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rare , & communément le froid a befoin d’être aide
pour nuire beaucoup. L’eau & toute liqueur aqueu-
fe fe raréfie, en fe gelant ; s’il y en a qui foit contenue
dans les pores intérieurs de l’arbre, elle s’étendra
donc par un certain degré de froid , & mettra
iiéceffairement les petites parties les plus délicates
dans une diftenfion forcée & très-confiderable ; car
on fait que la force de l’extenfion de l’eau qui fe
gele eftprefqueprodigieufe ; que le foleil furvienne,
u fondra brufquement tous ces petits glaçons, qui
reprendront leur volume naturel : mais les parties
de Y arbre qu’ils avoient diftendues violemment pourront
ne pas reprendre de même leur première ex-
tenfion ; & fi elle leur étoit néceffaire pour les fonctions
qu’elles doivent exercer, tout l’intérieur de
Y arbre étant altéré, la végétation fera troublée ou
même détruite, du moins en quelque partie. Il au-
roit fallu que Y arbre eût été dégelé doucement & par
degrés, comme on dégele des parties gelees d’animaux
vivans. Ce fyftème eft très-applicable à l ’effet
du grand froid de 1709, dont nous avons parlé plus
Haut.
Les plantes réfineufes feront moins fujettes à la
gelée, ou en feront moins endommagées que les autres.
L’huile ne s’étend pas par le froid comme l’eau;
au contraire , elle fe refferre.
Un grand froid agit par lui-même fur les arbres
qui contiendront le moins de ces petits glaçons intérieurs,
ou qui n’en contiendront point du tout ,
fi l’on veut ; fur les arbres les plus expofes au foleil
&c fur les parties les plus fortes , comme le tronc.
On voit par-là quelles font les circonftances dont un
froid médiocre a befoin pour être nuifible : il y en a
fur-tout deux fort à craindre; l’une, que les arbres
ayent été imbibés d’eau ou d’humidite quand le froid
eft venu, & qu’enfuite le dégel foit brufque ; 1 autre
, que cela arrive dans un tems oii les parties les
plus tendres & les plus précieufes de 1 arbre , les remettons
, les bourgeons, les fruits commencent à fe
former. _
L’hyver de 1709 raffembla les circonftances les
plus facheufes ; aufîi eft-on bien fur qu’un pareil hy-
ver ne peut être que rare. Le froid fut par lui-meme
fort vif: mais la combinaifon des gelées & des degels
fut fingulierement funefte ; après de grandes pluies,
& immédiatement après, vint une gelee très-forte
dès fon premier commencement ; enfuite un degel
4 ’un jour ou deux, très-fubit & très-court ; & auffi-
tot une fécondé gelée longue & forte. ?
MM. de Buffon & Duhamel ont vû beaucoup d'arbres
qui fe fentoient de l’hyver de 1709, & qui en
avoient contra&é des maladies ou des défauts fans
remede. Un des plus remarquables eft ce qu’ils ont
appellé U faux aubier : on voit fous l’écorce de Y arbrele
véritable aubier, enfuite une couche de bois
parfait qui ne s’étend pas comme elle devrait jusqu’au
centre du tronc, en devenant toujours plus
parfaite, mais qui eft fuivie par une nouvelle couche
de bois imparfait ou de faux aubier ; apres quoi revient
le bois parfait qui va jufqu’au centre. On eft
fur par les indices de l’âge de Y arbre & de leurs différentes
couches, que le Faux aubier eft de 1709. ^e
qui cette année-là étoit le véritable aubier ne put fe
convertir en bon bois, parce qu’il fut trop altère par
l’excès du froid ; la végétation ordinaire fut comme
arrêtée-là : mais elle reprit fon cours dans les années
fuivantes , & paffa par-deffus ce mauvais pas ; de
forte que le nouvel aubier qui environna ce faux aubier
fe convertit en bois de fon tems, & qu’il refta
â la circonférence du tronc celui quidevoit toujours
y être naturellement.
Le faux aubier eft donc un bois plus mal conditionné
& plus imparfait que l’aubier ; c’eft ce que la différence
de pefanteur & la facilité à rompre ont en effet
prouvé. Un arbre qui auroit un faux aubier feroit fort
défeftueux pour les grands ouvrages, & d’autant plus
que ce v ice eft plus caché, & qu’on s’avife moins de
le foupçonner.
