cet ar t, ne de la necefiité & perfeâionné par le lu xe, l’Archite&ure , qui s’étant élevée
par dcgrcs des chaumières au palais, n’eft aux yeux du Philofophe , fi on peut parler
amiï, que le mafaue embelli d’un de nos plus grands befoins. L ’imitation de la belle Na-
ture y eft moins frappante & plus refferrée que dans les deux autres Arts dont nous v e-
nons de parler : ceux-ci expriment indifféremment & fans reftriftion toutes les parties de la
belle Nature, & la reprefente telle qu’elle e f t , uniforme ou variée; l ’Arcliiteéiure au contraire
le borne à imiter par 1 affemblage & l’union des différens corps qu’e lle emplove l’ar
rangement fymmetrioue que la nature obferve plus ou moins fenfiblement dans chamie’indil
vtdu , & qui contraire ii bien avec la belle variété du tout enfembie.
La Poëfie oui vient après la Peinture & la Sculpture, & quin’employe pour l’imitation
que les mots difoofés fuivant une harmonie agréable à l’oreille, parle plûtôt'à l ’imagination
qu aux fens ; elle lui repréfente d une maniéré vive & touchante les objets qui compofenc
c e t Univers & femble plûtôt les créer que le, peindre, par la chaleur J e mouvemem &
la vie qu elle fait leur donner. Enfin la Mufique , qui parle à la fois à l’imagination & aux
fens » tient le dernier rang dans 1 ordre de l’imitation ; non que fon imitation foit moins par-
fane dans les objets qu elle fe propofe de repréfenter, mais parce qu’elle femble bornée tuf-
qu ici à un plus petit nombre d’images ; ce qu’on doit moins attribuer à fa nature, qu’à trop
invention & de reffource dans la plupart de ceux qui la cultivent : il ne fera pas inutile
de faire fur cela quelques reflexions. La Mufique, qui dans fon origine n’étoit peut-être def-
tinee à reprefenter que du b ru it, ell devenue peu-à-peu une-efpece de difeours ou même
de langue , par laquelle on exprime les différens fentimens de l’ame, ou plûtôt les différentes
pallions : mais pourquoi réduire cette expreflion aux pallions feules, & ne pas l’étendre
autant q uil eft poffible , jufqu’aux fenfations même? Quoique les perceptions que nous
recevons par divers organes different entr’elles autant que leurs o b je ts , on peut néanmoins
les comparer fous un autre point de vûe qui leur eft commun , c ’eft-à-dire- par la
lituation de plaifir ou de trouble où elles mettent notre ame. Un objet effrayant un bruit terrible
, produilent chacun en nous une émotion par laquelle nous pouvons jufqu’à un certain
point les rapprocher, & que nous défignons fouvent dans l’un & l’autre cas, ou par le même
nom, ou par des noms lÿnonymes. Je ne vois donc point pourquoi un Muficien qui auroit à
peindre un objet effrayant, ne pourrait pas y réuflir en cherchant dans la Nature l’efoece
<le bruit qui peut produire en nous l’émotion la plus femblable à celle que cet obier v
excite. J en dis autant des fenfations agréables. Penfer autrement, ce ferait vouloir reflerrer
fine>X neS ^ c n r& ■ " ° S B S J’ay°,ue fiue ^peinture dont il s’a g i t , exige une étude
tme & approfondie des nuances qui diftmguent nos fenfations , mais auffi ne faut-ii Das
elperer que ces nuances foient démêlées par un talent ordinaire. Saifies par l’homme de
geme , fenües par 1 homme de goût , apperçûes par l’homme d’efprit, elles font perdues
pour la multitude. Toute Mufique qui ne peint rien n’eft que du bruit ; & fans l’habitude
qui dénaturé tout elle ne ferait guere plus de plaifir qu’une fuite de mots harmonieux &
fonores demies d ordre & de liaifon. 11 eft vrai qu’un Muficien attentif à tout peindre
tmus prefenteroit dans plufieurs circonftances des tableaux d’harmonie qui ne feraient ooinî
faits pour des fens vulgaires : mais tout ce qu’on en doit conclurre, c ’eft qu’après avoir foir
un art d apprendre la Mufiqne, on devrait bien en faire un de l ’écouter.q P '
Nous terminerons ici l’énumération de nos principales connoiffances.’ s i on les envifinre
maintenant toutes enfembie, & qu’on cherche les points de vûe généraux qui peuvent f l -
vir à les difeerner, on trouve que les unes purement pratiques ont pour but l ’exécution de
quelque chofe ; que d autres Amplement fpeculatives fe bornent à l’examen de leur objet
& à la contemplation de fes propriétés : qu’enfin d’autres tirent de l’étude fpéculativi de
eur objet 1 ufage qu on en peut faire dans la pratique. La fpéculation & la pratique conffi!
