à Torquatus, » qui m’eft commune avec vous, c’eft
*» qu’en quittant la v ie , je quitterai une république
»> dont je ne regretterai point d’être enlevé ; d’autant
» plus que la mort exclut tout fentiment ». Et il dit
à fon ami Térentianus : « Lorfque les confeils ne fer-
» vent plus de rien, on doit néanmoins, quelque
t> chofe qu’il puiffe arriver, les fupporter avec modé-
» ration, puifque la mort eft la fin de toutes chofes ».
Il eft certain que Cicjéron déclare ici fes véritables
fentimens. C e font des lettres qu’il écrivoit à fes amis
pour les confoler, lorfqu’il avoit befoin lui-même de
confolation, à caufe de la trifte & mauvaife fituation
des affaires publiques : circonftance où les hommes
font peu fufceptibles de déguifemens & d’artifices,
de où ils font portés à déclarer leurs fentimens les
plus fecrets. Les paffages que l’on extrait de Cicéron
pour prouver qu’il croyoit l’immortalité de Vame,
ne detruifent point ce qu’on vient d’avancer:
car l’opinion des Payens fur l’immortalité de Vame ,
bien-loin de prouver qu’il y eût après cette vie un
état de peines & de récompenfes, eft incompatible
avec cette idée » & prouve directement le contraire,
comme je l’ai déjà fait voir.
La plus belle occafion de difeuter quels étoient les
vrais fentimens des différentes feéles philofophiqùes
fur le dogme d’un état futur, fe préîenta autrefois
dans Rome, lorfque Céfar pour diffuader le fénat
de condamner à mort les partifans de Catilina, avança
que la mort n’étpit point un m al, comme fe l’irna-
ginoient ceux,qui prétendcûent l ’infliger pour châtiment
; appuyant fon fentiment par les principes connus
d’Epicitre fur la mortalité de Vame. Caton & C icéron
, qui étoient d’avis qu’on fît mourir les confpi-
rateurs, n’entreprirent cependant point de combattre
cet argument par les principes d’une meilleure
philofophie ; ils fe contentèrent d’alléguer l’opinion
qui leur avoit été tranfmife par leurs ancêtres fur la
croyance des peines & des récompenfes d’une autre
vie. Au lieu de prouver que Céfar étoit un méchant
philofophe, ils fe contentèrent d’inlinuer qu’il étoit
un mauvais citoyen. C ’étoit évader l’argument; &
rien n’étoit plus oppofé aux réglés de la bonne Logique
que cette réponfe,puifque c’étoit cette autorité
même de leurs maîtres que Céfar combattoit par les
principes de la philofophie greque. 11 eft donc bien
décidé que tous les philofophes grecs n’admettoient
point l’immortalité de Vame dans le fens que nous la
croyons. Mais avons-nous des preuves bien convaincantes
de cette immortalité ? S’il s’agit d’une certi-,
tude parfaite, notre raifon. ne fauroit la décider. La
raifon nous apprend que notre ame a eu un commencement
de fon exiftence ; qu’une caufe toute-puiffan-
te &ç fouverainement libre l’ayant une .fois, tirée du
néant-, la tient toujours fous la dépendance;, & la
peut faire ceffer dès qu’elle voudra , comme., elle l’a
fait commencer dès, qu’elle a voulu. Je ne puism’affû-,
rer que mon ame fubfiftera. après la mort ,, &c qu’elle,
fubfiftera toujours, à moins, que je ne fâche ce que le j
Créateur a réfolu fur fa deftinée. C ’eft uniquement
fa volonté qu’il faut confulter ; Ôc l’on, no peut con-
noitre fa volonté s’il ne la révélé. Les feules-gromef-
fes d’une révélation peuvent donc donner une pleine,
afïurance fur ce fujet $ &c nous n’en douterons pas,,
fi nous voulons croire le fouverajn dofleur dès hommes.
