de calcul poflible que par les nombres, ni de grandeur mefurable que l’étendue ( car fans l’espace
nous ne pourrions mefurer exaélement le tems ) nous parvenons, en généralifant toû-
jours nos idées , à cette partie principale des Mathématiques, & de toutes les Sciences naturelles
, qu’on appelle Science des grandeurs en général $ elle eft le fondement de toutes îes
découvertes qu’on peut faire fur la quantité, c’eft-à-dire, fur tout ce qui eft fufceptible d’augmentation
ou de diminution.
Cette Science eft le terme le plus éloigné où la contemplation des propriétés de la matière
puiffe nous conduire, & nous ne pourrions aller plus loin fans fortir tout-à-fait de l’univers
matériel. Mais telle eft la marche de l’efprit dans fes recherches, qu’après avoir géné-
ralifé fes perceptions jufqu’au point de ne pouvoir plus les décompofer davantage, il revient
enfuite fur fes pas , recompofe de nouveau fes perceptions mêmes , & en forme peu à peu
& par gradation , les êtres réels qui font l’objet immédiat & direêl de nos fenfations. Ces
êtres immédiatement relatifs à nos befoins, font aufli ceux qu’il nous importe le plus d’étudier
; les abftraélions mathématiques nous en facilitent la connoilfance $ mais elles ne
font utiles qu’autant qifon ne s’y borne pas.
C ’eft pourquoi , ayant en quelque forte épuifé par les fpéculations géométriques les
propriétés de l’étendue figurée, nous commençons par lui rendre l’impénétrabilité, qui con-
ftitue le corps phyfique, & quiétoir la derniere qualité lénfible dont nous l’avions dépouillée.
C e tte nouvelle confidération entraîne celle de l’aêlion des corps les uns fur les autres, car
les corps n’agiffent qu’en tant qu’ils font impénétrables ; & c’eft delà que fe déduifent les
lois de l’équilibre & du mouvement, objet de la Méchanique. Nous étendons même nos
recherches jufqu’au mouvement des corps animés par des forces ou caufes motrices inconnues
, pourvû que la loi fuivant laquelle ces caufes agiffent, loir connue ou fuppofée l’être.
Rentrés enfin tout-à-fait dans le monde corporel, nous appercevons bien-tôt l’ufàge que
nous pouvions faire de la Géométrie & de la Méchanique , pour acquérir fur les propriétés
des corps les connoiffances les plus variées & les plus profondes. C ’eft à peu-pres de cette
maniéré que font nées toutes les Sciences appellées Phyfico-mathématiques. On peut mettre
à leur tête l ’Aftronomie , dont l’étude , après celle de nous-mêmes * eft la plus digne de
notre application par le (pe&acle magnifique qu’elle nous préfente. Joignant l’obfervation
au calcul, & les éclairant l’une par l’autre , cette fcience détermine avec une exa&itude
digne d’admiration les diftances &>les mouvemens les plus compliqués des corps céleftes $
elle affigne jufqu’auxforces mêmes par lefquelles ces mouvemens font produits ou altérés.
Aufli peut-on la regarder à jufte titre comme l’application la plus fublime & la plusfûre de
la Géométrie & de la Méchanique réunies, & fes progrès comme le monument le plus in-
conteftable du fuccès auxquels l’efprit humain peut s’élever par fes efforts.
