qu’entre Cès âmes ainfi multipliées, ils cfôyôient
qu’il n’y en avoit qu’une feule qui fût partie de la
Divinité. Les autres étoient feulement une matière
élémentaire, ou de pures qualités.
Quelque différence de fentiment qu’il y eût fur
la nature de Yame, tous ceux qui croyoient que c’é-
toit une fubftance réelle, s’accordoient en ce point,
qu’elle étoit une partie de la fubftance de D ie u ,
qu’elle en avoit été féparée , 8c qu’elle devoit y retourner
par réfufion : la propofition eft évidente par
elle-même à l’égard de ceux qui n’admettoient dans
toute la nature qu’une feule fubftance univerfelle ;
& ceux qui en admettoient deux, les confidéroient
comme réunies & compofant enfemble l’univers,
précifément comme le corps & Yame compofent
l’homme : Dieu en étoit Yame, 8c la matière le corps ;
8c de même que le corps retournoit à la mafle de la
matière dont il étoit forti, Yame retournoit à l’efprit
univerfel, de qui tous les efprits tiroient leur fubftance
& leur exiftence.
C ’eft conformément à ces idées que Cicéron ex-
pofe les fentimens desPhilofophes grecs : « Nous ti-
» rons, dit-il, nous puifons nos âmes dans la nature
» des Dieux, ainfi que le foûtiennent les hommes
» les plus fages 8c les plus favans ». Les expreflions
Originales font plus fortes 8c plus énergiques : A
naturâ deorum , ut doclifjîmis fapientijjimijque placuit,
haujlos animos & libaios habemus. De Div. lib. II. c.
xljx. Dans un autre endroit, il dit que l’efprit humain
qui eft tiré de l’efprit divin, ne peut être comparé
qu’à Dieu : Humanus autem animus decerptus ejl
mente divin a , cum alio nullo nijî cum ipfoDeo compa-
raripotefi. Tufcul. quæft. lib. V . c .x v . Et afin qu’on
ne s’imagine pas que ces fortes de phrafes,qae Yame
eft une partie de Dieu, qu’elle eft tirée de lui, de
fa nature ( phrafes qui reviennent continuellement
dans lès écrits des anciens), ne font que des expreflions
figurées, &. que l’on ne doit point interpréter
avec une févérité métaphyfique, il rte faut qu’obfer-
ver la cônféquence que l’on tiroit de ce principe, 8c
qui a été univerfellement adoptée par toute l’antiquité
, que Yame étoit éternelle, à parte ante & à
parte pofi ; c’ eft-à-dire qu’elle étoit fans commencement
8c fans fin, ce que les Latins exprimoient par
le feul mot de fempiternelle. C ’eft ce que Cicéron
indique affez clairement, quand il dit qu’on ne peut
trouver fur la terre l’origine des âmes : « On ne ren-
,> contre rien, dit-il, dans la nature terreftre, qui
» ait la faculté de fe reffouvenir & de penfer, qui
* puifle fe. rappeller le paffé, confidérer le préfent,
» & prévoir l’avenir. Ces facultés font divines ; 8c
« l’on ne trouvera point d’où l’homme peut les avoir,
» fi ce n’eft de Dieu. Ainfi ce quelque chofe qui fent,
» qui goûte, qui veut, eft célefte 8c divin, & par
», cette raifon il doit être néceffairement éternel ».
La maniéré dont Cicéron tire la cônféquence, ne
permet pas d’envifager le principe dans un autre fens
que dans un fens précis 8c métaphyfique.
Lorfqu’on dit que les anciens croyoient l’éternité
de Yame, fans commencement comme fans fin, on
ne doit pas s’imaginer qu’ils cruflent queYame exiftât
de toute éternité d’une maniéré diftinrie & particulière,
mais feulement qu’elle étoit tirée ou détachée
de la fubftance éternelle de Dieu , dont elle faifoit
partie, & qu’elle s’y devoit réunir & y rentrer de
nouveau. C ’eft ce qu’ils expliquoient par l’exemple
d’une bouteille remplie d’eau, nageant dans la mer,&
venant à fe brifér; l’eau coule de nouveau 8c fe réunit
à la mafle commune : il en étoit de même de Yame
â la diflolution du corps. Ils ne différoient que fur le
tems de cette réunion; la plus grande partie foûte-
noit qu’elle fé faifoit à la mort, 8c les Pythagoriciens
prétendoiènt qu’elle ne fe faifoit qu’après plufieurs
tranfmigrations. Les Platoniciens marchant entre ces
deux opinions, ne réunifloient à l’efprit univerfel
immédiatement après la mort, que les âmes pures 8t
fans tache. Celles qui s'étoient touillées par des vices
ou par des crimes, pafloient par une fuccefliori
de corps différens, pour fe purifier avant que dé
retourner à leur fubftance primitive. C ’étoit-Ià les
deux efpeces de métempfycofes naturelles, dont fai*
foiept réellement profeflion ces deux écoles de Phi-
lofophie.
