•quel point les hommesont été pareffeux 8c crédules,
en fe laiffant fi long-tems 8c fi généralement aveugler
d’une opinion dont il leur étoit fi facile d e voir
la fauffeté ? 'Car enfin il n’y a qu’à éteindre la chaux
av e c de l’eau chaude , .pour y v o ir fouvent u.ne ébullition
bien plus grande que fi l’eau étoit froidè.
Lorfqn’on fait geler de l’eau dans un baflin av e c
u n mélange de neige & de fel auprès .du fe u , Io n
prétend que c e feu eft l’ ocçafion du degré de froid
capable de congeler l’eaû : mais il n’eft nullement
befoin d’une antipérifiafe pour trouver la raifon de
cette expérience ; puifque M. Boyle en a fait un effai
qui a parfaitement réufiî daus un endroit qui étoit
fans fe u , & où même, félon toute apparence, il ne
s’en étoit jamais allumé. '
Autre argument des pa rtifansdeŸantipérifiafe.-La
-grêle né s ’engéndre qu’en été ; la plus baffe région
de l’air eft , fu ivan rle s é co le s , le lieu où elle fe forme
: ie froid qui régné dans cette région congele ces
gouttes de. pluie qui tombent, ce froid étant fort con-
fidérabie à caufe de la chaleur qui régné alors dans
l’air voifin de la terre. Voye^ à l'article l ’ex-,
plication de ce phénomène. Quant à la fraîcheur que
l’on trouve dans les fouterreins en é té , le thermomètre
prouve que le froid y eft moindre dans Cette
faifon qu’en h y v e r ; ainfi l’on n’en fauroit conclure
une antipérifiafe. Voye^ C a v e s .
La fumée des eaux qui fè tirent des lieux profonds
en tems de g e lé e , ne p rou ve point qu’elles foient
plus chaudes alors que dans la faifon où elles ne fument
point ; cet effet provient non de la plus grande
chaleur de l’e a u , mais du plus grand froid qui régné
dans l’air. C e f t ainfi que l’haleine d’un homme en
h y v e r devient très-vifible ; l ’air froid qui l’entoure
condenfe tout d’un coup les vapeurs qui fortent des
poumons, 8c qui dans un tems plus chaud fe répandent
incontinent dans l’air en particules imperceptibles.
Voyez les articles E a u , Fr o id , E m a n a t io n s ,
m ( o ) i l | j s
AN T IPH O N IE , f. f. ([Mufiq.) a.v'tupmvU, étoit le
'nom que donnoient les Grecs à cette efpece de fym-
phonie qui s’exécutoit à l’o fra v e ou à la double oc*
t a v e , par oppofition à celle qui s’exécutoit au fimple
uniffon, St qu’ils appelloient é/xoipuvia. Voye{ S y m p
h o n ie . C e mot vient de «Vri St çw*î , v o ix , corn*
me qui diroit oppofition de voix. (S1)
ANTI-PHRA SE, f. f. (Gramm.) contre-vérité ; ce
mot vient de à rà , contre, 8t de <ppù<nc, locution , maniéré
de parler, de çpâÇo, dico. Vanti-phrafe eft donc
Bne expreflion ou une maniéré de parler,par laquelle
en difant une chofe on entend tout le contraire ; par
exem ple , la mer Noire fujette à de fréquens naufrages
, 8c dont les bords étoient habités par des hommes
extrêmement féroces, étoit appellée le Pont-Eu-
x in , c’eft-à-dire mer favorable à fies hôtes, merhofpi-
taliere. C ’eft pour cela qu ’O v id e a dit que le nom
de cette mer étoit un nom menteur :
Quem tenet Euxini mendax cognomine littus.
O v id . T rift. lib. I. v er f. 13.
& au lib. I I I . eleg. x iij. au dernier vers il d it , Pon-
tus Euxini fait0 nomine dïclus. Cependant Sanélius,
8c plufieurs autres grammairiens modernes, ne v eu len
t pas mettre 1’'anti-phrafe au rang des figures, 8c
rapportent ou à l’ironie ou à l’euphemifme, tous les
exemples qu’on en donne. Il y a en effet je ne fai
quoi d’oppofé à l’ordre n a ture l, de nommer une
çhofe par fon contraire, d’appeller lumineux un objet
parce qu’il eft obfcur.
