ces mots beaucoup, peu, pas, point, rien, forte, efpe~
ce, tant, moins, plus, que, lorfqu’il vient de
«à» , comme dans ces vers :
Q«e de mépris vous avez l'un pour Cautre,
que vous avez de raifon !
ces mots, dis-je, ne font point des adverbes, ils font
de véritables noms, du moins dans leur origine, &
c’eft pour cela qu’ils font modifiés par un fimple qualificatif
indéfini, qui n’étant point pris individuellement
, n’a pas besoin d'article, il ne lui faut que la
fimple prépofition pour le mettre en rapport avec
beaucoup, peu, rien, pas, point , forte, &c. Beaucoup
vient, félon Nicot, de bella , id eft, bona & magna
copia, une belle abondance, comme on dit une belle
récolte, & c. Ainfi d'argent, d'efprit, font les qualificatifs
de coup en tant qu’il vient de copia, il a abondance
d'argent, d'efprit, &c.
M. Ménage dit que ce mot eft formé de l’adje&if
"Beau , & dulubftantif coup i ainfi quelque étymologie
qu’on lui’ donné, on voit que ce n’elt que par abus
qu’il eft confidéré comme un adverbe : on dit : il ejl
meilleur de beaucoup, c’eft-à-dire félon un beaucoup,
où. vous voyez que la prépofition décele le fubftantif.
Peu lignifie petite quantité ; on dit, le peu , un peu,
dt peu , à peu, quelque peu : tous les analogiftesfoû-
tiennent qu’en Latin avec parum on fous-entend ad
ou per t & qu’on dit parum-per, comme on dit te-cum,
eii mettant là,prépofition après le nôm; ainfi. nous
difons un peu de vin, comme les Latins difoient parum
vint, enforte que comme vini qualifie parum fub-
ftantif, notre de vin qualifie peu par le moyen de la
prépofition de.
■ Rien vient de rem accufatif de res : les langues qui
fe font formées du Latin, ont fouvent pris des cas
obliques pour en faire des dénominations direéles ;
ce qui eft fort ordinaire en Italien. Nos peres difoient
fur toutes riens, Mehun ; & dans Nicot, elle le hait fur
tout rien, c’eft-à-dire , fur toutes chofes. Aujourd’hui
rien veut dire aucune chofe ; on fous-entend la négation
, & on l’exprime même ordinairement ; ne dites
rien , ne faites rien : on dit le rien vaut mieux que le
mauvais ; ainfi rien de bon ni de beau, c’eft aucune chofe
de bon , ÔCc. aliquid boni.
De bon ou de beau font donc des qualificatifs de
rien, & alors de bon ou de beau étant pris dans un fens
qualificatif àQ forte ou d'efpece , ils n’ont point {'article
■ au lieu que fi l’on prenoit bon ou beau individuellement
, ils feroient précédés d’un prénom, le beau
vous touche, j'aime le vrai, &c. Nos peres pour exprimer
le fens négatif, fe fefvirent d’abord comme en
Latin de la fimple négative ne, fachiez nos ne venif-
mes porvos mal faire ; Ville-Hardouin, p. 48. Vige-
nere traduit , fâchez que nous ne femmes pas venus pour
vous mal faire. Dans la fuite nos peres, pour donner
plus de force & plus d’énergie à la négation , y ajoutèrent
quelqu’un des mots qui ne marquent que de
petits objets, tels que grain, goutte, mie, brin , pas,
point : quia res ejl minuta ,fermoni vernaculo additur ad
majorem negationem; Nicot, àu mot goutte. Il y a
tôûjours quelque mot de fous-entendu en ces occasions
: je n'enai grain ne goutte; Nicot, au mot goutte.
Je n'en ai pour la valeur ou la groffeur d'un grain. Ainfi
quoique ces mots fervent à la négation, ils n’en font
pas moins de vrais fubftàntifs. Je ne veux pas ou point,
ç’eft-à-dire, je ne veux, cela même de la longueur
d’un pas ni de la groffeur d’un point. Je n'irai point,
non ibo ; c’eft comme fi l’on dil oit ,je ne ferai un pas
pour y, aller , je ne m avancerai d'un point ; quaji dicas ,
dit Nicot, ne punctum quidèm progrediar, uteam illb.
