
xxxij DI S C O IM S P R PL PMI N A l R E
/ Ne foyons donc pàs éto'nnè^que nos Ouvragés^efprit foieriten général irfférieurs à ceux'-'
dufîecle précédent;‘On pèut’rriêrâé en trouver lâ 'ràiîOn dans les efforts' qtfe nous' faifons;
pour furpaffernos prédéceffeurs. Le goût & l ’art d’écrire foriti en'peii-de ténïS dés progrès ■
rapides , dès qu’une fois la véritable route eft ouverte î à peiné ün grand génie'à-t-il entrevu'
le beau , qu’il l’apperçoit dans toute fon étendue ; imitation’de la belle Natürë femble
bornée à de certaines limites qu’une généra tion' y ou deux tout;atopluSr*Jqnt^bi'érif tôt^atteifttes :^
il ne refte à la génération fuïvantë que d’imiter : mais elle ne fecônténte pas de cë' paftâgé j
les richeffes qu’elle a acquifes autorifent lé-dèfir de iles accroître y elle veut ajouter à c e 5
qu’elle a f;eçû , & manqué le butéri cherchant 4 le paffér. On adonCtout à fJa--fois plus de
principes pour bien juger, un plus grand fond de lumières, plus dé.bons juges , & moins
de bons Ouvrages | on ne dit point d’tin Livre qü’il eft bon y-mais que c’eft le Livre d’un
homme d’efjbrit: C ’eft ainfi que le-'fiecle de Démétnus' d'e Phalere a fuccédé immédiatement *
à celui de Démoftherie , 1e fîeclë de Lucain & d e Séneque à celui de Cicéron & de V irg ile ,
& le nôtre à -célui de -Louis X IV .
Je ne parle ici que dü fieclè en général: carjefuis bien éloigné de faire la fatyre dé quelques
hommes d’uiv mérite-rare âvôcqui nous vivons*'-La conftitutirinphyfique du monde lit- •
teraire entraîne, 'comme celle du monde matériel-,’ dës7révolutiôrîs forcées, dont il feroit au fil
injuftede fe plaindre que du changement désffaifpn's.' D ’ailleurs comme nous dëvbns au fiecle’
de Pline les ouVrages admirablesxé Quintilieri' & dé T a c ite , que la génération précédente -
n’auroit.peut-'êïre pas été en'état de produire1,- ièmôtrè laiflëra-^'la poftéritédès mônumens':
dontil a bien droit' de fe glorifier. Un Poëte célébré parles taleris & par fes malheurs a effacé
Malherbe dans fes O d e s , & Marotè dans fes'Epigrammes St d'ânsfés Èpitres.’Nous avons vû
naître le feulPoème épique que la ita n ce puiffé oppelêr à ceux dés-Grecs, des Romains, des/
Italiens , des Ànglors& dfes Efpagnols. DèuXffiômmës illuftrës'i entré lefquels1 notre nation
femble partagée, & que la poftérifé faura mettre" chacun à là-placé , fé difputent la gloire
du. cothurne l ’ort voit encbté'avéc un extrême plaifiï leurs Tragédies après celles des Corneille
& de Racine. L ’un de cès deux hommes , le même à qùv 'noü'Sdévons'la :Henri ad e ,
fur d’obtenir parmi le très-petit nombre de grands Portes unë placé diftinguée & qui n’eft
qù’à lu i , poffede en même tems au plus haut dégréun'talent que n’âeuprelqueaucun Poète
même dans*lin degré médiocre, celui d’écrire en'profe. Perforine n’a mieux connu l’art lirare
dépendre fa'ris effort-chaque idée par le terme qui lu'i'eft propre^,.d’embellir tout fans fe mé-.
