier, quand par malheur il eft devenu
trop acier par fa méthode, ne font pas moins bons.
Il avoit trop de foufres 6c de fels, il ne s’agit que de
lui en ôter. Pour cet effet il ne faut que l’envelopper
de matières alkalines, avides de foufres 6c de
tels. Celles qui lui ont paru les plus propres, font la
chaux d’os de là craie; ces matières avec certaine
durée de fëu, remettent le mauvais acier, Y acier trop
acier, au point qu’il faut pour être bon. On voit ,
qu’en s’y prenant ainfi , on pourroit ramener Y acier
à être entièrement fe r , 6c l’arrêter dans tel degré
moyen qu’on voudroit. L'art de M. de Reaumur, dit
très-ingenieufement M. de Fontenelle dans l’Hiftoire
de l’Académie, femble fe jouer de ce métal. Voilà pour
le fer forgé converti en acier. Voyeç , quant à l’art
d’adoucir le fer fondu , ou de faire des ouvrages de
fer fondu auffi finis que du fer de forge , les articles Fer & Fonte. Nous rapporterons feulement ici un
de ces faits finguliers que fournit le hafard, mais que
le raifonnement 6c les réflexions mettent à profit :
M. de Reaumur adouciffoit un marteau de porte co-
chere aflez orné ; quand il le retira du fourneau , il
le trouva extrêmement diminué de poids ; & en e f fet
, fes deux groffes branches, de maffivesqu’elles
dévoient ê tre, étoient devenues creufes, en confer-
vant leur forme ; il s’y étoit fait au bas un petit trou
par où s’étoit écoulé le métal qui étoit fondu au-de-
dans, 6c pour ainfi dire, fous une croûte extérieure.
Foye[ les indu&ions fines que M. de Reaumur a
tirées de ce phénomène : tout tourne à profit entre
les mains d’un habile homme ; il s’inftruit par les ac-
cidens , 6c le public s’enrichit par fes fuccès.
Voici une autre defeription de la maniéré de convertir
le fer en acier , tirée de Geoffroy, Mat. med.
tome I.pag. 4Ç)â. « Si le fer eft excellent, on le fond
».dans un fourneau ; & lorfqu’il eft fondu, on y jette
» de tems en tems un mélange fait de parties égales
» de fel de tartre, de fel alkali, de limaille de plomb,
» de raclure de corne de boeuf, remuant de tems en
» tems ; on obtient ainfi une maffe qu’on bat à coups
» de marteau, 6c qu’on met en barre.
» Si le fer ne peut fupporter une nouvelle fufion,'
» on fait une autre opération : on prend des verges de
» fer de la grofl'eur du doigt ; on les place dans un
» vaiffeau de terre fait exprès , alternativement, lit
» fur l i t , avec un mélange fait de parties égales de
» fuie, de poudre de charbon, de râpure de corne de
» boeuf ou de poil de vache. Quand le vaiffeau eft:
» rempli, on le couvre ; on l’enduit exactement de
» lu t, 6c on le place dans un fourneau de reverbere*
» Alors on allume le feu , & on l’augmenté par de-
» gré, jufqu'à ce que le vaiffeau foit ardent ; fept ou
» huit heures après, on retire les verges de fer chan-
» géesen acier, ce que l’on connoît en les rompant..
» S’il y paroît des pailles métalliques brillantes, très-
» petites 6c très-ferrées , c’eft un très-bon acier : fi
» elles font peu ferrées , mais parfemées de grands
» pores, il eft moins bon : quelquefois les paillettes
» qui font à l’extérieur font ferrées, 6c celles qui font
» à l’intérieur ne le font'pas ; ce qui marque que l'a-
» cier n’a pas été fuffifamment calciné. Alors il faut
» remettre lit fur l i t , 6c calciner de nouveau ». Iî
faut fubftituer dans cette defeription le mot de lames,
à celui de paillettes , parce que celui-ci fe prend toû-
jours en mauvaife part, 6c que tout acier pailleux eft
défedueux.
Voilà pour l’artificiel : voici maintenant pour Y a*
cier naturel. Avant que d’entrer dans la delcription
du travail de Yacier naturel, il eft à propos d'avertir
qu?on ne fauroit difeerner à l’oe il, par aucun ligne
extérieur , une mine de f e r , d’avec une mine
d'acier. Elles fe reffemblent toxites, ou pour mieux
dire, elles font toutes fi prodgieufement variées ,
que l’on a pu jufqu’à préfent alfigner aucun caractère
qui foit particulier à l’une ou à l’autre. Ce n’eft
qu’à la première fonte qu’on peut commencer à conjeôürer
; 6c ce n’eft qu’après avoir pouffé un effai à
fon plus grand point de perfection, que l’on s’aflïïre
de la bonté ou de la médiocrité de la,mine.