C ’eft ainfi que mie, dans le fens de miette de pain,
s’employoit autrefois avec la particule négative : il
ne l'aura me; Un'ejl mie un homme débita, neprobitatis
quidem mica in eo ejl, Nicot ; & cette façon de
parler eft encore en uiage en Flandre.
Le fubftantif brin, qui fe dit au propre des menus
jets des herbes, fert fouvent par figure à faire une
négation comme pas & point, & fi l’ufage de ce mot
étoit aufli fréquent parmi leshonnêtes-gens qu’iU’eft
parmi le peuple, il feroit regardé aufli bien que pas
& point comme une particule négative : a-t-il de l'efi
prit? il n'en a brin.;.je ne C ai vu qu'un petit brin, &c.
On doit regarder ne pas, ne point, comme le nihil
des Latins. Nihil eft çompofé de deux mots, i° . de
la négation ne, & de hilum qui lignifie la petite, marque
noire que Ton voit au bout d’une.féve ; les Latins
difoient hoc nos neque pertinet hilum, Lucret. liv,
III. v. 843. &.dans Cicéron Tufc. I. n9. 3. un ancien
poète parlant des vains efforts que fait Sifyphe
dans les enfers pour, élever une grotte pierre fur le
haut d’une montagne, dit :
Sijyphus verfac
Saxilm fudans nitendo, nequeproficit hilum.
Il y a une prépofition fous-entendue devant hilum,
ne quidem, «.orrai, hilum ; cela ne nous intèrejfe en rien ,
pas même de la valeur de la petite marque noire J une
fève:
Sifyphe après bien des efforts , ne fe trouve pas,
avancé de la groffeur de la petite marque noire dune
fève. . .
Les Latins difoient aufli : ne. faire pas plus de cas
de quelqu’un ou de quelque chofe , qu’on en fait de
ces petits flocons de laine ou de foie que le vent emporte
,jloccifacéré, c’ eft-à-dire ,facereremflocci; nous
difons un fétu. Il en eft de même de notre pas, & de
notre point; je ne le veux pas ou point, c’eft-à-dire ,
je ne veux cela même de la longueur d’un pas ou fie
la groffeur d’un point.
Or comme dans la fuite le hilum des Latins s’unit
fi fort avec la négation ne, que ces deux mots n’en
firent plus qu’un ïeul nikilum, nihil, n il, & que nihil
fe prend fouvent pour le fimple non, nihil circuitione
ufus es. (Ter. And. /. ij. v. 31. ) vous:ne vous êtes pas
fervi de circonlocution. De même notre pas & notre
point ne font plus regardés dans l’ufage que comme
des particules négatives qui accompagnent la négation
ne, mais qui ne laiflént pas de conferver toujours
des marques de leur origine.
Or comme en Latin nihil eft fouvent fuivi d’un
qualificatif, nihilfalji d ixi, mifenex ; Tererit. And.
acl. IV. fc. iv. ou y. félon M. D acier, v. 49. je n’ai
rien dit de faux ; nihil incommodi , nihil gratite, nihil
lucri, nihil fancti, &c. de même le pas & le point
étant pris pour une très-petite quantité , pou un rien,
font fuivis en François d’un qualificatif, il n'a pas
de pain, d argent, d'efprit, &c. ces noms pain, argent,
efprit, étant alors des qualificatifs indéfinis, ils ne
doivent point avoir de prépofitif.
La Grammaire générale dit pag. 82. que dans le
fens affirmatif on dit avec l’article, il a de l'argent, du
coeur, de la charité, de C ambition ; au lieu qu’on dit
négativement fans article, il n’a point d'argent, de
coeur, de charité, d ambition-, parce que, dit-ôttyle
propre de la négation ejl de toüt ôter. ( ibid. )
Je conviens que félon le fens, la négation ôte le
’tout de la chofe : mais je ne vois pas pourquoi dans
l ’expreffion elle nous ôteroit l’ar/ic/e fans nous ôter
la prépofition; d’ailleurs ne dit-on pas dans le fens
affirmatif fans article, il a encore iin peu d argent, &
dans le fens négatif avec l’article, il n'a pas le fou, il
n'a plus un fou de l'argent qu'il av oit; les langues ne font
point des fciences, on ne coupe point des mots inj'éparables
, dit fort bien un de nos plus habiles critiques
( M. l'abbé d'OUyet) ; ainfi je crois que la véritable
raifon de la différence de ces façons de parler doitfe
tirer du fens individuel & défini, qui feul admet l’article,
& du fens fpécifique indéfini & qualificatif,
qui n’eft jamais précédé de l’article.
