
adreffe la parole : on les voit ces êtres, puifqu’oii
leur parle ; ils font préfens, au moins à l’imagination
: on n’a donc pas befoin $ article pour les tirer
de la généralité de leur efpece, & en faire des individus.
Couler, ruiffeau , coule\[ , fuytç-nous.
Hélasy petits moutons, que vous êtes heureux !
Fille des plaifirs, trifie goutte ! Deshoulieres.
Cepehdant quand on veut appeller un homme ou
une femme du peuple qui paffe, on dit communément
/’homme, la femme : écoute[ , la belle fille, la belle
enfant, & c . Je crois qu’alors il y a elliple : écoute£ ,
Vous qui êtes la belle fille, &c. vous qui êtes l'homme
à qui je veux parler, &c. C ’eft ainfi qu’en latin un
adjeftif qui paroît devoir fe rapporter à un vocatif,
eft pourtant quelquefois au nominatif. Nous difons
fort bien en latin, dit Sanâius,' deffende me, amice mi,
6c deffende me, amicus métis, en foufentendant tu qui
es amicus meus (Sanô. Min. I. I I . c. vj.') Térence,
(Phorm. acl. II. fc. dit, o virfortis, atque amicus!
c’eft-à-dire, ô quàm tu es vir fortis, atque amicus ! ce
que Donat trouve plus énergique que fi Térence
avoit dit amice. M. Dacier traduit, ô le brave homme,
& le bon ami ! on foufentend que tu es. Mais revenons
aux vrais noms propres.
Les Grecs mettent fouvent Y article devant les noms
propres, fur-tout dans les cas obliques, & quand le
nom ne commence pas la phrafe ; ce qu’on peut remarquer
dans l’énumération des ancêtres de J. C. au
premier chapitre de S. Matthieu. C et ufage des Grecs
fait bien voir qué Y article leur fervoit à marquer l’action
de l’efprit qui fe tourne vers un objet. N’importe
que cet objet foit un nom propre ou un nom appel-
latif ; pour nous, nous ne mettons pas Y article, fur-
tout devant' les noms propres perfonnels : Pierre ,
Marie, Alexandre, Céfar, & c . Voici quelques remarques
à ce fujet,
I. Si par figure on donne à un nom propre une lignification
de nom d’efpece, 6c qu’on applique en-
fuite cette lignification, alors on aura befoin de Y article.
Par exemple, fi vous donnez au nom $ Alexandre
la lignification de conquérant ou de héros, vous direz
que Charles X II. a été Y Alexandre de notreJiecle :
c’eft ainfi qu’on dit les Cicérons, les Démojlhenes,
c’eft-à-dire les grands orateurs, tels que Cicéron St
Démofthene; les Firgiles, c ’eft-à-dire les grands
poètes.
M. l’abbé Gedoyn obferve (differtation des anciens
& des modernes, p. €>4.) que ce fut environ vers le fep-
tieme Jiecle de Rome que les Romains virent fleurir leurs
premiers poètes, Nevius , Accius, Pacuve & Lucilius,
qui peuvent, dit-il, être comparés, les uns à nos Def-
portes, a nos Ronfards & à nos Regniers ; les autres à
nos Tri flans & à nos Ro trous; oit vous voyez que tous
ces noms propres prennent en ces occafions une s
à la fin, parce qu’ils deviennent alors comme autant
de noms appellatifs.
Au refte , ces Defportes, ces Trifians 6c ces Ro-
trous, qui on précédé nos Corneilles, nos Racines, &c.
font bien voir que les arts & les fciences ont, comme
les plantes 6c les animaux, un premier âge, un tems
d’accroiffement : un tems de co n fian ce , qui n’eft
fuivi que trop fouvent de la vieilleffe & de la décrépitude
, avant-coureurs de la mort. Voyez l’état oit
font aujourd’hui les arts chez les Egyptiens & chez
les Grecs. Les pyramides d’Egypte & tant d’autres
monumens admirables que l’on trouve dans les pays
les plus barbares, font une preuve bien fenfible de
ces révolutions & de ces viciffitudes.
■ '■ ■ Dieu eft le nom du fouverain être ; mais fi par rapport
à fes divers attributs on en fait une forte de nbm
d’efpece, on dira le Dieu de miféricorde, 6cc. le Dieu
dis Chrétiens, & ç .
II. Il y a un très-grand nombre de noms propres
qui dans leur origine n’étoient que des noms appellatifs.
