344' AME tfe l'immortalité de Vatnc des bêtes, ne l’avoït forcé,
pour ainfi dire, à s’y jetter. L’opinion des machines
fa u voit dëüx grandes objdtions ; l’une contre l’immortalité
de Y Ame, l’autre contre la bonté de Dieu.
Admette* le fyftème des automates, ces deux difficultés
difparoiflent : mais on ne s’étoit pas apperçu
qu’il en venoit bien d’autres du fond du lÿftème même.
On peut obferver en paffant que la philofophie
de Defcartes, quoi qu’en ayent pû dire les envieux,
tèndoit toute à l’avantage de la religion ; i’hypothèfe
des machines en eft une preuve.
Le Cartéfianifme a toujours triomphé, tant qu’il
ri’a eu en tête que les âmes matérielles d’Ariftote,
que cés fùbftances incomplettes tirées de la puiffance
de la matière, pour faire avec elles un tout lubllan-
tiel qui penfe & qui connoît dans les bêtes. On a fi
bien mis en déroute ces belles entités de l’école, que
je ne penfe pas qu’on s’avife de les reproduire jamais
: ces fantômes n’oferoient ioûtenir la lumière
d’un fiée le comme le nôtre; ôc s’il n’y avoit pas de
milieu entr’eux Ôc les automates cartéfiens, on lè-
roit obligé d’admettre ceux-ci. Heureulement depuis
Defcartes, on s’eft apperçu d’un troifieme parti
qu’il y avoit à prendre ; & c’eft depuis ce tems que
le ridicule du fyftème des automates s’eft développé.
On en a l’obligation aux idées plus jurtes qu’on
s’eft faites,depuis quelque tems, du monde intellectuel.
On a compris que ce monde doit être beaucoup
plus étendu qu’on ne croyoit, Ôc qu’il renferme bien
d’autres habitàns que les anges, Ôc les âmes humaines
; ample reffource pour les Phyficiens, par-tout
où le méchanifme demeure court, en particulier
quand il s’agit d’expliquer les mouvemens des brutes.
En faifant l’expofé du fameux fyftème des automates
, tâchons de ne rien omettre de ce qu’il a de
plus fpécieux, ôc de repréfenter en racourci toutes
les raifons direlles qui peuvent étaulir ce fyftème.
Elles fe réduilent à ceci ; c’eft que le teul mechanif-
me rendant raifon des mouvemens des brutes, l’hy-
pothèfe qui leur donne une ame eft'fauffe, par cela
même qu’elle eft fuperflue. Or c’eft ce qu’il eft aile
de prouver, en fuppofant une fois ce principe, que
le corps animal a déjà en lui-même, indépendamment
de Y ame , le principe de fa vie ôc de fon mouvement
: c’eft de quoi l’expérience nous fournit des
preuves inconteftables.
i° . Il eft certain que l’homme fait un grand nombre
d’aftions machinalement, c’eft-à-dire fans s’en
appercevoir lui-même, & fans avoir la volonté de
les faire ; allions que l'on ne peut attribuer qu’à l’im-
preffion des objets ôc à une difpofition rimitive de
la machine, où l’influence de Y ame n’a aucune part.
De ce nombre lont les habitudes corporelles, qui
viennent de la réitération fréquente de certaines actions
, à la préfence de certains objets ; ou de l’union
des traces que diverfes fenfations ont laiflees dans
le cerveau ; ou de la liaifon d’une longue fuite de
mouvemens, qu’on aura réitérés fouvent dans le même
ordre, fôit fortuitement, foit à deffein. A cela fe
■ rapportent toutes les difpofitions acquifes par l’art.
Un muficien, un joueur de luth, un danfeur, exécutent
les mouvemens les plus variés & les plus ordonnés
tout enfemble, d’une maniéré très-exa&e, fans
faire la moindre attention à chacun de ces mouvemens
en particulier : il n’intervient qu’un feul aile de
la volonté par où il fe détermine à chanter ou jouer
un tel air, & donne le premier branle aux efprits animaux
; tout le refte fuit régulièrement fans qu’il y
penfe. Rapportez à cela tant d’altions furprenantes
des gens diftrairs, des fomnambules, &c. dans tous
.ces càs.les hommes font autant d’automates.
