Ilrefiilte de tout-ce que nous avons dit jufqu’i c i , que les différentes maniérés dont notre
■ efprit opéré lur les objets, 8t les différens nfages qu’il tirede ces objets même, font le premier
moyen qui Ce,préfente à nous pour difcemer en général nos.eonnoiffances les unes des
•autres» Tom s’y rapporte à nos befoins, foit de néceffité abfolue,foit de convenance &
d’agrément , foit même d’ufage 8tde caprice. Plus lesbefoins font éloignés ou difficiles à
satisfaire , plus les connoiffancès deftinées à cette fin font lentes à. paraître. Quels progrès 4a Medecine n’auroit-elle ,pas fait, aux dépens des'Sciences de pure, fpéculaticm ,.fi elle étoit
auffi certaine que la Géométrie ? Mais il eft encore d’autres caraàeres très-marqués dans la
■ maniéré dont nos. connoiffancès nous affe&ent, 8t dans les différens jugemens que notre
amé porte de fes idées. Ces jugemens font défignés par les mots d’évidence, de certitude
deprobabïlité , de fentiment 8t de goût.
' L ’ëvidencé appartient proprement aux idées dont l’efprit apperçoit la liaifon tout-d’um-
Coup ; la certitude à celles dont la liaifon ne peut être Connue que par le fecours d’un
Certain nombre d’idées intermédiaires, ou „ ce qui eft la même chofe, aux propofitions
dont l’identité avec un principe évident par lui-même , ne peut être découverte que pat
un Circuit plus ou moins longs doit il s enfuivroit que félon la nature des elprits ■, ce qui
eft évident pour l’un ne ferait quelquefois que certain pour un autre. On pourrait encore
dire,en prenant les mots d’évidence & de certitude dans un autre fins , que la première
eftlè.réfultat des operations feules de l’e fp r it,,& fe rapporte aux fpéculations métaphy-
ücjues & mathématiques, & que la fécondé eft plus propre aux objets phyfiques , dont la
Conqoiffance eft le fruit du rapport confiant & invariable de nosifens, La probabilité «principalement
lieu pour les faits hiftoriques , & en général pour tous les évenemens paffés , L
prefens 8c à venir y que nous attribuons à une fbrte.de hafard, parce que nous n’en démêlons
pas. t e caufes. La partie de cette connoiffance qui a pour objet le ; préfent & le paffé
quoiqu’elle ne foit fondée que for le (impie témoignage, produit fouvent en nous une per-,
fualiôn auffi forte tjue 'Celle qui naît des axiomes. Le fendaient eft de deux fortes. L ’un
g B g § aux vérités^ de morale , s’appelle confcience ; c’eft une fuite de la loi naturelle &
de 1 idée qUeuous avons du bien 6c du mal j^Sc on pourrait le nommer évidence du coeur,
parce que .to u t différent qu’il ëft de l’évidence de l’efprit attachée aux vérités fpéculatives ’
™ ,‘ u“ lugue.avec le «Mme empire. L ’autre efpece de fentiment eft particulièrement
afrecte à limitation de.la belle Nature , 6c à ce qu’on appelle beautés d’expreffion. Il
finit avec ttanfpqtt les beautés füblimes & frappantes , démêle avec fineffe t e beautés
Cachées, ^ profcrit cè qui nen a que 1 apparence. Souvent même il prononce des'arrêts
iéveres îsns fe donner la peine d en détailler les 'motifs 9 parce que ces motifs dépendent
d’une foulé d’idées difficiles à dévefopper fur le Champ , & plus, encore à tranfinettre aux
autres. C ’eft à cette efpece de fentiment que nous devons le goût ôc le génie , diftingués
l’un de l’autre èn ce qüè le génie, eft le fentiment qui crée, 8c le goût, le fentiment qui juge.