Par exemple, Ferté, qui vient par Jyncope de
fermeté, fignifioit autrefois citadelle; ainfi quand on
vouloit parler d’une citadelle particulière, on difoit-
la Ferté d’un tel endroit, 6c c’eft d,e-là que nous viennent
la Ferté-Imbaut, la Ferté-Milon, &c.
Mefnil eft auffi un vieux mot qui fignifioit maifon
de campagne, village, du latin manile, 6c manjilt dans'
la baffe latinité. C ’eft de-Ià que nous viennent les
noms de tant de petits bourgs appellés le Mefnil. If
en eft de même de le Mans, le Perche, 6cc. le Catelet,
c’eft-à-dire le petit Château , le Quefhoi, c’étoit un
lieu planté de chênes ; le Cké prononcé par K é , à la
maniéré de Picardie, & des pays circonvoifins.
Il y a auffi plufieurs qualificatifs qui font devenus
noms propres d’hommes, tels que le blanc, le noir, le
brun, le beau, le bel, le blond, 6cc. 6c ces noms con-
fervent leurs prénoms quand on parle de la femme ;
madame le Blanc , c’eft-à-dire femme de M. le Blanc.
III. Quand on parle de certaines femmes, on fe
fert du prénom la , parce qu’il y a un nom d’efpece
fous-entendu ; la le Maire, c’e f t-à r dire l'actrice le
Maire.
IV. C ’eft peut-être par la même raifon qu’on dit
le Taffe, CAriofie, le Dante; en fous-entendant le poë- ■
te ; & qu’on dit le Titien, le Carrache, en fous-entendant
le peintre : ce qui nous vient des Italiens.
Qu’il me foit permis d’obferver ici que les noms
propres de famille ne doivent être précédés de la pré-
pofition de , que lorfqu’ils font tirés de noms de terre.
Nous avons en France de grandes maifons qui ne font
connues que par le nom de la principale terre que le
chef de la maifon poffédoit avant que les noms propres
de famille fuffent en ufage. Alors le nom eft précédé
de la prépofition de , parce qu’on fous-entend
fire, feigneur, duc, marquis, 6cc. ou Jieur d'un tel fie f
T elle eft la maifon de France, dont la branche d’aîné
en aîné n’a d’autre nom que France.
Nous avons auffi des maifons très-illuftres & très-
anciennes dont le nom n’eft point précédé de la prépofition
de, parce que ce nom n’a pas été tiré d’un
nom de terre : c’eft un nom de famille ou maifon.
Il y a de la petiteffe à certains gentilshommes d’ajouter
le de à leur nom de famille ; rien ne décele tant
l’homme nouveau & peu inftruit.
Quelquefois les noms propres font accompagnés
d’adjeûits, fur quoi il y a quelques obfervations à
faire.
I. Si l’adjeéfif eft un nom de nombre ordinal, tel.
que premier, fécond, 6cc. 6c qu’il fuive immédiatement
fon fubftantif, comme ne faifant enfemble
qu’un même tou t, alors on ne fait aucun ufage de
Y article : ainfi on dit François premier, Charlesfécond
Henri quatre , pour quatrième.
II. Qand on fe fert de l’adjeftif pour marquer une
fimple qualité du fubftantif qu’il précédé, alors Y article
eft mis avant l’adjeâif, le favant Scaliger, le galant
Ovide, &c.
III. De mêmefil’adje&if n’eft ajouté que pour distinguer
le fubftantif des autres qui portent le même
nom, alors l’adjeftif fuit le fubftantif, 6c cet adje&if
eft précédé de Y article: Henri le grand, Louis le jufle,
&c. où vous voyez que le tire Henri 6c Louis du nombre
des autres Henrts 6c des autres Louis, 6c en fait
des individus particuliers, diftingués par une qualité
fpéciale.
IV. On dit auffi avec le comparatif & avec le fu-
perlatif relatif, Homere le meilleur poète de L'antiquité,
Farron le plus f avant des Romains.
Il paroît par les obfervations ci-deffus, que lorsqu’à
la fimple idée du nom propre on joint quelqu’au-
tre idée, ou que le nom dans fa première origine a
été tiré d’un nom d’efpece, ou d’un qualificatif qui
été adapté à un objet particulier par le changement
de quelques lettres > alors on a recours au prépofitif
par une fuite de la première origine : c’eft ainfi que
nous difons le paradis, mot qui à la lettre fignifie un
jardin planté d’arbres qui portent toute forte d’ex-
cellens fruits, 6c par extenfion un lieu de délices.
