
. Aiofi ces différens paflages, 3c fur-tout celui dé
Cicéron, contiennent un trait lingulier d’hiftoire,
oui prouve non-feulemeatque Popinionde Va me uni-
ver telle eft une production des G recs, mais qui même
nous découvre quels en furent les auteurs: car.
Suidas nous dit que Phéréeide n’eut de maître que
lui-même. L’autorité de Py thagore répandit prompte
talent cette opinion par toute la Grèce ; Sc je ne
doute! point qu’elle ne foit la caufe que Phéréeide,
qui n’eur point foin de la cacher, comme le fit fon
grand difciple par le moyen de la double doûrine,
ait été regardé comipe. athée.
Quoique les Grecs ayent été inventeurs de cette
opinion , comme il eft cependant très-certain qu’ils
ont été redevables à PEgypte de leurs premières con-
jioiffances, il- eft vraiueniblable qu’ils furent conduits
à cette erreur par l’abus de quelques principes
égyptiens.
- Les Egyptiens, comme nous Penfeigne le témoignage
unanime de toute l’antiquité, furent des premiers
à ehféigner l’immortalité de Vame ; 3c ils ne le
firent point dans Pefprit des fophiftes grecs, uniquement
pour fpéculer, mais afin d’établir fur ce fondement
le dogme fi utile des peines 3c des récompen-
fes d’une autre vie. Toutes les pratiques de toutes
les inftru&ions des Egyptiens ayant pour objet le
bien de la -fociété, le dogme d’un état futur fervoit
lui-même à prouver 3c à expliquer celui de la Providence
divine1: mais cela feul ne leur paroiffoit point
fuffifant pour réfoudre toutes les objeâions qui naif-
fent de l’Origine du mal, & qui attaquent les attributs
moraux de la divinité, parce qu’il nç fiiffit pas
pour le bien de la fpciété que l’on foit perfuadé qu’il
y a une providence div-ine, fi■ l’on ne croit en meme
items que- cette providence eft- dirigée par un être
parfaitement bon & parfaitement jufte : ils ^imaginèrent
dOnc polnt de meilleur moyen pour réfoudre
cette difficulté, que la métempfycofe ou la tranfmi-
gration des âmes, fans laquelle , fuivant l’opinion
d’Hiéroclès,on ne peut juftifier les voies delà Providence.
La conféquence néceffaire de cette’idée, c’eft
que Vame eft plus ancienne que le corps. Ainfi les
Grecs trouvant que les Egyptiens enfeignoiént d’un
côté que Vamc eft immortelle à parte pojix 3c qu’ils
croyoïent d’uii 'autre côté que Vamc exiftoit avant
que déètre unie au corps, ils en conclurent, pour
dopner à-leur fyftème un air d’uniformité, qu’elle
ètoit é£&‘V&\W'à> parte anu comme à parte poji p ow
que devant exifter éternellement, elle- avoit aufll
exiftéde toute éternité.'
3 Les; Çr-ecs après avoir donné à Vame un des attributs
de la divinité , en firent* bien-tôt un Dieupar-»
fait ; erreur- oh Us tombèrent par l’abus d’un autre
principe égyprieta. Le grand feeret des myfteres 3&
le premier* des mylleres qui furent in ventës-en Egypt
e , confiftoif dans le dogme de Pnnité de D ieu: c’é-
toit-là le myfiere que l’on apprenoit aux rois , aux
magffirats- & à un petit-nombre éhoifi d’hommés fà-
ges & vertueux-; & en- cela même cette pratique
avoitpour- objet futilité ‘delà- fociété. Ils repréfen-
toient- Dieu comme un-efjprit répandu datais tout le
mondés ÔEiqui péaétroit la fubftance intimé de téur
tes choies',' enfeïgoant- dans un fens taioral & figure
que Dieu eft-touf eu tant qu’il eft préfènt à' tout ; &•
que fd' providence eft au© particulière qu’univer-
fëlle. Lèim qpfaiôn, comme l’ori v o it , étoit fort di£
férénte dë ■ c e lio n s Grecs für Vame univerfelle du