La nature a tellement deftiné certaines mines, plutôt
que d’autres, à être acier , que dans quelques ma-*
nufaCtures de France, 011 l’on fait de Y acier naturel,
on trouve dans la même fonte un affemblage des
deux mines bien marqué ; elles fe tiennent féparées
dans le même bloc. Il y en a d’autres où Y acier fur-
nage le fer dans la fonte. Cette efpece donne meme
de l'acier excellent 6c à très-bon compte : mais on en
tire peu. Voici un fait arrivé dans une mine d’Alfa-
cë , oc qui prouvera que plus les mines tendent à être
acier, ou acier plus pur, moins elles ont de difpofi-
tions à fe mêler avec celles qui font deftinées à être
fër forgé, ou acier moins pur. Le Mineur ayant trou*
v é un mon qui par fes caraCteres extérieurs lui parut
d’une qualité différente de l’arbre de là mine ; il en
préfenta au Fondeur, qui de fon chef en mit fondre
avec la mine ordinaire ; mais quand il vint à percer
fon fourneau, les deux mines fortirent enfemble,
fans fé mêler ; la meilleure portée par la moins bonne
; d’où il s’enfuit que plus une mine eft voifine de
là qualité de Y acier, plus elle eft légère^
Lorfqu’on a trouvé une mine de fer, & qu^on s’eft
aflïiré par les épreuves, qu’elle eft propre à être convertie
en acier naturel ; la première opération eft de
fondre cette mine. La feule différence qu’il y a dans
cette fonte des aciéries, eft celle des forgés où l’on
travaille le fer; c’eft que dans les forges on coule le
fer en gueufe ( Voye{ F o r g e ) , 6c que dans les aciéries
on le coule en plaques mincès, 6C cela afin de
pouvoir le brifer plus facilement. Chaque pays, 6c
prefque chaque forge & chaque aciérie, a fes conf-
truüions de fourneaux, fes pofitions différentes de
ibufflets, fesfondans particuliers, fes charbons, fes
Lois ; mais ces variétés de manoeuvres ne changent
rien au fond des procédés.
Dans les aciéries de Dalécarlie, on fait rougir la
première fonte; on la forge, 6c on la fond une fécondé
fois. On fait la même chofe à Quvarnbaka :
mais ici on jette fur cette fonte des cendres mêlées
de vitriol 6c d’alun. En Alfa ce 6c ailleurs, on fup-
prime la fécondé fonte. A Saltzbourg où l’on fait
d’excellent acier, on le chauffe jufqu’au rouge blanc ;
on met du fel marin dans de l’eau froide, 6c on l’y
trempe. En Carinthie, en .Stirie, on ne tient pas le
fer rouge, 6c au lieu de fe l, c’eft de l’argile que l’on
détrempe dans l’eau. Ailleurs, on frappe le fer rouge
long-tems avant que de le tremper; enforte que
quand on le plonge dans l’eau, il eft d’un rouge
eteint.
Dans prefque toutes les aciéries, on jette descraf-
fes ou feories fur la fonte, pendant qu’elle eft en fufion
; on a foin de l’en tenir couverte, pour empêcher
qu’elle ne fe brûle. En Suede, c’eft du fable de
rivière. En Carinthie, T irol &: Stirie, on emploie au
même ufage des pierres à frifii pulvérifées. En Stirie,
on ne fond que quarante à cinquante livres pefant
de fer à la fois ; ailleurs, on fond jufqu’à cent .& cent
vingt-cinq livres à la fois. Ici l’orifice de la tuyere eft
en demi-cercle; ailleurs il eft o val. On regarde dans
un endroit la chaux comme un mauvais fondant ; ce
fondant réuffit bien en Alface. Les fontes de Saltzbourg
font épaiffes dans la fufion; dans d’autres endroits
on ne peut les avoir trop limpides & trop coulantes.
L à , on agite la fonte, 6c on fait bien ; ici.,
on fait bien de la laiffer tranquille. Quelques-uns ne
veulent couler que fur des lits de fable de riviere fin
6c pur, 6c ils prétendent que Y acier en vaudra mieux ;
en A lface, on fe contente d’un fable tiré delà terre,
6c l'acier n’en vaut peut-être pas moins.
