«n état de prouver, que toutes les explications qu’ on
peut donner de ces effets, par le moyen des lois connues
de I’impulfion, font chimériques & contraires
aux principes de la méchanique la plus fimple. Rien
n’eft donc plus fage & plus conforme à la vraie Philofophie
, que de fufpendre notre jugement fur. la nature
de la force qui produit ces effets. Par-tout oit il
y a un effet, nous pouvons conclure qu’il y a une
çaufe, foit que nous la voyions ou que nous ne la
voyions pas. Mais quand la caufe eft inconnue, nous
pouvons confidérer Amplement l’effet, fans avoir
égard à la caufe ; & c’eft même à quoi il femble
qu’un philofophe doit fe borner en pareil cas : car
d’un côté, ce. feroit laiffer un grand vuide dans l’hif-
toire de la nature, que de nous difpenfer d’examiner
un grand nombre de phénomènes lous prétexte que
nous en ignorons la caufe; & de l’autre, ce feroit
nous expofer à faire un roman, que de vouloir rai-
fonner fur des caufes qui nous font inconnues. Les
phénomènes de Y attraction font donc la matière des
recherches phyfiques ; & en cette qualité ils doivent
faire partie d’un lyftème de Phyfique : mais la caufe
de ces phénomènes n’eft du reffort du phyficien,que
quand elle eft fenfible, c’eft-à-dire quand elle pa-
roît elle-même être l’effet de quelque caufe plus relevée
( car la caufe immédiate d’un effet ne paroît
elle-même qu’un effet, la première caufe étant invi-
fible). Ainfi nous pouvons fuppofer autant de caufes
<Yattraction qu’il nous plaira, fans que cela puiffe nuire
aux effets. L’illuftre Newton femble même être indécis
fur la nature de ces caufes : car il paroît quelquefois
regarder la gravité , comme l’effet a*une
caufe immatérielle (Qptiq. page 343, 6*c.) ; & quelquefois
il paroît la regarder comme l’effet d’une caufe
matérielle. Ibid, page 3 26.
Dans la philofophie Newtonienne, la recherche
de la caufe eft le dernier objet qu’on a en vue ; jamais
on ne penfe à la trouver que quand les lpis de
l’effet & les phénomènes font bien établis, parce que
c’eft par les effets feuls qu’on peut remonter jufqu’à
la caufe: les avions mêmes les plus palpables & les
plus fenfibles n’ont point une caufe entièrement connue
: les plus profonds philofophes ne fauroient concevoir
comment l’impulfion produit le mouvement,
c’eft-à-dire comment le mouvement d’un corps paffe
dans un autre par le choc : cependant la communication
du mouvement par l’impulfion eft un principe
admis, non-feulement en Philofophie, mais encore
en Mathématique ; & même une grande partie de la
Méchanique élémentaire a pour objet les lois & les
effets de cette communication. Foyeç Pe r c u s s io n
& C o m m u n ic a t io n de mouvement.
Concluons donc que quand les phénomènes font
fuffifamment établis, les autres efpeces d’effets, où
on ne remarque point d’impulfion, ont le même droit
de paffer de la Phyfique dans les Mathématiques, fans
qu’on s’embarraffe d’en approfondir les caufes qui
font peut-être au-deffus de notre portée : il eft permis
de les regarder comme caufes occultes (car toutes
les caufes le font, à parler exactement), & de s’en tenir
aux effets, qui font la feule chofe immédiatement
à notre portée.
