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tifs du fujet, doivent être accompagnés d’une négation
: nul homme rieft exemt de la nécefiité de mourir.
Aucun philofophe de l’antiquité n’a eu autant de con-
noiflance de Phyfique qu’on en a aujourd’hui.
II0. Tout 5 chaque, nul , aucun, font donc la mar-
que de la généralité ouuniverfalite des propofitions :
mais fouvent ces mots ne font pas exprimes, comme
quand on dit : les François font polis, les Italiens font
politiques ; alors ces propofitions ne font que moralement
univerfelles, de more, ut funt mores , c’eft-à-
dire félon ce qu’on voit communément parmi les
hommes ; ces propofitions font aufli appellees indéfinies
, parce que d’un côté, on ne peut pas aflurer
qu’elles comprennent généralement, 6c fans exception
, tous les individus dont on parle ; 6c d’un autre
côté, on ne peut pas dire non plus qu’elles excluent
tel ou tel individu ; ainfi comme les individus compris
6c les individus exclus ne font pas précifément
déterminés, & que ces propofitions ne doivent être
entendues que du plus grand nombre y on dit qu elles
font indéfinies.
III0. Quelque , un, marquent aufli un individu de
l’efpece dont on parle : mais ces prénoms ne défi-
gnent pas fingulierement cet individu ; quelque homme
ejl riche, un /avant m'ejl venu voir : je parle d’un
individu de l’efpece humaine ; mais je ne détermine
pas fi cet individu eft Pierre ou Paul; c’eft ainfi qu’on
dit une certaine perfonne, un particulier ; 6c alors particulier
eft oppofé à général 6c à fingulier : il marque
à la vérité un individu, mais un individu qui n’eft
pas déterminé fingulierement 3 ces propofitions font
appellées particulières.
Aucun fans négation, a aufli un fens particulier
dans les vieux livres, & fignifîe quelqu'un, quifpiam,
non nullus, non nemo. Ce mot eft encoie en ufage
en ce fens parmi le peuple 6c dans le ftyle du Palais :
aucuns foütiennent ,& c . quidam affirmant, 6cc. ainfi*
aucune fois dans le vieux ftyle, veut dire quelquefois,
de tems en tems , plerumque ,interdum , non nunquam.
On fert aufli aux propofitions particulières : on ma
dit c’ eft-à-dire quelqu'un ma dit, un homme m'a
dit ; car on vient de homme ; 6c c eft par cette raifon
que pour éviter le bâillement ou rencontre de deux
voyelles, on dit fouvent Von, comme on dit Vhomme,
f i l'on. Dans plufieurs autres langues, le mot
qui lignifie homme, fe prend aufli en un fens indéfini
comme notre on. D e , des, qui {font des prepofitions
extra&ives , fervent aufli à faire des prépofitions
particulières; des philofophes , ou d'anciens philofophes
ont cru qu'il y avoit des antipodes , c’eft - à - dire
quel, ues-uns des philofophes, ou un certain nombre d anciens
philofophes, ou en vieux ftyle, aucuns philofophes.
I . , ,
IV°. Ce marque un individu détermine, qu il pre-
fente à l’imagination, ce livre , cet homme, cette femme,
cet enfant, 6cc.
V°. L e ,la , les , indiquent que l’on parle, i°. ou
d’un tel individu réel que l’on tire de fon efpece ,
comme quand on dit le roi, la reine, lefoleil, la lune ;
2.0. ou d’un individu métaphyfique 6c par imitation
ou analogie ; la vérité, le menfonge ; l'efprit, c eft-à-
dire le génie ; le coeur, c’eft-à-dire la fenfibilite ; l entendement
, la volonté, la vie , là mort, la nature , le
mouvement, le repos, l'être en général, lafubfidnce, le
néant, Sic.
C ’eft ainfi que l’on parle de l’efpece tirée du genre
auquel elle eft fubordonnée , lorfqu’on la confidere
par abftraûion, & pour ainfi dire en elle-même fous
la forme d’un tout individuel & métaphyfique ; par
exemple, quand on dit que parmi les animaux, V homme
feul efi raifonnable , l'homme eft là un individu fpécifique.
