tous les chefs-d’oeuvre du dernier fiecle, en Eloquence, en Hiftoire, en Poëfie, & dans les
différens genres de littérature.
Malherbe , nourri de la lefture des excellens Poètes de l’antiquité, & prenant comme
eux la Nature jkrur modèle, répandit le premier dans notre Poëfie une harmonie & des beautés
auparavant inconnues. Ba l z a c , aujourd'hui trop méprifé, donna à notre Profe de la
nobleffe & du nombre. Les Ecrivains de P o r t - r o y a l continuèrent ce que Balzac avoir
commencé; ils y ajoutèrent cette précilion, cet heureux choix des termes, & cette pureté
qui ont confervé jufqu’à préfent à la plupart de leurs Ouvrages un atr moderne & qui les distinguent
d’un grand nombre de livres furannés , écrits dans., le même tems. C orneille ,
après avoir facrifié pendant quelques années au mauvais goût dans la carrière dramatique ,
s’en affranchit enfin ; découvrit par la force de fon. génie, bien plus que par la leéture, les
lois du Théâtre, & les expofa dans fes Difcours admirables fur la T ra géd ied an s fes réflexions
fur chacune de fes p iè c e sm a is principalement dans fes pièces même.^ R a c in e
s'ouvrant une autre route, fit paroître fur le Théâtre une paffion que les Anciens n’y avoient
guerre connue ; & développant les refforts du coeur humain, joignit à une élégance & une
vérité continues quelques traits de fublime. D e s pré aux dans fon art poétique fe rendit l’égal
d’Horace en l’imitant. M o l iere par la peinture fine des ridicules & des moeurs de fon
tems, laifla bien loin derrière lui la Comédie ancienne. L a F on ta ine fit prefque oublier
Efope & Phedre ; & Bossuet alla fe placer à côté de Démofthene.
Les Beaux-Arts font tellement unis avec les Belles-Lettres, que le même goût qui cultive
les unes , porte auffi à perfeéfionner les autres. Dans le même tems que notre littérature
s’enrichiffoit par tant de beaux Ouvrages , P oussin faifoit fes tableaux , & P u g e t fes
ilatues ; L e Sueur peignoir le cloître des Chartreux, & L e B run les batailles <1 Alexandre
; enfin L u lli , créateur d’un chant propre à notre Langue, rendoit par fa Mufique aux
poèmes de Q u in au l t l’immortalité qu’elle en recevoir! 11 faut pourtant avouer que la renaiflance de la Peinture & de la Sculpture avoir été beaucoup
plus rapide que celle de la Poëfie & de la Mufique ; & la raifon n’en eft pas difficile
à appercevoir. Dès qu’on commença à étudier les Ouvrages des Anciens en tout genre, les
chefs-d’oeuvre antiques qui avoient échappé en affez grand nombre à la fuperftition & à la
barbarie, frappèrent bientôt les yeux des Artiftes éclairés ; on ne pouvoit imiter les Praxi-
teles & les Phidias , qu’en faifant exactement comme eux ; & le talent n’avoit befoin que
de bien voir : auffi R aphaël & Mich e l -A n ge ne furent pas long-tems fans porter leur
art à un point de perfection, qu’on n’a point encore paflfé depuis. En général, l’objet de la
Peinture & de la Sculpture étant plus du reffort des fêns, ces Arts ne pouvoient manquer de
précéder la P oë fie, parce que les fens ont dû être plus promptement affeétés des, beautés
fenfibles & palpables des ftatues anciennes, que l’imagination n’a dû appercevoir les beautés
intelleâuélles & fugitives des anciens Ecrivains. D ’ailleurs, quand elle a commencé à les
découvrir, l’imitation dè cës mêmes beautés, imparfaite par fa fervitude & par la Langue
étrangère dont elle fe fervoit, n’a.pû manquer de nuire aux progrès de l’imagination même.
Q u ’on fuppofe pour un moment nos Peintres & nos Sculpteurs privés de l’avantage
qu’ils avoient de mettre en oeuvre la même matière que les Anciens : s’ils euffent, comme
nos Littérateurs, perdu beaucoup de tems à rechercher & à imiter mal cette matière , au
lieu de fonger à en employer une autre, pour imiter les ouvrages même qui faifoient l’objet
de leur admiration, ils auraient fait fans doute un chemin beaucoup moins rapide , &
en fèroient encore à trouver le marbre.
