eue tous les hommes reffentent cette paffiondartsun
même degré de force , ils ne'l’ont pas tous dans un
même degré de délicateffe c la plupart s’embarraffent
peu de lapuifer dans des fources pures : plus fenfibles
aux marques extérieures de refpeô & de déférence
qui l’accompagnent, qu’au plaifir intérieur de la mériter,
ils marcheront par la voie la plus aifée & qui
gênera le moins leurs autres pallions , & cette voie •.
n’eft point celle de la vertu. Le nombre de ceux fur
qui ces motifs font capables d’agir eft donc très-petit ,
comme Pomponace lui-même, qui étoit athée, en fait
l’aveu. « Il y a , dit -i l, quelques perfonnes d’un na-
» turel fi heureux , que la feule dignité de la vertu
»fuffit pour les engager à la pratiquer, & la feule
» difformité du vice fuffit pour le leur faire éviter.
» Que ces difpofitions font heureufes, mais qu’elles
» font rares 1 II y a d’autres perfonnes dont l’efprit
» eft moins héroïque, qui ne font point irifehfibles à
» la dignité de la vertu ni à la baffeffedu vice ; mais
» que ce motif feul, fans le fecours des louanges &c
»» des honneurs, du mépris & de l’infamie, ne pour-
» roit point entretenir dans la pratique de la vertu
»•& dans l’éloignement du yice. C eux -ci forment
» une fécondé claffe ; d’autres ne font retenus dans
» l ’ordre que par l’efpérancè dé quelque bien réel
-»•ou par la crainte de quelque punition corporelle.
» Le légiflateur pour les engager à la pratique de la
» vertu, leur a préfenté l’appât des richeffes, des di-
» gnités, ou de quelqu’autre chofe femblable ; & d’un
» autre côté il leur a montré des punitions , foit en
»-leur perfonne, en leur bien, ou en leur honneur ,.
» pour les détourner du vice. Quelques autres d’un
» caraCtere plus féroce , plus vicieux , plus intraita-
» b le , ne peuvent être retenus par aucuns de ces
» motifs. A l’égard de ces derniers, le -légiflateur a in-
» venté le dogme d’une autre vie , où la vertu doit
»-recevoir des récompenfes éternelles,, & où le vice
» doit fubir des châtimens qui n’àuront point de fin ;
» deux motifs dont le dernier a beaucoup plus de
» force fur-l’efprit des hommes, que le premier. Plus1
» inftruit par l’expérience de la nature des maux que
» de celle des biens, on eft plutôt déterminé par la
» crainte quepar l’efpérance. Le légiflateur prudent
»-& attentif au bien public, ayant obfervé d’une
».part le penchant de l’homme vers le mal, & de
» l’autre côté, combien l’idée d’une autre vie peut
» être utile à tous les hommes, de quelque condition
» qu’ils foient , a établi le dogme de l’immortalité
» de l'ame, moins occupé du vrai que de l’utile, &
» de ce qui pouvoit conduire les hommes à la prati-
» que de la vertu : & l’on ne doit pas le blâmer de
» cette politique ; car de même qu’unmedecintrom-
»,pe un malade afin de lui rendre la fanté, de même
» l’homme d’état inventa des apologues ou des fic-
» tions utiles pour fervir à la correction des moeurs.
» Si tous les hommes à la vérité étoient de la pre-
» miere claffe, quoiqu’ils cruffent leur ame mortelle,
».ils rempliroient tous leurs devoirs : mais comme
».il n’y en aprefque pas de ce caraôere , il a été né-
» ceffaire d’avoir recours à quelqu’autre expédient ».
