le patient eft bien difpofé. Pomponace traite cet article
fort au long, parce qu’il prétend démontrer par-
là que la force de l’imagination eft telle, qu on peut
lui attribuer les effets extraordinaires qu’on raconte.
Tous les mouvemens des corps qui produifent des
phénomènes extraordinaires, il les attribue à 1 imagination
; il en donne pour exemple les illufions, &
ce qui arrive aux femmes enceintes.. ^
6° Quoique par les efpeces qui font reçues dans
l’ame 6c par les pallions, il arrive des effets furpre-
nans, rien n’empêche qu’il n’arrive des effets fembla-
bles dans des corps étrangers ; car il eft certain qu un
patient étant difpofé au-dehors comme intérieurement
, l’agent a affez d’empire fur lui pour produire
les mêmes effets. . , .
7°. Les démons meuvent immédiatement les corps
d’un mouvement lo ca l, mais ils ne peuvent caufer
immédiatement une altération dans les corps ; car
l’altération fe fait par les corps naturels qui font appliqués
par les démons aux corps qu’ils veulent altérer,
&celaenfecretou ouvertement. Avec cesfeuls
principes Pomponace fait fa démonftration.
8°. Il fuit de-là qu’il eft arrivé beaucoup de chofes
félon le cours ordinaire, par des caufes inconnues,
& qu’on a regardées comme miracles ou comme les
oeuvres des démons, tandis qu’il n’en étoit rien.
• o°. Il fuit de - là encore que s’il eft v r a i, comme
difent des gens dignes de fo i , qu’il y a des herbes,
des pierres ou autres chofes propres à éloigner la
grêle, la pluie 6c les vents, 6c qu’on puiffe s’en fervir,
comme les hommes peuvent trouver cela naturellement
, puifque cela eft dans la nature, ils pourront
donc faire ceffer la grêle , arrêter la pluie fans miracle.
.
io°. De-là il conclut que plufieurs perfonnes ont
paffé pour magiciennes 6c pour avoir un commerce
avec le diable, tandis qu’elles croyoient, peut-être
avec Ariflote, qu’il n’y avoit pas de démons ; & que
par la même raifon plufieurs ont paffe pour faints, à
caufe des chofes qu’ils opéroient, 6c n’étoient pourtant
que des fcélerats. Que fi l’on objeûe qu’il y en
a qui font des fignes faints par eux-mêmes, comme
leVigne de la croix, & que d’autres font le contraire;
il répond que c’eft pour amufer le peuple, ne pouvant
croire que des perfonnes favantes ayent tant
étudié pour augmenter le mal qui fe trouve dans le
monde. Avec de tels principes ce philofophe incrédule
renverfe aifément tous les miracles, meme ceux
de Jefus-Chrift. Mais pour ne pas paraître fans religion
, & éviter par-là les pourfuites dangereuses (car
il étoit en Italie), il dit que s’il fe trouve dans l’ancien
ou dans le nouveau TeÜament des miracles de Jefus-
Chrift ou de Moyfe qu’on puiffe attribuer à des caufes
naturelles, mais qu’il y foit dit que ce font des miracles
, il faut le croire, à caufe de l’autorité de l’Egli-
fé. Il s’obje&e qu’il y a plufieurs effets qu’on ne fauroit
attribuer à des caufes naturelles, comme la réfurrec-
tion des morts, la vue rendue aux aveugles ; mais il
répond que les hiftoires des payens nous apprennent
que les démons ont fait des chofes femblables, 6c
qu’ils, ont fait fortir des morts de l’enfer & les ont reproduits
fur la terre, 6c qu’on a guéri des aveugles
par la vertu de certaines herbes. Il veut détruire en
chrétien ces réponfes, mais il le fait d’une maniéré à
faire connoître davantage fon incrédulité ; car il dit
que ces réponfes fontmauvaifes, parce que les Théologiens
l’affûrent, 6c dans la fuite il marque un grand
mépris pour les Théologiens.