Newton a donc éloigné avec raifon de fa philofophie
cette difculîion étrangère & métaphyfique ; &
malgré tous les reproches qu’on a cherché à lui faire
là-deffus, il a la gloire d’avoir découvert dans la méchanique
, un nouveau principe, qui étant bien ap-
.profondi, doit être infiniment plus étendu que ceux
de la méchanique ordinaire : c’eft de ce principe feulement
que nous pouvons attendre l’explication d’un
grand nombre de changemens qui arrivent dans les
corps, comme productions, générations, corruptions
, &c. en un mot, de toutes les opérations fur-
prenantes de la Chimie, Foye^ G é n é r a t i o n ,
C o r r u p t i o n , O p é r a t ion , C h i m i e , &c;
Qelques philofophes anglois ont approfondi les
principes de Yattraction. M. K eil en particulier a tâché
de déterminer quelques-unes des lois de cette
nouvelle caufe, & d’expliquer par ce moyen plu-
fieurs phénomènes généraux de la nature, comme la
cohéfion, la fluidité, l’élafticité, la fermentation, la
molleffe, la coagulation. M. Friend, marchant fur fes
traces, a encore fait une application plus étendue de
ces mêmes principes aux phénomènes de la Chimie.
Aufli quelques philofophes ont été tentés de regarder
cette nouvelle méchanique comme une fcience complété
, & de penfer qu’il n’y a prefqu’aucun effet phyfique
dont la force attractive ne fourniffe une explication
immédiate.
Cependant en tirant cette conféquence, il y auroit
lieu de craindre qu’on ne fe hâtât un peu trop : un
principe fi fécond a befoin d’être examiné encore
plus à fond ; & il femble qu’avant d’en faire l’appli-
tion générale à tous les phénomènes, il faudroit examiner
plus exactement fes lois & fes limites. Uattrac-
don en général eft un principe fi complexe, qu’on peut
par fon moyen expliquer une infinité de phénomènes
différens les uns des autres : mais jufqu’à ce que nous
.en connoilfions mieux les propriétés, il feroit peut-
être bon de l’appliquer à moins d’effets, & de l’approfondir
davantage. Il fe peut faire que toutes les
attractions ne fe reffemblent pas, & que quelques-unes
dépendent de certaines caufes particulières, dont
nous n’avons pu former jufqu’à préfent aucune
idée, parce que nous n’avons pas allez d’obfervations
exaCtes, ou parce que les phénomènes font fi peu fenfibles
qu’ils échappent à nos fens. Ceux qui viendront
après nous, découvriront peut-être ces diverfes fortes
de phénomènes : c’eft pourquoi nous devons rencontrer
un grand nombre de phénomènes qu’il nous
eft impolîible de bien expliquer, ou de démontrer
avant que ces caufes ayent été découvertes. Quant
au mot & attraction, ôn peut fe fervir de ce terme jufqu’à
ce que la caufe foit mieux connue.
Pour donner un effai du principe d’attraction, &
de la maniéré dont quelques philofophes l’ont appliqué
, nous joindrons ici les principales lois qui ont
été données par M. Newton, M. K e il, M. Friend, &c.
T hÉor. I. Outre la force attractive qui retient les
planètes &. les cometes dans leurs orbites, il y en a une autre par laquelle les différentes parties dont les
corps font compofés,s’attirent mutuellement les unes
les autres ; & cette force décroît plus qu’en raifon
inverfe du quarré de la diftance.
Ce théorème, comme nous l’avons déjà remarqué,
peut fe démontrer par un grand nombre de phénomènes.
Nous ne rappellerons ici que lés plus Amples &
les plus communs : par exemple, la figure fphérique
que les gouttes d’eau prennent, ne peut provenir que
d’une pareille force: c’eft par la même raifon que
deux boules de mercure s’unifient & s’incorporent
en une feule dès qu’elles viennent à fe toucher, ou
qu’elles font fort près l’une de l’autre : c’eft encore
en vertu de cette force que l’eau s’élève dans les
tuyaux capillaires, &c.