Les autres motifs étoient bornés à leur fefte ; c’é-
toit l’envie d’en foûtenir l’honneur & le crédit, & de
tâcher de l’anoblir par ce faux luftre. Il eft étonnant
jufqu’à quel point ils étoient préoccupés & poffédés
de ce defir. L’hiftoire de la converfation de Pompée
& de Poffidonius le ftoïque , qui eft rapportée dans
les Tufculanes de Cicéron, en eft un exemple bien
remarquable : ô douleur, difoit ce philofophe malade
& fouffrant ! tes efforts font vains .; tu peux être incommode
, jamais, je n avouerai que tu fois un mal. Si
la crainte de fe rendre ridicule en defavoiiant fes principes
, peut engager des hommes à fe faire une fi
grande violence , la crainte de fe rendre généralement
odieux n’a.pas été un motif moins puiffantpour
les engager à la pratique de la vertu. Cardan lui--
même reconnoît que l’athéifme tend malheureufe--
ment à rendre ceux qui en font les partifans, l’objet
de l’exécration publique. De plus le foin de leur ,
propre confervation les y engageoit ; le magiftrat
avoit; .beaucoup d’indulgence poiu- les fpéculations
philofophiques : mais l’athéifme étant.en général regardé
comme tendant à renverfer la fociété, fouvent
il déployoit toute fa vigueur contre ceux qui vou--
loientl’établir;en forte qu’ils n’avoient d’autre moyen
de défarmer fa vengeance, que de perfuader par une
vie exemplaire, que ce principe n’a voit point en lui*:
même une influence fi funefte. Mais ces motifs étant
particuliers aux fedes des philofophes, qu’ont-ils de
commun avec le refte des hommes ?
A l’égard des nations de fauvages athées, qui vivent
dans l’état de la nature fans, fociété civile, avec
plus de vertu que les idolâtres qui les environnent ;
fans vouloir révoquer ce fait en doute, il fuffirad’ob-
ferver la nature d’une telle fociété, pour démafquer.
le fophifme de cet argument.-
Il eft certain que dans l’état de la fociété, les hommes
font conftamment portés à enfraindre les. lois*'
Pour y remédier , la fociété eft conftamment occupée
à foûtenir & à augmenter la force & la vigueur;
de* fes ordonnances. Si l’on cherche la caufe de cettei
perverfité, on trouvera qu’il n’y en a point d’autre
que lé nombre & la violence des defirs qui naiffent
de nos befoins réels & imaginaires. Nos befoins réels
font néceffairement & invariablement les mêmes ,
extrêmement bornés en nombre, extrêmement ailés
à fatisfaire. Nos befoins imaginaires font infinis, fans,
mefure, fans réglé, augmentant exactement dans la
même proportion qu’augmentent les différens arts.
Or ces différens arts doivent leur origine à la fociété
civile : plus la police y eft parfaite, plus ces arts font
cultivés & perfectionnés , plus on a de nouveaux
befoins & d’ardens defirs ; & la violence de ces de-,
firs qui ont pour objet de fatisfaire des befoins imaginaires.,
eft beaucoup plus forte que celle des defirs
fondés fur les befoins réels , non - feulement parce
que les premiers font en plus grand nombre, ce qui
fournit aux pallions un exercice continuel ; non-feulement
parce qu’ils font plus déraifonnables, çe qui
en rend la fatisfa&ion plus difficile , & que n’étant
point naturels, ils font fans mefure : mais .principalement
parce qu’une coûtume vicieufe a attaché à
la fatisfa&ion de fes befoins , une efpece d’honneur
& de réputation, qui n’eft point attachée à la fatis-
faétion des befoins réels. C ’eft en conféquence de ces
principes que nous dilbns que toutes les précautions
dont la prévoyance humaine eft capable, ne font
point fuffifantes par elles-mêmes pour maintenir l’état
de la fociété , & qu’il a été néceffaire d’avoir recours
à quelqu’autre moyen. Mais dans l’état de nature
où l’on ignore lesarts ordinaires, les befoins.des
hommes réels font en petit nombre., & il eft aifé de
les fatisfaire : la nourriture & l’habillement font tout
ce qui eft néceffaire au foûtien de la vie ; & la Providence
a abondamment pourvu à ces befoins ; en-
forte qu’il ne doit y avoir guere de difpute, puifqu’il
fe trouve prefque toûjours une abondance plus que
fuffifante pour fatisfaire tout le monde.
