très machines qui imiteront parfaitement toutes les
»étions des hommes : l’un & l’autre eft également pof-
fjble à Dieu, & il n’y aura dans ce dernier cas qu’une
plus grande dépenfe d’art ; une organifation plus fine,
plus de refforts combinés, feront toute la différence.
Dieu , dans fon entendement infini, renfermant les
idées-de toutes les combinaifons, de tous les rapports
poffibles de figures , d’imprefïions & de déterminations
de mouvement, & fon pouvoir égalant fon intelligence,
il paroît clair qu’il n’y a de différence dans
ces deux fnppofitions, que celle des degrés du plus
& du moins , qui ne changent rien dans le pays des
poffibilités. Je ne vois pas par oii les Cartéflens peuvent
échapper à cette conféquence, & quelles difpa-
rités effenrielles ils peuvent trouver entre le cas du
méchanifme des bêtes qu’ils défendent, & le cas imaginaire
qui transformeroit tous les hommes en automates
, & qui réduiroit un Cartéfien à n’être pas bien
fûr qu’il y.-ait d’autres intelligences au monde que
Dieu Se lon propre efprit.
Si j’avois affaire à un Pyrrhonien de cette efpece,
comment m’y prendrois-jepour lui prouver que ces
hommes qu’il voit ne font pas des automates ? Je fe-
rois d’abord marcher devant moi ces deux principes :
i° . Dieu ne peut tromper : z ° . la liaifon d’une longue
chaîne d’apparences, avec une caufe qui explique
parfaitement ces apparences, & qui feule me les
explique, prouve l’exiftence de cette caufe. La pure
poffibilité ne prouve rien ic i, puilque qui dit poffibilité
qu’une choie foit de telle maniéré, pofe en même
tems poffibilité égale pour la maniéré oppofée. Vous
m’alléguez qu’il eft poffible que Dieu ait fabriqué des
machines femblables au corps humain , qui par les
feules lois du méchanifme parleront, s’entretiendront
avec moi, feront des difeours fui vis , écriront des
livres bien raifonnés. Ce fera Dieu dans ce cas qui,
ayant toutes les idées que je reçois à l’occaiion des
mouvemens divers de cés êtres que je crois intelli-
gens comme moi, fera joiier les refforts de certains
automates, pour m’imprimer ces idées à leur occa-
fjon, & qui exécutera tout cela lui feul par les lois
ffu méchanifme. J’accorde que tout cela eft poffible;
mais comparez un peu votre fuppofition avec la mienne.
Vous attribuez tout- ce que je vois à un méchanifme
caché , qui vous eft parfaitement inconnu ;
vous fuppofez une caufe dont vous ne voyez affûré-
ntent point la liaifon avec aucun des effets, & qui ne
rend raifon d’aucune des apparences : moi je trouve
d’abord une caufe dont j’ai l’idée, une caufe qui réunit,
qui explique toutes ces apparences : cette caufe,
c’eft une ame femblable à la mienne. Je fai que. je fais
toutes ces mêmes a étions extérieures que je vois faire
aux autres hommes , par la direction d’une ame qui
penfe,, qui raifonne, qui a des idées, qui eft unie à
un corps, dont elle réglé comme il lui plaît les mou-
vémens. Une ame raifonnable m’explique donc clairement
des opérations pareilles que je vois faire à
ffes corps humains qui m’environnent. J’en conclus
qu’ils font unis comme le mien à des âmes raifonna-
bles. Voilà un principe dont j’ai l’idée, qui réunit &
qui explique avec une parfaite clarté les phénomènes
innombrables que je vois.
La pure poffibilité d’une autre caufe dont vous ne
me donnez point l’idée > votre méchanifme poffible,
mais inconcevable, & qui ne m’explique aucun des
effets que je vois , ne m’empêchera jamais d’affirmer
l ’exiftence d’une ame raifonnable qui me les explique
, ni de croire fermement que les hommes avec
qui je commerce, ne font pas de purs automates. Et
prenez-y garde, ma croyance éft une certitude parfaite,
puifqu’elle roule fur cet autre principe évident,
que Dieu ne fauroit tromper : & fi ce que je
prends pour des hommes comme m o i, n’ étoient
çn effet que des automates, il me tromperoit ; il feroit
alors tout ce qui feroit néceffaire pour me pouffer
dans l’erreur, en me faifant concevoir d’un côté
une raifon claire des phénomènes que j’apperçois -
laquelle n’auroit pourtant pas lieu , tandis que de
l’autre il me cacheroit la véritable.