A l’égard de la loi précife de cette attraction, on
ne l’a point encore déterminée : tout ce que l’on fait
certainement, c’eft qu’en s’éloignant du point de
conta#, elle décroît plus que dans la raifon inverfe
du quarré de la diftance, Sc que par conféquent elle
fuit une autre loi que la gravité. En effet, fi cette
force fuivoit la loi de la raifon inverfe du quarré de
la diftance, elle ne feroit guere plus grande au point
de conta# que fort proche de ce point ; car M. Newton
a démontré dans fes Principes mathématiques, que
fi Y attraction d’un corps eft en raifon inverfe du quarré
de la diftance, cette attraction eft finie au point de
conta# f & qu’ainfi elle n’eft guere plus grande au
point dë conta#, qu’à une petite diftance dè ce
point; au contraire, lorfque \'attraction décroît plus
qu’en raifon inverfe du quarré de la diftance ; par
exemple en raifon inverfe du cube, Ou d’une autre
puiffance plus grande que le quarré ; alors, félon les
démonftrations de M, Newton, l 'attraction eft infinie
au point de conta#, & finie à une très-petite diftance
de ce point. Ainfi l'attraction au point de conta# eft
beaucoup plus grande, qu’elle n’eft à une très-petite
diftance de ce même point. Or il eft certain par toutes
les expériences, que l’attraction qui eft très-grande
au point de conta#, devient prefque infenfible à
Une très-petite diftance de ce point* D ’où il s’enfuit
que Y attraction dont il s’agit, décroît en raifon inverfe
d ’une puiffance plus grande que le quarré de
la diftance : mais l’expérience ne nous a point encore
appris , fi la diminution de cette force fuit la
raifon inverfe du cube, ou d’une autre puiffance plus
élevée.
11. La quantité de Y attraction dans tous les corps
très-petits, eft proportionnelle, toutes chofes d’ailleurs
égales, à la quantité de matière du corps attirant
t parce qu’elle eft en effet, ou du moins à très-
peu près, la fomme ou le réfultat des attractions de
toutes, les parties dont le corps eft compofé ; o u , ce
qui revient au même, Y attraction dans tous les corps
fort petits, eft comme leurs folidités, toutes chofes
d’ailleurs égales.
Donc i°. à diftances égales, les attractions de deux
corps tres-petits feront comme leurs maffes, quelque
différence qu’il y ait d’ailleurs entre leur figure & leur
volume.
i°* A quelque diftance que ce fôit, Y attraction d’un
corps très-petit eft comme fa malle divifée par le
quarré de la diftance.
II faut obferver que cette loi prife rigoureufement;
n’a lien qu’à l’égard des atomes, où des plus petites
parties compofantes des corps, que quelques-uns appellent^
particules de la derniere comportions & non pas
à l’égard des corpufcules faits de ces atomes.
Car lorfqu’uii corps eft d’une grandeur finie, Y attraction
qu’il exerce fur un point placé à une certaine
diftance, n’eft autre chofe que le réfultat des attractions
, que toutes les parties dü corps attirant exercent
fur ce point, & qui en fe combinant toutes en-
femblè, produifent fur ce point une force ou une
tendance unique dans une certaine dire#ion. Or
comme toutes les particules dont le corps attirant
eft compofé, font différemment fituées par rapport
au point qu’elles attirent ; toutes les forces que ces
particules exercent, ont chacune une valeur & une
direâion différente ; & ce n’eft que par le calcul qu’on
peut favoir fi la force unique qui en rélulte eft
comme la malle totale du corps attirant divifée par
le quarré de la diftance. Aufli cette propriété n’a-t-
elle lieu que dans un très-petit nombre de corps ; par
exemple dans les fpheres, de quelque grandeur qu’elles
puiffent être. M. Newton a démontré que Y attraction
qu’elles exercent fur un point placé à une
diftance quelconque, eft la même que fi toute la matière
étoit concentrée & réunie au centre de la fphe-
re ; d’où il s’enfuit que Y attraction d’une fphere eft en
général comme fa malle divifée par le quarré de la
diftance qu’il y a du point attiré au centre de la fphere.