Apres le détail oit nous femmes entrés fur les différentes parties de nos.eonnoiffances
& fur les caraàeres qui les diftinguent, il ne nous refte plus qu’à former un Arbre généalogique
ou encyclopédique qui les raffemble fous un même point de vue , 6c qui ferve à
marquer leur origine 8c les liaifons qu’elles ont entr’elles. Nous expliquerons dans un
moment^l’ufage que npus prétendons faire de. cet Arbre. Mais, l’exécution n’en eft pas fans
difficulté. Quoique l’hiftoire philofophique que nous venons de donner de l’origine de nos
idées, foit fort utile pour faciliter un pareil travail, il ne faut pas croire que l’A rbre encyclopédique
doive ni puiffe même être fervilement affujetti à cette hiftoire» Le fyftème
général des Sciences 6c des Arts eft une efpece de labyrinthe , de chemin tortueux*, où
l’efpnt s’engage fans trop connoître la route qu’il doit tenir. Preffé par fes befoins, 8c par
ceux du corps auquel il eft u n i, il étudie d’abord t e premiers objets qui fe préfentent à lui -
pénétré le plus avant qu’il peut dans la connoiffance de ces' objets ; rencontre bientôt des
difficultés qui l’arrêtent; 8c foit par Tefpérance ou même par le defefpoir de les vaincre
fe jette dans une nouvellé route ; revient enfuite fur fes pas , franchit quelquefois les premières
barrières pour en rencontrer de nouvelles ; 8c paffant rapidement d’un objet à un
autre , fait fur chacun de ces objets à différens intervalles 8c comme par fecouffes, une fuite
d’opérations dont la génération même de fes idées rend la difeontinuité néceffaire. Mais ce
détordre tout philofophique qu’il eft de la part de l’ame, défigurerait , ou plutôt anéantirait
entièrement un Arbre encyclopédique dans lequel on voudrait le répréfenter.
D’ailleurs, comme nous l’avons déjà fait fentir au fujet de la Logique , la plupart des
Sciences qu’on regarde comme renfermant les principes de toutes les autres, 8c qui doivent
par cette raifon occuper les premières places dans l’ordre encyclopédique , n’oblervent pas
je même rang dans l’ordre généalogique des idées , parce qu’elles n’ont pas été inventées
les^ premières. En e ffet, notre etude primitive a dû être celle des inaividus ; ce n’eft
qu’après avoir confidëré leurs propriétés particulières 8c palpables , que nous avons par
abftraêHon de notre efprit, envifagé leurs propriétés générales 8c communes, 8c formé la
Métaphyfique 8c la Géométrie ; ce n’eft qu’après un long ufage des premiers fignes, que
nous avons perfectionné l’art de ces fignes au point d’en faire une Science ; ce n’eft enfin
qu’après une longue fuite d’opérations lur les objets de nos idées, que nous avons par la
réflexion donné des réglés à ces opérations même.
Enfin le fyftème de nos connoiffancès efteompofé de différentes branches, dont plufieurs
ont un même point de réunion ; 8c comme en partant de ce point il n’eft pas poffible de
s’engager à la fois dans toutes les routes, ç ’eft la nature des différens efprits qui détermine
le choix. Auffi eft-il allez, rare qu’un même efprit en parcourre à la fois un grand nombre.
Dans l’étude de la N ature, les hommes fe font d’abord appliqués tous, comme de concert,
à fatisfaire les befoins les plus preffaos ; mais quand ils en font venus aux connoiffancès
moins abfolument néceffaires, ils ont dû fe t e partager, 8c y avancer chacun de fon côté
à-peu-près d’un pas égal. Ainfi plufieurs Sciences ont é té , pour ainfi dire, contemporaines ;
mais dans l’ordre hiftorique des progrès de l’e fprit, on ne peut les embraffer que fucceffi-
vement.