*
C ’eft encore ainfi, que fans parler d aucun objet
réel en particulier, on dit par abftraftion, Cor efi le
A R T
plus prédeux des métaux; le fer fe fond & fe forge ; le
marbre fert d'ornement aux édifices ; le verre n'efi point
malléable ; la pierre efi utile ; l'animal efi mortel ; Vhomme
efi ignorant ; le cercle efi rond ; le quarré efi une figure
qui a quatre angles droits & quatre côtés égaux , 6cc.
Tous ces mots, l'or , le fe r, le marbre, & c . font pris
dans un fens individuel, mais métaphyfique 6c fpé-
cifique, c’eft-à-dire que fous un nom fingulier ils
comprennent tous les individus d’une efpece ; enforte
que ces mots ne font proprement que les noms de
l’idée exemplaire du point de réunion ou concept
que nous avons dans l’efprit, de chacune de ces ef-
peces d’êtres. Ce font ces individus métaphyfiques
qui font l’objet des Mathématiques, le point, la ligne,
le cercle, le triangle , 6CC.
C ’eft par une pareille opération de l’efprit que l’on
perfonifie fi fouvent la nature 6c l'art.
Ces noms d’individus fpécifiques font fort en ufage
dans l’apologue, le loup & l'agneau, Vhomme & le cheval,
6cc. on ne fait parler ni aucun loup ni aucun
agneau particulier ; c’eft un individu fpécifique 6c
métaphyfique qui parle avec un autre individu.
Quelques Fabuliftes ont même perfonifîé des êtres
abftraits ; nous avons une fable connue oh l’auteur
fait parler le jugement avec Vimagination. Il y a autant
de fiftion à introduire de pareils interlocuteurs ,
que dans le refte de la fable. Ajoutons ici quelques
obfervations à l’occafion de ces noms fpécifiques.
i° . Quand un nom d’efpece eft pris adjeûivement,
il n’a pas befoin d’article ; tout homme efi animal-, homme
eft pris ïubftantivement ; c’eft un individu fpécifique
qui a fon prépofitif tout ; mais animal eft pris
adje&ivement, comme nous l’avons déjà obfervé.
Ainfi il n’a pas plus de prépofitif que tout autre adjectif
n’en auroit ; & l’on dit ici animal, comme l’on
diroit mortel, ignorant, &c.
C ’eft ainfi que l’Ecriture dit que toute chair efi fo in ,
omnis caro fctnum, Ifaïe, ch. xl, v. C. c’eft-à-dire peu
durable, périflable, corruptible , &c. & c’eft ainfi
que nous difons d’un homme fans efprit, qu’il efi bête.
2°. Le nom à'efpece n’admet pas l’article lorfqu’il
eft pris félon fa valeur indéfinie fans aucune exten-
fion ni reftitution, ou application individuelle, c’eft-
à-dire qu’alors le nom eft confidéré indéfiniment
comme forte, comme efpece, 6c non comme un individu
fpécifique ; c’eft ce qui arrive fur-tout lorfque
le nom d’efpece précédé d’une prépofition, forme un
fens adverbial avec cette prépofition, comme quand
on dit parjaloufie, avec prudence , en préfence,6cc.
Les oifeaux vivent fans contrainte ,
S'aiment fans feinte.
C ’eft dans ce même fens indéfini que l’on dit avoir
peur, avoir honte, faire pitié, & c . Ainfi on dira fans
article : cheval, efi un nom d.'efpece, homme, efi un nom
eTefpece ; 6c l’on ne dira pas le cheval efi un nom d'efpece
, C homme efi un nom £ efpece , parce que le prénom
le marqueroit que l’on voudroit parler d’un individu
, ou d’un nom confidéré individuellement.
30. C ’eft par la même raifon que le nom d’efpece
n’a point de prépofitif, lorfqu’avec le feeours de la
prépofition de il ne fait que l’office de fimple qualificatif
d’efpeee, c’eft-à-dire lorfqu’il ne fert qu’à dé-
figner qu’un tel individu eft de telle efpece : une montre
£or ; une épée d'argent ; une table de marbre ; un homme
de robe; un marchand devin; un joueur de violon ,
de luth, de harpe, & c. une action de clémence; une femme
de vertu, & c.
40. Mais quand on perfonifie l’efpece , qu’on en
parle comme d’un individu fpécifique , ou qu’il
ne s’agit que d’un individu particulier tiré de la
généralité de cette même efpece , alors le nom
d'efpece étant, confidéré individuellement, eft pré-
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cédé d’un prénom : la peur trouble la raifon : la peur
que j'a i de mal faire ; la crainte de vous importuner ;
l'envie de bien faire ; l'animal efi plus parfait que l'être
ififenfible-: jouer du violon, du luth, de la harpe; on
regarde alors le violon, le luth, la harpe, 6cc. comme
tel inftrument particulier, & on n’a point d’individu
à qualifier adjectivement.
