n’eft pas permis de penfer autrement que lut ; St j ofe
dire qu’un homme qui fauroit parfaitement tout ce
qu’il a fa it , ne fauroit rien. Qu’il me foit permis de
faire quelque réflexion ici fur cette manie qu ont les
différens ordres de défendre les fyftèmes que quelqu’un
de leur ordre a trouvés. Il faut etreThomilte
chez les Jacobins, Scotifte dans P P j i g l S. François
, Molinifte chez les Jéfuites. Il eft d abord évident
que non-feulement cela retarde les progrès de
la Théologie, mais même les arrête ; il n ell pas po -
lible de penfer mieux que Molina chez les Jeiuites ,
puifqu’il faut penfer comme lui. Qu o i. des gens qui
fe moquent aujourd’hui de ce refpett qu on ^avoit
autrefois pour les raifonnemens d’Ariftote, n oient
pas parler autrement que Scot chez les uns, & que
Molina chez les autres ? Mais homme pour homme,
philofophe pour philofophe, Ariftote les valoit bien.
Des gens qui fe piquent un peu de raifonner, ne de-
vroient refpeter que la foi & ce que 1 Eglife ordonne
de refpeter, & du relie fe livrer à leur geme.
Croit-on que fi chez les Jéfuites on n’avoit point
été gêné , quelqu’un n’eût pas trouvé un fentiment
plus aifé à défendre que les fentimens de Molina ?
Si les chefs des vieilles fête s de Philofophie dont on
rit aujourd’hui, avoient été de quelqu’ordre, nous
verrions encore leurs fentimens défendus. Grâces a
D ieu, ce qui regarde l’Hydroftatique , l’Hydraulique
& les autres Sciences, n’a point ete livre à 1 ef-
prit de corps & de fociété ; car on attribueroit encore
les effets de l’air à l’horreur du vuide. Il eft bien
fingulier que depuis cent cinquante ans il foit défendu
dans des corps très-nombreux de penfer
qu’il ne foit permis que de favoir les penfées d’un
feul homme ? Eft-il poflible que Scot ait affez penfe
pour meubler la tête de tous les Francifcains qui
exifteront à jamais ? Je fuis bien éloigné de ce fen-
timent, moi qui crois que Scot n’a point penfe du
tout : Scot gâta donc l’efprit de tous ceux de fon ordre.
JeanPonfius profeffa le Théologie à Paris félon
les fentimens de fon maître Scot. 11 eft inutile de
peindre ceux qui fe font diftingues parmi les Francifcains
, parce qu’ils font tous jettés au même moule ;
ce font tous des Scotiftes.
L’ordre de Cîteaux a eu aufli fes théologiens : Man
tiques eft le plus illuftre que je leur connoiffe ; ce qui
le diftingue de la plupart des théologiens purement
fcholaftiques, c’eft qu’il avoit beaucoup d’efprit, une
éloquence qui charmoit tous ceux qui 1 entendoient.
Philippe IV. l’appella auprès de lui ; il fît beaucoup
d’honneur à l’univerfité de Salamanque dont il étoit
membre, aufli l’en nommoit-on VAtlas : c’eft de lui
que font les annales de Cîteaux, & plufieurs ouvra
ges de Philofophie & de Scholaftique.
L’ordre de Cîteaux a produit aufli Jean Caramuel
Lobkowitz, un des efprits les plus finguliers qui ayent
jamais paru. Il naquit à Madrid en 1607. Dans fa plus
tendre jeuneffe fon efprit fe trahit; on découvrit ce
qu’il é toit, & on put juger dès-lors ce que Caramuel
ieroit un jour. Dans un âge où rien ne peut nous fixer,
il s’adonna entièrement aux Mathématiques : les
problèmes les plus difficiles ne le rebutoient point; &
lorfquefes camarades étoient occupés à joüer, il mé
ditoit, il étudioit uneplanete pour calculer fes révo
lutions. Ce qu’on dit de lui eft prefqu’incroyable.
Après fa théologie il quitta l’Efpagne, & paffa dans
les Pays-Bas ; il y étonna tout le monde par fon favoir.