Tout ce que je viens de dire s’appliqife 'aifément
‘aux a étions des brutes, & la conféqüênCe va toute
feule. Qu’appercevons-nous chez elles ? des a étions
fuivies, raifonnées , qui expriment un feiis , & qui
repréfentent les idées, les defirs, les intérêts, les def-
feins de quelqu’être particulier. Il eft vrai qu’elles
ne parlent pas ; & cette difparité entre les’bêtes &
l’homme, vous fervira tout au plus à prouver qu’elles
n’ont point, comme lui, des idées univerfelles ;
qu’elles ne forment point de raifonneméns abftraits.
Mais elles agiffent d’une maniéré conféquente : cela
prouve qu’elles ont un fëntiment d’elles-mêmes, &
un intérêt propre , qui eft le principe & le but de
leurs aétions ; tous leurs mouvemens tendent à leur
utilité, à leur confervation, à leur bien-être. Pour
peu qu’on fe donne la peine d’obferver leurs allures,
il paroît manifeftement une certaine fociété entre
celles de même efpece, & quelquefois même entre
les efpeces différentes ; elles paroiffent s’entendre ,
agir de concert, concourir au même defféin : elles
ont une correfpondance avec les hommes ; témoin
les chevaux, les chiens, &c. on les dreffe , ils apprennent
; on leur commande, ils obéiffent ; on les
menace, ils paroiffent craindre ; on les flate, ils ca-
rëffent à leur tour. Bien plus, car il faut mettre ici
à l’écart les merveilles de l’inftiriét, nous voyons ces
animaux faire des a étions fpôntanées, où paroît une
image de raifon & de liberté, d’autant plus qu’elles
font moins uniformes , plus diverfifiées, plus fingu-
lieres , moins prévues, accommodées fur lé champ
à l’occafion préfente.
Vous, Cartéfien, m’alléguez l’idée vague d’un méchanifme
poffible, mais inconnu & inexplicable pour
vous & pour moi : voilà, dites-vous, la fource des
phénomènes que vous offrent les bêtes. Et moi j’ai
l’idée claire d’une autre caufe ; j’ai l’idée d’un principe
fenfitif : je vois que ce principe a des rapports
très-diftinéls avec tous les phénomènes en queftion ,
& qu’il explique & réunit univerfellement tous ces
phénomènes. Je vois que mon ame, en qualité de principe
fenfitif, produit mille aétions & remue mon corps
en mille maniérés, toutes pareilles à celles dont les
bêtes remuent le leur dans des circonftances femblables.
Pofez un tel principe dans les bêtes, je vois la
raifon & la caufe de tous les mouvemens qu’elles
font pour la confervation de leur machine : je vois
pourquoi le chien retire fa patte quand le feu le brû^
le , poùrquoi il crie quand on le frappe, &c. ôtez ce
principe, je n’apperçois plus de raifon, ni de caufe
unique & fimple de tout cela. J’en conclus qu’il y a
dans les bêtes un principe de fentiment, puifque Dieu
n’eft point trompeur, & qu’il feroit trompeur, au cas
que les bêtes fufl'ent de pures machines, puifqu’il me
repréfenteroit une multitude de phénomènes ; d’où
réfulte néceffairement dans mon efprit l’idée d’une
caufe qui ne feroit point : donc les raifons qui nous
montrent direâement l’exiftence d’une ame intelligente
dans chaque homme, nous aflurent auffi celle
d’un principe immatériel dans les bêtes.