Que ce foient-là les véritables fentimens de l’an-*
tiquité, nous le prouvons par les quatre grandes
fériés de l’ancienne Philofophie ; favoir, les Pythagoriciens
, les Platoniciens, les Péripatéticiens, & les
Stoïciens : l’expofition de leurs fentimens confirmera
ce que nous avons dit de ceux des Philofophes en
général fut la nature de Yame.
Cicéron, dans la perfonne de Velleius l’Epicurien,'
accufe Pythagore de foûtenir que Yame étoit une
fubftance détachée de celle de Dieu, ou de la nature
univerfelle, & de ne pas voir que par - là il mettoit
Dieu en pièces 8c en morceaux. « Pythagore 8c Em-
» pédocle , dit Sextus Empiricus , croyoient, ainfi
» que toute l’école Italique, que nos âmes font non-
» feulement de la même nature les unes que les aü-
» très, mais qu’elles font encore de la même nature
» que celles des dieux, 8c que les âmes irrationnelles
» des brutes ; n’y ayant qu’un feul efprit infus dans
» l’univers qui lui fournit des âmes , & qui unit les
» nôtres avec toutes les autres ».
Platon appelle fouvent Yame fans aucun détour,'
Dieu, une partie de Dieu. Plutarque dit que Pythagore
8c Platon croyoient Yame immortelle, 8c que
s’élançant dans Yame univerfelle de la nature, elle
retournoit à fa première origine. Arnobe accufe les
Platoniciens delà même opinion, en les apoftrophant
de la forte : « Pourquoi donc Yame que vous dites
» être immortelle, être Dieu, eft-elle malàde dans les
» maladies, imbécille dans les enfans, caduque dans
»les viellards? ô fo lié , démence, infatuation » !
Ariftote, à quelques modifications près , penfoit
fur la nature de Yame comme les autres Philofophes.
Après avoir parlé des âmes fenfitives, & déclaré
qu’elles étoient mortelles, il ajoûte- que l’efprit ou
l’intelligence exifte de tout tems, & qu’elle eft de
nature divine : mais il fait une fécondé diftinriion ;
il trouve que l’efprit eft ariif qu paflif, & que de
ces deux fortes d’efprit le premier eft immortel &
éternel, le fécond corruptible. Les plus favans commentateurs
de ce Philofophe ont regardé ce paflage
comme inintelligible, 8c ils fe font imaginés que
cette obfcurité provenoit des formes & des qualités
qui inferient fa philofophie, & qui confondent enfemble
les fubftances corporelles & incorporelles.
S’ils euflent fait attention au fentiment général des
Philofophes grecs fur Yame univerfelle du monde,
ils auroient trouvé que ce paflage eft clair, & qu’A-
riftote-, de ce principe commun que Yame eft une
partie de la fubftance divine, tire ici une conclufion
contre fon exiftence particulière & diftinrie dans un
état futur : fentiment qui a été embrafle par tous les
Philofophes, mais qu’ils n’ont pas tous avoué auflî
ouvertement. Lorfqu’Ariftote dit que l’intelligence
ariive eft feule immortelle 8c éternelle, 8c que l’intelligence
paflive eft corruptible ; le fens de ces ex-
premons ne peut être que celui-ci : que les fenfations
particulières deYame, en quoi conflue fon intelligence
paffible j cefleront à la mort : mais que la fubftance,
en quoi çonfifte fon intelligence ariive, continuera
de fübfifter, non féparément, mais confondue dans
Yame de l’univers. Car l’opinion d’Ariftote, qui com-
paroit Yame à une table rafe, étoit que les fenfations
& lés réflexions ne font que des pallions de Yame , &
c’eft ce qu’il appelle Yirttelligence pajjive, qui comme
il le dit , çeflera d’exifter , ou qui eu d’autres termes
équivalens ^
. éqüivalerts, eft corruptible. Sés commentateurs 8c
. fes paroles mêmes nous apprennent ce qu'il faut entendre
par Yintelligence aîlive, en la caraftérifant
<l’intelligence divine, ce qui en indique & l’origine &
la fin. Par-là cette diftinriion, extravagante en apparence
, de l’efprit humain en intelligence ariive &
paflive, paroît Ample 8c exarie. Pour n’avoir point
. eu la clé de cette ancienne métaphyfique, les parti-
fans d’Ariftote ont été fort partagés entr’eu x, pour
. décider ce que leur maître croyoit de la mortalité ou
de l’immortalité de Yame. Les expreflions à’intelli-
gence pajjive ont même fait imaginer à quelques-uns,
comme à Némefius, qu’Ariftote croyoit que Yame
n’étoit qu’une qualité.