2°. Il y a des mouvemens naturels tellement involontaires,
que nous ne faurions les retenir, par
A M E
eXefnpIe, ce méchanifme admirable qui ténd à èon-
ferver l’équilibre, lorfque nous nous baillons, lorf-
que nous marchons fur une planche étroite:, &Ci
3 °. Les goûts & les antipathies naturelles pour certains
objets, qui dans les enfaps précèdent le difeer-
nement ôc la connoifl'ance, ôc qui quelquefois dans (
les perfonnes formées furmontent tous les efforts de
la raifon, ont leur fondement dans le méchanifme,
& font autant de preuves de l’influence des- objets
fur les mouvemens du corps humain.
4°. On fait combien les paffions dépendent du degré
du mouvement du fang ôc des impreffions réciproques
que produifent les efprits animaux fur le
coeur ôc fur le cerveau, dont l’union par l’entremife
des nerfs eft fi étroite. On fait combien les impref*
fions du dehors peuvent exciter ces paffions, ou les
fprtifier , en tant qu’elles font de fimples modifications
de la machine. Defcartes, dans fon traité des,
pajjions, ÔC le P. Malebranche , dans fa morale, expliquent
d’une maniéré fatisfaifante le jeu de la ma-:
chine à cet égard ; ôc comment, fans le fecours d’aucune
penlée, par la correlpondance ôc la fympathie
merveilleufe des nerfs Ôc.des mufcles , chacune de
ces paffions, confidéréé comme une émotion toute
corporelle , répand fur le vif âge un certain air qui
lui eft propre, eft accompagné du gefte & du maintien
naturel qui la cara&érile, ôc produit dans tout
le corps des mouvemens convenables à fes befoins
ôc proportionnés aux objets.
Il elt aifé de voir où doivent aboutir toutes ces
réflexions fur le corps humain, confidéré comme un
automate exiftant indépendamment d’une ame ou
d’un principe de fentiment ôc d’intelligence : c’eft:
que fi nous ne voyons faire aux brutes que ce qu’un
tel automate pourroit exercer en vertu de fon orga-
mfation, il n’y a , ce femble, aucune raifon qui nous
porte à fuppolèr un principe intelligent dans les brutes,
ôc à les regarder autrement que comme de pures
machines, n’y ayant alors que le préjugé qui
nous faffe attacher au mouvement des bêtes les mêmes
penfées qui accompagnent en nous des mouve-.
mens lemblables.
Rien ne donne une plus jufte idée des automates
cartéfiens, que la comparaiion employée par M. Régis,
de quelques machines hydrauliques que l’on voit
dans les grottes ôc dans les fontaines de certaines
maifons des grands, où la feule force de l’eau déterminée
par la difpofition des tuyaux, & par quelque
preffion extérieure, remue diverfes machines.il
compare les tuyaux des fontaines aux nerfs; les mufcles,
les tendons, &c. font les autres refforts qui
appartiennent à la machine ; les efprits font l’eau
qui les remue ; le coeur eft comme la fource, ôc les
cavités du cerveau font les regards. Les objets extérieurs,
qui par leur préfence agiffent fur les organes
des fens des bêtes, font comme les étrangers qui
entrant dans la grotte, félon qu’ils mettent le pié fur
certains carreaux difpofés pour cela, font remuer
certaines figures ; s’ils s’approchent d’une Diane,
elle fuit ôc fe plonge dans la fontaine ; s’ils s’avancent
davantage, un Neptune s’approche, ôc vient
les menacer avec fon trident. On peut encore comparer
les bêtes, dans ce fyftème, à ces orgues qui
jouent différens airs par le feul mouvement des
eaux : il y aura de même, difent les Cartéfiens, une
organifation particulière dans les bêtes que le Créateur
y aura produite, ôc qu’il aura diverfement réglée
dans les diverfes efpeces d’animaux, mais toû-
jours proportionnément aux objets, toujours par
rapport au grand but de la confervation de l’individu
ôc de l’efpece. Rien n’eft plus aifé que cela au fu-
prème ouvrier, à celui qui connoît parfaitement la
difpofition ôc la nature de tous ces objets qu’il a créés.