La fuperftition des anciens leur faifoit é viter juf-
qu’ à la fimple prononciation des noms qui réveillent
des idées tr ille s , o u des images funeftes ; ils donnoient
alors à ces objets des noms dateurs, comme
pour fe les rendre fa vo rab le s , 8c pour fe fane un
bcm augure ; c’eft-ce qu’on appelle euphêmifme, c’eft-
à-dire difcours de bon augure : mais que ce foit par
ironie ou par euphêmifme que l’on ait p a r lé , le mot
n’en doit.pas moins être pris dans un fens contraire à
ce que la lettre préfente à l’efprit ; 8c v o ilà ce que
les anciens grammairiens entendoient par anti-phraf
e . C ’eft ainfi que Fondit à Paris de certaines femmes
qui parlent toujours d’un air grondeur, défi une muette
de h alles, c ’eft-à-dire une femme qui chante pouille
à tout le monde, une v raie harangere des halles ;
muette eft dit alors par anti-phrafe, ou fi vous l’aimez
mieux .par ironie : le nom ne fait rien à l’affaire ; le
mot n’en eft pas moins une contre-vérité.
Quant à ce que dit Sanftius, que l e terme d’anti-
phrafe fuppofe une phrafe entiè re , 8c ne fauroit être
appliqué à un mot feul ; il,eft fort ordinaire de donner
à un mo t, ou par extenfion ou par reftri£tion,une
lignification plus ou moins étendue que celle qu’il
femhle qu ’il devroit avo ir félon fon étymologie. On
en a un bel exemple dans la dénomination des cas des
noms ; car l ’a ccu fa tif ne fert pas feulement pour ac-*
cu fe ry ni le d atif pour donner, ni l’ab latif pour ô ter.
B 1 | I B B
A N T IP O D E S , adj. pl. m. (G êo g ï) c ’eft un terme
rela tif par lequel on entend en G éograp hie , les peu*
pies qui occupent des contrées diamétralement op-
pofées les unes aux autres. Voye^ T e r r e & A n-
t i c h t o n e s .
C e mot v ient du grec ; il eft compofé de aW , contra
, 8c de -sTiff, <noS'oç,pié. C eu x qui font fur des parallèles
à l’équateur également éloignés de ce cercle
, les uns du côté du midi, les autres du côté du
n o rd , qui ont le même méridien, & cjui font fous ce
méridien à la diftance les uns des autres de 180 deg
r é s , ou de la moitié de ce méridien, font antipodes
, c’eft-à-dire ont les piés diamétralement op-
pofés.
• Les antipodes fouffrent à-peu-près ie même degré
de chaud & de froid ; ils ont les jours 8c les nuits
également lon g s , mais en des tems oppofés. Il eft
midi pour les u n s , quand il eft minuit pour les autres
; & lorfque ceux-ci ont le jour le plus lon g , les
autres ont le jour le plus court. Voye^ C h a l e u r ,
Jo u r , N u i t , & c . .
Nous difons que les antipodes fouffrent à-peu-près,
8c non exactement, le même degré de chaud 8c dô
froid. C a r i° . il y a bien des circonftances particulières
qui peuvent modifier l’afrion de la chaleur fo -
la ir e , oc qui font fouvent que des peuples fitués fous
le même climat, ne joiiiffent pourtant pas de la même
température. C es circonftances font en général
la pofition des montagnes, le voifinage ou l’éloignement
de la mer, les v ents, G c . 20. L e fo leil n’eft pas
durant toute l’année à la même diftance de la terre ;
il en eft fenfiblement plus éloigné au mois de Juin ,
qu’au mois de Janv ie r: d’où il s’enfuit q u e , toutes
chofes d’ailleurs é g a le s , notre été en France doit
être moins chaud que celui de nos a ntipodes, 8c notre
h y v e r moins froid. Aufli trouve-t-on de la glace
dans les mers de l’hémifphere méridional à une diftance
beaucoup moindre de l’équateur, que dans
l ’hémifphere feptentrional.
L ’horifon d’un lieu étant éloigné du zénith de c e
lieu de 90 degrés, il s ’enfuit que les antipodes ont le
même horifon. Voye{ Ho r is o n .
Il s’enfuit encore que quand le foleil fe lev e pour
les u n s , il fe couche pour les autres. Voyeç L ever &,
C o u c h e r .
Platon paffe pour avo ir imaginé le premier la poG
fibilité des a n tip od es, 8c pour être l’inventeur de c e
nom. Comme ce phdofophe concevoit la terre fphé-
rique, il n ’a v oit plus qu’un pas à faire pour conclure
Fexiftence des antipodes. Voye^ T e r re .