Il faut attribuer toutes ces différences prefqu’autant
au préjugé & à l’entêtement des ouvriers, qu’à
la nature des mines.
Après avoir inftruit le lefteùr de toutes ces petites
différences, qui s’obfervent dans la fonte de l’acier
naturel, afin qu’ilpuiffe les effayer toutes, 6c s’en
tenir à ce qui lui paroîtra le mieux, relativement à
la nature de la mine qu’il aura à employer ; nous
allons reprendre ce travail, tel qu’il fe fait à Dam-
bach à fept lieues de Strasbourg, 6c le fuivre jufqu’à
la fin. .
A mi-côté d’une des montagnes de Volges, On ou*
vrit une mine de fer qui avoit- tous , les caraéteres
d’une mine abondante & riche. EUerendoit en 1737
par la fufion cinquante fur cent ; les filons en étoient
larges de quatre a cinq pies, 6c on leur trouvoit jufqu’à
vingt à trente toifes de profondeur. Ils cou-
roient dans des cntre*deux de rochers extrêmement
écartés ; ils jettoient de tous côtés des branches auffi
groffes que le tronc, 6c que l’on fuivoit par des.ga-
leries. La mine étoit couleur d’ardoife , cômpolée
d’un grain ferrugineux très-fin ; enveloppée d’une
terre graffe, qui, diffoute dans l’eau, prenoit.une
affez belle couleur.d’un brun violet. Quoiqu’on,la
pulvérisât, la pierre d’aimant né paroiffoit point y
faire la moindre impreffion ; l’aiguille aimantée n’en
reffentoit point non plus à fon approché : mais lorf*
qu’on l’avoir fait rôtir, 6c qu’on avoit dépouillé la
terre graffe de fon humidité vifqueufe, l’aimant com-
mençoit à s’y attacher.
Il eft étonnant que les corps les plus compaûs,
comme l’or 6c l’argent, mis entre le fer 6c l’aimant,
n’arrêtent en aucune façon l’afrion magnétique , 6c
qu’elle foit fufpendue par la feule terre graffe qui
enveloppe la mine.
On tiroit cette mine en la caffarit avec des. coins,
comme on fend les rochers, 6c on la voituroit dans
un fourneau à fondre. Là on la eouloit fur un lit de
fable fin, qui lui donnoit la forme d’une planche de
cinq à fix piés de long fur un pié ou un pié 6c demi
de largeur, 6c deux ou trois doigts d’épaiffeur. Long-
tems avant que de couler j on remuoit fouvent avec
des ringards, afin de mêler les deux efpeces de mines
qui feroient reftées féparées, même en fufion,
fans cette précaution. 11 eût été peut-être mieux de
ne les point mêler du tou t, & de ne faire couler que
la partie fupérieure, quicontenoit l'acier le plus pur.
C ’eft aux entrepreneurs à ■ le. tenter.
Après cette tonte, qui eft la même que celle du
fer, 6c qu’on verra à l ’art. Fo r g e , dans le dernier
détail ; On tranfportoit les planches de fonte ou les
gâteaux, dans une autre uffne, qu’on appelle proprement
aciérie. C ’eft là que la fonte recevoit fa première
qualité d'acier.
Pour parvenir à cette opération, on caffoit les
plaques , ou gueufes froides, en morceaux de vingt-
cinq à trente livres pefant ; on faifoit rougir quelques
uns de ces morceaux, 6c on les portoit fous le
marteau qui les divifoit en fragmens de la groffeur du
poing. On pofoit ces derniers morceaux fur le bord
d’un creufet qu’on rempliffoit de charbon de hêtre :
lorfque le feu étoit v i f , on y j ettoit ces fragmens les
uns après 'les autres, comme fi on e.ût voulu les
fondre.
C ’eft ici une des opérations les plus délicates de
l’art. Le degré de feu doit être ménagé de façon que
ces morceaux de fonte fe tiennent fimplement mous
pendant un tems très-notable. On a foin alors de les
raffembler au milieu du foyer avec des ringards ,
afinqu’en fe touchant, iis fe prennent & foudent les
uns aux autres.
Pendant ce tems les matières-étrangères fe fondent,
& on leur procure l ’écoulement par un trou
fait au bas du creufet. Pour les morceaux réunis 6c
foudés les uns aux autres, on en formé une maife