Lorfque le corps attirant eft fort petit, toutes fes
parties font cenfées être à la même diftance du point
attiré, & font cenfées agir à peu près dans le même
fens : c’eft pour cela que dans les petits corps Yattraction
tfi cenfée proportionnelle à la mafle divifée
par le quarré de la diftance*
. Au refte c’eft toujours à la mafle, & non à la grof-
fèur ou.au volume, que Y attraction eft proportionnelle;
car Y attraction totale eft la fomme des attractions
particulières des atomes dont un corps eft çom-
Tome 1.
pufé. Or ces atomes peuvent être tellement unis en-
femblé, que les corpufcules les plus folides, forment
les particules les plus legeres ; c’eft-à-dire que leurs
furfaces n’etant point propres pour fe toucher intimement,
elles feront féparées par de fi grands interf-
tices, que la groffeur ne fera point proportionnelle
à la quantité de matière.
111. Si un .corps eft compofé de particules, dont
chacune ait une force attractive décroiffante en rai-
fon triplée ou plus que triplée des diftances, la forcé
ayec laquelle une particule de matière fera attirée
par ce corps au point de conta#, fera infiniment plus
grande * que fi cette particule étoit placée à une diftance
donnée du corps. M. Newton a démontré cette
propofition dans fes principes, comme nous l’avons
déjà remarqué. Voye{ Princ. math. fect. xiij. liv. /.
propojidon première.
IV* Dans la même fuppofition , fi la force dttroc~
rive qui agit à une diftance aflîgnable, a un rapport
fini avec la gravité, la force attractive au point de
conta#, ou infiniment près de ce point, fera infiniment
plus grande que la force de la gravité.
V. Mais fi dans le point de conta# la force attrac~
tive a urt rapport fini à la gravité, la force à une d istance
aflîgnable fera infiniment moindre que la force
de la gravité, & par conféquent fera nulle.
VL La force attractive de chaque particule de matière
au point de conta#, furpaffe prefque infiniment
la force de la gravité, mais cependant n’eft pas
infiniment plus grande. De ce théorème & du précédent
, il s’enfuit que la force attractive qui agit à une
diftance donnée quelconque, fera prefque égale à
zéro.
Par conféquent cettë force attractive des corps ter-
reftres ne s’étend que dans un elpace extrêmement
petit, & s’évanoiiit à une grande diftance. C ’eft ce
qui fait qu’elle ne peut rien déranger dans le mouvement
des corps celeftes qui en font fort éloignés, 8c
que toutes les planètes continuent fenfiblement leur
cours, comme s’il n’y avoit point de force attractive
dans les corps terrestres.
Où la force attractive ceffë, la force répulfive commence;
félon M. Newton, ou plutôt la force attrac~
dve fe change en force répulfive. Foye^ R é p u l s io n ».
V I I . Suppofons un corpufcule qui touche un
corps : la force par laquelle le corpufcule eft pouffé ^
c’eft-à-dire la force avec laquelle il eft adhérent au
corps qu’il touche, fera proportionnelle à la quantité
du conta#; car les parties un peu éloignées du point
de conta# ne contribuent en rien à la cohéfion.
Il y a donc différens degrés de cohéfion, félon la
différence qui peutfe trouver dans le conta#des particules
; la force de la cohéfion eft la plus grande qu’il
eft poflible, lorfque la furfaee touchante eft plane :
en ce cas, toutes chofes d’ailleuts égales ; la force
par laquelle le corpufcule eft adhérent, fera comme
les parties des furfaces touchantes*
C ’eft pour cette raifon que deux marbres parfais
tement polis ; qui fe touchent par leurs furfaces planes
, font fi difficiles à féparer, & ne peuvent l’être
que par un poids fort fupérieur à celui de l’air qui les
preffe.
VIII. La force de Y attraction croît dans les petites
particules, à mefure que le poids & la groffeur de ces
particules diminue ; ou pour s’expliquer plus clairement
, la force de Y attraction décroît moins à propor-,
tion que la mafle, toutes chofes d’ailleurs égales.
Car eomme la force attractive n’agit qu’au point
de conta#, ou fort près de ce point, le moment de
cette force doit être comme la quantité de conta# y
c’eft-à-dire comme la denfité des parties, & la grandeur
de leurs furfaces : or les furfaces des corps croifi.
fent pu déeroiffent comme les quarrés des diamètres,
8c les folidités comme les cubes dp çés mêmes dia-
p p p p p ij