L’établiflement d’une fi jufte correlpondance’ne doit
A M E
rien coûter à fa puifTance ôc à fa fageffe. L’idée d’une
telle harmonie paroît grande ôc digne de Dieu : cela
feul difent les Cartéfiens, doit familiarifer un philo-
fophe avec ces paradoxes fi choquans pour le préjugé
vulgaire , ôc qui donnent un ridicule fi apparent au
Cartéfianifme fur ce point*
Une autre confidération en faveur du Cartéfia-
nifme, qui paroît avoir quelque chofe d’ébloüiffant,
eft prife des produirions de l ’art. On fait jufqu’où eft
allee l’induftrie des hommes dans certains machines :
leurs effets font inconcevables, & paroiffent tenir du
miracle dans l’efprit de ceux qui ne font pas verfes
dans la méchanique. Raffemblez ici toutes les merveilles
dont vous ayez jamais oui parler en ce genre,
des ftatues qui marchent, des mouches artificielles qui
volent ôc qui bourdonnent, des araignées de même
fabrique qui filent leur toile , des oifeaux qui chantent,
une tête d’or qui parle, un pan qui joue de la
flûte : on n’aUroit jamais fait l’énumération, même
à s’en tenir aux généralités de chaque efpece , de
foutes ces inventions dé l’art qui copie fi agréablement
la nature. Les ouvrages célébrés de Vulcain,
Ces trépiés qui fe promenoient d’eux - mêmes dans
l’affemblée des dieux ; ces efclaves d’or, qui fem-
bloient avoir appris l’art de leur maître, qui travaill
e n t auprès de lu i, font une forte de merveilleux
qui ne paffe point la vraiffemblance ; ôc les dieux
qui l’admiroient fi fo r t , avoient moins de lumières
apparemment que les Méchaniciens de nos jours.
Voici donc comme nôs philofophes cartéfiens rai-
fonnent. Réunifiez tout l’art ôc tous les mouvemens
furprenans de ces différentes machinés dans une feule
, ce ne fera encore que l’art humain : jugez ce que
produira l’art divin. Remarquez qu’il ne s’agit pas
d’une machine en idée que D ieu pourroit produire :
le corps de l’animal eft inconteftablement une machine
compofée de refforts infiniment plus déliés
que né feroient ceux de la machine artificielle, où
nous fuppôfôns que fe réuniroit toute l’induftrie répandue
ÔC partagée entre tant d’autres que nous
avons vues jufqu’ici. Il s’agit donc de favoir fi le
Corps de l’animal étant, fans comparaifon, au-deffus
de ce que feroit cette machine , par la délicateffê,
là variété, l’arrangement, la compofition de fes refforts
, nous ne pouvons pas juger, en raifonnant du
plus petit au plus grand, que Ion organifation peut
caufer cette variété de mouvemens réguliers que
nous voyons faire à l’animal ; ôc fi , quoique nous
rt’ayons pas à beaucoup près là-deffus une connoif-
fance exalte, nous ne fommes pas en droit de juger
qu’elle renferme affez d’art pour produire tous ces
effets. De tout cela le Cartéuen conclut que rien rte
nous obligé d’admettre dans les bêtes une ame qui
feroit hors d’oèuvre, püifque toutes les allions des
animaux ont pour derniere fin la confervation du
corps, ôc qu’il eft de la fageffe divine de ne rien faire
d’inutile, d’agir par les plus fimples voies, de proportionner
l’excellence ôc le nombre des moyens à
l’importance de la fin; que par conféquent Dieu
n’aura employé que des lois méchaniques pour l’entretien
de la machine, ôc qu’il aura mis en elle-même
, ôc non hors d’elle, le principe de fa confervation
ôc de toutes les opérations qui y tendent. Voilà
le plaidoyer des Cartéfiens fini : voyons ce qu’on y
répond.
Je mets en fait que fi l’on veut raifonner fur l’expérience
, on démonte les mathines cartéfiennes ;
ôc que pofant pour fondement les allions que nous
Voyons faire aux bêtes, on peut aller de conféquen-
ce en conféquence, en fuivant les réglés de la plus
exalte Logique, jufqu’à démontrer qu’il y a dans
les bêtes un principe immatériel, lequel eft caufe de
ces allions. D ’abord il ne faut pas chicaner les Cartéfiens
fur la poffibilité d’un méchanifme qui produi-
Tomel.