Comme il eft le feul qui. ait pû leur promettre,
l’immortalité , il déclare qu’il eft le feul qui ait mis,
ce dogme dans une pleine évidence, & qui l’ait conduit
à la certitude. Quoique la révélation feule puiffe
nous convaincre pleinement de cette,immortalité,
néanmoins on,peut dire que la raifon a de très-grands
droits fur cette queftion,& qu’elle fournit en foule des
raifons fi. fortes, & qui deviennent d’un fi grand poids
par leur affemblage, que cela nous mene à une ef-
pece de certitude, En effet; notre ame dopée d’intelligence
& de liberté, eft capable de connoître l’ordre
& de s’y foûmettre ; elle l’eft de connoître Dieu
& de l’aimer ; elle eft fufceptible d’un bonheur infini
par ces deux voies: capable de vertu, avide de félicite
& de lumière, elle peut faire à l’infini des progrès
à tous ces égards, & contribuer ainfi pendant 1 eternite à la gloire de fon Créateur. Voilà un grand
préjugé pour fa duree. La fageffe de Dieu lui permet-
troit-elle de placer dans Vame tant de facultés, fans
leur propofer un but qui leur réponde ; d’y mettre un
fonds de richeffes immenfes , qu’une éternité feule
fuffit à développer ; richeffes inutiles pourtant, s’il
lui refiife une durée éternelle. Ajoûtez à cette première
preuve la différence effentielle qui fe trouve
entre la vertu & le vice : la terre eft le lieu de leur,
naiffance & de leur exercice ; mais ce n’eft pas le
lieu de leur jufte rétribution. Un mélange confus des
biens & des maux, obfcurcit ici-bas l’économie de
la providence par rapport aux aéiions morales. II
faut donc qu’il y ait pour les âmes humaines un
tems au-delà de cette v ie , où la fageffe de Dieu fe
manifefte à cet égard, où fa providence fe développe
, où fa juftice éclate par le bonheur des bons, &
par le fupplice des méchans, & où il paroiffe à tout
, l’Univers que D ieu ne s’intéreffe pas moins à la conduite
des êtres intelligens, & qu’il ne régné pas moins
fur eux que fur les créatures infenfibles. Raffemblez
les raifons prifes de la nature de Vame humaine, de
l’excellence & du but de fes facultés , confidérées
dans le rapport qu’elles ont avec les attributs divins;
prifes des principes de vertu & de religion qu’elle
renferme, de fes defirs & de fa capacité pour un bonheur
infini ; joignez toutes ces raifons avec celles que
nous fournit l’etat d’epreuve où l’homme fe trouve
ici-bas, la certitude & tout-à-la-fois les obfcurités de
la providence, vous conclurez que le dogme de l’immortalité
de Vame humaine eft fort au-deffus du probable.
Ces preuves bien méditées, forment en nous
une conviélion, à laquelle il n’y a que les feules pro-
meffes de la révélation qui puiffent ajouter quelque
çhofe.
Pour la quatrième queftion, favoir quels font les
êtres en qui réfide Vame fpirituelle, vous confultereÿ
Varticle A m e DES BÊTES. (AT)
* Aux quatre queftions précédentes fur l ’origine ^
la nature, la deftinée de Vame, & for les êtres en-
qui elle réfide, les Phyficiens & les Anatomiftes en.
ont ajouté une cinquième, qui fembloit plus être de
leur reffort que de la Métaphyfique ; c’eft de fixer
le fiége de Vame dans les êtres qui en ont. Ceux
d’entre les Phyficiens qui croyent pouvoir admettre
la fpiritualité de Vame , & lui accorder en même-
tems de l’étendue ,. qualité qu’ils ne peuvent plus
regarder comme la différence fpécifique de la matière,
ne lui fixent aucun fiége particulier : ils difent
qu’elle eft dans toutes lès parties du corps ; & comme
ils ajoûtent qu’elle exifte toute entière fous chaque
partie de fon étendue, la perte de certains membres,
ne doit rien ôtqrinià, fes facultés-, ni à fonaéli-
v-ité, ni à fes fonélipns. Ce fentiment réfout des difficultés
: mais il en,fait naître d’autres, tant fur cette
maniéré particulière & incompréhenfible d’exifter
des. efprits, que fur la diftinôion de la fubftancespirituelle
& de la fobftance corporelle: aufli n’eft-il.