Quant aux Stoïciens, voyons la maniéré dont Sé-
neque expofe leurs fentimens : « Et pourquoi, dit-il,
» ne croiroit-on pas qu’il y a quelque chofe de divin
» dans celui qui eft une partie de la divinité même ?’
» Ce tout dans lequel nous fommes contenus eft un,
» & cet un eft Dieu. Nous fommes fes aflociés, nous
» fommes fes membres ». Epiriete dit que les âmes des
hommes ont la relation la plus étroite avec Dieu ;
qu’elles en font des parties ; qu’elles font des fragmens
iéparés 8c arrachés de fa fubftance. Enfin MarcAn-
tonin combat par ces réflexions la crainte de la mort.
« La mort, dit-il, eft non-feulement conforme au
» cours de la nature, mais elle eft encore extrème-
.» ment utile. Que l’on examine combien un homme
» eft étroitement uni à la divinité ; dans quelle partie
» de nous-mêmes cette union réfide, 8c quelle fera la
.»> condition de cette partie ou portion de l’humanité
» au moment de fa réfufion dans Yame du monde ».
Les fentimens des quatre grandes fériés des philo-
jbphes font, comme on le vo it, à-peu-près uniformes
fur ce point. Ceux qui croyoient, comme Plutarque,
.qu’il y avoit deux principes, l’qn bon 8c l’autre mauvais
, croyoient que Yame é to it ,tirée , partie de la
fubftance de l’un, & partie de la fubftance de l’autre
; & ce n’étoit qu’en cette circonftance feule qu’ils
différoient des autres philofophes.
Peu de tems après la naiflançe du Chriftianifme,
les philofophes étant puiffamment attaqués par les
écrivains, chrétiens , altérèrent leur philofophie &
leur religion, en rendant leur philofophie plus reli-
gieiife 8c leur religion plus philofophique. Parmi les
rafinemens du Paganifme., l’opinion qui faifoit de IV
pie une partie de la fubftance divine, fut adoucie.
Les Platoniciens la bornèrent à Yame des brutes. Toute
ptiiffance irrationnelle, dit Porphyre, retourne par réfu-
Jîon dans l'ame du tout. Et l’ondoit remarquer que ce
n’eft feulement qu’alors que les philofophes commencèrent
à croire réellement & fincerement le dogme
des peines & des récompenfes d’une autre vie. Mais
les plus fages d’entr’eux n’eurent pas plûtôt abandonné
l’opinion de Yame univerfelle, que Ies.Gnofti-
ques, les Manichéens & les Prifcilliens s’en.empare-
rent : ils la tranfmirent aux Arabes, de qui les athées
de ces derniers fiecles, 8c notamment Spinofa, l’ont
empruntée.
On demandera peut-être d’où les Grecs ont tiré
cette opinion fi étrange de Yame univerfelle du monde
; opinion aufli déteftàble que l’athéifme même,
&que M. Bayle trouve avec raifon plu$ abfurde que
le îyfteme des atomes dé Démocrite 8c d’Epicure.