tuent la principale différence qui diftingue les Sciences d’avec les Arts, & c’eft à-peu-Drés
en fuivant cette notion, qu on a donné 1 un ou l’autre nom à chacune de nos connoiffances
Il faut cependant avouer que nos idées ne font pas encore bien fixées fur ce fuiet On né
fait fouvent quel nom donner à la plupart des connoiffances où la fpéculation fe réunit à la
pratique ; & 1 on difpute, par exemple, tous les jours dans les é co le s , fi la Logique eft un
art ou unefcience: le problème ferait bien-tÔt réfolu , en répondant qu’elle e L la fois
lu n e& lau tre . Q u on s épargnerait de queftions & de peines, fi on déterminoit enfin la fi-
gnmcation des mots d une maniéré nette & précife !
On peut en général donner le nom S A n à tout fyftême de connoiffances qu’il eft poffible
de réduire à des réglés pofitives , invariables & indépendantes du caprice ou de l’opinion ;
& il ferait permis de è r e en ce fens, que plufieurs de nos fciences font des arts , étant envié
e IW ™ ! CÔ*é pratS Ue’ Mais„ co“ me >1 J a des réglés pour lès opérations de l’efprit
i B f f B I Y * au c P°Ur Ce! es du corPs5 c’eft-à-è r e pour cilles qui bornées aux
corps extérieurs, n ont beforn que de la main feule pour être exécutées. De-là la diffinéHon
des Arts en libéraux & en méchaniques , & la fupériorité qu’on accorde aux premiers fur
les féconds. Cette fupériorité eft fans doute injufte à plufieurs égards. Néanmoins parmi
les préjugés, tout ridicules qu’ils peuvent ê tre, il n’en eft point qui n’ait fa raifon , ou , pour
parler plus exa&ement, fon origine ; & la Philofophie fouvent impuiffante pour corriger les
abus, peut au moins en démêler la fource. La force du corps ayant été le premier principe
qui a rendu inutile le droit que tous les hommes avoient d’être égaux , les plus foibles donc
le nombre eft toûjours le plus grand, fe font joints enfembie pour la réprimer. Ils ont donc
établi par le fecours des lois & des différentes fortes de gouvernemens, une inégalité de convention
dont la force a ceffé d’être le principe. Cette aerniere inégalité étant bien affermie,
les hommes , en fe réuniffant avec raifon pour la conferver, n’ont pas laiffé de reclamer fe-
cretement contre elle par ce defir de fupériorité que rien n’a pu détruire en eux. Ils ont donc
cherché une forte de dédommagement dans une inégalité moins arbitraire j & la force
corporelle , enchaînée par les lois , ne pouvant plus offrir aucun moyen de fupériorité ,
ils ont été réduits à chercher dans la différence des efprits un principe d’inégalité auffi naturel
, plus paifible , & plus utile à la fociété. Ainfi la partie la plus noble de notre être
s’eft en quelque maniéré vengée des premiers avantages que la partie la plus vile avoit
ufurpés ; & les talens de l’efprit ont été généralement reconnus pour fiipérieurs à ceux du
corps. Les Arts méchaniques dépendans d’une opération manuelle, & affervis , qu’on me
permette ce terme , à une efpece de routine , ont été abandonnés à ceux d’entre les hommes
que les préjugés ont placés dans la clafîe la plus inferieure. L ’indigence qui a forcé
ces hommes à s’appliquer à un pareil travail, plus fouvent que le goût & le génie ne les
y ont entraînés, eft devenue enfuite une raifon pour les méprifer, tant elle nuit à tout ce
qui l’accompagne. A l’égard des opérations libres de l’efpri,t, elles ont été le partage de ceux
