Telle eft la jufteffe d’efprit, & la précifion quô nous
demandons dans ceux qui veulent écrire en notre
langue, 8c même dans ceux qui la parlent. Ainfi on
dit abfolument dans un fens indéfini ,f e donner en
Jpeclacle, avoir peur, avoir pitié, un efprit de parti, un
efprit d'erreur. On ne doit donç point ajouter enluite
à ces fubftantifs, pris dans un fens général, des ad-
jeôifs qui les fuppoferoient dans un fens fini, & en
feroient des individus métaphyfiques. On ne doit
donc point dire fe donner en fpectaclefunefie , ni un efprit
d'erreur fatale, de fécurité téméraire, ni avoir peur
terrible : on dit pourtant avoir grand'peur, parce qu’a-
lors cet nd)e£tïfgrand, qui précédé fon fubftantit, 6c
qui perd même ici fa terminaifon féminine, ne fait
qu’un même mot avec peur, comme dans grand'mefje,
grand'mere. Par le même principe , je crois qu’un de
nos auteurs n’a pas parlé exactement quand il a dit
( le P. Sanadon , vie d’Horace , pa£. 47. ) Oclavien
déclare en plein fenat, qu'il veut lui remettre le gouvernement
de la république; en plein fenat eft une circonf-
tance de lieu, c’eft une forte d’exprelîion adverbiale,
oï\ fenat ne fe préfente pas fous l’idée d’un être per-
fonifié ; c’eft cependant cette idée que fuppofe lui
remettre ; il falloit dire, Oclavien déclare au fenat aj/em-
blé qu'il veut lui remettre, &c. ou prendre quelqu’au-
tre tour.
. Si les langues qui ont des articles , ont un avantage
fur celles qui n'en ont point.
La perfe&ion des langues confifte principalement en
deux points. i° . A avoir une aflèz grande abondance
de mots pour fuffire à énoncer les différens objets des
idées que nous avons dans l’efprit : par exemple, en
latin regnum fignifie royaume , c’eft le pays dans lequel
un fouverain exerce fon autorité : mais les La-
fins n’ont point de nom particulier pour exprimer la
durée de l’autorité du 1 ou verain, alors ils ont recours
à la périphrafe ; ainfi pour direfous leregne d'Augufle,
ils difent imper ante Ctefare Auguflo, dans letems qu’Am
gufte regnoit, au lieu qu’en françois nous avons royaume,
8c de plus régné. La langue françoife n’a pas toujours
de pareils avantages liir la latine. 20. Une langue
eft plus parfaite lorlqu’elie a plus de moyens pour
exprimer les divers points de vue fous lefquels notre
efprit peut confidérer le même objet : le roi aime le
peuple, 6c le peuple aime le roi : dans chacune de çes
phrafes, le roi ôc le peuple font confidérés fous un rapport
différent. Dans la première, c’eft le roi qui aime ;
dans la fécondé, c’eft le roi qui eft aimé : la place ou
pofition dans laquelle on met roi 6cpeuple, fait con-
noître l’un 6c l’autre de ces points de vûe.
Les prépofitifs & les prépofitions fervent aufli à
de pareils ufages en françois.
Selon ces principes, il paroît qu’une langue qui a
une forte de mots de plus qu’une autre , doit avoir
un moyen de plus pour exprimer quelque vûe fine de
l’efprit ; qu’ ainfi les langues qui ont des articles ou
prépofitifs, doivent s’énoncer avec plusde jufteffe 6c
de précifion que celles qui n’en ont point. L’article/«
tire un nom de la généralité du nom d’efpece, 6c en
fait un nom d’individu, le roi ; ou d’individus, les rois ; le nom fans article ou prépofitif, eft un nom d’efpece
; c’eft un adjeétif. Les Latins qui n’avoient point
d’articles, avoient fouvent recours aux adjeétifs dé-
xnonftratifs. Dicut lapides ifti panes fiant (Js/iatt. jv. 3.)
dites que ces pierres deviennent pains. Quand ces adjectifs
manquent, les adjoints ne fuffifent pas toujours
pour mettre la phrafe dans toute la clarté qu’elle doit
avoir. Sifilius Deies (Matt. jv. 6 .) , on peut traduire
fi. vous êtes fils de Dieu, 8c voilà fils nom d’efpece ; au
lieu qu’en traduifant f i vous êtes le fils de Dieu, le fils
eft un individu.