Les gelées comme celle de 1709, & qui font proprement
des gelées d’hy v e r , ont rarement les con-?
ditions néceflaires pour faire tant de ravages, ou
des ravages fi marqués en grand : mais les gelées du
printems, moins fortes en elles-mêmes, (ont affez
fréquentes, & affez fouvent en état, par les circonf-
tances , de faire beaucoup de mal. La théorie qui
précédé en rend raifon : mais elle fournit en même
tems dans la pratique de l’agriculture des réglés pour
y obvier, dont nous nous contenterons d’apporter
quelques exemples.
Puifqu’il eft fi dangereux que les plantes foient attaquées
par une gelée du printems, lorsqu’elles font
fort remplies d’humidité , il faut avoir attention ,
fur-tout pour les plantes délicates & précieufes, telles
que la vigne, à ne les pas mettre dans un terrein
naturellement humide, comme un fond, ni à l’abri
d’un vent de nord qui auroit diflipé leur humidité ,
ni dans le voifinage d’autres plantes qui leur en au-
roient fourni de nouvelles par leur tranfpiration, ou
des terres labourées nouvellement, qui feroient le
même effet.
Les grands arbres mêmes, dès qu’ils font tendres
à la gelée, comme les chênes, doivent être compris
dans cette réglé : mais voyez dans le Mémoire même
de MM. Duhamel & Buffon, année 1737, le détail
des avantages qu’on peut retirer de leurs obfer-
vations, & concluez avec l’hiftorien de l’Académie ,
i° . que fi la néceffité des expériences pou voit être
douteufe, rien ne la prouverait mieux que les grands
effets que de petites attentions peuvent avoir dans
l’agriculture & dans le jardinage. On apperçoit à
chaque moment des différences très-fenfibles, dans
des cas oh il ne paroît pas qu’il dût s’en trouver aucune
; d’oh naiffent-elles ? de quelques principes qui
échappent par leur peu d’importance apparente :
20. que fi l’agriculture qui occupe la plus grande
partie des hommes pendant toute leur v ie , & pour
leurs befoins les plus effenriels*, n’a pourtant fait que
des progrès fort lents, c’eft que ceux qüi exercent
par état cet art important, n’ont prefque jamais un
certain efprit d,e recherche & de curiofité ; ou que
quand ils l’ont, le loifir leur manque ; ou que fi le
loifir ne leur manque pas, ils ne font pas en état de
rien hafarder pour des épreuves. Ces gens ne voyent
donc que ce qu’ils font forcés de v o ir , & n’apprennent
que ce qu’ils ne peuvent, pour ainfi dire, évi-.
ter d’apprendre. Les Académies modernes ont enfin
fenti combien il étoit utile de tourner fes vûes d’un
côté fi intéreffant, quoique peut-être dépourvû d’un
certain éclat : mais tout prend de l’étendue, de l’é-
levation & de la dignité dans certaines mains ; le ça-
rafrere de l’efprit de l’homme paffe néceffairement
dans la maniéré dont il exécute fa tâche, & dans la
maniéré dont il l’expofe. Il eft des gens qui né favent
dire que de petites chofes fur de grands fujets ; il en
eft d’autres à qui les plus petits fujets en fuggerent
de grandes.
10. Des arbres dépouillés de leur écorce dans toute
leur tige, & laiffés fur pié en cet état jufqu’à ce qu’ils
meurent ; ce qui ne va qu’à trois ou quatre ans au
plus, fourniffent un bois plus pefant, plus ferré, &
plus uniformément ferré quê ne feroient d’autres
arbres de même efpece, de même âge, de meme grof-
feur, femblables en tout, mais qui n’auroient pas
été dépouillés de leur écorce, & qui n’auroient pas
été traités de même : outre cela ils fourniffent plus
de bois bon à employer ; car des autres arbres il en
faut retrancher l ’aubier, qui eft trop tendre & trop
différent du coeur ; au fieu que dans ceux-ci tout eft
coêuï ; ou leur aubier, ou ce qui en tient la placé >
eft aufli dur ou même plus dur que le coetir des autres.