Son efprit aûif s’occupoit toûjours, & toûjours
de chofes. nouvelles ; car la nouveauté avoit beaucoup
de charmes pour lui. Son rare mérite le fit en
trer dans le confeil aulique ; mais l’éclat de la cour
ne l’ébloiiit pas. Il aimoit l’étude, non précifément
pour s’avancer, mais pour le plaifir de favoir : aufli
abandonna-t-il la cour ; il fe retira à Bruges , & fit
bientôt après fes voeux dans l’ordre de Cîteaux. Tl
alla enfuite à Louvain , où il pafla maître-ès-arts \
& en 1630 il y prit le bonnet de doteur. Les études
ordinaires ne fuffifoient pas à un homme comme Caramuel
; il apprit les langues orientales, & fur-tout
celle des Chinois ; fon defir de favoir s’étendoit beaucoup
plus que tout ce qu’on peut apprendre ; en un
mot, il avoit réfolude devenir une encyclopédie vivante.
Il donna un ouvrage qui avoit pour titre, la.
Théologie douteufe; il y mit toutes les objeôions des
athées & des impies. Ce livre rendit fa foi fufpe&e ;
il alla à Rome pour fe juftifier. Il parla fi éloquemment
, & fit paroître une fi vafte érudition devant le
pape & tout le facré collège , que tout le monde en
fut comme interdit. Il auroit peut-être été honore
du chapeau de cardinal, s’il n’avoit pas parlé un peu
trop librement des vices qui régnoient à la cour de
Rome : on le fit pourtant évêque. Son defir immodéré
de favoir fit tort à fon jugement ; & comme fur
toutes les Sciences il vouloit fe frayer de nouvelles
routes, il donna dans beaucoup de travers ; fon imagination
forte l’égaroit fouvent. Il a écrit fur toutes
fortes de matières; & ce qui arrive ordinairement,
nous n’avons pas un feul bon ouvrage de lui : que ne
faifoit-il deux petits volumes, & fa réputation auroit
été plus affûrée !
La fociété des Jéfuites s’eft extrêmement diftin-
guée fur la Théologie fcholaftique ; elle peut fe vanter
d’avoir eu les plus grands théologiens. Nous ne
nous arrêterons pas long-tems fur eu x , parce que
s’ils ont eu de grands hommes, il y en a parmi eux
qui ont été occupés à les louer. Cette fociété étend
les vues fur tout, & jamais Jéfuite de mérite n’a demeuré
inconnu.
Vafqués eft un des plus fubtils qu’ils ayent jamais
eu , à l’âge de vingt-cinq ans il enfeigna la Philofophie
& la Théologie. Il fe fit admirer à Rome & partout
où il fit connoître la facilité de fon efprit ; les
grands talens dont la nature l’avoitdoiié paroifloient
malgré lui. Sa modeftie naturelle & celle de fon état
n’empêcherent point qu’on ne le reconnût pour un
grand homme : l'a réputation étoit telle, qu’il n’ofoit
point fe nommer, de peur qu’on ne lui rendît trop
d’honneurs ; & on ne connoifloit jamais fon nom &
fon mérite, que par le frere qui l’accompagnoit partout.
Suarez a mérité à jufte titre la réputation du plus
grand fcholaftique qui ait jamais écrit. On trouve
dans fes ouvrages une grande pénétration, beaucoup
de juftefle, un profond favoir : quel dommage que
ce génie ait été captivé par le fyltème adopté par la
fociété ! Il a voulu en faire un, parce que fon efprit
ne demandoit qu’à créer ; mais ne pouvant s’éloigner
du Molinifme , il n’a fait pour ainfi dire que donner
un tour ingénieux à l ’ancien fyftème.
Arriaga, plus eftimé de fon tems qu’il ne méritoit
de l’être, fut fucceflivement profefleur & chancelier
de l’univerfité de Prague. Il fut député trois fois vers
Urbain VIII. & Innocent X . Il avoit plûtôt l’efprit
de chicane que de métaphyfique; on ne trouve chez
lui que des vétilles , prefque toutes difficiles parce
qu’on ne les entend point ; peu de difficultés reelles.
Il a gâté beaucoup de jeunes gens auxquels il a donné
cet efprit minutieux : plufieurs perdent leur tems à le
lire. On ne peut pas dire de lui ce qu’on dit de beaucoup
d’ouvrages, qu’on n’a rien appris en les lifant ;
vous apprenez quelque chofe dans Arriaga, qui fe-
roit capable de rendre gauche l’efprit le mieux fait,
& qui paroît avoir le plus de juftefle.
La Théologie fcholaftique eft fi liée avec la Philofophie
, qu’on croit d’ordinaire qu’elle a beaucoup
contribué aux progrès de la Métaphyfique : fur-
tout la bonne Morale a paru dans un nouveau jour.