Nous mettons la différence entre ces quatres ex-
preffons, 1. fils de roi , 2. fils Tun roi, 3 .fils du roi,
4. le fils du roi. Eh fils de roi, roi eft un nom d’efpece,
qui avec la prépofition, n’eft quHiirqualificatif, i l
fils d'un roi, d'un roi eft pris dans, le fens particulier
dont nous avons parlé ; c’eft le fils de quelque roi; 3,
fils du roi, fils eft un nom d’efpece ou appellatif, &
roi eft un nom d’individu ,fils de Le roi ; 4. le filsduroi
le fils marque un individu : filius regis ne fait pa‘s feni-
tir ces différences.
.• Etes-vous roi?, êtes-vous le roi? dans la premierë
phrafe, roi eft un nom appellatif ; dans la fécondé,
roi eft pris individuellement : rex es tu ? ne diftingue
.pas ces diverfes acceptions : nemo fatis gratiam régi
refert. Ter. Phorm. II. ij. 24. oit régi peut lignifier au
roi ou à un roi. ■
Un palais de prime, eft un beau palais qu’un prince
habite, ou qu’un prince pourroit habiter décemment
; mais le palais du prince (de le prince) eft le palais
déterminé qu’un tel prince habite. Ces différentes
vues ne font pas diftinguées en latin d’une manière
aufli Ample. S i, en fe mettant à table, On demande
le pain, c’eft une totalité qu’on demande ; le latin
dira da ou afferpanem. Si , étant à table , on demande
du pain, c ’eft une portion de le pain ; cependant le
latin dira également panem.
Il eft dit au fécond chapitre de S. Matthieu, que
les mages s’étant mis en chemin au fortir du palais
d’Hérode, videntes fiellam , gavifi funt ; & intranets
domum, inveneruntpuerum : voilà étoile , maifon , enfant
, fans aucun adjeôif déterminatif ; je conviens
que ce qui précédé fait entendre que cette étoile eft
celle qui avoit guidé les mages depuis l’orient ; que
cette maifon eft la maifon que l’étoile leur indiquoit ;
& que cet enfant eft celui qu’ils venoient adorer :
mais le latin n’a rien qui préfente ces mots avec
leur détermination particulière ; il faut que l’efprit
fupplée à tout : ces mots ne feroient pas énoncés
autrement, quand ils feroient nomsd’efpeces. N’eft-
ce pas un avantage de la langue françoife , de ne
pouvoir employer ces trois mots qu’avec un prépofitif
qui faffe connoître qu’ils font pris dans un fens
individuel déterminé parles circonftances } ils virent
l'étoile, ils entrèrent dans la maifon , & trouvèrent Cenfant.
Je pourrois rapporter plufieurs exemples, qui feroient
voir que lorfqu’on veut s’exprimer en latin
d’une maniéré qui diftingue le fens individuel du fens
adjeftif ou indéfini, ou bien le fens partitif du fens
total, on eft obligé d’avoir recours à quelqu’adjeâif
démonftratif, ou à quelqu’autre adjoint. On ne doit
donc pas nous reprocher que nos articles rendent nos
expreffions moins fortes 8c moins ferrées que celles
de la langue latine ; le défaut de force & de précifion
eft le défaut de l’écrivain , 6c non celui de la
langue.
Je conviens que quand Varticle ne fert point à rendre
i’expreffion plus claire 8c plus précife , on de-
vroit être autorifé à le fupprimer : j’aimerois mieux
dire, comme nos peres, pauvreté n’efi pas vice, que
de dire , la pauvreté n'efi pas un vice : il y a plus de
vivacité 6c d’énergie dans la phrafe ancienne : mais
cette vivacité 8c cette énergie ne font louables, que
lorfque la fupprefiion de l'article ne fait rien perdre
de la précifion de l’idée, 6c ne donne aucun lieu à
l’indétermination du fens.