Les éclairciffemens que l’on vient de donner pourront
fe^vir à réfoudre les principales difficultés que
l’on pourroit avoir au fujet des articles : cependant
on croit devoir encore ajouter ici des exemples qui
ne feront points inutiles dans les cas pareils.
Noms conjlruitsfans prénom ni prépofition à la fuite
dun verbe , dont ils font le complément. Souvent un
nom eft mis fans prénom ni prépofition après un verbe
qu’il détermine ; ce qui arrive en deux occafiotts \
i° . parce que le nom eft pris alors dans un fens indéfini,
comme quand on dit, il aime d faire plaifir , a
rendre fervice; car il ne s’agit pas alors d’un tel plaifir
ni dun telfervice particulier; en ce cas on diroit faites-
moi ce ou le plaifir, rendez-moi ce fervice, ou le fervice,
ou un fervice, qui, &c. 20. Cela fe fait aufli fouvent
pour abréger, par ellipfe, ou dans des façons de parler
familières & proverbiales ; ou enfin parce que
les deux mots ne font qu’urifc forte de mot compofé i
ce qui fera facile à demêler dans les exemples fui-
vans.
Avoir faim , fd if, deffein , honte , coutume, pitié, com-
pajfion , froid , chaud, mal, befoin , part au gâteau ,
envie.
Chercher fortune , malheur.
Courir fortune, rifque.
Demander raifon, vengeance.
L'amour en courroux
Demande vengeance. Quinault.
grâce , pardon , jufiiee.
Dire vrai, fa u x , matines, vêpres, &c.
Donner prife à Jes ennemis, part d'une nouvelle , jour,
parole , avis , caution, quittance -, leçon , atteinte à
Un acte , à un privilège, valeur , cours, courage , rem
deq-vous aux Tuileries, &e. congé, fecours, beau
jeu , prifit, audience.
Echapper, il Va échappé belle, c’eft-à-dire peu s'en
eft fallu qu'il ne lui foit arrivé quelque malheur.
Entendre raifon , raillerie, malice, vêpres, &c.
Faire vie qui dure, bonne chere, envie, il vaut mieux
faire envie que p itié, corps neuf par le rêtabliffement
de là fanté , réflexion , honte, honneur, peur, plaifir,
choix , bonne mine & mauvais jeu , cas de quelqu'un ,
alliance, marché, argent de tout,provifion, femblant,
route , banqueroute, front, face , difficulté , je ne fais
pas difficulté. Gedoyn.
Gagner pays , gros.
Mettre ordre, fin.
Parler vrai, raifon, bon fens , latin, françois, &c.
Porter envie, témoignage , coup, bonheur, malheur,
compajfion.
Prendre garde, patience ,féance , medecine , congé, part
à ce qui arrive à quelqu'un, confeil,. terre, langue t
jour, leçon.
Rendre fervice, amour pour amour , vifite , bord, terme
de Marine, arriver, gorge.
Savoir lire, vivre ; chanter.
.Tenir parole, prifon faute de payement, bon , ferme >
adjeâifs pris adverbialement.
Noms conjlruits avec une prépofition fans article.
Les noms d’efpeces qui font pris félon leur fimple
lignification fpécifique , fe conftruifent avec une
prépofition fans articles.
Change£ ces pierres en pains ; Véducation que le pete
d'Horace donna à fon fils ejl digne d'être prife pour modèle
; à Rome, à Athènes, à bras ouverts ; il ejl arrivé
à bon port, à minuit ; il eft d jeun ; à Dimanche , a
vêpres ; & tout ce que l'Efpagne a nourri de vaillans ;
vivre fin s pain, une livre de pain; il n'a pas de pain;
un peu de pain ; beaucoup de pain, une grande quantité
de pain.