L'enfer , c’eft un lieu bas, d'inferus ; via inféra, la
rue d’enfer, rue inférieure par rapport à une autre qui
eft au-déffus. L'univers, univerfus ûrbis ; Y être univer-
f e l , Caffemblage de tous les êtres.
Le monde , du Latin, mundus , adjeôif, qui fignifie
propre, élégant, ajufié,paré, 6c qui eft pris ici fubftan-
tivement : 6c encore lorfqu’on dit mundus muliebris,
la toilette des dames oii font tous les petits meubles
dont elles fe fervent pour fe rendre plus propres,
plus ajuftées & plus féduifantes : le mot G rec uUyoç,
qui ûgniûeordre, ornement, beauté, répond au mundus
des Latins.
Selon Platon, le monde fut fait d’après l’idée la
plus parfaite que Dieu en conçut. Les Payens frappés
de l’éclat des aftres 6c de l’ordre qui leur paroiffoit
régner dans l’univers, lui donnèrent un nom tiré de
cette beauté 6c de cet ordre. Les Grecs, dit Pline,
Vont appellé d?un nom qui fignifie ornement, & nous
d'un nomqui veut dire, élégance parfaite. (’Quemxotryov
Greeci, nomine ornamenti appellaverunt, eum & nos à
perfeclâabfolutâqueelegantiâmundum. Pline il. 4 .) Et
Cicéron dit, qu’il n’y a rien de plus beau que le mon*
d e , ni rien qui foit au-deffus de l’archite&e qui en eft
l’auteur. ( Neque mundo quidquam pulchrius, neqüe ejus
adficatorepmflantius. C ic. de univ. cap. ij. ) Cum con-
tinuiffet Deus bonis omnibus explere mundum....fic rat us
tfl opus illud effeclum effe pulchetrimum. Çib. iij. ) Hanc
igiturhabuit rationem effeclor mundi molitorque Deus, ut
unum opus totum atque perfeclum ex omnibus totis atque
perjeclis abfolveretur. ( ib. v. ) Formam autem & maxi*
mè Jîbi cognatam & decoram dédit. ( ib. vj. ) Animum
igitur cum Me procreator mundi Deus , ex fuâ mente &
divinitategenüiffet, &c. ( ib. viij.) Ut hune hâc varie-
tate diftinclum benh Graci xovyovj non lucentem mundum
nominaremus. ( ib. x . )
Ainfi quand.les Payens de la Zone tempérée fep-
tentrionale , regardotent l’uni verfalité des êtres du
beau cô té, ils lui donnoient un nom qui répond à
cette idée brillante., & l’appelloient le monde, c’eft-
à-dire l'être bien ordonné , bien ajufié, fortant des mains
de fon créateur, comme une belle dame fort de fa
toilette. Et nous, quoiqu’inftruits des maux que le péché
originel a introduits dans le monde, comme nous
avons trouvé ce nom tout établi, nous l’avons con-
fervé, quoiqu’il ne réveille pas aujourd’hui parmi
nous la même idée de perfection, d’ordre 6c d’élégance.
Le foleil, de folus, félon Cicéron, parce que c’eft
le feul aftre qui nous paroiffe auffi grand ; &que lorf-
qu’il eft levé, tous les autres difparoiffent à nos yeux.
La lune, a lucendo, c’eft-à-dire la planete qui nous
éclaire, fur-tout en certains tems pendant la nuit.
( SoL vel quia folus ex omnibus Jideribus eft tantus, vel
quia cum efl exor tus, obfcuratis omnibus folus apparet ,*
luna a lucendo nominata , eadem efl enim lucina. ( Cic.
fa nat. deor, lib. I I . c. xxvij. )
La mer, c’eft-à-dire l’eau amere, proprie autem
mare appellatur, eo quod aquat ejus amara Jint. ( Ifidor.
I. X I I I . c. xiv. )
^ La terre, c’eft-à-dire l’élément fec, du Grec re/p»,
fecher, 6c au futur fécond, rtpa. Auffi voyons-nous
qu’elle eft appellée arida dans la Génefe, ch.j. v.c>.
& en S. Matthieu, ch. xxiij. v. i 5 . circuitis mare &
aridam. Cette étymologie me paroît plus naturelle
que celle que Varron en donne : terra dicta eo quod
teritur. Varr. de ling. lat. iv. 4.