L ’ufage des connoiffances mathématiques n’eft pas moins grand dans l’examen des corps
terreftres qui nous environnent. Toutes les propriétés que nous obfervons dans ces corps
ont entr’elles des rapports plus ou moins fenfibles pour nous : la connoiffance ou la découverte
de ces rapports en: prefque toujours le feul objet auquel il nous foit permis d’atteindre
, & le feul par conféquent que nous devions nous propofèr. C e n’eft donc point par
des hypothèfes vagues & arbitraires que nous pouvons efpérer de connoître la Nature • c’eft
par l’étude réfléchie des phénomènes, par la comparaifon que nous ferons des uns avec lès
autres, par l’art de réduire, autant qu’il fera poflible , un grand nombre de phénomènes à
un feul qui puiffe en être regardé comme le principe. En effet, plus on diminue le nombre
des principes d’une fcience, plus on leur donne d’étendue ; puifque l’objet d’une fcience étant
néceffairement déterminé , les principes appliqués à cet objet feront d’autant plus féconds
qu’ils feront en plus périt nombre. Cette réauéiion, qui les rend d’ailleurs plus faciles à faillir,
conftitue le véritable efprit fyftématique , qu’il faut bien fe garder de prendre pour l’efi-
prit de fyftême avec lequel il ne fe rencontre pas toûjours. Nous en parlerons plus au long
dans la fuite.
Mais à proportion que l’objet qu’on embraffe eft plus ou moins difficile & plus ou moins
v afte, la réduéfion dont nous parlons eft plus ou moins pénible : «n eft donc aufli plus ou
moins en droit de l’exiger de ceux qui fe livrent à l’étude de la Nature. L’Aimant , par
exemple, un des corps qui ont été le plus étudiés, & fur lequel on a fait des découvertes
fi furprenantes, a la propriété d’attirer le fe r , celle de lui communiquer fa vertu , celle
de fe tourner vers les pôles du Monde , avec une variation qui eft elle-même fujette à
des réglés , & qui n’eft pas moins étonnante que ne le feroit une direêlion plus exaéle ;
enfin la propriété de s’incliner en formant avec la ligne horifontale un angle plus ou moins
frand, félon le lieu de la terre où il eft placé. Toutes ces propriétés fingulieres, dépen-
antesde la nature de l’Aimant, tiennent vraiffemblablement à quelque propriété générale,
qui en eft l’origine, qui jufqu’ici nous eft inconnue, & peut-être le reliera long-tems. Au
.défaut d’une telle connoiffance 9 & des lumières néceffaires fur la caufè phyfique des propriétés
de l ’Aimant, ce feroit fans doute une recherche bien digne d’un Philofophe, que de
réduire, s’il étoit poflible, toutes ces propriétés à une feule, en montrant la liaifon qu’elles
ont entre elles. Mais plus une telle découverte feroit utile aux progrès de la Phyfique, plus
nous avons lieu ,de craindre qu’elle ne foit refufée à nos efforts. J’en dis autant d’un grand
nombre d’autres phénomènes dont l’enchaînement tient peut-être au fyftème général du
Monde.
La feule reffource qui nous relie donc dans une recherche fi pénible, quoique fi nécef-
faire, & même fi agréable , c’eft d’amaffer le plus de faits qu’il nous eft poflible , de les
difpofer dans l’ordre le plus naturel, de les rappeller à un certain nombre de faits principaux
dont les autres ne foient que des conféquences. Si nous ofons quelquefois nous élever
plus haut, que ce foit avec cette fage circonfpeélion qui lied fi bien à une vue aufli foible
que la nôtre.
T e l eft le plan que nous devons fuivre-dans cette vafte partie de la Phyfique, appellée
Phyfique générale & expérimentale. Elle diffère des Sciences Phyfico-Mathématiques, en
ce qu’elle n’eft proprement qu’un recueil raifonné d’expériences & d’obfervations ; au lieu
que celles-ci, par l’application des calculs mathématiques à l’expérience , déduifent quelquefois
d’une feule & unique obférvation un grand nombre de conféquences qui tiennent
de bien près par leur certitude aux vérités géométriques. Ainfi une feule expérience fur la
réflexion de la lumière donne toute la Catoptrique, ou fcience des propriétés des Miroirs ;
une feule fur la réfraélion de la lumière produit l’explication mathématique de l’Arc-en-
ciel , la théorie des couleurs, & toute la Dioptrique, ou Science des Verres concaves &
convexes ; d’une feule obférvation fur la preflion des fluides , on tire toutes les lois de
l’équilibre & du mouvement de des corps $ enfin une expérience unique fur l’accélération
des corps qui tombent, fait découvrir les lois de leur chûte fur des plans inclinés, &
celles du mouvement des pendules.