P ar-là on peut voir clairement comment il eft
poffible que cette canaille à?athées , s’il eft permis de
fe fervir de cette expreffion, vive paifiblement dans
l ’état de nature ; & pourquoi la force des lois humaines
ne pourroftpas retenir dans l’ordre & -le devoir
une fociété civile d'athées. Le fophifme de M. Bayle
fe découvre de lui-même. Il n’a pas foûtenu ni n’au-
roit voulu foûtenir que ces athées , qui vivent paifiblement
dans leur état préfent, fans le frein des lois
humaines, vivroient de même fans le fecours des
lois , après qu’il auroient appris les différens arts ;
qüi font en ufage parmi les nations civilifées ; iî ne
nieroit pas fans doute que dans la fociété civile, qui
eft cultivée par les arts, le frein des lois eft absolument
néceffaire. Or voici les queftions qu’il eft naturel
de lui faire. Si un peuple peut vivre paifiblement
hors de la fociété civile fans le freirç des lois,
mais ne fauroit fans ce frein vivre paifiblement dans
l ’etat de fociété : quelle raifon avez-vous de prétendre
que, quoiqu’il- puiffe vivre paifiblement hors de
la fociété lans le frein de la religion, ce frein ne de*
vienne pas néceffaire dans l ’état de fociété ? La ré-
ponfe à cette queftion entraîne néceffairement l’examen
de la force du frein qu’il faut impofer à l’homme
qui vit en fociété : or nous avons prouvé qu’outre
le frein des lois humaines, il falloit encore celui
de la religion.
On peut obferver qu’il régné un artifice uniforme
dans tous les fophifmes dont M. Bayle fait ufage
pour foûtenir fon paradoxe. Sa thefe étoit de prouver
que l'atkéifme n’eft pas pernicieux à la fociété ; &
pour le prouver , il cite des exemples. Mais quels
exemples? Defophiftes,oudefauvages , d’un petit
nombre d’hommes fpéculatifs fort au-deffous de ceux
qui dans un état forment le corps des citoyens, ou
d’une troupe de barbares & de fauvages infiniment
au-deffous d’eux,dont les befoins bornés ne réveillent
point les paffiorts ; des exemples, en un mot, dont on
ne peut rien conclure , par rapport au commun des
hommes ,' & à ceux d’entr’eux qui vivent en fociété*
Voye^ les differtatiôns de l’union de la religion , de
la morale & de la politique de M. Warbuton, d’où
font extraits la plûpart des raifonnemens qu’on fait
contre ce paradoxe de M. Bayle. Life^ l’article du
P o l y t h é i sm e , où l’on examine quelques difficultés
de cet auteur. (X )
ATHÉISME, f. m. ( Métaphyfiq. ) c’eft l’opinion
de ceux qui nient l’exiftence d’un Dieu auteur du
monde. Ainfi la fimple ignorance de Dieu ne feroit
pas Y athéifme. Pour être chargé du titre odieux d'athéifme
, il faut avoir la notion de D ieu , & la rejet-
ter. L’etat de doute n’eft pas non plus Y athéifme formel
: mais il s’en approche ou s’en éloigne, à proportion
du nombre des doutes , ou de la maniéré de les
envifager. On n’eft donc fondé à traiter d'athées que
ceux qui déclarent ouvertement qu’ils ont pris parti
fur le dogme de l’exiftence de Dieu , & qu’ils foû-
tiennent la négative. Cette remarque eft très-importante
, parce que quantité de grands hommes , tant
anciens que modernes, ont fort legerement été taxés
d'athéifme , foit pour avoir attaqué les faux dieux ,
foit pour avoir rejefté certains argumens foibles, qui
ne concilient point pour l’exiftence du vrai Dieu.
D ’ailleurs il y a peu de gens qui penfent toûjours
conféquèmment, fur-tout quand il s’agit d’un fujet
auffi abftrait & auffi compofé que I’eft l’idée de la
caufe de toutes chofes, ou le gouvernement du monde.
On ne peut regarder comme véritable athée que
celui qui rejette l’idée d’une intelligence qui gouverne
avec un certain deffein. Quelque idée qu’il fe faffe
de cette intelligence ; la fuppofât-il matérielle, limitée
à certains égards, &c. tout cela n’eft point enco-
re 1 athéifme. L'affiéifme ne fe borne pas à défigurer I idee^de D ieu , mais il la détruit entièrement.
J ai ajoûte ces mots, auteur du monde , parce qu’il
ne fuffit pas d’adopter dans fon fyftème le mot de
Dieu, pour n’être pas athée. Les Epicuriens parloient
des dieux, ils en reconnoiffôiënt un grand nombre ;
& ^cependant ils étoient vraiement athées, parce
qu’ils ne donnoient à ces dieux aucune part à l’origine
& à la confervation du monde, & qu’ils les relé-
guoient dans une molleffe de vie oifive & indolente.
II en eft de même du Spinofifme, dans lequel l’ufage
du mot de Dieu n’empêche point que ce fyftème n’en
exclue la notion.