prendre fur.le coloris p ro p re x h a q u e c h o fe e n f in ', ce qui cara&érife plus qu’on ne pepfe
les grands Ecrivains , de n’être jamais ni au-deffus, ni au-deffous de fon fujet. Son èffai furie
ffecle de Louis XIV.' eft un7 morceau d autant plus précieux que' l’Auteur" n’avoit en ce
génre aucun modelé ni parmi-les Anciens, ni parmi nous. Son hiftoire de Charles X-1L par la:
rapidité & la noblëffè du.ftyleéftdigne du Héros qU’il avoitfà peindre j -lés pièces fugitives
liipèrieures à-tôutés celles que nous éftimons lé plus, fuffiroient par leur nombre & par leur
mérite pouriimmortalifèr plufieùrsEérivains. Quenepuis-jeen parcourant ici ifés nombreux
St, admirables Ouvrages , payer à ce génie rare le tribut d’éloges qu’il mérite , qu’il'areçu
tant defois de fes compatriotes y des étrangers , & de fes ennemis, & auquel la poftérité
mettra le comble quand il ne pourra plus en joiiir t ;
: C e ne font pas là nos feules richeffes. Un Ecrivain judicieux, auffi bon citôÿen que grand
Philofophe, nous a donné furies principes des Lois un ouvrage détrié par quelques François,1
&éftimé de.toute l’Europe. D ’excellensauteurs ont.écrit l’hiftoire ; desëfpritsquftès:&: éclair
rés l’ont approfondie : la Comédie a acquis un nouveau genre , qu’on aufoit tort de re-;
jetter , puifqu’il en réfulte un plaiïir de plus, & qui n’a pas été' auffi inconnu des- anciens-
qu’on voudroit nous le perfuader j enfin nous avons plufieurs Romans qui nous empêchent
de regretter ceux du dernier fiëcle.
t . Les beaux Arts ne font pas moins en honneur dans notre nation. Si j’en crois, les Amateurs
éclairés , notre école dé Peinture eft la première de l’Europe & plufieurs ouvrages
dé nos Sculpteurs n’auroient pas été defavoüés par les Anciens. La Mufique eft peut-être de
tous.ces Arts celui q.ui.afait depuis quinze ans le plus de progrès parmi nous. Grâces aux
travaux d’un génieiîmâle , hardi & fécond ^ -les Etrangers qui ne pouvoient fouffrir nos
fymphonies j commencent à les goûter , & les François paroiffent enfin perfuadés que Lulli
avoit. laiffé dans ce genre beaucoup à faire. M. R ameau , en pouffant la pratique de fon
Art à un fi haut degrë de perfection , eft devenu tout enfemble le modèle & l’objet de laja-
loufie d’un grand nombre d’Artiftes , qui-le décrient en ^efforçant de l’imiter. Mais ce qui
le, diftingue plus particulièrement, c’eft d’avoir réfléchi avec beaucoup de fuccès fur la
théorie ae ce même Art ; d’avoir fû trouver dans la Baffe fondamentale le prineipë de l’har-f
inojiié& de la mélodie ; d’avoir réduit par ce moyen-à des lois plps certaines & plus Amples
une fciencë livrée avant lui à des réglés arbitraires ou diCtées .par une expérience aveugle. Je
faifis avec empreffement l’occafion de célébrer cet -Artifte philofophe , dans un difcours
deftiné
D E S E D I T E U R S . XXXllj
'defttne principalement à l’éloge des grands hommes. Son mérite, dônt il a forcé notre fie-
cle de convenir, ne fera bien connu que quand le tems aura fait taire l’envié ; & fon nom
cher à la partie de notre nation la plus éclairée, ne peut bleifer ici perfonne. Mais dût - il
déplaire à quelques .prétendus Mécènes.-, un Philofophe fefoit bien à plaindre, fi même en
matière de fciences & de goût -, il ne fe permettoit pas de dire la vérité.
Voilà les biens que nous poffédons. Quelle idée ne fe formera-t-on pas de nos tréfors
htteraires ,-fi l’on .joint aux Ouvrages de tant de grands hommes les traVaüx dé toutes les
Compagnies Lavantes , deftinées à maintenir le goût des Sciences St des Lettres, & à qui
rious devons tant d’excellens livres ! Dépareilles Sociétés ne peuvent manquer de pro*.
duire dans un Etat de grands avantages, pourvu qu’en les multipliant à l’excès , on n’en
facilite point l’entrée à un trop grand nombre de gens médiocres ; qu’on en banniffe toute
inégalité propre à éloigner ou à rebuter des hommes faits pour éclairer les autres ; qu’oit
n y connoiffe d’autre fupériorité que celle du génie } que la confidéraïion y foit le prix du
travail ; enfin que les réc.ompenfes y viennent chercher les talens, & ne leur foîent point
ènlevees par 1 intrigue. Gar il ne faut pas s’y tromper : on nuit plus au progrès de Tefprit en
plaçant mal les recompenfes qu’en les fupprimant. Avouons même à l’honneur des Lettres *
que les Savans n ont pas toujours befoin d’être récompenlés pour fe multiplier. Témoiit I Angleterre, à qui les Sciences doivent tant, fans que le Gouvernement faffe rien pour elles*
II eft vrai cjue la Nation les confidere, qu’elle les relpe&e même ; & cette efpece de récom-
p en ië , fiiperieure à toutes les autres, eft ftms doute le moyen le plus fur de faire fleurir le$
Sciences & les Arts ; parce que c’eft le Gouvernement qui donne les places , & le Public
ÿ u diftribue l’eftime. L ’amour des Lettres, qui eft un mérite chez nos voifins, n’eft encorè
à la vérité qu’une mode parmi nous, & ne fera peut-être jamais autre chofe j mais quelque
dangereufe que foit cette mode, qui pour un Mécene éclairé produit cent amateurs igno-
irans & orgueilleux, peut-être lui fômmes-nous redevables ae n’être pas encore tombés
dansht barbarie ou une foule de circonftances tendent à nous précipiter.