La plupart des anciens ont traité cette opinion;
av e c
av e c un fouverain mépris ; n’ayant jamais pu parvenir
à con ce voir comment les hommes Scies arbres
fubfiftoient fufpendus en l’air les piés en haut ; en
un m o t , tels qu’ils paroiffent devoir être dans l’autre
hémifphere.
Ils n’ont pas fait réflexion que ces termes en-haut,
en-bas, font des termes purement relatifs , qui figni-
fient feulement plus loin ou plus près du centre de la
te r r e , centre commun où tendent tous les corps pe-
fans; 8c qu’ainfi nos antipodes n’ont pas plus que
nous la tête en-bas 8c les piés en-haut, puifqu’ils ont
comme nous les piés plus près du centre de la te rre ,
8c la tête plus loin de ce même centre. A v o ir la tête
en-bas 8c les piés en-haut, c ’eft avo ir le corps placé
de maniéré que la direction de la pefanteur fe faffe
des piés vers la tête : or c ’eft ce qui n’a point lieu
dans les antipodes ; car ils font pouffés comme nous
v e r s le centre de la te r r e , fuivant une direction qui
v a de la tête aux piés.
Si nous en croyons Av entinu s , Bôniface archevêq
ue de Mayence & légat du pape Za ch a r ie , dans
le huitième fiecle , déclara hérétique un évêque de
ce tems , nommé Virgile , pour avo ir ofé foûtenir
qu’il y avo it des antipodes.
Comme quelques perfonnes employoient ce fa it ,
quoique mal-à-propos, pour prouver que l’Eglife n’é-
toit pas infaillible, un anonyme a crû pouvo ir le rév
oq ue r en doute dans les Mémoires de Trévoux.
L e feul monument, dit Fauteur an on ym e , fur lequel
ce fait foit appuyé , ainfi que la tradition qui
nous Fa tranfmis, eft une lettre du pape Zacharie à
Bôniface : « S’il eft p ro u v é , lui dit le fouverain pon-
» tife dans cette le t t r e , que Virgile foûtient qu’il y
» a un autre monde 8c d’autres hommes fous cette
» te rre , un autre fo le il, 8c une autre lune ; affem-
» blez un concile ; condamnez-le ; chaffez-le de I’E-
» g life , après l’avo ir dépouillé de la prêtrife, &c. ».
L ’auteur que nous venons de c ite r , prétend que cet
ordre de Zacharie demeura fans effe t, que Bôniface
& Virgile vécurent dans la fuite en bonne intelligence
, 8e que Virgile fut même canonifé par le pape.
Mémoires de Trévoux , Janv. 1J08.
L ’anonyme va plus loin : il foûtient q u e , quand
même cette hiftoire feroit v r a ie , on ne pourroit encore
accufer le pape d’avo ir agi contre la v érité &
contre la juftice ; c a r , d it-il, les notions qu’on avo it
alors des antipodes étoient bien différentes des nô tres.
« Les démonftrations des Mathématiciens don-
» nerent lieu aux conjefrures des Philofophes : ceux-
» c i affûroient que la mer formoit autour de la terre
» deux grands cercles qui la divifoient en quatre par-
» ties ; que la vafte étendue de l’Océan 8c les chaleurs
» exceflives de la zone torride empêchoient toute
» communication entre ces parties ; enforte qu’il
» n’étoit pas poflible que les hommes qui les habi-
» to ien t, fuffent de la même efpece & provinffent
>> de la même tige que nous. V o ilà , dit cet auteur, ce
» que Fon entendoit alors par antipodes ». .
Ainfi parle l’an on yme , pour juftifier le pape Zacharie
: mais toutes ces raifons ne paroiffent pas fort
concluantes. C a r la lettre du pape Zacharie porte , •
félon l’anonyme même, ces mots : S 'il efiprouvé que
Virgile foûtient qu'il y a un autre monde & d’Autres
HOMMES SOUS cette terre, condamne^ - le. L e pape
ne reconnoifloit donc point d'antipodes, & regardoit
comme, une héréfie d’en foûtenir l’exiftence. Il eft
v ra i qu’il ajoûte ces mo ts, un autre f o l e i lu n e autre
lune. Mais i° . quelqu’un qui foûtient l’exiftence des
antipodes, peut très-bien foûtenir qu’ils ont un autre
loleii & une autre lune que nous ; comme nous
difons tous les jo u rs , que le foleil d’Ethiopie n’eft
pas le même que celui de France, c ’eft-à-dire que
1 afrion du foleil eft différente, 8c agit en' différens.
tems fur ces deux p a y s ; que la lune de Mars 8ç
celle de Septembre font différentes, &c. Ainfi ces
mots un autre f o le i l, une autre lune , pouvoient bien ,
8c félon V ir g ile , 8e dans la lettre du pape même ,
avo ir un fens très-fimple 8e très-vrai. C es mo ts, 119
autre fo le il fous notre terre , ne lignifient pas plus
deux fo le ils , que ces m o ts , un autre monde fou s notre
terre, ne fignifient une a u t r e t e r r e s o u s NO TR E
t e r r e .