L athéifme eft fort ancien ; félon les apparences, it
y a eu des athees avant Démocrite & Leucippe, puif-
que Platon (de Legib.pag. 888. edit. Serr.) dit en par*
lant aux athees de fon tems. « Ce n’eft pas vous feu l,
» mon fils , ni vos amis ( Démocrite , Leucippe &
» Protagore ) qui avez eu les premiers ces fentimerts
» touchant les dieux : mais il y a toûjours eu plus ou
» moins de gens attaqués de cette maladie». Ariftote
dans la Metaphyfique affûre que plufieurs de ceux
qui ont les premiers philofophé, n’ont reconnu que
la matière pour la premier caufe de l’univers , fans
aucune caufe efficiente & intelligente. La raifon qu’ils
en avoient, comme ce philofophe le remarque ( lib.
rWÊÊl. ' » c e? affûroient qu’il n’y a aucune
luDltance que la matière, & que tout le refte n’en eft
que des accidens, qui font engendrés & corruptibles ;
au heu que la matière qui eft toûjours la même, n’eft
ni engendrée, ni fujette à être détruite, mais éter*
nelle. Les Materialiftes étoient de véritables athées,
non pas tant parce qu’ils n’établiffoient que des corps,
que parce qu’ils ne reconnoiffoient aucune intelligent
ce qui les mût & les gouvernât. Car d’autres philofo*
phes, comme Heraclite, Zenon, &c. en croyant que
tout eft m atériel, n’ont pas laiffé d’admettre une intelligence
naturellement attachée à la matière, & qu i
animoit tout l’univers , ce qui leur faifoit dire que
c eft un animal ; ceux - ci ne peuvent être regardés
comme athées.
L ’on trouve diverfes efpeces d'athéifme chez les
anciens. Les principales font l'éternité du monde, L'a*
tomifne ou le concours fortuit, l'hylopathianifme , &
l'hylo[difme, qu’il faut chercher fous leurs titres particuliers
dans ce Di&ionnaire. Il faut remarquer que
l’éternité du monde n’eft une efpece d'athéifme que
dans le fens auquel Ariftote & fes feâateurs l’établif-
foient ; car ce n’eft pas être athée que de croire lé
mônde co-eternei à D ieu , & de le regarder comme
un effet inféparable de fa caufe. Pour l’éternité de la
matierè, je ri’ai garde de la ranger parmi les fyftè-
mes des athées. Ils l’ont tous foûtenue à la vérité
mais des-philofophes théiftes l’ont pareillement ad-
t tife , & l ’époque du dogme de la création n’eft pas
bienaflurée. fjoye'i C r é a t io n . Parmiles modernes,
il n’y a d'athéifme fyftématique que celui de Spinofa,
dont nous faifons auffi un article féparé. Nous nous
bornons ici aux remarques générales fuivantes.
i° . C ’eft à l’athée à prouver que la notion de Dieu
eft contradiéfoire, & qu’il eft impoffible qu’un te!
être exifte ; quand même nous ne pourrions pas démontrer
la poffibilité de l’être fouverainement parfait
, nous ferions en droit de demander à l’athée les
preuves du contraire ; car étant perfiradés avec raifon
que cette idée ne renferme point de contradiction
, c’eft à lui à nous montrer le contraire ; c’eft le
devoir de celui qui nie d’alléguer fes raifons. Ainff
tout le poids du travail retombe fur l’athée ; & celui
qui admet un Dieu, peut tranquillement y acquief-
ce r , Iaiffant à fon antagonifte le foin d’en démontrer
la contradiction. O r , ajoutons-nous, c’eft ce dont il
ne viendra jamais à bout. En effet, l’affemblage de
toutes les réalités , de toutes les perfections dans un
feul être, ne renferme point de contradiction, il eft
donc poffible; & dès-là qu’il eft poffible, cet être
doit neceffairement exifter, l’éxiftence étant compri-
fe parmi ces réalités : mais il faut renvoyer à Y article
D ie u le détail des preuves de fon exiftence.
2°. Bien loin d’éviter les difficultés , en rejettant
la notion d’un Dieu, l’athée s’engage dans des hypo-
thefes mille fois plus difficiles à recevoir. Voici en
peu de mots ce que l ’athée eft obligé d’admettre. Suivant
fon hypothefe, le monde exifte par lui-même,
il eft indépendant de tout autre être, & il n’y a rien
dans ce monde vifible qui ait fa raifon hors du monde.
Les parties de ce tout & le tout lui-même ren