On peut regarder comme une des principales, cet amour du faux bel efprit; qui prote-
ge 1 ignorance, qui s’en fait honneur* & qui la répandra univerfellement tôt ou t a r i Elle
lera le fruit & le terme du mauvais goût $ j’ajoûte qu’elle en fera le remede. Car tout a des
révolutions reglees, & 1 obfcurité fe terminera par un nouveau fiecle de lumieré. Nous ferons
plus frappes du grand jour après avoir été quelque tems dans les ténèbres. Elles feront
comme une efpece d’anarchie très-funefte par elle-même, mais quelquefois utile par fes fui-
tes. Gardons-nous pourtant de fouhaiter une révolution fi redoutable $ la barbarie dure des
îiècles, il femble que ce foit notre élément ; la raifon & le bon goût ne font que paffer.
u * , ° i t peut-être ici le lieu de repoufler les traits qu’un Ecrivain éloquent & phiiofb-
phe* a lancés depuis peu contre les Sciences & les Arts , en les accufant de corrompre les
moeurs. Il nous fiéroit mal d’être de fon fentiment à la tête d’un Ouvrage tel que celui-ci ; Ôt
l’homme de mérite dont nous parlons femble avoir donné fon fuffrage à notre travail par lé
zele & le fuccès avec lequel il y a concouru. Nous ne lui reprocherons point d’avoir confondu
la culture de l’efprit avec l’abus qu’on en peut faire $ il nous répondroit fans doute
ique cet abus en eft inféparable : mais nous le prierons d’examiner fi la plûpart des maux qu’il
iattriblie aux Sciences & aux Arts ne font point dûs à des caufes toutes différentes, dont l’é-
humeration feroit auffi longue que délicate. Les Lettres contribuent certainement à rendré
la fociété plus aimable j il feroit difficile de prouver que les hommes en font meilleurs, & la
Vertu plus commune : mqis c’eft un privilège qu’on peut difputer à la Morale même.Et pour dire
encore plus, faudra-t-il profcrire des lois, parce que leur nom fert d’abri à quelques crimes
dont lès auteurs feroient punis dans une république de Sauvages ? Enfin quand nous ferions
i c i , au défàvantage des connoiffances humaines, un aveu dont nous fournies bien éloignés,
nous le fommes encore plus de croire qu’on gagnât à les détruire : les vices nous refteroient,
& noiis aurions l'ignorance de plus.
Finiffons cette Hiftoire des Sciences , en remarquant que les différentes formes de gouvernement
qui influent tant fur les efprits & fur la culture des Lettres, déterminent auffi les
èfpeces de connoifîanees qui doivent principalement y fleurir, & dont chacune a fon mérité
particulier. Il doit y avoir en général dans une République plus d’Orateurs, d’Hiftoriens, &
de Philofçphes j & dans une Monarchie * plus de Poètes, de Théologiens * & de Géomètres.
Cette réglé n’eft pourtant pas fi abfolue, qu’elle ne puiffe être altérée & modifiée par
une infinité de caufes.
A pres lés Réf lexions & les vues générales que nous avons crû devoir placer à la tête
* de1Gr tlêIe ’ auteur !a Part|e de l'Encyclopédie qui concerne la Mufique, & dont nous efpérons
e « era tl®s‘ , a compofé un Difcours fort éloquent > pour prouver que le rétabliflement des Sciences
& des Arts a corrompu les moeurs. Ce difcours a été couronné en 17*0 par l’Académie de Dijon avec les plus grands élo*
ges ; il a - rnprimé a Paris au commencement de cette année 17 j 1 > & a fait beaucoup d’honneur à fon Auteur.
I ortie 1. E