Il faut avouer pourtant que les Géomètres abufent quelquefois de cette application de
l’Algebre à la Phyfique. Au défaut d’expériences propres à fervir de bafe à leur calcul ,
ils le permettent des hypothèfes les plus commodes, à la vérité , qu’il leur eft poflible ,
mais louvent très-éloignées de ce qui eft réellement dans la Nature. On a voulu réduire
en calcul jufqu’à l’art de guérir ; & le corps humain, cette machine fi compliquée, à été
traité par nos Médecins algébriftes comme le feroit la machine la plus fimple ou la plus
facile à décompofer. C ’eft une chofe finguliere de voir ces Auteurs réfoudre d’un trait de
plume des problèmes d’Hydraulique & de Statique capables d’arrêter toute leur vie les plus
grands Géomètres. Pour nous,. plus fàges ou plus timides , contentons-nous d’envifàger la
plûpart de ces calculs & de ces fuppofitions vagues comme des jeux d’éfprit auxquels la
Nature n’eft pas obligée de fe foûmettre j & concluons que la feule vraie maniéré de phi-
lofopher en Phyfique, confifte ou dans l’application de ranalyfe mathématique aux expériences
, ou dans l’obfervation feule , éclairée par l’efprit de méthode , aidée quelquefois
par aes conjeélures lorfqu’elles peuvent fournir aes vûes, mais féverement dégagée de toute
hypothèfe arbitraire.
Arrêtons-nous un moment i c i , & jettons les yeux fur l’efpace que nous venons de parcourir.
Nous y remarquerons deux limites où fe trouvent , pour ainfi dire , concentrées
prefque toutes les connoiffances certaines accordées à nos lumières naturelles. L ’une de ces
limites, celle d’où nous fommes partis, eft l’idée de nous - mêmes, qui conduit à celle de
l’Etre tout-puiffant & de nos principaux devoirs. L’autre eft cette partie des Mathématiques
qui a pour objet les propriétés générales des corps , de l’étendue & de la grandeur. Entre
ces deux termes eft un intervalle immenfe , où l’Intelligence fuprême fèmble avoir voulu fe
jouer de la curiofité humaine, tant par les nuages qu’elle y a répandus fans nombre , que
par quelques traits de lumière qui fëmblent s’échapper dé diftance én diftance pour nous attirer.
On pourroit comparer l’Univers à certains ouvrages d’une obfcurité fublime, dont les
Auteurs en s’abaiffant quelquefois à la portée de celui qui les lit , cherchent à lui perfua-
der qu’il entend tout à-peu-près. Heureux donc fi nous nous engageons dans ce labyrinthe
, de ne point quitter la véritable route ; autrement les éclairs deftinés à nous y conduire
, ne ferviroient foüvent qu’à nous en écarter davantage.
11 s’en faut bien d’ailleurs que le petit nombre de connoiffances certaines fur lefquelles
nous pouvons compter, & qui font, fi on peut s’exprimer xle la forte, reléguées aux deux
extrémités de l’efpace dont nous parlons , foit fuffifànt pour fatisfaire à tdus nos befoins.
La nature de l’homme, dont l’étude eft.fi néceffaire & fi recommandée par Socrate, eft un
myftere impénétrable à l’homme même?, quand il n’eft éclairé que par la raifon feule j &
les plus grands génies, à force de réflexions fur une màtieréfi importante, ne parviennent
que trop fouvent à en favoir un peu moins que le relie des hommes. On peut en dire autant
de notre exiftence préfente & future , de l’effence de l’Etre auquel nôus la devons, & dij
genre de culte qu’il exige de nous.