Mais il faut pouffer plus loin ce raifonnement, pour
en mieux comprendre toute la force. Suppofons dans
les bêtes, li vous le ^jouiez, une difpofitiôn de la machine
d’où naiffent toutes leurs opérations furpre-
nantes ; croyons qu’il eft digne de la fageffe divine
de produire une machine qui puiffe fe cônferver elle-
même , & qui ait au-dedans d’elle , en vertu de fon
admirable organifation, le principe de tous les mouvemens
qui tendent à la cônferver ; je demande à
quoi bon cette machine ? pourquoi ce merveilleux
ârcaneément-dê refforts 1 pourquoi tous ces orgânes
ftmblables à ceux de nos fénsî pourquoi ces y e u x ,
ces;oreillés 1 cés narines ce'Cenoeau ? c’eft ; dites. •
vous , afin de régler les mouvemens de l’automate
fur lès impreflions divertis.des corps extérieurs i le<
btit de tobt cela, c’eft là :c6nfervàtion même de la
machine. Mais encore , je voùs'prie , à quoi bon dans .-
l’univers des machinés qui fe confervent-elles-me-
liés» Ce n’eft point i nous , dites-vous, de pénétrer
W H I du Créateur, & d’afligner les fins H H
propqfe dans chacun de fes Ouvrages. Mais s il nous!
les découvre ces vûes par des indices affez parlans,
n’eft-it pas raifonnable dédes reconnoitre? Quoi !
n’ai-je pas raifon de dire que l’orêlilereft faite pour
ôiiir & les yeux pour voir ; que les fruits qui nail-
fentdu fein de la terre font deftinés à nourrir l’homme;
que l’air eft néceffaire à l’entretien de fa v ie ,
puifque la circulation du fang ne fe feroit point fans
cela ? Nierez-vous que les différentes parties du corps
animal foient faites parle Créateur pour l’ufage que
l’expérience indique ? Si vous le niez, vous donnez
gain de caufe aux athées. ........... ' ^ '
Je vais plus avant : les organes de nos fens, qu un
art fi fage, qu’une main fi induftrieufe a façonnes,
ont-ils d’autres fins dans l’intention du Créateur,
que les fenfations mêmes qui s’excitent dans notre
ame par leur moyen? Doutera-t-on que notre corps
ne foit fait pour notre ame, pour être à fon egard
un principe de fenfation & un infiniment d’aétion ?
Et fi cela eft vrai des hommes, pourquoi ne le fe-
roit-il pas des animaux ? Dans la machine des animaux,
nous découvrons un buttrès-fage, très-digne
de D ieu , but vérifié par notre expérience dans des
cas femblables ; c’ eft de s’unir à un principe immatériel,
& d’être pour lui fource de perception & inf-
trument d’aétion ; voilà une unité de but; auquel fe
rapporte cette combinaifon prodigieufe de refforts
qui cômpofent le corps organifé ; ôtez ce but, niez
ce principe immatériel, tentant par la machine,
agiffant fur la machine, & tendant fans ceffe par fon
propre intérêt à la cônferver, je ne vois plus aucun
but d’un fi admirable ouvrage. Cette machine doit
être faite pour quelque fin diftinéte d’elle ; car elle
n’eft point pour elle-même, non plus que les roues
de l’horloge ne font point faites pour l’horloge. Ne
répliquez pas , que comme l’horloge eft conftruite
pour marquer les heures, & qu’ainli fon ufage eft de
fournir aux hommes une jufte mefure du tems, il en
eft de même des bêtes ; que ce font les machines que
le Créateur a deftinées à l’ufage de l’homme. Il y
auroit en cela une grande erreur; car il faut foigneu-
femeht diftinguer les ufages acceffoires, & pour ainfi
dire étrangers des chofes, d’avec leur fin naturelle
& principale. Combien d’animaux brutes , dont
Ehomme ne tire aucun ufage , comme les bêtes féroces
, les infeétes, tous ces petits êtres vivans dont
Pair, l’eau, & prefque tous les corps font peuplés !
Les animaux qui fervent l’homme, ne le font que
par accident; c’eft lui qui les dompte, qui les appri-
voife , qui les dreffe, qui les tourne adroitement à
fes ufages. Nous nous fervons des chiens, des chevaux
, en les appliquant avec art à nos befoins,
comfne nous nous fervons du vent pour pouffer les
vaiffeaux, & pour faire aller les moulins. On fe mé-
prendroit fort de croire que l’ufage naturel du. vent
& le but principal que Dieu fe propofe en produi-
fant ce météore ,-foit de faire tourner les moulins,
& de faciliter la courfe des vaiffeaux ; & l’on aura
beaucoup mieux rencontré, li l’on dit que les vents
font, deftinés à purifier & à rafraîchir l’air. Appliquons
ceci à notre fujet. Une horloge eft faite pour
montrer les heures, & n’eft faite que pour cela ;
foutes les différentes pièces qui la compofent font
jtéc'effaires à ce bu t, & y concourent toutes : mais
Tome I,
y h-t-il duélque proportion entre la délicàt'effe , la .
