&c. Je ne penfe pas qu’on doive leur alTocier ces hommes
qui n’ont ni principes ni fyftème, qui n’ont point
examiné la queftion, & qui ne fayent qu’imparfaite-
ment le peu de difficulté qu’ils débitent. Ils fe font une
fotte gloire de paffer pour efprits forts ; ils en affe&ent
le ftyle pour fe diftinguer de la foule, tout prêts à
prendre le parti de la religion, fi tout le monde fe dé-
claroit impie & libertin : la fingularité leur plaît.
Ici fe préfente naturellement la célébré queftion,
favoir fi les lettrés de la Chine font véritablement
athées. Les fentimens fur cela font fort partagés. Le
P. le C omte, Jéfuite, a avancé que le peuple de la
Chine a confervé près de 1000 ans la connoiffance du
véritable Dieu ; qu’ils n’ont été accufés publiquement
d’athéifme par les autres peuples, que parce qu’ils n’a-
voient ni temples ni facrifices ; qu’ils étoient les moins
crédules & les moins fuperftitieux de tous leshabitans
de l’Afie. Le P. le Gobien, auffi Jéfuite, avoue que
la Chine n’eft devenue idolâtre que cinq ou fix ans
avant la naiffance de J. C . D ’autres prétendent que
l’athéifme a régné dans la Chine jufqu’à Confucius,
& que ce grand Philofophe même en fut infeâé.
Quoi qu’il en foit de ces tems fi reculésfur lefquels
nous n’ofons rien décider, le zele de l’apoftolat d’un
côté, 8c de l’autre l’avidité infatiable des négocians
européens, nous ont procuré la connoiffance de la
religion de ce peuple fubtil, favant & ingénieux. Il y
a trois principales feftes dans l’empire de la Chine. La
première fondée par Li-laokium, adore un Dieu fou-
verain, mais corporel, 8c ayant fous fa dépendance
beaucoup de divinités fubalternes, fur leiquelles il
exerce un empire abfolu. La fécondé , inre&ée de
pratiques folles 8c abfurdes, met toute fa confiance
en une idole nommée Fo ou Foë. Ce Fo ou Foë mourut
à l’âge de 79 ans ; 8c pour mettre le comble à fon
impiété, après avoir établi l’idolâtrie durant fa v ie ,
il tâcha d’infpirer l’athéifme à fa mort. Pour lors il
déclara à fes difciples qu’il n’avoit parlé dans tous fes
difeours que par énigme , & que l’on s’abufoit fi l’on
cherchoit hors du néant le premier principe des cho-
fes. C ’eft de ce néant, dit-il, que tout eft forti, 8c
«’eft dans le néant que tout doit retomber : voilà i’a-
byfme où aboutiffent nos efpérances. Cela donna
naiffance parmi les Bonzes à unefede particulière Mutilées,
fondée fur ces dernieres paroles de leur maître.
Les autres, qui eurent de la peine à fe défaire de leurs
préjugés i s’en tinrent aux premières erreurs. D ’autres
enfin tâchèrent de les accorder enfemble, en fai-
fant un corps de do&rine où ils enfeignerent une double
lo i, qu’ils nommèrent la loi extérieure 8c la loi intérieure.
La troifieme enfin plus répandue que les deux
autres, 8c même la feule autorifée par les lois de l’état
, tient lieu de politique, de religion, 8c fur-tout de
philofophie. Cette derniere fede que profeffent tous
les nobles 8c tous les favans, ne reconnoît d’autre divinité
que la matière, ouplûtôt la nature ; 8c fous ce
nom, fource de beaucoup d’erreurs & d’équivoques,
elle entend je ne fai quelle ame invifible du monde,
je ne fai quelle force ou vertu furnaturelle qui produit
, qui arrange, qui conferve les parties de l’univers.
