mes pour les Philbfophés & pour le Peuple. Mais lé jDéli dé progrès que cëttè Science a
fait depuisfi long-tems, montre coihbien il eft raffe ' d’appliqûé'r kéürëufèmëhfc cës' principes,
loit piar la difficulté què rehfernie un pareil travail| l'oit peut-êtrë àüfli par l’impatience
naturelle qui empêché de s y borner. Cependant lé titre de Mé'taphÿficien, & même de
grand Métaphyficiën, eft encore allez commun dans notre fiée le ; car nous aimons à tout
prodiguer : mais qu’il y a peu de pérfonnës v'éKtablëmënt dignes de fcë nom ! Combien y
en a-t-il qui né le méritent què par le malheureux talent doblcürtir âvécbeâù'cQUp de fiib-
tilité des idées clairés > & de préférer dans les notions qu’ils fe forment ^extraordinaire au
v ra i, qui eft toujours fimple ? Il ne faut pas s'étonner après cèla’fi la plupart de ceux qu’on
appelle Metaphyfteiens font fi peu d'e cas les uns des autrés. Je nè douté point què ce titre
ftë fort bientôt une injure pour nos bons efprits, c'offime le nom de iSôphifte’, qui pourtant
fignifieSage, avili en Grèce par ceux qui le portoient, fut rejëtté par lés vrais Philofophes.
Concluons de toute cette hiftojre, que l’Angleterré nous doit la riàiffancé de cette Phi-
lofophie que nous avons reçue d’elle. 11 y a peut-être plus loin dés formes fubftantielles aux
tourbillons, que des tourbillons à la gravitation univèrfellé, comme il y a peut-être un
plus grand intervalle entre l’Algèbre pure & l’idée dé l’appliquer à la Géométrie , qu’entre
le petit triangle de Ba r r oW & le calcul différentiel.
Tels font les principaux génies que l’efprit humain doit regarder comme fés maîtres , &
à qui la Grèce eût élevé des ftatUes, quand même elle eût été obligée, pourlèur faire place,
d’abattre celles de quelques Conquérons.
Lés bornes de ce Difcours Préliminaire nous empêchent dè parler de plufieurs Philofo-
phesillûftrës, qui fans fe propofer des vûes auffi grandes que ceux dont nous Vènons de faire
mention, n’ont pas laiffé par leurs travaux de contribuer bèaufcoup à l’avancement dès Sciences
j Sc ont pour ainfi dire levé un coin du voilé qui rious càchoit la vérité. De ce nombre
font1; G alilée y à qui la Géographie doit tant pour fés découvértes Aftrônômiques, & la
Méehanique pour fa Théorie de l'accélération ; Ha r v e y , qué la déçoûvérte de la circulation
du fang rendra immortel ; H u y G E N S , que nous avons déjà nommé , & qui par
idés ouvrages pleins de force & de génie a fi bien mérité dè la 'Géométrie & de la Phyfi-
fauë ; P a sc a l ; auteur d’un traité fiir la Cycloïde , qu’ôn doit régarder comme unprodige
de fàgàcité & de pénétration, & d’ün traité de l’équilibre des liqueurs & delà pelànteur de
i ’a ir, qui nous, a ouvert une fciencé nouvelle : génie univerfei & fublime , dont les talens
n é poudroient ètretro'p regrettés par là Philofophiè, fi la Religion n’én avoit pas,profité ; Ma-
le br an ch e , qui a fi bien démêle les erreurs des fehs, & qui à connu celles dè l’imagination
"comme s’il n’avoit pas été fouvènt trompé par la fiehnè ; B ô y l e , le pere de la Phyfique
expéHm'èntale ; plufieurs autres enfin , parmi léfquéls doivent être comptés avec diftinc-
tion les Y esale , les Syd enh am , lès É o e rha âV e , & une infinité d’Anatomiftes & de
Phyficièns célébrés.