qui fe font crus fur ce point les plus favorifés de la Nature. Cependant l’avantage que les Arts
libéraux ont fur les Arts méchaniques, par le travail que les premiers exigent de l’efprit, &
par la difficulté d’y exceller, eft fuffifamment compenfépar l’utilité bien fùpérieure que les
derniers nous procurent pour la plûpart. C ’eft cette utilité même qui a forcé de les réduire
à des opérations purement machinales , pour en faciliter la pratique à un plus grand nombre
d’hommes, mais la fociété, en refpeétant avec juftice les grands génies quiTéclairent,
ne doit point avilir les mains qui la fervent. La découverte de la Bouffole n’eft pas moins
avantageufe au genre humain , que ne le feroit à la Phyfique l ’explication des propriétés
de cetcé aiguille. Enfin , à confidérer en lui-même le principe de la diftinétion dont nous
parlons, combien de Savans prétendus dont la fcience n’eft proprement qu’un art mécha-
nique ? & quelle différence réelle y a-t-il entre une tête remplie de faits fans ordre, fans
ufage , fans liaifon , & l’inftinél d’un Artifàn réduit à l’exécution machinale ?
Le mépris qu’on a pour les Arts méchaniques femble avoir influé jufqu’ à un certain point
fur les inventeurs mêmes. Les noms de ces bienfaiteurs du genre humain font prefque tous
inconnus, tandis que l’hiftoirede fes deftru&eurs, c’eft-à-dire des conquérans, n’eft ignorée
de perfonne. Cependant c’eft peut-être chez les Artifans qu’il faut aller chercher les preuves
les plus admirables de la fagacité de l’efprit, de fa patience & de fes reffources. J’avoue que
la plûpart des Arts n’ont été inventés que peu-à-peu , & qu’il a fallu une affez longue fuite de
fiecles pour porter les montres , par exemple , au point de perfe&ion où nous les voyons.
Mais n*en eft-il pas de même des Sciences r Combien de découvertes qui ont immortalilé
les auteurs, avoient été préparées par les travaux des fiecles précédens, fouvent même amenées
à leur maturité , au point de ne demander plus qu’un pas à faire ? Et pour ne point fortir
de T'Horlogerie , pourquoi ceux à qui nous devons la fufée des montres, l’échappement &
la répétition, ne font-ils pas auffi eftimés que ceux qui ont travaillé fiicceffivement à perfectionner
l’Algebre ? D ’ailleurs, fî j’en crois quelques Philofophes que le mépris qu’on a pour les
Arts n’a point empêché de les étudier , if eft certaines machines fi compliquées , & dont
toutes les parties dépendent tellement l’une de l’autre , qu’il eft difficile que l’invention
en foit due à plus d’un feul homme. C e génie rare dont le nom eft enfeveli dans l’oubli,
n’eut-il pas été bien digne d’être placé à côté du petit nombre d’efprits créateurs , qui nous
ont ouvert dans les Sciences des routes nouvelles r
Parmi les Arts libéraux qu’on a réduits à des principes, ceux quifèpropofènt l’imitation
de la Nature, ont été appellés beaux A r ts , parce qu’ils ont principalement l’agrément pour
objet. Mais ce n’eft pas la feule chofe qui les diftingue des Arts libéraux plus néceflaires
ou plus utiles, comme la Grammaire, la Logique & îa Morale. Ces derniers ont des réglés
fixes & arrêtées, que tout homme peut transmettre à un autre : au lieu que la pratique des
beaux Arts confifte principalement dans une invention qui ne prend guere fès lois que du
génie : les réglés qu’on a écrites fur ces Arts n’en font proprement que la partie mécha-
nique j elles produilent à-peu-près l’effet du Telefcope , elles n’aident que ceux qui
voyent.