On trouvera dans les remarques précédentes
dequoi expliquer ce phénomène ; on n’a qu’à voit
comment l’aubier devient bois parfait à la lortguè,
&c l’on verra comment il doit fe durcir tout en fe
formant, quand Y arbre eft fans écorce.
La différence de poids entre deux morceaux de
chêne, qui ne different que de ce que l’un vient d’un
arbre écorcé, & que l’autre vient d’un arbre non écor-
cé ; & par conféqûent la différence de folidité eft d’un
cinquième, ce 'qui n’eft pas peu confidérable.
Malgré cet avantage de l’écorcement des arbres,
les ordonnances le défendent féverement dans le
royaume ; & les deux Académiciens, à qui nous
avons obligation de ces expériences utiles, ont eu
befoin de permiflion pour ofer les faire. Cette maniéré
de confolider les bois n’étoit entièrement inconnue
ni aux anciens ni aux modernes : Vitruve
aVoit dit que les arbres entaillés par le pié en acquéraient
plus de qualité pour les bâtimens ; & un
àiiteur moderne Anglois, cité par M. Buffon, avoit
rapporté cette pratique comme ufitée dans une province
d’Angleterre.
Le tan néceffaire pour les cuirs fe fait avec l’écorce
de chêne ; & on l’enlevoit dans le tems de la feve,
parce qu’alors elle étoit plus aifée à enlever, & que
l’opération coûtoit moins : mais ces arbres écorcés
ayant été abattus leurs fouches repouffoient moins,
parce que les racines s’étoient trop épuifées de fucs.
On croyoit d’ailleurs que ces fouches ne repouf-
foient plus du collet, comme il le faut pour faire
de nouveau bois ; ce qui n’eft vrai que des vieux
arbres, ainfi que M. Buffon s’en eft afîuré.
Un arbre écorcé produit encore au moins pendant
une année des feuilles * des bourgeons, des fleurs,
& des fruits; par conféqûent il eft monté des racines
dans tout fon bois, & dans celui-même qui étoit
le mieux formé, une quantité de fève fuffifante pour
‘ces nouvelles produirions. La feule févè propre à
nourrir le bois, a formé aufli tout le refte : donc il
n’eft pas v ra i, comme qUelques-uns le croyent, que
la fève de l’écorcê, celle de l’aubiér, & celle du
bois, nourriffent & forment chacune une certaine
partie à l’exclüfxon des autres.
Pour comparer la tranfpiration des arbres écorcés
& non écorcés, M. Duhamel fit paffer dans de gros
tuyaux de verre des tiges de jeunes arbres, toutes
femblables ; il les maftiqua bien haut & bas, & il ob-
ferva que pendant le cours d’une journée d’été tous
les tuyaux fe rempliffoient d’une efpece dé vapeur,
de brouillard, qui fe condenfoit le foir èn liqueur,
& couloit en- bas ; c’étoit - là fans doute la matière
de la tranfpiration ; elle étoit fenfiblement plus abondante
dans les arbres écorcés : de plus on voyoit for-
tir des pores de leur bois une fève épaiflè & comme
gommeufe.
De-là M. Duhamel conclut que l’écorce empêche
l’excès de la^tranfpiration, & la réduit à n’être que
telle qu’il le faut pour la végétation de la plante ; que
puifqu’il s’échappe beaucoup plus de lues des arbres
écorcés, leurs couches extérieures doivent fe deffé-
cher plus aifément & plus promptement ; que ce def-
féchement doit gagner les couches inférieures, &c.
Ce raifonnement de M. Duhamel explique peut-être
le durciffement prompt des couches extérieures : mais
il ne s’accorde pas, ce me femble, aufli facilement
avec l’accroiffement de poids qui furvient dans le bois
des arbres écorcés.
Si l’écorcement d’un arbre continue à le faire mourir,
M. Duhamel conjefture que quelque enduit pourrait
lui prolonger la vie , fans qu’il prît un nouvel
accroiffement : mais il ne pourrait vivre fans s’accroître
, qu’il ne devînt plus dujr & plus çompaft ; U
Tome I.
pat cônféquent plus propre encore aux ufagès qu’on
en pourrait tirer : la conjeéhire de M. Duhamel mérite
donc beaucoup d’attentron.