C ’eft, difent-ils, un principe très-pur, très-parfait.,
qui n’a ni commencement ni fin ; c’eft la fource
de toutes chofes, l’effence de chaque être, & ce qui
en fait la véritable différence. Ils fe fervent de ces magnifiques
expreffions, pour ne pas abandonner en apparence
l’ancienne dodrine ; mais au fond ils s’en
font une nouvelle. Quand on l’examine de près, ce
n’eft plus ce fouverain maître du c ie l, jufte, tout-
puiffant, le premier des efprits, 8c l’arbitre de toutes
les créatures : on ne voit chez eux qu’un athéifme
rafiné, 8c un éloignement de tout culte religieux. Ce
qui le prouve, c’eft que cette nature à laquelle ils
donnent des attributs fi magnifiques , qu’il femble
qu’ils l’affranchiffent des imperfedions de la matière,
en la féparant de tout ce qui eft fenfible & corporel J
eft néanmoins aveugle dans fes adions les plus réglées
, qui n’ont d’autre fin que celle que nous leur
donnons, 8c qui par conféquent ne font utiles qu’au-
tant que nous favons en faire un bon ufage. Quand
on leur objedeque le bel ordre qui régné dans l ’univers
n’a pu être l’effet du hafard, que tout ce qui
exifte doit avoir été créé par une première caufe ,
qui eft Dieu : donc, répliquent-ils d’abord, D ieu eft
l’auteur du mal moral 8c du mal phyfique. On a beau
leur dire que Dieu étant infiniment bon, ne peut être
l’auteur du mal : donc , ajoûtent-ils, Dieu n’eft pas
l’auteur de tout ce qui exifte. Et puis , continuent-
ils d’un air triomphant, doit-on croire qu’un être
plein de bonté ait créé le monde, 8c que le pouvant
remplir de toutes fortes de perfedions, il ait précifé-
ment fait le contraire ? Quoiqu’ils regardent toutes
chofes comme l’effet de la néceffité, ils enfeignent
cependant que le monde a eu un commencement, 8c
qu’il aura une fin. Pour ce qui eft de l’homme , ils
conviennent tous qu’il a été formé par le concours de
la matière terreftre& de la matière îubtile, à-peu-près
comme les plantes naiffentdans les îles nouvellement
formées , où le laboureur n’a point femé, 8c où la
terre feule eft devenue féconde par fa nature. Au refte
notre ame, difent-ils, qui en eft la portion la plus épurée
, finit avec le corps, quand fes parties font dérangées
, 8c renaît auffi avec lui, quand le hafard remet
ces mêmes parties dans leur premier état.
Ceux qui voudroient abfolument purger d’athéifme
les Chinois, difent qu’il ne faut pas faire un trop
grand fond fur le témoignage des millionnaires ; 8c
que la feule difficulté d’apprendre leur langue & de
lire leurs livres, eft une grande raifon de l'ufpendre
fon jugement. D ’ailleurs en accufant les Jéfuites, fans
doute à tort, de fouffrir les fuperftitions des Chinois,
on a fans y penfer détruit l’acoufation de leur athéifme,
puifque Tonne rend pas un culte à un être qu’on
ne regarde pas comme Dieu. On dit qu’ils ne recon-
noiffent que le ciel matériel pour l’Être fuprème : mais
ils pourroient reconnoître le ciel matériel (fi tant eft;
qu’ils ayent un mot dans leur langue qui réponde au
mot de matériel}, & croire néanmoins qu’il y aquel-
qu’intelligence qui l’habite, puifqu’ils lui demandent
de la pluie & du beau tems, la fertilité de la
terre, &c. Il fe peut faire aifément qu’ils confondent
l’intelligence avec la matière, & qu’ils n’ayent que
des idées confufes de ces deux êtres, fans nier qu’il y
ait une intelligence qui préfide dans lè ciel. Epicure
8c fes difciples ont crû que tout étoit corporel, puifqu’ils
ont dit qu’il n’y avoit rien qui ne fût compofé
d’atomes ; & néanmoins ils ne nioient pas que les.
âmes des hommes ne fuffent des êtres intelligens. On
fait auffi qu’avant Defcartes on ne diftinguoit pas
trop bien dans les écoles l’efprit 8c le corps ; 8c l’on
ne peut pas dire néanmoins que dans les écoles on
niât que l’ame humaine fût une nature intelligente.
Qui lait files Chinois n’ont pas quelqu’opinion fem-
blable du ciel ? ainfi leur athéifine n’eft rien moins
que décidé.
Vous demanderez peut-être comment plufieurs
philofophes anciens 8c modernes ont pû tomber dans
l’athéifme : le voici. Pour commencer par les philofophes
payens, ce qui les jetta dans cette énorme erreur,
ce furent apparemment les fauffes idées de la
divinité qui régnoient alors ; idées qu’ils furent détruire
, fans favoir édifier, fur leur ruine celle du
vrai Dieu. Et quant aux modernes, ils ont été trompés
par desfophifmes captieux, qu’ils avoient l’efprit
d’imaginer fans avoir affez de fagacité ou de jufteffe
pour en découvrir le foible. Ilne faüroit affûrément
y avoir M athée convaincu de fon fyftème, car il fau-
droit qu’il eût pour cela une démonftration de la non-
exiftence de Dieu, ce qui eft impoffible ; mais la con-
viction
v'iâîon & la perfuafion font deux chofeS différentes.