On s!eft imaginé qu’ils avoienf tiré cette opinion
d’Egypte. La nature feule de cette opinion fait fuffi-
famment voir qu’elle n’eft point égyptienne : elle eft
trop rafinée, trop fubtile, trop métaphyfique, trop
fyftématique : l’ancienne philofophie des Barbares
( foqs ce nom les Grecs ëntendoient les Egyptiens
comme les autres nations ). confiftoit feulement ên
maximes.détachées, trapAnifesdes maîtres auxdif-
ciples par la tradition,,où rien ne refîentôit lâ fpé-
çulation, & où l’on ne tiouYoittii les rafinemens ni
#vmc/, ' ' - ........... .
les fubtilites qui naiffent des fyftèmes & des hypo-
thèfes. Ce carariere Ample ne regnoit nulle part plus
E8yPte\ Eeurs fages n’étoient point des fo-
phiftes fcholaftiques 8c fedentaires, comme ceux des
, Grecs; ils s’occupoient entièrement des affaires publiques
de la religion 8c du gouvernement ; 8c en con-
fequence de ce caraftere, ils ne pouffoient les Sciences
que jufqu’où elles étoient néceffaires pour les
ufages de la vie. Cette fageffe fi vantée, des Egyptiens
, dont il eft parle dans les faintes Écritures,' confiftoit
effentiellement dans les arts du gouvernement,
dans les talens de la légiflature, & dans la police de
la fociété: civile.
Le carariere des premiers Gre cs, difciples des
Egyptiens, confirme cette vérité ; favoir, que les
Egyptiens ne philofophoient ni fur des hypothèfes,
ni d’une maniéré fyftématique. Les premiers fages
de la Grèce, conformément à l’ufage des Egyptiens
leurs maîtres, produifoient leur philofophie par maximes
détachées & indépendantes , telle certainement
qu’ils l’avoient trouvée, & qu’on la leur avoit
enfeignée. Dans ces anciens tems le philofophe & le
théologien, le légiflateur 8c le poète, étoient tous
réunis dans la même perfonne : il n’y avoit ni divers
fité de fériés, ni fucceflion d’écoles : toutes ces cho-
fes font des inventions greques , qui doivent leur
naiflançe aux fpéculations de ce peuple fubtil 8c
grand raifonneur.
Quoique l’oppofition du génie de la philofophie
égyptienne avec le dogme de Yame univerfelle, foit
feule fuffifante pour prouver que ce dogme n’étant
point égyptien ne peut être que grec , nous en confirmerons
la vérité en prouvant que les Grecs en furent
les premiers, inventeurs. Le plus beau principe
de la phyfique des Grecs eut deux auteurs, Démocrite
8c Séneque : le principe le plus vicieux de leur
métaphyfique eut de même deux auteurs, Phérécide
le Syrien 8c Thaïes le Miléfien, philoiophes contemporains.
Phérécide le Syrien, dit Cicéron, fut le premier
qui foûtint que les âmes des hommes étoient fempi-
ternelles ; opinion que Pythagore fon difciple accrédita
beaucoup.
Quelques perfonnes, dit Diogene Laërce, prétendent
que Thalès fut le premier qui foûtint que les
âmes des hommes étoient fempiternelles. Thalès, dit
encore Plutarque, fut le premier qui enfeigna que
Yame eft une nature éternellement mouvante, ou fe
mouvant par elle-même.
On entend communément par le paflage ci-defliis
de Cicéron, & pa:r celui de Diogene Laërce, que les
philofophes dont il y eft fait mention, font les premiers
qui ayent enfeigné l’immortalité de Yame. Mais
comment accorder ce fentiment avec ce que dit C icéron
, ce que dit Plutarque, ce qu’ont dit tous les
anciens, que l’immortalité de Yame étoit une chofe
que l’on avoit crûe de tout tems ? Homere l’enfeignei
Hérodote rapporte que les Egyptien? Pavoient en-
feignéedepuis les tems les plus reculés : c’eft fur cette
opinion qu’étoit fondée la pratique fi ancienne de
déifier les morts. Il en faut conclure, qu’il n’eft pas
queftion dans ces paflages de la fimple immortalité ,
confidérée comme .une.exiftence qui n-aurappint de
fin, mais qu’il faut entendre une exiftence fans com-v
mencement, aufli-bien que fans fin : c’eft ee que lignifie
le mot de fempipernelleftont fe fert Cicéron. Or.
l’éternité de Yame étoit, comme nous .Payons déjà
fait voir, une cônféquence qui ne pouvoitnaîtré que
du principe qui faifoit Yame de l’homme une-partie,
de D ieu, & qui par çonféquent faifoit Qieu Yame univerfelle
du monde. Enfin J’antiqujité nous apprend1
que ces deux philofophes penfoient qu’il y avoit une,
orne univerfelle ; 8c l’on doit obferver que ce dogme
eft fouvent appelle le dogme de l'immortalitjé. .