Il eft furprenant, dit Pomponace, qu’un auffi grand
philofophe qu’Ariftote n’eût pas reconnu l’opération
de Dieu ou des démons dans les faits qu’on cite , fi
cela avoit été réel. Cela jette un doute fur cette quef-
tion ; on fent que Pomponace groflit la difficulté le
plus qu’il peut : il en fait un monftre, 6c fa réponfe ne
fert qu’à confirmer de plus en plus l’impiété de ce
philofophe* Il apporte la raifon pourquoi Ariftote a
nié l’exiftence des démons ; parce que, dit-il, on ne
trouve aucune preuve de ces folies dans les chofes
fenfibles , 6c que d’ailleurs elles font oppofées aux
chofes naturelles. Et comme on allégué une infinité
d’exemples de chofes opérées par les démons, après
avoir protefté que ce n’eft que félon le fentiment d’A-
riftote qu’il va parler, & non félon le lien, il dit premièrement
que Dieu eft la caufe univerfelle des chofes
matérielles & immatérielles, non-feulement effi-1
dente, mais encore finale, exemplaire 6c formelle,
en un mot l’archetype du monde. 2°. De toutes les
chofes corporelles créées 6c corruptibles, l’homme
eft la plus npble. 3°. Dans la nature il y a des hommes
qui dépendent les uns des autres, afin de s’aider.
4°. Cela fe pratique différemment, félon le degré de
dépendance. 50. Quoique Dieu foit la caufe de tout,
félon Ariftote, il ne peut pourtant rien opérer fur la
terre 6c fur ce qui l’environne, que par la médiation
des corps célefles, ils font fes inftrumens néceffaires;
d’oii Pomponace conclut qu’on peut trouver dans le
ciel l’explication de tout ce qui arrive fur la terre.
Il y a des hommes qui connoiffent mieux ces chofes
que d’autres, foit par l’étude, foit par l’expérience ;
& ces hommes-là fon regardés par le vulgaire, ou
comme des faints, ou comme des magiciens. Avec
cela Pomponace entreprend de répondre à tout ce
qu’on lui oppofe de furnaturel. Cette fuite de proportions
fait affez connoître que ce n’eft pas fans fondement
que Pomponace eft accufé de l’impiété desr
Péripatéticiens. Voici encore comme il s’explique
dans les propofitions fuivantes.
' Dieu connoît toutes chofes foi-même dans fon ef-
fènce, & les créatures dans fa toute-puiffance.
Dieu 6c les efprits ne peuvent agir fur les corps ,
parce qu’un nouveau mouvement ne fauroit pro venir
d’une caufe immobile, que par la médiation de l’an-
i cien mouvement.
Dieu & les efprits meuvent donc l’entendement &
la volonté, comme premiers moteurs, mais non fans
l’intervention des corps céleftes.
La volonté eft en partie matérielle, parce qu’elle
ne peut agir fans les corps ; & en partie immatériellle,
parce qu’elle produit quelque chofe qui eft au-deffus
des corps : car elle peut choifir, elle eft libre.
Les prophètes font difpofés par leur nature & les
principes de leur génération , quoique d’une façon
éloignée, à recevoir les impreflions de l’efprit divin ;
mais la caufe formelle de la connoiffance des chofes.
futures leur vient des corps céleftes. Tels furent Eli-
fée, Daniel, Jofeph, 6c tous les devins des Gentils.
Dieu eft la caufe de tout, voilà pourquoi il eft la
fource des prophéties ; mais il s’accommode à la dif-
pofition de celui qu’il infpire, & à l’arrangement des
corps céleftes : or l’ordre des cieux varie perpétuellement.
La fanté rendue à un malade miraculeufement,
vient de l’imagination du malade ; c’eft pourquoi fi
des os réputés être d’un faint, étoient ceux d’un
chien, le malade n’en feroit pas-moins guéri : il arrive
même fouvent que les reliques qui opèrent le
plus de prodiges , ne font que les triftes débris d’un
homme dont l’ame brûle en enfer. La guérifon vient
aufîi quelquefois d’une difpofition particulière du
malade.
Les prières faites avec ardeur pour demander la
pluie, ont eu fouvent leur effet, par la force de l’imagination
de ceux qui la demandoient ; car les vents
6c les élémens ont une certaine analogie, une certaine
fympathie avec un tel degré d’imagination, &
ils lui obéiffent. Voilà pourquoi les prières n’operent
point qu’elles ne partent du fond du coeur, & qu’elles
ne foient ferventes.
Suivant ce fentiment , il n’eft pas incroyable
qu’un homme né fous une telle conftellation, puif-
?e commander aux vents & à la mer, chaffer les démons
, 6c opérer en un mot toutes fortes de prodi-
ges.N
ier que Dieu & les efprits foient caufe de tous les
maux phyfiques qui arrivent, c’eft renverfer l’ordre
qui confifte dans la diverfité.