Ainfi On dira dans le fens qualificatif adjeCtif, un
rayon£efpérance,un rayond.egloire, unfentimentd'amour;
au lieu que fi on perfonifie la, gloire, l'amour;
& c . on dira avec un prépofitif :
tîn héros que la gloire élevé
N'efi qu'à demi récompenfé;
i E t c'efi peu , J i l'amour n achêve
Ce que la.gloire à commencé. Quinàultk
Et de même on d ira, j'a i acheté une tabatière d’or;
& j ’ai fait faire une.tabatiere dun or.ou de l'or qui m'efi
venu.dEfpagne. Dans le premier exemple, d'or eft
qualificatif indéfini, ou plutôt c’eft un qualificatif
pris adjectivement ; au lieu que dans le fécond, de
L'or ou d'un or, il s’agit d’un tel or : c’eft un qualificatif
individuel, c’eft tin individu de l’efpece de
l’or.O
n dit d’un prince ou d’un miniftre qu'il a l'efprit
de gouvernement : de gouvernement eft un qualificatif -
pris adjectivement ; oh veut dire que ce miniftre
gouverneroit b ien, dans quelque pays que ce puifle
être où il feroit employé : au lieu que fi l’on difoit
de ce miniftre qu 'il a L'efprit du gouvernement, du gouvernement
feroit un qualificatif individuel de l’efprit
de, ce miniftre ; on le regarderoit comme propre fingulierement
à la conduite des affaires du pays particulier.
où on le met en oeuvre*
. Il faut donc bien diftinguer le qualificatiffpécifique
adjeCtif, du qualificatif individuel ; une tabatière d'or,
Voilà un qualificatif adjeCtif ; une tabatière de l'orque,
& c . ou d'un or que, c’eft un qualificatif individuel,
c ’eft un individu.de l’efpece de l’or. Mon efprit eft
occupé dè deux fubftantifs ; 1. de la tabatière ; 2. de
l’or particulier dont elle a été faite.
, Obfervez qu’il y a aufli des individus collectifs,
ou plutôt des. noms, collectifs dont on parle comme fi
c ’étoi.t autant d’individus, particuliers : c’eft ainfi que
l ’on dit le peuple , l'armée , la nation , le parlement,
& c.O
n confidere ces mots-là comme noms d’un tout,
d’un enfemble ; l’efprit les regarde par imitation comme
autant de noms d’individus réels qui ont plufieurs
parties ; & c’eft par cette raifon que lorfque quelqu’un
de ces mots eft le fujet d’une propofition-, les
Logiciens difent que la propofition eft finguliere.
; On voit donc que le annonce toûjours un objet
confidéré individuellement par celui qui parle, foit
au fingulier, la maifon de mon yoijîn; foit au pluriel,
les maifons d'une telle ville font bâties de brique.
. Ce ajoute à l’idée de le, en ce qu’iL montre pour
ainfi dire l’objet à l’imagination, & fuppofe que cet
objet eft déjà connu, ou qu’on en a. parlé auparavant.
C ’eft ainfi que Cicéron a dit : quid efi enim hoc
ipfum diu? (Orat. pro Marcello.') qu’eft-ce en effet
que çe long-tems ? .
, Dans le ftyle. dydaCtique , ceux qui écrivent eh
latin, lorfqu’ils veulent faire remarquer un mot, entant
qu’il eft un tel mot * fe fervent, les uns de l’<sr-
ticle grec To., les autres dely. :. ro adjiuc efi_ adverbium
compojitum (Perifoni’us, in fancl. Min. p. âyÇ.) : .ce
mot adhuc eft un adverbe compofé*
Et l’auteur d’une Logique * après avoir dit que
1 nomme feul eft raifonnable, homo,tantum rationalisa
ajoûte que ly tantum rcliqua entia exàludit : ce mot
tantum exclut tous les autres êtres. {Philo/, ration,
aud. P. Franc. Caro èfom.) Venet* 1665.,
. Ce fut Pierre Lombard dans le onzième fiecle, 6c
Tome î .