A l’égard de la Mufique, elle a dû arriver beaucoup plus tard à un certain degré de perfection,
parce que c’eftun art que les Modernes ont été. obligés de créer. Le tems a détruit
tous les modèles que les Anciens avoient pû nous laiffer en cé genre ; & leurs Ecrivains, du
moins ceux qui nous reftent, ne nous ont tranfmis fur ce fiijet que des connoilfances très-
obfcures, ou des hiftoires plus propres à nous étonner qu’à nous inftruire. Auffi plufieurs de
nos Savans , pouffes peut-être par une efpece d’amour de propriété , ont prétendu que
nous avons porté cet art beaucoup plus loin que les Grecs ; prétention que le défaut de mo-
numens rend auffi difficile à appuyer qu’à détruire , & qui ne peut être qu’aflez.foihlement
combattue par les prodiges vrais ou fuppofés'de la Mufique ancienne. Peut- être ferait-il
permis de conjeéfurer, avec quelque vraiffemhlànce , que. cette Mufique étoit tout-à-fait
différente de la nôtre, & que fi l’ancienne étoit fupérieure par la mélodie, l’harmonie donne
à la moderne des avantages.
Nous ferions injuftes, fi à l’occafion du détail où nous venons d’entrer, nous ne recou-
noiffions point ce que nous devons à l’Italie,; c’eft d’elle que nous avons reçu lés Sciences,
qui depuis.ont fructifié fi abondamment dans toute l’Europe ; c’efl: à elle fur-tout que nous
devons les Beaux-Arts & le bon g oû t, dont elle nous a fourni un grand nombre de modèles
inimitables.
Pendant que les Arts & Jes Belles - Lettres étoient en honneur, il s’en falloit beaucoup
que la Phjdofophie fît le même progrès, du moins dans chaque nation prife en corps ; elle'
n’a reparu que,beaucoup plus,tard. C e n’ëftpas qu’au fond il foit plus aifé d’exceller dans les
Belles-Lettres que dans la Philofophie ; la fupériorité en tout genre eft également difficile
à atteindre. Mais la lecture des Anciens devoit contribuer plus promptement à l’avancement
des Belles-Lettres &,du bon g o û t, qu’à celui des Sciences naturelles. Les beautés littéraires,
n’ont pas befoin d’être vûes long-tems pour être fendes ; & comme les hommes
fentent avant que de penfer, ils doivent par la même raifon juger ce qu’ils fentent avant
de juger ce qu’ils penfent. D ’ailleurs , les Anciens n’étoient pas à beaucoup près fi parfaits
comme Philofophes que comme"Ecrivains. En effet, quoique dans l’ordre de nos idées les
premières opérations de la raifon précèdent les premiers efforts de l’imagination , celle-ci
quand elle a fait les premiers pas , va beaucoup plusvîte que l’autre: elle a l’avantage de
travailler fur -des objets quelle enfante; au lieu que la raifon forcée de fe borner à ceux
qu’elle a devant e lle , & de s’arrêter à chaque inftant, ne s’épuife que trop fouvent en recherches
infruftueufes. L ’univers & les réflexions font le premier livre des vrais Philofophes,
& les Anciens l’avoient fans doute étudié :• il étoit donc néceffairé de faire comme eux ;
on ne pouvoir fuppléer à cette étude par celle de leurs ouvrages, dont la plupart avoient
été détruits , & dont un petit nombre mutilé par le tems ne pouvoit nous donner fur une matière
auffi yafte que des, notions fort incertaines & fort altérées.