L’habitude de parler avec précifion , de diftin-
guer le fens individuel du fens fpécifique adjedif 6c
indéfini, nous fait quelquefois mettre l'article où nous
pouvions le fupprimer : mais nous aimons mieux que
notre ftyle foit alors moins ferré, que de nous ex-
j pofer à être obfcurs ; car en général il eft certain que
l'article mis ou fupprimé devant un nom, ( Gram, de
Regnier , pag. 152. ) fait quelquefois une f i grande
différence de fens , qu'on ne peut douter que les langues
qui admettent /’article , rfayent un grand avantage fur
la langue latine , pour exprimer nettement & clairement
certains rapports ou vues de l’efprit, que /’article feul
peut defigner, fans quoi le Ieéteur eft expofé à fe méprendre.
^ .
Je me contenterai de ce feul exemple. O vide fai-
fant la defcription des enchantemens <ju’il imagine
que Médée fit pour rajeunir E fon, dit que M édée,
Met. liv. VII. v. 184.
Teclis, nuda pedem , egreditur.
Et quelques vers plus bas (y. iSg.) il ajoûte
Crinem irroravit aquis.
•Les tradu&eurs inftruits que les poëtes employent
fouvent un fingulier pour un pluriel, figure dont ils
avoient un exemple devant les yeux en crinem irroravit,
elle arrofa fes cheveux; ces traduéteurs, dis-
je , ont crû qu’en nuda pedem, pedem étoit aufli un
fingulier pour un pluriel; 8c tous; hors M. l’abbé
Banier, ont traduit nuda pedem, par ayant les piés
nuds: ils dévoient mettre, comme l’abbé Banier,
ayant un pié nud; car c’étoit une pratique fuperfti-
tieufe de ces magiciennes, dans leurs vains 6c ridicules
preftiges, d’avoir un pié chauffé 6c l’autre nud.
Nuda pedem peut donc lignifier ayant un pié nud, ou
ayant les piés nuds ; 6c alors la langue, faute d’articles
, manque de précifion, 8c donne lieu aux mépri-
fes. Il eft vrai que par le fecours des adjeftifs déterminatifs
, le latin peut fuppléer au défaut des articles;
8c c’eft ce que Virgile a fait eh une occafion pareille
à celle dont parle Ovide: mais alors le latin
perd le prétendu avantage d’être plus ferré 6c plus
concis que le françois.
Lorfque Didon eut eu recours aux enchantemens,
elleavoit un pié nud, dit V irgile, . . . Unum exutapedem
vinclis. . . . . (IV~. Æneid. v. St81) ÔC ce pié étoit
le gauche, félon les commentateurs.
Je conviens qu’Ovide s’eft énoncé d’une maniéré
plus ferrée, nuda pedem : mais il a donné lieu à une
méprife. Virgile a parlé, comme il auroit fait s’il avoit
écrit en françois; unum exuta pedem, ayant un pié
nud ; il a évité l’équivoque par le fecours de l’adjectif
indicatif unum ; 8c ainfi il s’eft exprimé avec plus
de jufteffe qu’Ovide.
. En un mot, la netteté 6c la précifion font les premières
qualités que le difcours doit avoir : on ne parle
que pour exciter dans l’efprit des autres une pen-
fée précifément telle qu’on la conçoit ; or les langues
qui ont des articles, ont un infiniment de plus pour
arriver à cette fin ; & j’ofe affûrer qu’il y a dans les
livres latins bien des paffages obfcurs, qui ne font
tels que par le défaut d'articles ; défaut qui a fouvent
induit les auteurs à négliger les autres adjeâifs dé-
monftratifs, à caufe de l’habitude où étoient ces auteurs
d’énoncer les mots fans articles, 6c de laiffer au
Ieéteur à fuppléer.
Je finis par une réflexion judicieufe du P. Buffier.
( Gramm. n. 340.) Nous avons tiré nos éclairciffe-
mens d'une Métaphyfique, peut-être unpeufubtile, mais
xrls-réelle..........C'efi ainfi que les fciences fe prêtent mutuellement
leurs fecours : f i la Métaphyfique contribue à
démêler nettement des points effentiels a la Grammaire ,
celle-ci bien apprife, ne contribuerait peut-être pas moins
à éclaircir les difcours les plus métaphyfiques. yye^ ADJECTIF,
A dverbe , & c. (F )
A R T 1C L E , f. m. en terme de Commerce, fignifie
une petite partie ou divifion d’un compte, d’un mémoire
, d’une faéture, d’un inventaire, d’un livre
journal, &c.
Un bon teneur de livres doit être exaô à porter
.fur le grand livre au compte de chacun, foit en débit,
foit en crédit, tous les articles qui font écrits fur le
Jivre journal, 8c ainfi du refte.