itaosnde;^èlléëijétatat aufli' pernicieufe à la fociété,'
que l’athéiftftécHfeâipeut l’être. G ’eft: néanmoins: dé
ce pifeoipé-quéDieu ç/?-/o«r/ e^preffion empldyéfe'
ftgurérfiënfpar les'Egyptiéns, & prife à là lettre par
lfe§ Grées*'; qué-cés derriîérs prit tiré cette cbnféqiiêhï'
Oé-, que Wfie tfi Dieu : cè qui lé&à entraînés dans t o u tes
les erreùrè’&'lés abftudités de-notre Spinofifiner
Les Orientaux d’aujourd’hui ont aufli tiré originairement
leur religion d’Egypte, quoiqu’elle foit infectée
du fpinolifme le plus groflier : mais ils ne font
tombés dans cet égarement que par le laps de tems,
&C par l’effet d’une fpéculation rafinée, nullement
originaire d’Egypte. Ils en ont contracté le goût par
la communication des Arabes-Mahométans, grands
partifans de la philofophie des Grecs, & eft particulier
de leur opinion fur la nature dé Vame. Ce qui le
confirme, c’eft que les Druides, branche qui prove-
noit également des anciens fages de l’Egypte, n’ont
jamais rien enfeigné de femblable, ayant été éteints
avant que d’avoir eu le tems de fpéculer 8c de fubti-
lifer fur des hypothèfes 3c des fyftèmés. Je fai bien
que le dogme monftrueuxde Vamc àu monde pafla
des Grecs aux Egyptiens ; que ces derniers furent infectés
des mauvais principes des premiers : mais cela
n’arriva que lorfque la puiffance de l’Egypte ayant
été violemment ébranlée par les Perfes, & enfin
entièrement détruite par les G recs, les fciences 3c la
religion de cette nation fameufe fubirent une révolution
générale. Les prêtres égyptiens commencèrent
alors à philofopher à la maniéré des Grecs ; &
ils en contrarièrent une fi grande habitude, qu’ils en
•vinrent enfin à oublier la fcience {impie dé leurs ancêtres
; trop négligée par eux. Les révolutions du
gouvernement contribuèrent à celle des Sciences:
cette derniere doit paroître d’autant moins fur prenante
, que toutes leurs fciences étoient-tranfmifes
de génération en génération, en partie par tradition,
3c en partie par le moyen myftérieux des hiéroglyphes
, dont la connoiffance fut bien-tôt' perdue ; aè
forte que les anciens qui depuis ont prétendu les expliquer,
nous ont appris feulement qu’ils n’y enten-
doient rien.1
Les peres mêmes ont été fort embarrafles .à expliquer
ce qui regarde l’origine de Vame : Tertullien
çroyoit que les âmes avoient été créées en Adam, &
qu’elles venoient l’une de l’autre par une efpece de
produ&ioft. Anima veltit fùrculus quidam ex matrice
Adami in. propaginem dediuta, 6* genitalïbusfemineforcis
commodata. Pullulabit tam intelleclu quam & fenfu.
TertulL de ànimâ , ch. xjx. J’ajoûterai un paffage de
St Auguftin, qui renferme les diverfes opinions de
fon tems , & qui démontre en même tems la difficulté
de çette queftion. Hamm autem fententiarum quatuor
de anima , utrum.dï propagine ventant 9 an in fin-
gulis qutbufque nafeentibus moxfiant, an in corpora nqf-
centium jam alitubi exifientes vel mïttantur divinités ,
velfiiâ fponte labantur, nullam temerè affirmari opor-
tebet; aut enirn nondum ifia quæjlio à divinorum iibro-
rum catholrcis tractatoribus, pro merito fua obfcuritatis
& perphxitatis , evoluta at que illujlrat'aejl• aut f i jam
faiïum efty^nondum in marmsnofiras hujufcemodi literie
provencrunt. Origene croyait que les âmes exiftoient
avant què d’être unies aux corps, & que Dieu ne les
y eftvoÿoit pour les animer, que polir les punir en
même tems de ce qu’elles avoient failli dans U ciel,
&.de ce qu’elles s’étoient écartées de. l’ordre.