Nos livres les plus communs fur la Morale, valent
mieux que ceux du divin Platon ; & Bayle a eu raifon
de reprocher aux Proteftans , de ce qu’ils blâ-
moient tant la Théologie fcholaftique. L’apologie de
Bayle en faveur de la Théologie fcholaftique, eft le
meilleur trait qu’on puiffe lancer contre les hérétiques
qui l’attaquent. Bayle , dira-t-on, a parlé ailleurs
contre cette méthode, & il a ri de la barbarie
qui régné dans les écoles des Catholiques. On fe
trompe : il eft permis de fe moquer d.e la barbarie
de certains fcholaftiques , fans blâmer pour cela la
Scholaftique en général. Je n’eftime point Arriaga, je
ne le lirai pas ; & je lirai Suarez avec plaifir dans
certains endroits, & avec fruit prefque par-tout. On
ne doit pas faire retomber fur la méthode, ce qui ne
doit être dit que de quelques particuliers qui s’en font
fervis.
Des Philofopkes qui ont fuivi la véritable philofophie
d'Ariftote. On a déjà vû le Péripatétifme avoir un rival
dans le Platonifme ; il étoit même yraiffemblable
que l’école de Platon grofliroit tous les jours des defer-
teurs de celle d’Ariftote, parce que les fentimens du
premier s’accordent beaucoup mieux avec le Chrif-
tianifme. Il y avoit encore quelque chofe de plus en
fa faveur, c’eft que prefque tous les Peres font Platoniciens.
Cette raifon n’eft pas bonne aujourd’hui,
& je fai qu’en Philofophie les Peres ne doivent avoir
aucune autorité : mais dans un tems où l’on traitoit
la Philofophie comme la Théologie, c’eft-à-dire dans
un tems où toutes les difputes fe vuidoient par une
autorité, il eft certain que les Peres auroient dû beaucoup
influer fur le choix qu’il y avoit à faire entre
Platon & Ariftote. Ce dernier prévalut pourtant, &
dans le fiecle où Defcartes parut on avpitune fi grande
vénération pour les fentimens d’Ariftote, que l’évidence
de toutes les raifons de Defcartes eurent
beaucoup de peine à lui faire des partifans. Par la méthode
qu’on fuivoit alors, il étoit impolfible qu’on
fortît de la barbarie ; on ne raifonnoit pas pour découvrir
de nouvelles vérités, on fe contentoit de favoir
ce qu’Ariftote avoit penfé. On recherchoit le fens de
fes livres' aufli fcrupuleufement que les Chrétiens
cherchent à connoître le fens des Ecritures. Les Catholiques
ne furent pas les feulsqui fuivirent Ariftote,
il eut beaucoup de partifans parmi les Proteftans,
malgré les déclamations de Luther ; c’eft qu’on aimoit
mieux fuivre les fentimens d’Ariftote , que de n’en
avoir aucun. Si Luther, au lieu.de déclamer contre
Ariftote, avoit donné une bonne philofophie, & qu’il
eût ouvert une nouvelle route, comme Defcartes, il
auroit réuflià faire abandonner Ariftote, parce qu’on
ne fauroit détruire une opinion fans lui en fubftituer
une autre : l’efprit ne veut rien perdre.,
Pierre Pomponace fut un des plus célébrés Péri-
patéticiens du x v ie fiecle ; Mantoue étoitfa patrie.
Il étoit fi petit, qu’il tenoit plus du nain que d’un
homme ordinaire. Il fit fes études à Padoue ; fes progrès
dans la Philofophie furent fi grands, qu’en peu
de tems il fe trouva en état de l’enleigner aux autres.