Entre ces grands hommes il en eft Un, dont la Philofophiè aujourd’hui fort accueille &
fort combattue dans le Nord de l’Europe , no'us oblige à ne le point palier fous filence •
ç ’eft l’iHuftre Le ibn it z . Quand il n’aûroit pour lui que la gloire, ou même quelefoupçoh
d’avoir partagé avèc Newton l’invention du calcul différentiel, il mériteroit à ce titre une
mention honorable. Mais c ’eft principalement par fa Mét^phyfique que nous voulons l’en-
vifager. Gomme Defcartes, il lemble àVoir reconnu finfufnfànce dè toutes les folutiôns qui
avoient été données jufqu’à lui des queftion lés plus éle vées, fur 1’union du.corps & de l’ame,
"fur la providence, fur la nature de la matière ; il paroît même àvpir eu l’avantage d’expofer
avec plus de force que perfonne lès difficultés qu’on peut prôpolerfur cèsqueftions; mais
moins lage que Locke & Newton, il hé s’eft pas coht'è'nté déformer dès doute , ilacherchéà
les diffiper, & de ce côté-là il n’a peut-être pas été plus heureux que Defcartes. Son principe
de la raifort fujfifàhte, très-beau & très-vrai eh lui-ffiêmè, ne jDaroît pas devoir être fort utile
à des êtres auffi peu éclairés que nous le fommès fur lés taifons premières de toutes chofèsi
fés Monades prouvent tout au plus qu’il à vû mieux que pérfonhè qu’on ne peut le former
une idée nette de la matière, filais ellés ne patôiffëht pas faites pour la donner ; fon Harmonie
préétablie feinble n’ajoûtèr qu’une difficulté de plus à l’opinion de Defcartes fur l’union
du corps & de l’a'me ; enfin fon lyftème dè l’Optimifme eft peut-être dangereux par le
prétendu avantage qu’il a d’expliquer tout.
Nous finirons par une obfervation qui ne paroîtrâ paS furprenante à des Philofophes. Ce
n eft guere de leur vivant que les grands hommes dont nous venons de parler ont.changé la
face des Sciences. Nous avons déjà vû pourquoi Bacon n’a point été chef de feéVe:; deux
raifons fe joignent à celle que nous èn avons apportée. Ce grand Philofophe a écrit plufieurs
’de fes Ouvrages dans une retraite à laquelle Tes ennemis l’a voient forcé , & le mal
qu’ils aVoient fait à l'homme d’Etat n’a pû manquer de nuire à l’Auteur. D ’ailleurs, uniquement
occupé d’être utile, il a peut-êtrè èmbraffé trop de matières, pour que fes contemporains
duffent fedaiffer éclairer^ la fois fut un fi grand nombre d’objets. On ne permet guere
aux grands génies d’en favoirtant ; on veut bien apprendre quelque choie d'eux fur un fujét
borné: maison ne veut-pas .être obligé A réformer toutes les idées fur les leurs. C ’eft éh
partie, pour cette raifon que les Ouvragés de Defcartes ont effuyé en France après fa mort
plus de .perfécütion queleur Auteur n’en avoit fouffert en Hollande pendant fa vie ; ce n’ft
été qu’ayec beaucoup de peine que les écoles ont enfin ofé admettre une Phyfique qu’èlles
s?i’maginoient être contraire à celle dé Moïfé. Newton , il eft v ra i, a trouvé dans fes contemporains
moins de contradiction ; foit que les déeduvèrres géométriques par lefquelles
il s’annonça , & dont! on ne pou voit lui dilputer ni la propriété , ni la réalité euffent 3 c-
coûtuméà l’admiration pour lu i, & à lui rendre des hommages qui n’étoient ni trop’lubits*
ni trop fprçés ; foit que par fa fupériorité il impolat filence à l’envie f foit enfin , ce qui pa-
roît plus' difficile à croire ;, qu’il eût affaire à Une nation moins irïjufte qUé'les autrés; M a ëü
l’avantage fingulier d e y o ir fa Philofophiè généralement reçue en Ahglererre de fon Vivant^,
& d’avoir tous fes compatriotes pour partifans & pour admirateurs. Cepèndatttil s’ëh fallOît
bien que. le refte de l’Europe fît alors*le*même accuèil à iès !Ouvragesi. ..Ndfl-iëuIéméntils
étoient inconnus en France ., mais la Philofophiè fcholaftique y ddniinoît .encore , 1dffquè
Newton avoit déjà renyerfé la Phyfique Cartéfiènne, &les-toarbillons'étofentrdéfruksdvant
que nous fongeaffions à les adapter. Nous a vons été auffi long-tems à îlesfotfiienir qu’à lë|s re^-
çevoir. Il ne Faut qu’ouvrir nos^ Livres, pour voir a vec rfurprilê quil n’y apàs encôrè vingt