M. Leibnitz a fur l’origine des âmes un fentiment
quiIpi eft particulier. Le voici: il croit que les âmes
né faüroient commencer que par la création, ni finir
que par l’annihilation ; 3c comme la formation
dès corps organiques animés ne lui paroît explicable
dans.Pôrdte , que lorfqu’on fuppofe une préformation
déj^ organique, il en.mfere que ce que nous
appelions génération d'un animaln'eut qu’iine tranfi
formation 3c augmentation : ainfi puifque le même
corps était déjà orgànifé, if eft: à'croire, ajoûte-t-
il , qu’il étà'n d'éjà animé , qu’il avoit la même
âmpi Apïës avoir établi'un fi bel ordre, &.des réglés
fi généràlëS à l’égard des ataïmaux, il ne lui paroît
pas raifônnable qu^l’homme en foit exclu entièrement,'
ÔTque tout fè ftflè en lui par mitaçle gaffa]*
port à fon ame. Il eft donc perfuadé que les âmes qui
feront un jour âmes humaines, comme celles des autres
efpeces, ont été dans les femences, 3c dans les
ancêtres jufqu’à Adam, 3c ont exifté par conféquent
depuis le commencement des chofes, toujours dans
une maniéré de corps organifés ; doftrine qu’il confirme
par les obfervations microfcopiques de M. Leu-
wenhoek, & d’autres bons obfervateurs. Il ne faut
pas cependant s’imaginer qu’il croye qu’elles ayent
toujours exifté comme raifonnables ; ce n’eft point là
fon fentiment : il veut feulement qu’elles n’ayent alors
exifté qu’en âmes fenfitives ou animales, aoüees de
perception 3c de fentiment, mais deftituees de rài-
fon ; 3c qu’elles foient demeurées dans cet état jusqu'au
tems de la génération de l’homme à qui elles
dévoient appartenir. Elles ne reçoivent donc, dans
ce fyftème, la raifon, que lors de la génération de
l’homme; foit qu’il y ait un moyen naturel d’élever
une ame fenfitive au degré d’ame raifônnable , ce qu’il
eft difficile de concevoir ; foit que Dieu ait donné
la raifon à cette ame par une opération particulière,
ou fi vous voulez, par une efpece de tranferéation ;
ce qui eft d’autant plus aifé à admettre, que la révélation
enfeigne beaucoup d’autres opérations immédiates
de Dieu fur nos âmes. Cette explication paroît
à M. de Leibnitz lever les embarras qui fe préfentent
ici en Philofophie ou en Théologie : il eft bien plus
convenable à la juftice divine de donner à Vame déjà
corrompue physiquement ou animalement par le péché
d’Adam, une nouvelle perfeûion qui eft la raifon,
que de mettre une ame raifônnable, par création
ou.autrement, dans un corps oii elle doive être
corrompue moralement.
La nature de Vame n’a pas moins exercé les Philo-
fophes anciens 3c modernes, que fon origine : il a
été 3c il fera toujours impofîible de pénétrer comment
cet être qui eft en nous & que nous regardons
comme nous-mêmes, eft uni à un certain aflembla-
ge d’efprits animaux qui font dans un flux continuel.
Chaque philofophe a donné une définition différente
de fa nature. Plutarque rapporte les fentimens de
plufieurs philofophes, qui ont tous été d’avis diffé-
rens. Cela eft bien jufte, puifqu’ils décidoient pofi-
tivement fur une chofe dont ils ne fa voient rien du
tout. Voici ce paffage, tom. ll.pag. 8$8. trad. d’A-
myot. « Thalès a été le premier qui a défini Vame une
» nature fe mouvant toûjours en foi-même : Pytha-
» gore, que c’eft un nombre fe mouvant foi-même ;
» & ce nombre-là, il le prend pour l’entendement :
» Platon, que c’eft une fubftance fpirituelle fe mou-
» vant foi-même , & par un nombre harmonique :
m Ariftote, que c’eft l’aâe premier d’un corps orga-
» nique, ayant vie en puiffance : Dicéarchus, que
j!> c’eft l’harmonie 3c concordance des quatre élé-
» mens : Afclépiade le Médecin, que c’eft un exer-
»> cice commun de tous les fentimens enfemble. Tous
« ces philofophes-là, continue-t-il, que nous avons
«mis ci-devant, fuppofent que Vame eft incorpor
e l l e , qu’elle fe meut elle-même , que ç’eft une
«fubftance fpirituelle «. Mais ce que les anciens
nommoient incorporel, ce n’étoit point notre fpiri-
tuel, c’étoit fimplement ce qui eft comppfé dé parties
très-fubtiles. En voici.une preuve fans réplique.
Ariftote rapportant le fentiment d’Héraçlite fur T<z-
tpcy dit qu’il la regardoit comme une exhalaifon ; &
il ajoûte que félon ce philofophe elle étoit incorporelle.
Qu’eft-ce que cette incorporéité , finqn. une
extrême ténuité qui rend Vame impalpable 3c imperceptible
à tous nos fens ? C ’eft à cela qu’il faut rapporter
toutes les opinions fuivantes. Pythagore di-
fpit que Vame étpit un détachement de l’air ; Empe-
docle en faifoit un compofé de tous les élémens : Dér
mocrite, Leucippe, Parménide, &c. fDiog. Laèrt.
(ib, V U l .f ig .x jS foûtenoient qu’elle étoit de feu:
Tome /.
Epithorme avançoit que les âmes étoient tirées du
Soleil: Plutarque rapporte ainfi l’opinion d’Epicure.