Elément eft donc le nom générique de quatre efpeces,
qui font lc feu -, l'air, Veau, la terre : la terre
fe prena auffi pour le globe terreftre.
Des noms de pays. Les noms de pays, de royaumes
, de provinces, de montagnes, de rivières, entrent
fouvent dans le difeours fans article comme noms
qualificatifs, le royaume dt France, d'Èfpagne , & c .
En d’autres occafions ils prennent Y article, foitqu'oil
fous-entende alors terre, qui eft exprimé dans Angleterre,
ou région , pays, montagnes, fleuve, rivière, vaifi
feau, 6cc. Ils prennent fur-tout Y article quand ils font
perfonifiés; Y intérêt de la France, la politeffé de la
France, &c.
Quoi qu’il en foit, j’ai cru qu’on feroit bien aifé
de trouver dans les exemples fuivans, quel eft aujourd’hui
l’ufage à l’égard de ces mots, fâuf au lecteur
à s’en tenir Amplement à cet ufage, ou à chercher
à faire l’application des principes que nous avons
établis, s’il trouve qu’il y ait lieiu
Noms propres employésfeu- Noms propres employés
lement avec une prépoft- avec /’article»
don fans /’article»
Royaume de Valence.
Ifie de Candie,
Royaume dé France > &c»
Il vient de Pologne, Scc.
Ï1 eft allé en l'erfe, en Suède >
&c.
Il eft revenu dEfpagne , de
P erfe , d Afrique , £ AJie ,
&c.
Il demeure en Italie, en France,
& à Malte , à Rouen , à
Avignon.
Les Languedociens 8c les
Provençaux difent en Avignon
, pour éviter le bâillement
; c’eft uhe faute.
Les modes , lès vins de
France , les vins de Bourgogne
, de Champagne , de
Bourdeaux, de Topaye,
Il vient de Flandre.
A mon‘départ d’Allemagne.
L’Empire d’Allemagne.
Chevaux d'Angleterre , de Barbarie
, êcc.
La France.
L ’Efpagne.
IL Angleterre.
La Chute.
Le Japon.
Il vient de la Chine, du Japon
de l'Amérique, du Pérou.
Il demeure au Pérou , au Japon
, à la Chine , aux Indesp
à l’Ifie Saint-Domingue.
La-politefle de la France.
L’intérêt de IÈ(pagne.
On attribue à l’Allemagne l’invention
de l'Imprimerie.
Le Mexique.
Les Indes.
Le Maine , là Marche, le Perche,
le Milan'es, le Mantouan,
le Parmefan, vin du Rhin.
Il vient de la Flandre françoife»
La gloire de l'Allemagne.
On dit par oppofition le mont-Parnaffe, le mont-
Valérïen , 6cc. 6c On dit la montagne de Tarare : on
dit le fleuve Doti, 6c la riviere de Seine ; ainfi de quelques
autres, fur quoi nous renvoyons à l’ufage.
Remarques fur ces phrafes, i° . i l a de C argent, il
à bien de l'argent, 6cc. z°. l i a beaucoup d'argent, il
n'a point d'argent, 6cc.
I. L’or, l’argent, l’efprit, &c. peuvent être con*
fidérés, ainfi que nous l’avons obfervé, comme des
individus fpécifiques ; alors chacun.de ces individus
eft regardé comme un tout -, dont on peut tirer une
portion : ainfi il a de Forgent, c’eft il et une portion de
ce tout qu’on appelle argent, efprit, 6cc. La prépofition
de eft alors extraftive d’un individu, comme
la prépofition latine ex ou de. I l a bien de Forgent, dt
l'ejprit, & c. c’eft la même analogie que il a de l'argent
, &c.
C ’eft ainfi que Plaute a dit credo ego illicineffe aurl
& argenti largiter. ( Rud. acl. IF . fc . iv. v. 144.) eit
fous-entendant %ƒ>»/*<*, rem, auri,je crois qu’il y a là
de l’or 6c de l’argent en abondance. Bien eft autant
adverbe que largiter, la valeur de l’adverbe tombe
fur le verbe ineffe largiter, i l a bien. Les adverbes
modifient le verbe & n’ont jamais de complément, 011
comme on dit de régime : ainfi nous difons i l a bien,
comme nous dirions i l a véritablement; nos peres di-
foient i l a merveilleufement de Vefprit.
II. A l’égard de i l a beaucoup d'argent, d'efprit, & c .
i l n'a point d?argent, d'efprit, &c. il faut obifer yer que