Enfin il eft plus que vraiffemblable que c’étoit-là
en effet le fens de V ir g ile , puifqu’en admettant la
terre Ipherique 8c Fexiftence des antipodes , c’eft une
conféquence néceffaire qu’ ils ayent le même foleil
que n o u s , lequel les éclaire pendant nos nuits. Aufli
l’anonyme fupprimant dans la fuite de fa differtation
ces mots fous notre terre, qu’il avoit pourtant rapportés
d’abord, prétend que le pape n’a pas nié les antipodes
, mais feulement qu’il y eût d?autres hommes, un
autre fo le il, une autre lune. z ° . Quand même Virgile
auroit foûtenu Fexiftence réelle d’un autre foleil 6c
d’une autre lune pour les antipodes, il n’y auroit eu
en cela qu’une erreur phyfique, à la vérité affez grof-
fie r e , mais qui ne mérite pas , ce me femble , le nom
d'heréfie ; 8c en cas que le pape eût voulu la qualifier
te lle , il d evoit encore diftinguer cette prétendue
héréfie de la v érité que foûtenoit Virgile fur Fexiftence
des antipodes ; 8c ne pas mêler tout cnfemble dans
la même ph rafe , ces mots, d’autres hommes fou s notre
terre , un autre fo le il, 6* une autre lune.
A l’égard de l’opinion générale où l’apologifte anonyme
prétend que Fon étoit alors fur les antipodes ,
que conclure de-là, finon que le pape étoit comme
tous des autres dans l’erreur fur ce î'ujet, mais qu’i l
n’en étoit pas plus en droit de prendre pour article
de foi une opinion populaire 8c fa u ffe , 8c de v o u loir
faire condamner V irgile comme hérétique, pour,
a v o ir foûtenu la vérité contraire.
Enfin la bonne intelligence vraie ou prétendue J
dans laquelle Boniface.ôc Virgile vécurent dep uis ,
ne prouve point que le pape Zacharie ne fe foit pas
trompé, en voulant faire condamner Virgile fur les
antipodes. Si Virgile fe retra cla, c’eft peut-être tant
pis pour. lui.
Dans toutes ces difcufîions , je fuppofe les faits
exactement tels que l’anonyme les raconte; je n’ignore
point que l’opinion la plus généralement reçûe e ft
que le pape condamna en effet Virgile pôur avo ir
foûtenu Fexiftence des antipodes ; 8c peut-être cette
opinion e ft-e lle la plus vraie : mais la queftion dont
il s’a g it, eft trop peu importante pour être examinée
du coté du fait.
Je fuis fort étonné que l’anonyme n’ait jfas pris tint
parti beaucoup plus court 8c plus fage : c’étoit de
paffer condamnation fur l ’article du.pape Z a ch a r ie ,
8c d’ajoûter que cette erreur phyfique du pape ne
prouve rien contre l ’infaillibilité de l ’E glife. Nous
foûtenons le mouvement de la te rre , quoique les livres
faints femblent attribuer le mouvement au fo -
le il; parce que dans ce qui n’ eft point de fo i , les livres
faints fe conforment au langage ordinaire. D e
même, quoique le pape ait pû fe tromper fur une
queftion de Cofmologie 8c de Phyfique,on ne fauroit
en conclure que l’Eglife 8c les conciles généraux qui
la repréfentent, ne foient pas infaillibles dans les
matières qui regardent la foi. Voyeç fur cela les dé-
cifions du concile de Confiance , 8c les articles de
l’affemblée du clergé 1681. Cette réponfe eft tranchante
, 8e je ne comprends pas comment elle n’eft
point v enue à l’anonyme.
Pour en v enir aux fentimens des premiers chrétiens
fur les antipodes, il paroît qu’ils n’étoient point
d’accord entre eux fur ce fujet. Les uns, plutôt que
d’admettre les induftions des Philofophes, nioient.
jufqu’aux démonftrations des Mathématiciens fur la
fphéricité de la terre. Ce fut le parti que Laélançe
T 1 1