Il n’y a que la derniere qui convienne à 1yathée. Il
fe perfuade ce qui n’eft point : mais rien n’empêche
qu’il ne le erbye auffi fermement en vertu de fes fo-
phifmeS, qùele théifte croit l’exiftence de Dieu en
vertu des démonftrations qu’il en a. Il ne faut pour
cela que convertir en objèâions les preuves de l’e-
xiftence de Dieu, 8c les obje&ions en preuves. Il n’eft
pas indifférent de commencer par un bout plûtôt que.
par l’autre, là difeuflion de ce qu’on regarde comme
un problème : car fi vous commencez par l’affirmativ
e , vous la rendrez plus facilement viftorieufe ; au
lieu que fi vous commencez par la négative, vous rendrez
toûjours douteux le fuccès de l ’affirmative. Les
mêmes ràifonnemens font plusoumoins d’impreffion
félon qu’ils font propofés ou comme des preuves, ou
comme des objections. Si donc un philofophe débu-
toit d’abord par la'thefe, il'n y a point de Dieu , 8c
qu’il rangeât en forme de preuves ce que les orthodoxes
ne font venir fur les rangs que comme de Amples
difficultés, il s’expoferoit à l’égarement ; il fe
îrouveroit fatisfaii de fés preuves , & n’en voudroit
point démordre, quoiqu’il ne sût comment fe débar-
raffer des pbjeéfions ; c a r ,; diroit- i l ,' fi j’affirmois le
contraire , je me verrois obligé de me fauver dans
l ’afyle de l’incompréhenfibilité: Il choifit donc mal-
heureufement les incompréhenfibilités , qui ne de-*
voient venir qu’après.
Jetiez les yeux fur les principales controverfes
des Catholiques 8c des Proteftans , vous verrez que
ce qui paffe dans* l’efprit des uns pour une preuve
demonftrative de fauffeté , ne paffe dans l’efprit des
autres que pour un fophifme, ou tout au plus pour
une obje&ion fpécieulè, qui fait voir qu’il y a quelques
nuages même autour des vérités révélées. Les
uns 8c les autres portent le même jugement dés objections
des Sociniens : mais ceux-ci les ayant toûjours
confidérées comme leurs preuves, les prennent pour
des raifons convaincantes : d’oùils concluent que les
pbjeâions de leurs adverfaires peuvent bien être difficiles
à réfoudre, mais qu’elles ne font pas folides.
En general, dès qu’on ne regarde une chofe.que comme
l’endroit difficile d’une thefe qu’on a adoptée, on
en fait très-peu de cas : on étouffe tous les doutes
qui pourroient s’élever, 8c on ne fe permet pas d’y
faire attention ; ou-fi on les examine , c’eft en ne les
confidérant que comme de fimples difficultés ; 8c c’eft
par-là qu’on leur ôte la force de faire impreffion fur
l’efprit. Il n’eft donc point, furprenant qu’il y ait eu
& qu’il y. ait encore des athées de théorie, c’eft-à-
dire, des athées qui par la voie du raifonnement
foient parvenus à fe perfuader qu’il n’y a point de
Dieu. Ce quide prouve encore, c’eft qu’il s?efttrouv
é des athées que le coeur n’avoit pas féduits, 8c qui
n’avoient aucun intérêt à s’affranchir d’un joug qui
les incommodoit. Qu’un profeffeur d’athéifme, par
exemple, étale.faftueufement toutes les preuves par
lesquelles il prétend appuyer fon fyftèm^impie, elles
faifxront ceux qui auront l’imprudence de l’écouter
& les difpoferont à ne point fe rebuter des objeâions
qui fuivent. Les premières impreffions feront comme
une digue qu’ils, oppoferont aux obje&ions ; 8c pour
peu qu’ils ayent.de penchant au libertinage, ne craignez
pas qu’ils fe laiffent entraîner à la force de ces
objections.