Mais nous ne finirons point cet article fans faire
mention de quelques autres vûes de l’habile académicien
que nous venons de citer, & qui foiit entie-
tierement de notre fujet.
La maniéré de multiplier les arbres par bouture &
par marcotte, eft extrêmement ancienne 6c connue
de tous ceux qui fe font mêlés d’agriculture. Une
branche piquée en terre devient un arbre de la même
efpece que Y arbre dont elle a été féparée. Cette maniéré
de multiplier les arbres eft beaucoup plus prompte
que la voie de femence ; & d’ailleurs elle eft unique
pour les arbres étrangers tranfportés dans ce pays-ci,
& qui n’y produifent point de graine. C ’eft aufli ce
qui a engagé M. Duhamel à examiner cette méthode
avec plus de foin.
Faire des marcottes ou des boutures, c’eft faire en-
forte qu’une branche qui n’a point de racines s’en gar-
niffe ; avec cette différence que fi la branche eft féparée
de Y arbre qui l’a produite, c’eft une bouture ; ôc
que fi elle y tient pendant le cours de l’opération ,
c’eft une marcotte, Bo uture# Ma r c o t t e .
Il étoit donc néceffaire d’examiner avec attention
comment fe faifoit le développement des racines, fi
On vouloit parvenir à le faciliter.
Sans vouloir établir dans les arbres une circulation
de fève analogue à la circulation du fang qui fe fait
dans le corps animal, M. Duhamel admet une fève
montante qui fert à nourrir les brancheis, les feuilles
& les bourgeons; 6c une defeendante qui fe porte
vers les racines. L’exiftence de ces deux efpeces de
fève eft démontrée par plufieurs expériences : celle-
ci fur-tout la prouve avec la derniere évidence. Si
on interrompt par un anneau circulaire enlevé à l’écorce,
ou par une forte ligature le cours de la fève,
il fe forme aux extrémités de l ’écorce coupée deux
bourrelets : mais le pliis haut, celui qui eft au-bas de
l’écorce fupérieur, eft beaucoup plus fort que l’inférieur
, que celui qui couronne la partie la plus baffe
de l’écorce. La même chofe arrive à l’infertion des
greffes ; il s’y forme de même une groffeur ; 6c fi cette
groffeur eft à portée de la terre, elle ne manque pas
de pouffer des racines t alors fi le fujet eft plus foible
que Y arbre qu’on a greffé deffus, il périt, & la greffe
devient une véritable bouture.
L’analogie de ces bourrelets êc de ces groffeurs
dont nous venons de parler, a conduit M. Duhamel
à penfer que ceux-ci pourraient de même donner des
racines ; il les a enveloppés de terre ou de moufle
humeûée d’eau, & il a vû qu’en effet ils en produi-
foient en abondance. «
Voilà donc déjà un moyen d’affûrer le fuccès des
boutures. Ordinairement elles ne périffent que parc©
qu’il faut qu’elles vivent de la fève qu’elles contiennent
, & de ce qu’elles peuvent tirer de l’air par leurs
bourgeons, julqu’à ce qu’elles ayent formé des racines
par le moyen que nous venons d’indicpier. En
faifant fur la branche, encore attachée à Y arbre, la
plus grande partie de ce qui fe pafferoit en terre, on
les préfervera de la pourriture & du defféchement,,
qui font ce qu’elles ont le plus à craindre.
M. Duhamel ne s’eft pas contenté de cette expérience
, il a voulu connoître la caufe qui faifoit def-
cendre la fève en fi grande abondance. On pouvoit
foupçonner que c’étoit la pefanteur. Pour s’en éclaircir,
après avoir fait des entailles & des ligatures à des branches, il les a pliées de façon qu’èlles euffent
la tête en-bas : cette fituation n’a point troublé l’opération
de la nature, & les. bourrelets fe font formés
, comme fi la branche eût été dans fa fituation
naturelle. Mais voici quelque chofe de plus furpre-
nant, M, Duhamel a planté des arbres dans une fitua