J'ai un coquin de frere, c’eft-à-dire qui eft de l’efpece
de frété, comme on dit, quelle efpece d'homme êtes-
vous ? Térence a dit : quid hominis ? Eun. I I I . jv . viij.
& jx . & encore, acl. V. f c . j . vers ty. Quidmonjlriè
Tér. Eün. IV. je . iij. x. & xjv.
Remarquez que dans ces exemples le qui ne fe
rapporte point au nom fpécifique , mais au nom
individuel qui précédé : c'eft un bon homme de pere
qui ; le qui fe rapporte au bon homme-.
Se conduire par fentiment ; parler avec efprit, avec
grace , avec facilité ; agir par dépit , par colere , par
amour , par foibleffe.
En fait de Phyfique , on donne fouvent des mots pout
des chofes; Phyfique eft pris dans un fens fpécifique
qualificatif de fait.
A l’égard de on donne des mots, c’eft le fens indi*
viduel partitif, il y a ellipfe; le régime ou complé%
ment immédiat du verbe donner eft ici fous - entendu
; ce que l’on entendra mieux par les exemples
fuivans.
Noms conjlruits avec l'article ou prénom fans prépo-
filion. Ce quej'aime le mieux c'eft le pain (individu fpécifique),
apporte^ le pain ; voilà le pain, qui eft le complément
immédiat ou régime naturel du verbe : ce
qui fait voir que quand on dit apporte[ ou donneç-moi
du pain, alors il y a ellipfe ; donnez-moi une portion ,
quelque chofe du pain , c’eft le fens individuel partitif.
Tous les pains du marché, ou eolleélivement, tout
le pain du marché ne fuffiroit pas pour , &c.
Donnez-moi un pain; emportons quelques pdins pour
le voyage.
Noms conjlruits avec la prépofition & C article. Don*
nez-moi du pain , c’eft-à-dire de le pain : encore un
coup il y a ellipfe dans les phrafes pareilles , car la
chofe donnée fe joint au verbe donner fans le fecours
d’une prépofition ; ainfi donnez-moi du pain, c’eft don-
nez-moi quelque chofe de le pain , de ce tout fpécifique
individuel qu’on appelle pain ; le nombre des pains que
vous avez apportés n'ejl pas fuffifant.
Voilà bien des pains, de les pains, individuellement
, c’eft-à-dire confidérés comme faifant chacun
un être à part.
Remarques fur Cufage de l'article , quand P adjectif
précédé le fubjlantif, ou quand il ejl après le fubftantif.
Si uii nom fubftantif eft employé dans le difeours
avec un adjeftif, il arrive ou que l’adje&if précédé
le fubftantif, ou qu’il le fuit.
L’adjeftif n’eft féparé de fon fubftantif que lorf-
que le fubftantif eft le fujet de la prépofition * & que
l’adjeâif en eft affirmé dans l’attribut. Dieu ejl toutm
puiffant; Dieu eft le fujet: tout-puiffant, qui eft dans
l’attribut, en eft féparé par le verbe ejl, qui, felon
notre maniéré d’expliquer la propofition, fait partie
de l’attribut ; car ce n’eft pas feulement tout-puiffant
que je juge de D ieu, j’en juge qu’il eft, qu’il exifte
tel.
Lorfqu’une phrafe commence par urt adjeéfif feul,
par exemple ,favant en l'art de régner , ce Prince fe fit
aimer defesfujets & craindre defes voifinsjil eft évident
qu’alors on fous-entend ce Prince qui étoit favant, &c.
ainfi fdvdnt en l'art de régner, eft une propofition incidente
, implicite, je veux dire dont tous les mots ne
font pas exprimés ; en réduifant ces prépofitions à la
conftruôion fimple, on voit qu’il rt’ÿ a rien contre les
regies; & que fi dans la conftruâion ufuelle on préféré
la façon de parler elliptique, c’eft que l’expref-
fion en eft plus ferrée & plus vive.
Quand le fubftantif & l’adjeéïif font enfemble le
fujet de la propofition, ils forment un tout infépara-
b le ; alors les prépofitifs fe mettent avant celui des
deux qui commence la phrafe-; ainfi on dit,
i° . Dans les propofitions univerfelles, tout homme
, chaque homme , tous les hommes , nul homme , aucun
homme.
a°, Dans les propofitions indéfinies , les Turcs ;