Article fe dit aufli des claufes, conditions ôc conventions
portées dans les fociétés, dans les marchés. Tome I%
datis les traités, & des chofes jugées par des arbitres.
Article fe prend aufli pour les différens chefs portés
par les ordonnances, les réglemens, les ftatuts
des communautés, 6 c. particulièrement quand on
les cite. Ainfi l’on dit : cela efl conforme à tel article
de l'ordonnance de ; à tel article du réglement
des Teinturiers , ÔCC. Savary, Dicl. du Comm. tom. /.
P“g- 7 3 #* ( fi) v -
A r t ic l e , en Peinture, eft un très-petit contour
qu’on nomme aufli tems. On dit : ces articles ne font
pas affe{ prononcés. Outre ces contours, il y a un article
ou un tems, &c.
Article fignifie aufli, en Peinture comme en Anatomie
, les jointures ou articulations des os du corps ,
comme les jointures des doigts, &c. (R)
A r t ic l e s , en termes de Palais, font les circonftances
ôc particularités fur lefquelles une partie fe
propofe d’en faire interroger une autre en juftice :
dans ce fens, on ne dit guere articles qu’avec faits j
comme interroger quelqu’un fur faits & articles; donner
copie des faits & articles , ÔCC.
On appelle les articles tout Amplement, les claufes
8c conventions qu’on eft convenu de ftipuler
dans un contrat de mariage par les deux futurs conjoints,
ou leurs parens ou tuteurs ftipulans pour
eux. (AT)
ARTICULAIRE, adj. en Anatomie, fe dit des parties
relatives aux articulations. Voye£ A r t i c u l a t
io n .
L’apophyfe articulaire eft une éminence qui fert
de bafe à l’apophyfe zygomatique de l’os des tempes.
Voye^ T e m p o r a l .
La cavité articulaire eft une cavité fituée entre les
apophyfes ftyloïde & articulaire de l’os des tempes ,
qui reçoit le condyle de la mâchoire inférieure. Voy%
Mâ c h o ir e .
Facettes articulaires, font des parties des os qui
fervent à leur articulation avec d’autres. Voye{ Fa c
e t t e s & Os.
Nerf articulaire. Voye{ A x i l l a ir e . (A )
A r t ic u l a ir e , terme de Medecine ; c’eft tme épithète
qu’on donne à une maladie qui afflige plus im-,
médiatement les articulations ou les jointures.
La maladie articulaire, morbus articularis, eft ce
que les Grecs appellent «j>tpm?, & nous goutte. Voyeç
G o u t t e . (N )
ARTICULATION, f. f. en Anatomie, c’eft une1
jointure ou une connexion de deux os. Voye^ Os.
Il y a différentes formes & différentes efpeces d’<zr-
ticuladon qui correfpondent aux différentes fortes de
mouvemehs & d’aélions. L 5articulation qui a un mouvement
notable & manifefte eft appellée diarthrofe:
Voye^ DiARTHROSE. Celle-ci fe fubdivife en énar-
th ro fe, artkrodie , 8c ginglyme. Voy e{ En a r t h r û SE,
A r t h r o d i e , & G in g l y m e .
L’articulation qui ne permet point de mouvement^
eft appellée Jynarthrofe. Voyeç SYNa r t h r o s e . Elle
fe fubdivife en future, harmonie, 8c gomphofe. Voyeç
Su t u r e , Ha r m o n ie , &c. ( A )
ARTICULÉ, adjeétif & participe du verbe artU
culer.
Article, en ternie d’Anatomie, fignifie la jointure
des os des animaux ; articulation, en général, fignifie
la jonétion de deux corps, qui étant liés l’un à l’autre
, peuvent être pliés fans fe détacher. Ainfi les fons
de la voix humaine font des fons différens , variés ,
mais liés entr’eux de telle forte qu’ils forment des
mots. On dit d’un homme qu’il articule bien, c’eft-
à-dire, qu’il marque diftin&ement les fyllabes 8c les
mots. Les animaux vl articulent pas comme nous le
fon de leur voix. Il y a quelques oifeaux auxquels on
apprend à articuler certains mots ; tels font le perroquet
, la pie, le moineau, 8c quelques autres. Voye^
A r t i c l e , (R )