Il n’en eft pas de même de l’ordre encyclopédique de nos. connoiffancès. Ce dernier
confifte à les raffembler dans le plus petit efpace poffible, 8c à placer, pour ainfi dire , le
Philofophe au-deffus de ce vafte labyrinthe dans un point de vûe fort élevé d’où il puiffe ap-
nercevoir à la fois les Sciences 8c les Arts principaux ; voir d’un coup d’oe il les objets de fes
fpéculations, 8c les opérations qu’il peut faire fur ces objets ; diftinguer les branches générales
des connoiffancès humaines, les points qui les, féparent ou qui les unifient; 8c entrevoir
même quelquefois les routes fecretes qui les rapprochent. G’eft une efpece de Mappemonde
qui doit montrer les principaux pays., leur polition 8c leur dépendance mutuelle ,
le chemin en ligne droite qu’il y a de l’un à;fautre ; chemin fouvent coupé par mille obfta-
c le s , qui ne peuvent être connus dans chaque pays que des habitans ou des voyageurs, 8c
oyi ne fauroient être montrés que dans des cartes particulières fort détaillées. Ces cartes
particulières feront les différens articles de l’Encyclopédie , 8c l’arbre ou fyftème figuré en
fera la Mappemonde.
Mais comme dans les cartes générales du globe que nous habitons, les objets font plus
ou moins rapprochés, 8c préfentent un Coup d’oeil différent félon le point de vûe où l’ceil
eft placé par le Géographe qui conftruit la carte , de même la forme de l’arbre encyclopédique
dépendra du point de vûe où l’on fe mettra pour envifager l’univers littéraire. On
peut donc imaginer autant de fyftèmes différens de la çonnoiffancé-humaine, que de Mappemondes
de differentes projetions ; 8c chacun de ces fyftèmes pourra même avoir, à i’exelu-
fron des autres, quelque avantage particulier. II n’eft guère de -Sa va ns qui ne placent volontiers
au centre de toutes les Sciences celle dont ils s’occupent, à-peu-près comme les premiers
hommes fe plaçoient au centre du monde, petfuadés que l’Univers étoit fait pour
eux. La prétention de plufieurs de ces Savans er.vifagée d’un oeil philofophique , trouverait
peut-être, même hors de l’amour propre , d’affez bonnes raifens pour fe juftifier.
Quoi qu’il en foit, celui de tous les arbres encyclopédiques qui offrirait le plus grand
nombre de liaifons 8c de rapports entre fes Sciences, mériterait fins doute d’être préféré.
Mais peut-on fe flater de fe faifir ? La Nature , nous ne fautions trop le répéter, n'eft com-
pofée que d’individus qui font l’objet primitif de nos fenfations 8c de nps perceptions di-
reéles. Nous remarquons à la vérité dans ces individus, des propriétés communes par leC-
quelles nous les comparons, 8c des propriétés diffemblabfes par lefquelfes nous fes difeer-
nons ; 8c ces propriétés défignées par des noms abftraits , nous ont conduit à former différentes
claffes où ces objets ont été placés. Mais fouvent tel objet qui par une ou plufieurs
de fes propriétés a été placé dans une d a ffe , tient à une autre claffe par d’autres propriétés,
8c aurait pû tout auffi bien y avoir fa place. 11 refte donc néceffairement de l’arbitraire dans
la divifipn générale. L’arrangement fe plus naturel feroit celui où fes objets fe fuccéde-
roient par fes nuances infenfibles qui fervent tout-à-)a-fois à les féparer 8c à fes unir. Mais
1e petit nombre d’êtres qui nous font connus ne nous permet pas de marquer ces nuances.
L ’Univers n’eft qu’un vafte O céan, fur la furface duquel nous appercevons quelques îles
plus ou moins grandes, dont la liaifon avec 1e continent nous eft cachée.
On pourrait former l’arbre de nos connoiffancès en les divifant (bit en naturelles 8c en
révélées , foit en utiles 8c agréables, foit en fpéculatives St pratiques , foit en évidentes ,
certaines, probables 6c fenfibles, foit en connoiffance des chofes & connoiffance des fignes,
8c ainfi à l’infini, Nous avons choifi une divifion qui nous a paru fatis&ice tout à la fois le
plus qu’il eft poffible à l’ordre encyclopédique de nos connoifiànces 6c à leur ordre généalogique.
Nous devons cette divifion à un Auteur célébré dont nous parferons dans {a
fuite de cette Préface : nous avons pourtant cru y devoir faire quelques changemens,
dont nous rendrons compte ; mais nous femmes trop convaincus de l ’arbitraire qui régnera