Il ouvrit donc une école à Padoue ; il expliquoit aux
jeunes gens la véritable philofophie d’Ariftote, &
la comparoit avec celle d’Ayerroès. Il s’acquit une
grande réputation , qui lui devint à charge par les
ennemis qu’elle lui attira. Achillinus, profefleur alors
à Padoue, ne put tenir contre tant d’éloges ; fa bile
favante & orgueilleufe s’alluma : il attaqua Pomponace
, mais en pédant, & celui-ci lui répondit en
homme poli. La douceur de fon caratere rangea tout
le monde de fon parti, car on ne marche pas volontiers
fous les drapeaux d’un pédant : la viéloire lui
refta donc, & Achillinus n’en remporta que la honte
d’avoir voulu étouffer de grands talens dans leur
naiffance. Il faut avouer pourtant que quoique les
écrits de Pomponace fuffent élégans, eu égard aux
écrits d’Achillinus, ils fe reffentent pourtant de la
barbarie où l’on étoit encore, La guerre le força de
Tome 1%
quitter Padoue & de fe retirer à Bologne. Conlme il
profefloit précifément la même doteine qu’Ariftote,
& que ce philofophe paroît s’éloigner en quelques
endroits de ce que la foi nous apprend, il s’attira la
haine des zélés de fon tems. Tous les frétons froqués
cherchèrent à le piquoter, dit un auteur contemporain
; mais il fe mit à l’abri de leur aiguillon, en pro-
teftant qu’il fe foûmettoit au jugement de l’Eglife, &
qu’il n’entendoit parler de la philofophie d’Ariftote
que comme d’une chofe problématique. Il devint fort
riche ; les uns difent par un triple mariage qu’il fit, &
les autres par fon feul favoir. Il mourut d’une rétention
d’urine, âgé de foixante-trois ans. Pomponace
fut un vrai Pyrrhonien , & on peut dire qu’il n’eut
d’autre dieu qu’Ariftote ; il rioit de tout ce qu’il
voyoit dans l’Evangile & dans les écrivains facrés :
il tâchoit de répandre une certaine obfcurité fur tous
les dogmes de la religion chrétienne. Selon lui, l’homme
n’eft pas libre, ou Dieu ne connoît point les cho-
fes futures, & n’entre en rien dans le cours des évene-
mens ; c’eft-à-dire que,félon lui, la Providence détruit
la liberté ; ou que fi l’on veut conferver la liberté, il
faut nier la Providence. Je ne comprens pas comment
fes apologiftes ont prétendu qu’il ne foûtenoit
cela qu’en philofophe, & qu’en qualité de Chrétien il
croyoit tous les dogmes de notre religion. Qui ne voit
la frivolité d’une pareille diftinélion ? On fent dans
tous fes écrits le libertinage de fon efprit ; il n’y a prefi
que point de vérité dans notre religion qu’il n’ait attaquée.
L’opinion des Stoïciens fur un deftin aveugle ,
lui paroît plus philofophique que la Providence des
Chrétiens : en un mot fon impiété fe montre par-tout.
Il oppofe les Stoïciens aux Chrétiens, & il s’en faut
bien qu’il faffe raifonner ces derniers aufli fortement
que les premiers. Il n’admettoit pas, comme les Stoïciens,
unenéceflïté intrinfeque ; ce n’eft pas, félon
lui, par notre nature que nous fommes néceflïtés,
mais par un certain arrangement des chofes qui nous
eft totalement étranger : il eft difficile pourtant de
favoir précifément fon opinion là-defîïis. Il trouve
dans le fentimentdes Péripatéticiens, des Stoïciens*
& des Chrétiens fur la prédeftination, des difficultés
infurmontables : il conclut pourtant à nier la Providence.
On trouve toutes ces impiétés dans fon livre
fur le deftin. Il n’eft ni plus fage ni plus raifonnable
dans fon livre fur les enchantemens. L’amour extravagant
qu’il avoit pour la philofophie d’Ariftote, le
faifoit donner dans des travers extraordinaires. Dans
ce livre on trouve des rêveries qui ne marquent
pas une tête bien affûrée ; nous allons en faire un
extrait affez détaillé. Cet ouvrage eft très-rarè, &
peut-être ne fera-t-on pas fâché de trouver ici fous
tes yeux ce qu’on ne pourroit fe procurer que très-
difficilement. Voici donc les propofitions de ce philofophe.
i°. Les démons ne connoiffent les chofes ni par
leur effence, ni par celle des chofes connues, ni par
rien qui foit diftingué des démons.
2°. Il n’y a que les fots qui attribuent à Dieu ou
aux démons, les effets dont ils ne connoiffent pas les
caufes.
30. L’homme tient le milieu entre les chofes éternelles
& les chofes créées & corruptibles, d’où vient
que les vertus & les vices ne fe trouvent point dans
notre nature ; il s’y trouve feulement la femence des
vertus & des vices.
40. L’ame humaine eft toutes chofes, puifqu’elle
renferme & la fenfation & la perception.
50. Quoique le fentiment & ce qui eft fenfible
foient par l’acte même dans l ’ame feulement, félon
leur être fpirituel, & non félon leur être réel, rien
n’empêche pourtant que les efpeces fpirituelles ne
produifent elles-mêmes réellement les chofes dont
elles font les efpeces, fi l’agent en eft capable, & û
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