guère-fuivi. Les autres philofophes penfent qu’elle
n’eft point étendue , & que pourtant il ?y a dans le-
corps un lieu particulier-où elle réfide , & d’où elle-
exerce fon empire. Si-ce.n’étoit un certain fentiment-
commun à tous les hommes, qui leur perfoade que-
leur, tête ou leur cerveau* eft le fiége de leurs pen-
fées, il y auroit autant de fujet de croire que c’eft le-
poumon ou le foie, ou tel autre vifeere qu’on vou-
droit ; car fi leur méchanifme n’a -& ne, peut avoir-
aucun rapport, avec .la,faculté de penferj, comme om
l ’a démontré ci-devant, celûi du cerveau n’y en a
pas davantage. Il faudroit ; à ce qu’il femble, une
partie où vinflent aboutir tous les mouvèmens des
fenfations, & telle que M. Defeartes avoit imaginé
la glande pinéale. Voÿc^ Glande pinéale. Mais il
n’eft que trop v rai, comme on le verra dans la fiute
de cet article, que c ’étoit une pure imagination de
ce philofophe, & que non-feulement cette partie ,
mais nulle autre, n’eft capable des fondions qu’il lui
attribuoit. Ces traces qu’on fuppofe fi volontiers, &
dont les Philofophes ont tant parlé qu’elles font devenues
familières dans le difeours commun , on ne
fait pas trop bien où les mettre ; & l ’on ne voit point
de partie dans le cerveau qui foit bien propre ni à
les recevoir ni à les garder. Non-feulement nous ne
connoiffons pas notre ame, ni la maniéré dont elle
agit for des orgnanes matériels ; mais dans ces organes
mêmes nous ne pouvons appercevoir aucune
difpofition qui détermine l’uri plutôt que l’autre à
être le fiége de Vame.
Cependant la difficulté du fujet n’exclut pas les
hypothefes ; elle doit feulement les faire traiter avec
moins de rigueur. Nous ne finirions point fi nous les
voulions rapporter toutes. Comme il étoit difficile
de donner la préférence à une partie fur üne autre 3
il n’y en a prefqu’aucune où l’on n’âit placé Vame.
On la met dans les ventricules du cerVèau, dans le
coeur, dans le fahg , dans l’èftomac, dans lès nerfs,
&c. mais de toutes ces hypothefes j Celles de Defcar-
fe s , de Vieufïens & de Lancifi, ou de M. de la Peyronie
, paroiffent être lés feules auxquelles leurs auteurs
ayent été conduits par des phénomènes, comme
nous l’allons faire voir. M. Vieuffens le fils a
fuppofé dans un ouvrage , où il fe propofe d’expli-
tjuer le délire mélancholiqué, que lè centre ovale
etoit le fiége des fondions de l’efprit. Selon les découvertes
ou le fyftème de M; Vieuffens le pere, le
centre ovale eft un tiffu de petits vaiffeaux tfès-dé-
liés, qui communiquent tous les uns avec les autres
par une infinité d’autres petits vaiffeaux encore infiniment
plus déliés, que prodnifent tous les points
de leur furface extérieure. C ’eft dans les premiers’
de ces petits Vaiffeaux que le fang. artériel fe fub-
îilife au point de devenir efprit animal, & il coule
dans les féconds fous la forme d’efprit. Au-dedans
dè ce nombre prodigieux de tuyaux prefqu’abfolu-
ment imperceptibles, fe font tous les môtivemenis'
auxquels répondent les idées ; & lies ïmpreffions que
ces mouvemens y laiffent,. font les traces qui rappellent
les idées qu’on a déjà eues. Il faut fàvoir que
le centre ovale fe trouve placé à l’origine d'es nerfs ;
çe qui favorife beaucoup la fonction qu’on lui donne
ici* Voye{ C entre ovale.
. Si cette méchanique eft uné fois admife, oiî peut
imaginer que la fanté, pour ainfi dire, matérielle de'
l’efprit, dépend de la-régularité , de l’égalité , de
la liberté du cours des efprits dans ces petits canaux.
Si la plupart font affaiffés, comme pendant le fbm-
meil, les efprits qui coulent dans ceux qui reftent
fortuitement ouverts,.réveillent au hafard des idées
entre lefquelles il ri’y a le plus fou vent aucune liai-
fon , & que Vame ne laiffe pas d’affembler,) faute
d’en avoir en même tems d’autres qui lui en faffent
voir l’incompatibilité : fi au contraire tous lës pètits
tuyaux font ouverts, & que les efprits s’y portent-
en trùp grande abondance , & avec une trop grande
rapidité, ilfe réveille àffaifois une foule d’idées très-
y ive s , que Vame n’a pas-le tems de diftinguer ni'de
comparer ; & c’eft-là la frénéfie. S’il y a feulement'
dans quelques petits tuyauximeobftruôion telle que
les efprits ceffent d’y couler , les idéeis qui y étoient'
attachées font ahfolumènt perdues pour Vame, elle
n en peut plus faire aucun ufage dans fes opérations
pe. forte qu’elle portera un jugement infenfé toutes’*
lés fois que cès idées lui auroient été néceffaires
pour en former un raifonnable ; hors de-là tous fes
jugemens feront fains : c’eft-là lé délire mélancho-
lique.