ans qu’on a commencé en Fran.ee à fenoncér au Cartéfianïlme. Le premier qui ait o'fé paf-
rni nous fe déclarer ouvertement Newtonien , eft l ’auteur du Difcours^ fuë 'ta 'fi&m
AJlres, qui joint à des connoiffances géométriques très-étendues , cet èfprit philofôphiqhè
avec lequel elles ne fe trouvent pas toujours , & ce talent d’écrire auquel on tîe crdim'pl^
qu’elles nuifent, quandon aura lû fes Ouvrages. M. de MAUPERTUisa crû'qiifon pôiivoit
être bon citoyen , fans adopter aveuglément la Phyfique de fon paÿs :; & pour attaqUér
cette Phyfique , il a eu befoin d’un courage dont on doit lui favoir gré. En effet notre nation
, fingulierement avide de nouveautés dans les matières de goû t>, eft au cofiticiife ëh
matière de Science très-attachée aux opinions anciennes. Deux difpdfitibnk fi côntràirès ert
apparence ont leur principe dans plufieurs caufes , & fur-tout'dans c é tte ’ardeur'de Jôiiir
quifemble conftituer notre caraftere. Tout ce qui ëft du reffort'dufientimerît n’e ftp a s la it
pour être long-tems cherché, & ceffe d’être agréable,, diès-qu’lfne'fe préfèrttê pas tOÜt'tPtfft
coup : mais auffi l’ardeur avec laquelle nous nous y livrons Vépuife b ièh fô tq .& l’amè dér
goûtée auffi-tôt que remplie , vole vers un nouvel objet qu’elle abandonnera'dè 'Même. Aû
contraire, ce n’eft qu’à force’de méditation que l’efpritpàrvibht à ee qu’il ckèfchë: mbis-p'ac
cette raifon il veut joiiir auffi long-tems qu’il a cherché , fnr-tout lorfqu’il ne ;S?agit qifé dfarté
Philofophiè hypothétique & conjefturable, beaucoup moins pénible que des"calculs & dès
combinaifons exaftes. Les Phyficièns attachés à leurs théories, aveclemème zèle & parler
mêmes motifs que les artifans à leurs pratiques, ont fur ce (point beaucoup plus 'de rèffëfh-
blance avec le peuple qu’ils ne s’imaginent. Refpeéfons toûjours Defcartes; mais abandon1
nons fans peine des opinions, qu’il eût combattues lui-même un fiécle plus tard. Sur-toüt nè
confondons point fa caufe avec celle de fes feâateurs. Le génie qu’il a montré en cherchant
dans la nuit la plus fombre une route nouvelle quoique trompeufe, n’étoit qU'à lui: éëuk
qui l’ont ofé fuivre les premiers dans les ténèbres , ont au moins marqué du co'uragë ; maii
il n’y a;plus de gloire à s’égarer fur ces traces depuis que la lumière eft venue. Parmi lè ped
de Savans qui défendent encore fa do&rine, il eût défavoiié lui-même 'ceux qui n’y tiennent
que par un attachement fervile à ce qu’ils ont appris dans leur enfance , ou par je né fois
quel préjugé national, la honte de la Philôfqphie. Avec de tels motifs on peut être lè dernier
de fes partifans ; mais on n’auroit pas eu lemérite d’être fon pVemiër difciplè , où p’lûtôt
on eût été fon adverfaire, forfqu’il n’yiavoit que de l’injuftice à llêtre. Pour avoir le ‘droit
d’admirer les erreurs d’un grand homme, il faut favoir les reconnaître ', quand lé téiris'lës 'à
mifes au grand jour. Auffi les jeunes gens qu’on regarde d’ordinaire comme d’affez mauvais
juges, font peut-être les meilleurs dans les matières philofophiques & dans béaucoup
d’autres , lorfqu’ils ne font pas dépourvûs de lumière ; parce que tout leifr 'étant ëgalèmënfc
nouveau , ils n’ont d’autre intérêt que celui de bien choifir.
C e font en effet les jeunes Géomètres, tant en France que dès pays étPartgëtS , qui ‘Ôrit
réglé le fort des deux Philofophies. L ’ancienne eft tellement prolcritè què f e ^l'ùs Zelés
partifans n’ofent plus même nommer ces tourbillons dont ils remp'lïffôient autrefois -îetiffe
Ouvrages. Si le Newtonianifme venoit à être détruit de nosioUrs pà'r qü'èlqûë càulè què dé
pût être , injufte ou légitime , les fe&ateurs nombreux qu’il à ïnaiii'teùâht jouëroièrtl tank
doute alors le même rôle qu’ils ont fait joiier à d’autres. Telle èft la nàtufé dès ë’forits•: fèll'ëè
font les fuites de l’amour-propre qui gouverné lès Philôfophës du moins autant què îés afü^
très hommes, & de la contradiêlion que doivent éprouver toutes lès découvertès, ou mênàè
ce qui en a l’apparence.