Quoique l’expérience nous force à croire que plufieurs
philofophes.anciens & modernes ont vécu 8c
font morts dans la profeffion d’athéifme , il ne faut
pourtant pas s’imaginer qu’ils foient en fi grand nom-
bre qiie le fuppofent certaines perfonnes | ou trop
zelees pour la religion, ou mal intentionnées contre
elle. Le pere Merfenne vouloit qu’il n’y eût pas moins
que 50 mille athées dans Paris ; il eft vifible que cela
eft outré à l’excès, On attache fouvent cette note
Tome 7,
înjürieiife à des perfonnes qui ne la mériteht point*
On n’ignore pas qu’il y a certains efprits qui fe piquent
de raifonnément, & qui ont beaucoup de force
dans la difpute. Ils abufent de leur talent, & fe
plaifent à s’en fervir pour embarraffer un homme
qui leur paroît convaincu de l’exiftence de Dieu.. Ils
lui font des obje&ions fur la religion ; ils attaquent
fes réponfes & ne veulent pas avoir le dernier ; ils
crient & s’échauffent, c’eft leur coûtume. Leur adversaire
fort mal fatisfait , 8c les prend pour des
athées ; quelques-uns des affiftans prennent le même
lcandale, & portent le même jugement ; ce font fou-
vent des jugemens téméraires. Ceux qui aiment la
difpute 8c qui s’y fentqnt très-forts., foûtiennent en
mille rencontres le contraire de ce qu’ils croyent bien
fermement. Il fuffira quelquefois, pour rendre quelqu’un
fufpeâ d’athéifme , qu’il ait difputé avec chaleur
fur l’infuffifance d’une preuve de l’exiftence de
Dieu; il court rifque, quelque orthodoxe qu’il foit ,
de fe voir bien-tôt décrié comme un athée ; ca r , dî-.
ra-t-on , il ne s’échàufferoit pas tant s’il ne l’étoit t
quel intérêt fans cela pourroit-il prendre dans cette
difpute ? La belle demande ! n’y eft- il pas'intéreffé
pour 1 honneur de fon difeernement ? Voudroit-on
qu il Iaiffât croire qu’il prend, une mauvaife preuve
pour un argument démonftratif?
La parallèle dé l ’athéifme 8c du paganifme fe pré-*
lente ici fort naturellement. On fe partage beaucoup
fur ce problème , fi l’irréligion ëft pire que la fuper-*
ftition : on convient que ce font les deux extrémités
vicieufes au milieu defquelles la vérité ëft fituée *
mais il y a des perfonnes qui penfent avec Plutarque ,
que la fuperftition eft un plus grand mal que. l’athéiif- I me : il y en a d’autres qui n’ofent décider , & plufieurs
enfin qui déclarent que l ’athéifme eft pire que
la fuperftition. Jufte Lipfe prend ce dernier parti i
mais en meme tems il avoue que la fuperftition eft
plus ordinaire que l’irreligion ; qu’elle s’infinue fous
le mafque de la piété ; 8c que n’étant qu’une image
de la religion ; elle féduit de telle forte l’efprit de
l’homme qu’elle le rend foii joiiet. Perfonne n’ignore
combien ce fujet a occupé Bayle, & comment il s’eft
tourné de tous côtés ,'8c a employé toutes les fubti-
lités du raifonnement pour foutenir ce qu’il avoit
une fois avance. Il s’eft appliqué à pénétrer jufque
dans les replis les plus cachés de la nature humaine :
auffi remarquable par la force 8c la clarté du raifon-,
nement, que par l ’enjouement, la vivacité 8c la dé-
licateffe de l’efprit , il ne s’éft égaré que par l’envié
demefuree des paradoxes. Quoique familiarifé avec
la plus faine philofophie, fon efprit toûjours aéfcif &
extrêmement vigoureux n’a pû fe renfermer dans la
carrière ordinaire ; il en a franchi les bornes. Il s’eft
plu à jetter des doutes fur les chofes qui font les plus
generalement reçûes , 8c à trouver des raifons de
probabilité pour celles qui font les plus généralemenÊ
rejettées. Les paradoxes, entre les mains d’un auteur
dece cara<ftere,.produifent toûjours quelque chofe,
d’utile 8c de curieux; 8c on en a la preuve dans la
queftion préfente : car l’on trouve dans les penfées
diverfes de M. Bayle, un grand nombre d’excellen-
tes obfervations fur la nature 8c le" génie'de l’ancien
polithéifme, Comme il ne s’eft propofé d’autre mé-
thode que d’écrire félon que les chofes fe préfente*
roient à fa penfée , fes argumens fe trouvent con-
fufément épars dans fon ouvrage. Il eftnéeeffaire de
les analyfer 8c de les rapprocher. On les'êxpofërà
dans un ordre où ils viendront à l’appui les uns des
autres ; ‘8c-loin de les affoiblir, on1 tâchera de leur
prêter toute la force dont ils‘peuvent être fufeep*
tibles. -
Daiis fes penfées diverfes, M. Bayle pofa fa thefe
de cette maniéré générale ', que F athéifme n'efl pas un
plus grand mal que C idolâtrie, C ’eft l’argument dun
I l i i i