Comme Dieu ni les corps céleftes ne peuvent forcer
la volonté à fe porter vers un objet ; auffi ne peuvent
ils pas être la caufe du mal moral.
Certaines difpofitions des corps influent pourtant
fur le mal moral : mais alors il ceffe d’être mal moral
, & devient v ice de nature.
Les Aftrologues difent toûjours des chofes conformes
à la raifon 6c au bon fens : l’homme par la force
de ce qu’il renferme, peut être changé en loup, en
pourceau, prendre en un mot toutes fortes de formes.
Tout ce qui commence doit avoir une fin ; il n’eft
donc pas furprenant que les oracles ayent ceffé.
L’ancienne loi, félon l’ordre, demandoit des oracles
: la nouvelle n’en veut point, parce que c’eft un
autre arrangement ; il falloit faire contra&er d’autres
habitudes.
Comme il eft fort difficile de quitter une ancienne
habitude pour en prendre une nouvelle, il s’enfuit
que les miracles étoient néceffaires pour faire adopter
la nouvelle lo i, 6c abandonner l’ancienne.
Lorfque l’ordre des cieux commencera à changer,
tout changera ici-bas : nous voyons que les miracles
furent d’abord foibles, & la religion auffi ; les miracles
devinrent plus furprenans, la religion s’accrut;
les miracles ont ceffé, la religion diminue : tel eft
l’ordre des cieux; il varie 6c il variera fi fort, que
cette religion ceffera de convenir aux hommes.
Moyfe a fait des miracles, les payens auffi, avec
eux Mahomet & Jefus-Chrift. Cela eft néceffaire,
parce qu’il ne fauroit y avoir de changement confi-
dérable dans le monde, fans le fecours des miracles.
La nature du miracle ne confifte pas en ce qu’il eft hors de la fphere des chofes ordinaires, mais en
ce que c’eft un effet rare, dont on ne connoît pas la
caule, quoiqu’elle fe trouve réellement dans la nature.
Voilà l’impiété de Pomponace dans fon entier ; il
croit l’adoucir, en difant que Jefus-Chrift doit être
préféré à Ariftote & à Platon. « Et quoique, dit-il,
» tous les miracles qui font arrivés puiffent s’expli-
» quer naturellement, il faut pourtant croire qu’ils
» ont été faits furnaturellement en faveur de la reli-
»> g ion, parce que l’Eglife veut qu’on le croye ». Il
avoit pour maxime de parler comme le vulgaire, 6c
de penfer comme un philofophe ; c’eft-à-dire, qu’il
étoit chrétien de bouche, 6c impie dans le coeur. « Je
» parle, dit-il en un endroit, pour des philofophes qui
» font les feuls hommes qui foient fur la terre; car
» pour les autres, je les regarde comme de fimples fi-
» gures propres à remplir les vuides qui fe trouvent
» dans l’univers ». Qu’eft-il befoin de réfuter ce qu’on
vient de lire ? ne fuffit-il point de l’avoir mis fous les
yeux ? Pomponace eut plufieurs difciples, parmi lesquels
fe trouve Hercule de Gonzague, qui fut cardinal
dans la fuite, 6c qui eut tant d’eftinie pour fon
maître , qu’il le fit inhumer dans le tombeau de fes
ancêtres. Ilparoîtpar une lettre de Jules Scaliger,
qu’il a été difciple de Pomponace.
A uguftin Niphus fut l’adverfaire le plus redoutable
de Pomponace : ce fut un des plus célébrés Péripatéticiens
de fon fiecle. Il naquit dans la Calabre,
quoique plufieurs Payent cru Suiffe. Il eft vrai que
Niphus lui-même donne occafion à cette erreur ; car
il fe difoit Suiffe, parce qu’il avoit vécu long-tems
dans ce pays-là, & qu’ilV y étoit marié. Son pere
Tome /.