M< Vieuffens a fait voir Combien fa fuppofitioü
s’accorde avec tout ce qui s’obferve dans cette maladie
; püifqu’elle vient d’ühe obftruâion , elle eft
produite par un fang trop épais & trop lent, aufli
n’a-t-on point de fievre. Ceux qui habitent un pays
chaud * éc dont le fang eft dépouillé de fes parties
les plus fobtiles par une trop grande tranfpiration ;
ceux qui iiferit d’àlimens trop grofliers ; ceux qui
ont été frappés de quelque grande & longue crainte,
&c. doivent être plus fujets au déliré mélancholiqué.
On pourroit pouffer le détail des foppofitions fi loin
qu’on voudroit, & trouver à chaque fuppofition différente
, Un effet différent, d’où il réfolteroit qu’il
ri’y a guere de tête fi faine où il n’y ait quelque petit
tüyàü dü centre ovale bien bouché.
Mais quand la fuppofition de là caufe de M. Vieuffens
s’âccorderoit avec tous les cas qui fe préfentent,
elle n’én feroit peut - être pas davantage la caufo
réelle. Les anciens attribuôient la pefanteur de l’air
à l’horreur du vuide ; & l’on attribue aujourd’hui
tous les phénomènes céleftes à l’attraûion. Si les anciens
fur des expériences réitérées avoiêrit découvert
dans cette horreur quelque loi confiante, comme
on en a découvert une dans l’attraâion, aùroient-
ilS pû fuppofer que l’horreur du vùidè étoit vraiment
la caufe des phénomènes, quand même lés phénomènes
ne fe feroient jamais écartés rie cette loi ?
Les Newtoniens peuvent-ils fuppofer que l’attraélioflt
foit unè caufe réelle* quand même il ne furviendroit
jamais aucun phénomène qui ne fuivît la loi invér-
fe du quarré des diftances ? Point du tout. Il en eft
de même de l’hypothefe de M. Vieuffens. Le Centré
ovale a beau avoir dés petits tuyaux, dont lès uns
s’ouvrënt & les autres fê bouchent : quand il poù'r-
roit même s’affûrer à la vûe ( ce qui lui eft impoffï-
ble ) que le délire mélancholiqué augmente ou diminue
dans le rapport des petits tuÿàux ouverts aux
petits tuyaux bouchés , fon hy pothefe en acquerroit
beaucoup plus de certitude, & rentréroit dans la
claffe du flux & reflux, & de l’attraélion confidérée
relativement aux mouvemens dè la Lune : mais elle
ne feroit pas encore démontrée. Tout cela vient de
ce que l’on n’apperçoit par-tout que des effets qui fe
côrrefpondent, & point dü-toüt dans un de ces effets
la raifon de l’effet correfpondant ; prefqùé toujours
la liaifon manque, & nous ne la découvrirons peut-
être jamais.
Mais de quelle maniéré que Von conçoive ce qui
penfe en nous, il eft confiant que lë$ fondions ert
fonf dépendantes de l’organifaitioh, & de' l’état actuel
de notre corps pendant que nous Vivons. Cette
dépendance mutuelle du' corps & dé ce qui penfé
dans l’hommê, eft ce qu’on appelle Vunion du corps
avec Vame ; union que la faine philofophie' & la révélation
nous apprennent être uniquement l’effet de
la volonté librè du Créateur. Du moins ri’avons-
nous nulle idée immédiate dé dépendance, d’union^
ni de rapport entre ces'deux chofes, corps & penfée;
Cette union eft donc un' fait que nous rie pouvons
révoquer en doute , mais dont les détails nous font
abfolument inconnus. C ’eft à la feule expérience' à'
nous les apprendre , & à décider toutes les qtrëf-
tionS qu’on pèut propofer for cette matière. Une dés
plus éurietifeS eft celle que nous agitons ici : Vamt
exerce-t-ellé également fes fondions dans'toutes lès’
pârtiès du corps auquel elle eft unie? oüry' eh a-t-il
quelqu’une à laquelle ce privilège foit particulièrement
attaché ? S’il y en a une, quelle eft cetté partie?
C ’eft la glande' pinéale, à dit Defeartes ; c’eft
le centre ovale , a dit Vieuffens ; c’eft le corps cal-’