A R T n t
S. Thomas dans le douzième, qui introduiflreflt l’u-
fage de ce ly : leurs difciples les ont imités. Ce ly
n’eft autre chofe que l’article françois l i , qui étoit ert
ufage dans Ces tems-là : Ainfi fut li chaûaus de Gala-
thas pris : li baron & li dux de Eenife : li Fînitiens pat
mer, & li François par terre. Ville-Hardoiiin, lib. I I I .
P .S 3 . On Tait que Pierre Lombard 6c S. Thomas ont
fait leurs études & fe font acquis une grahde réputation
dans l’univerfité de Paris.
Ville-Hardoüin & fes contemporains écrivoiènt
l i , 6c quelquefois Lj, d’où on. a fait ly, foit pouf
remplir la lettre , foit pour donner à ce mot un air
feientifique, & l’élever au-deflus du langage vulgaire
dô ces tems-là; . *
Les Italiens ont confervé cet article au pluriel, 6c
en ont fait aufli un adverbe qui lignifie là; enforte
que ly tantum , c’eft comme fi l’on difoit ce mot-là
tantum.
Notre ce & notre le ont le même office indicatif quô
tc & que ly, mais ce avec plüs d’énergie que le.
. 50. Mon, ma, mes; ton, ta, tes; fon -, fa , fes, &C*
ne font que de fimples adjettifs tirés des pronoms
perfonnels.; ils marquent que leur fubftantif a un
rapport de propriété avec la première, la fécondé
ou la troifieme perfonne : mais de plus, comme ils
font eux-mêmes adjeétifs prépofitifs, 6c qu’ils indi*
quent leurs fubftantifs, ils n’ont pas beloin d’être
accompagnés de l’article le ; que fi l’on dit le mien ;
le. tien, c’eft que ces mots font alors des pronoms
fubftantifs. On dit proverbialement que le mien 6c le
tien font peres de la difeorde. .
- 6°. Les noms de nombre cardinal un, deux, 8cd
font aufli l’office de prénoms ou adje&ifs prépofitifs :
dix foldats , cent écus.
Mais fi l’adjeéiif numérique & fon fubftantif font
enfemble.un tout, une forte d’individu colleâif, &
que l’on veuille marquer, que l’on confidere ce tout
fous quelque vue de l’efprit autre encore que celle
dé nombre, alors le nom de nombre eft précédé de
l'article ou prénom qui indique ce nouveau rapport.
Le jour de la multiplication, des pains lés Apôtres
dirent à Jefus-Chrift : Nous n'avons que cinq pains &
deux poifiops (Luc , ch. j x . v. 13.) voilà cinq pains &
deux poifions dans un fens numérique abfolü ; mais
enfuite l’évangélifte ajoûte que J* C . prenant les cinq
pains. & les deux poifions, les bénit, 8cc. Voilà les cinq
pains & les deux.poifions fans un fens relatif à ce qui
précédé, ce font les cinq pains 6c les deux poiffons
dont on avoit parlé d’abord. Cet exemple doit bien
faire fentir que le i la , les; ce, cet $ cette, ces, ne
font que des adjeftifs qui marquent le mouvement
de l’efprit, qui fe tourne vers l'objet particulier de
fon idée;
Les prépofitifs défignent donc des individus déter*
minés dans l’efprit de celui qui parle ; mais lorfque
cette première détermination n’eft pas aifée à apper-
. ce voir par celui qui lit ou qui écoute, ce font les cir-
conftances ou les mots qui fuivent, qui ajoûtent ce
que Yarticle ne faürôit faire entendre : par exemple ,
fi. je. dis je viens de V ’.rfailles, j 'y ai vit le R o i, les
circonftances font connoître que je parle de notre
augufte Monarque ; mais fi je voulois faire entendre
que j’y ai vu le roi de Pologne , je ferois obligé d*a-
joûter de Pologne à le roi ; 6c de même fi en lifant
l’hiftoire de quelque monarchie ancienne ou étrangère
, je voyois qu’en un tel tems le roi fit telle chofe, je
comprendrois bien que ce feroit le roi du royaume
dont il s’agiroit*
Des noms propres. Les noms propres n’étant pas
des noms d’efpe.ces * nos peres n’ont pas crû avoir
befoin de recourir à Y article pour en faire des noms
d’individus, puifque par eux-mêmes ils ne font que
cela«............. ........ jlp .
Il en eft de même des êtres inanimés auxquels on
Z z z z ij