« Epicure croit que Vame eft un mélange, une tem-
« pérature de quatre chofes; de je ne fai quoi de feu,'
» de je ne fai quoi d’a ir , de je ne fai quoi de vent,
» 3c d! ’un autre quatrième qui n’a point de nom.
« ( ubi fuprà. ) «. Anaxagore, Anaximene, Arché-
laüs, fie . ont crû que c’étoit un air fubtil. Hippoit
affûrà qu’elle étoit d’eau, parce que, félon lui, l’humide
étoit le principe de toutes chofes. Xenophane
la compofoit d’eau 3c de terre ; Parmenide, de feu &
de terre ; Boece, d’air 3c de Feu. Critius foûtint que
Vame, n’étoit que le fang; Hippocrate, que c’étoit un
efprit délié répandu par tout le corps. Marc Antonin,
qui étoit Stoïcien, étoit perfuadé que c’étoit quelque
chofe de femblable au vent. Critolaüs imagina que
fon effence étoit une cinquième fubftance. Encore
aujourd’hui il y a peu d’hommes en Orient qui ayent
une connoiffance parfaite de la fpiritualité. Il y a là-
deflus un paffage de M. de Laloubere ( Voyage du
royaume de Siam, t. l .p .$ 6 /.) qui vient ici fort à propos.
« Nulle opinion, dit-il, n’a été fi généralement
« reçue parmi les hommes, que celle de l’immorta-
« lité de Vame : mais que Vame foit immatérielle, c’eft
« une vérité dont la connoiffance ne s’eft pas tant
« étendue ; aufli eft-ce une difficulté très-grande de
« donner à un Siamois l’idée d’un pur efprit ; & c’eft
» le témoignage qu’en rendent les Millionnaires qui
«ont été le plus long-tems parmi eux. Tous les
« payens de l^rient croyent à la vérité qu’il refte
« quelque choie de l’homme, après fa mort, qui fub-
« lifte féparement 3c indépendamment de fon corps:
« mais ils donnent de l’étendue 3c de la figure à ce
« qui refte, 3c ils lui attribuent les mêmes membres
« & toutes les mêmes fubftances folides 3c liquides
« dont nos corps font compofés ; ils fuppofent feu-
« lement que nos âmes font d’une matière allez fub-
« tile pour fe dérober à l’attouchement & à la vue,'
« quoiqu’ils croyent d’ailleurs que fi on en blefloit
« quelqu’une, le fang qui couleroit de fa bleflure
« pourroit paroître. Telles étoient les mânes 3c les
» ombres des Grecs 3c des Romains ; 3c c’eft à cette
» figure des âmes, pareille à celle des corps, que
« Virgile fuppofe qu’Enée reconnut Palinure, D i-
» don & Anchife dans les enfers ». Aux payens anciens
3c modernes, on peut joindre les anciens docteurs
des Juifs, & même les Peres des premiers lie—
clés de l’Eglife. M. de Beaufobre a prouvé démonfi
trativement dans le fécond tome de fon hiftoire du
Manichéifme, que les notions de création & de fpiritualité
ne fe trouvent point dans l’ancienne théologie
judaïque. Pour les Peres, rien n’eft plus aifé
que d’alléguer des témoignages de leur hétherodoxie
fur ce fujét. S. Irénée (lib. II. c. xxxjv. lib. V. c. vij.
& pajfim) dit que Vame éft un fouille, qu’elle n’ eft in-
corporélle qu’en comparaifon des corps grofliers, &
qu’elle reffemble au corps qu’elle a habité. Tertullien
fuppofe que Vame eft corporelle ; definimus animant
Dei jlalu natam immortalem , corporalem effigia-
tam. De animâ, cap. xxij. S. Bernard, félon l’aveu
du P. Màbillon, enleigna à propos de Vame, qu’après
la mort elle ne voyoit pas Dieu dans le c ie l, mais
qu’elle converfoit feulement avec l’humanité de Je-
fus Chfift. Voye^ C article de l’ImmatÉRI ALISME ,
ou de là Spiritualité. ~
Il éft donc bien démontré que tous les anciens
philofophes ont cru l’â/ne matérielle. Parmi les modernes
qui fe déclarent pour ce fentiment, on peut
compter un Averroës, un Calderin, un Pôlitien, un
Pômponace, un Bembe, un Cardan, un'Cefalpin,
un Taurell, un Cremonin, un Berigard, un V iviam,
un Hobbes, &c. On peut aùflî leur affocier ceux: qui
prétendent que notre ame tire fon origine des peres
3c des meres par la vertu féminale; que d’abord elles
T t ij