A M E 3 4 t
roit tous tes phénomènes. II faut biën Te garder de
lés attaquer lur ce qu’ils difent de la fécondité des
lois du mouvement, des miraculeux effets du mé-
chanifmé , dé l’étendue incompréhenfible ae l’eh-
fèndemertt divin , ôc fur le parallèle qu’ils font des
machines que l’art des hommes a conuruites , avec
le merveilleux infiniment plus grand que le Créateur
de l’univers pourroit mettre dans celles qu’il
produiront. Cette idée féconde ôc prefqu’infinie des
poffibilités méchaniques, des combinaifons de la fi*,
gure ôc du mouvement, jointe à celle de la fageffe
ôc de la puiffance du Créateur, eft comme le fort
inexpugnable du Cartéfianifme. On ne fauroit dire
où cela ne mene point ; ôc certainement quiconque
a tant-foit-peu confulté l’idée de l’Être infiniment
parfait, prendra bien garde à ne nier jamais la poffibilité
de quoi que ce foit, pourvu qu’il n’implique
pas contradi&ion.
Mais le Cartéfien fe trompe, lorfque partant de
cette poffibilité qu’on lui accorde, il vient argumenter
de cette maniéré : Puifque Dieu peut produire
des êtres tels que mes automates, qui nous empêchera
de croire qu’il les a produits ? Les opérations des
brutes, quelqu’admirables qu’elles nous paroiffent,
peuvent être le réfultat d’une combinaifon de refforts
, d’un certain arrangement d’organes, d’une
certaine application précife des lois générales du
mouvement ; application que l’art divin eft capable
de concevoir ôc de produire : donc il ne faut point
attribuer aux bêtes un principe qui penfe ôc qui
fent, puifque tout peut s’expliquer fans ce principe t
donc il faut conclure qu’elles l’ont de purès machines.
On fera bien alors de lui nier cette conféquence,'
Ô£ de lui dire : Nous avons certitude qu’il y a dans les
bêtes un principe qui penfe & qui fent ; tout ce que
nous leur voyons faire , conduit à un tel principe r
donc nous fommes fondés à le leur attribuer, malgré
là poffibilité contraire qu’on nous oppofe. Remarquez
qu’il s’agit ici d’une queftion de fait ; favoir y
li dans les bêtes un tel principe exifte ou n’exifte
point. Nous voyons les allions des bêtes, il s’agit de
découvrir quelle en eft la caufe ; ôc nous fommes
aftraints ici à la même maniéré de raifonner dont les
Phyficiens fe fervent dans la recherche des caufes
naturelles , ôc que les Hiftoriens employent quand
ils veulent s’affùrer de certains évenemens. Les mêmes
principes qui nous conduifent à la certitude fur
les queftions de ce genre, doivent nous déterminer
dans celle-ci.
La premieroreele, c’eft que Dieu ne fauroit nous
tromper. Voici la fécondé: la liaifon d’un grand nombre
d’apparences ou d’effets réunis avec une caufe
qui les explique, prouve l’exiftence de cette caufe«'
Si la caufe fuppofée explique tous les phénomènes
connus, s’ils fe réunifient tous à un même principe,
comme autant de lignes dans un centre commun ; Tfi
nous ne pouvons imaginer d’autre principe qui rende
raifon de tous ces phénomènes, que celui-là, nous
devons tenir pour indubitable l’exiftence de ce principe.
Voilà le point fixe de certitude au-delà duquel
l’efprit humain ne fauroit aller ; car il eft impofnble
que notre efprit demeure en fufpens , lorfqu’il y a
raifon fuffifante d’un côté, fit qu’il n’y en a point de
l’autre. Si nous nous trompons malgré cela , c’eft
Dieu qui nous trompe , puifqu’il nous a faits de
telle maniéré, ôc qu’il ne nous a point donné d’autre
moyen de parvenir à la certitude fur de pareils fu-
jets. Si les bêtes font de pures machines, Dieu nous
trompe : cet argument eft le coup fatal à l’hypothefe
des machines.
Avoüons-le d’abord : fi Dieu peut faire une machine
qui, par Ia-feule difpofition de fes refforts , exé- >
cute toutes les allions furprenantes que l’on admire
dans un chien ou dans un finge, il peut former d’au