variété, la multiplicité des organes des;animaux, &
les ufages que nous en tirons ; que même, nous ne
tirons que d’un petit nombre d’e/peces , & encore
de la plus petite partie de chaque efpece P L ’horloge
a un but diftinét d’elle-même : mais regardez bien
les animaux, fuivez leurs mouvemens * voyez-les
dans leur naturel, lorfquel’induftrie des hommes ne
les contraint en rien, Sc ne les affujettit point à,nos
befoins & à nos caprices, .vous n’y remarquez d’au-.
tre vue que leur propre confervation.-Mais qu’entendez
vous par leur confervation ? eft-ee celle de la
machine ? Votre réponfe ne fatisfait point ; la pure
matière n’eft point la fin à elle-même ; encore moins ;
le peut-on dire d’une portion de matière organifée ;
l’arrangement d’un tout matériel a pour but autre-
chofe que ce tout ; la confervation de la machine
de la bete, quand fon principe fe trouverait dans la
machine même, feroit moyen & non fin : plus il y
auroit de fine méchanique dans tout cela, plus j’y
découvrirois d’a r t , & plus je ferois obligé de recourir
à quelque chofe hors de la machine, c’eft-à-dire
à un être fimple, pour qui cet arrangement fût fait,
& auquel la machine entière eût un rapport d’utilité.
C ’eft ainfi que les idées de la fageffe & de la
véracité de Dieu , nous mènent de concert à cette
conclufion générale que nous pouvons déformais
regarder comme certaine. Il y a une ame, dans les
bêtes, c’eft-à-dire un principe immatériel uni à leur-
machine, fait pour elle, comme elle eft faite pour,
lui, qui reçoit à fon occafion différentes fenfations,
& qui leur fait faire ces aûions qui nous furpren-
nent, par les diverfes directions qu’elle imprime à
la force mouvante dans la machine. ,
Nous avons conduit notre recherche jufqu’à l’exif-
tence avérée de Yame des bêtes, c’eft-a-dire , d un.
principe immatériel joint à leur machine. Si cette
ame n’étoit' pas fpirituelle, nous ne pourrions nous
affûrer fi la nôtre l’eft ; puifque le privilège de la
raifon & toutes les autres facultés de l’ame humaine
, ne font pas plus incompatibles avec l’idée de la
pure matière, que l’eft la fimple fenfation, & qu’il
y a plus loin de la matière rafinée, fubtilifée, mife-
dans quelque arrangement que ce puiffe être, à la
fimple perception d’un objet, qu’il n’y a de cette,
perception fimple & direûe aux a êtes réfléchis & au
raifonnement.
D ’abord il y a une diftinêtion effentielle entre la
raifon humaine & celle des brutes. Quoique le préjugé
commun aille .à leur donner quelque degré de.
raifon, il n’a point été jufqu’à les égaler aux hommes.
La raifon des brutes n’agit que lur de petits objets
, & agit très-foiblement, cette raifon ne s’applique
point à toutes fortes d’objets comme la nôtre*
Vame des brutes fera donc une fubftancê qui penfe ,
mais le fonds de fa penfée fera beaucoup plus étroit
que celui de Y ame humaine. Elle aura l’idée des objets
corporels qui ont quelque relation d’utilité avec
fon corps : mais elle n’aura point d’idées fpirituelles
& abftraites ; elle ne fera point fufceptible de l’idée
d’un D ie u , d’une religion , du bien & du mal moral
, ni de toutes celles qui font fi bien liées avec
celles-là, qu’une intelligence capable de recevoir
les unes eft néceffairement fufceptible des autres.
Vame de la bête ne renfermera point non plus ces
notions & ces principes fur lefquels on bâtit les
feiences & lés arts. Voilà beaucoup de propriétés
de l’ame humaine qui manquent à celle de la bête :
mais qui nous garantit ce défaut ? l’expérience: avec
quelque foin'que l’on obferve les bêtes, de quelque
côté qu’on les tourne,' aucune de leurs aétions ne
nous découvre la moindre trace de ces idees dont je
viens de parler ; je dis même celles de leurs aétions
qui marquent le plus de fubtilité & de fineffe, ôq
A X ij '