LaScholaftique, qui compofoit toute la Science.prétendue des fiécles d’ignorance, nuilbit
encore aux progrès de la vraie Philofophie dans ce premier fiecle de lumière. On étoit per-
fuadé depuis un tems, pour ainii dire, immémorial, qu’on poflëdoit dans toute fa pureté
la doârine d’Ariftote , commentée par les Arabes, & altérée par mille additions abfurdes
ou puériles ; & on ne penfoit pas même à s’affûrer ficette Philofophie barbare étoit réellement
celle de ce grand homme , tant on avoit conçu de refpeâ pour les Anciens. C ’eft
ainfi qu’une foule de peuples nés & affermis dans leurs erreurs par l’éducation, fe croyent
d’autant plus fincerement dans le chemin de la vérité , qu’il ne leur eft même jamais venu
en penfée de former fur cela le moindre doute. Auffi , dans le tems que plufieurs Ecrivains
, rivaux des Orateurs & des Poètes Grecs , marchoient à côté de leurs modèles, ou
peut-être même les furpaffoient, la Philofophie Grecque, quoique fort imparfaite, n’étoit
pas même bien connue.., .
, Tant de préjugés, qu’une admiration aveugle pour l’antiquité contribuoit à entretenir,'
fembloient fe fortifier encorejpar l’abus qu’ofoiejit faire de la foûmiffioh des peuples quelques
Théologiens peu nombreux , mais puiffans : je dis peu nombreux, car je fuis bien éloigné
d’étendre à un Corps refpeéfable & très-éclairé une âccufàrion qui fe borne à quelques-
uns de fes membres. O h avoir permis aux Poètes de chanter dans leurs Ouvrages les divinités
duPagènifme, parce qu’on étoit perfuadé avec raifon que les noms de ces divinités ne pouvoient
plus être qu’un jeu dont on n’avoit rien à craindre. Si d’un cô té , la religion des Anciens
, qui animoit tout, ouvrait un yafte champ à l'imagination des beaux Efprits ; de l’autre
, les principes en étoient trop abfurdes, pour qu’on appréhendât de Voir reffufcitër Jupiter
& Pluton par quelque feéie de Novateurs. Mais l’on craignoit, ou l’on paroifloit craindre,
les coups qu’une raifon aveugle pouvoit porter au Chriftianifme comment né voyoit-
on pas qu’il n’avoit point à redouter, une attaque auffi foible ? Envoyé' du ciel aux hoffi-
mes., la vénération ,fi jufte & fi ancienne que les peuples lui témoighoïent, avoit été'.ga-
rantie pour toujours par. les promefles de Dieu même. D ’ailleurs, quelque abfurde qu’une
religion,puiffe être ( reproche que l’impiété feule peut faire à la nôtre), ce ne font jamais
les Philofophes qui la détruifent : lors même qu’ils enfeignent la vérité, ils fe contentent dé
la montrer ,-.fans forcer perfonne à la reconnoître ; un tel pouvoir n’appartient qu’à l’Etre
tout-puiffant : c e font les hommes infpirés qui éclairent le peuple , & les enthoufiaftes qui
l’égarent. Le frein qu’on eft obligé de mettre à la licence de ces dernières ne doit point riuirè
à cette liberté fi néceffaire à la vraie Philofophie, & dont la religion peut tirer lés phis grands
avantages. Si le Ghriftanifme ajoute à la Philofophe les lumières qui lui manquent, s’il
n’appartient qu’à la Grâce de foûmettre les incrédules, c’eft à la Philofophie qu’il èft ré-
fervé de les réduire au filence ; & pour affûrer lé triomphe de la F o i, les Théologiens dont
nous parlons n’avoient qu’à faire ufage des armes qü’on durait voulu employer contré elle.
Mais parmi ces mêmes hommes, quelques-uns avoiènt urt intérêt beaucoup plus1 réel de
s’oppofer à l’avancement de la Philofophie. Fauffément perfùadés que là croyance des peuples
eft d’autant plus ferme, qu’on l’exerce fur plus d’objets différens, ils ne fe contenfqiënt
pas d’exiger pour nos Myfteres lafoûmiffion qu’ils méritent, ils cherchoient à ériger é'n dogmes
leurs.opinions particulières; & c’étoit ces opiniohs mêmes, bien plus que les dognies,,
qu’ils voulqient mettre en fureté. Par-là ils auroiént porté à la religion lé' coup le plus ter-!
rible, fi elle eût été, l’ouvrage des hommes ; car il étoit à craindre què; leurs opinions étant