le rômariâ après avoir perdu la mère de Niphus : fa
marâtre étoit cruelle 6c injufte ; elle pouffa fa haine
fi loin, que Niphus, quoique fort jeune , fut obligé
d’abandonner la maifon de fon pere. Il s’enfuit à Naples
, où il eut le bonheur de rencontrer un Suiffe à
qui il plut ; il le regarda comme un de fes enfans, 6c
lui donna la même éducation. On l’envoya faire fes
études à Padoue ; il y étudia la Philofophie des Pé*»
ripatéticiens, 6c s’adonna à la Medecine. Selon la
coûtume de ce tems-là dans l’Italie, ceux qui n’em-
braffoient pas l’état eccléfiaftique, joignoient l’étude
de la Medecine à l’étude de la Philofophie : c’eft
pourquoi Niphus fut dans fon fiecle auffi bon médecin
que célébré philofophe. Il avoit eu pour maître
un Péripatéticien fort attaché aux opinions d’Averroès
, fur-tout à celle de l’exiftence d’une feule ame t
il avoit apporté tant d’argumens pour prouver ce
fentiment, que le peuple 6c les petits philofophes
l’adopterent avec lui ; de forte que cette opinion fü
répandit dans toute l’Italie. Il avoit encore enchéri
fur Averroès ; il foûtenoit entr’autres chofes, qu’il n’y
avoit d’autres fubftances immatérielles que celles qui
faifoient mouvoir les fpheres céleftes. Niphus n’examina
point dans la fuite fi ce que fon maître lui avoit
appris étoit bien fondé ; il ne chercha que les moyens
les plus propres à bien défendre les opinions de ce
maître. Il écrivit dans ce deffein fon livre de l’entendement
& des démons. Cet ouvrage fit beaucoup de
bruit : les moines fe récrièrent hautement fur les erreurs
qu’il contenoit : ils excitèrent contre lui une
fi violente tempête , qu’il eut toutes les peines du
monde à ne pas faire naufrage. Cela le rendit plus
fage & plus prudent dans la fuite. Il énfeigna la Phi-
loïophie dans les plus célébrés académies de l’Italie,
6c où Achillinus 6c Pomponace étoient en grande réputation
; comme à Pile, Bologne, Salerne , Padoue
, 6c enfin à Rome, dans le collège de la Sapience.
Niphus nous affûre que la ville de Bologne 6c celle
de Venife lui a voient offert mille écus d’or par an
pour profeffer la Philofophie dans leur ville. La maifon
de Medicis le protégea beaucoup, 6c en particulier
Léon X . qui; le combla de biens 6c d’honneurs;
Il lui ordonna de réfuter le livre de Pompo-
naçe fur l’immortalité de l’ame, 6c de lui prouver
que l’immortalité de l’ame n’étoit pas contraire aux
lentimens d’Ariftote ; ce que Pomponace prétendoit.
C ’eft ainfi que la barbarie du fiecle rendoit mauvai-
fes les meilleures caufes. Par la façon ridicule de ré-,
futer Pomponace, ce philofophe fe trouvoit avoir
raifon : car il eft certain qu’Ariftote ne croyoit pas
l’immortalité de l’ame. Si Niphus s’étoit attaché à
prouver que l’ame étoit immortelle, il auroitfait voir
que Pomponace avoit tort, avec Ariftote, fon maître
& fon guide. Niphus eut beaucoup d’adverfaires, parce
que Pomponace avoit beaucoup de difciples. Tous
ces écrits contre lui n’empêcherent pas qu’il ne fût
fort agréable à Charles V. 6c même aux femmes de
fa cour ; car ce philofophe, quoiqu’affez laid, favoit
pourtant fi bien dépouiller la rudeffe philofophique,
& prendre les airs delà cour, qu’il étoit regardé comme
un des hommes les plus aimables. Il contoit agréablement
, 6c avoit une imagination qui le fervoit
bien dans la converfation. Sa voix étoit fonore; il
aimoit les femmes, 6c beaucoup plus qu’il ne con-
venoit à un philofophe ; il pouffa quelquefois les
aventures fi loin, qu’il s’én fit méprifer, 6c rifqua
quelque chofe déplus. Bayle , comme on fent bien,
s’étend beaucoup fur cet article ; il le fuit dans toutes,
fes aventures, où nous croyons devoir le laif-
ler. Nous ne faurions trop nous élever contre fes
moeurs, 6c contre fa fureur de railler indiftinâement
tout le monde, fur quelque matière que ce fût. Il y a
beaucoup de traits oblcenes dans fes ouvrages. Le
public fe venge ordinairement ; il y a fort peu de