
mains, liilé partie des terres conquifes étoient attribuées
au file, le refte étoit donné au général,
aux officiers, aux foidats. Les habitans étoient
enlevés à leurs terres , à leurs foyers ; on fe les
partageoit, ou du moins, vu la quantité, on le.s
vendoit d’abord à un prix- médiocre.
Il efî probable que ce furent ces motifs qui
engagèrent les Syracufains à fe jeter fur les terres
de Léontins. Ceux - ci étoient une colonie de
Chaleis, originaires d'Athènes. Les Léontins adrefférent
leurs plaintes à cette v ille , dont le peuple
n’étoit ni plus raifonnable, ni moins ambitieux
que les Syracufains.
Il y avoit long - temps que ce peuple avoit
envie de fe rendre maître de la Sicile ; il crut en
avoir trouvé l’oçcafion. i Ils envoyèrent en effet
une armée confidérable , fous prétexte de fecourir
les Léontins. Mais à leur conduite, aux ravages
qu’ils commirent, on découvrit aifément qu’ils
cherchaient moins à fecourir les Léontins , qu’à
s’approprier tout le pays. Les Léontins, de leur
côté, au lieu d’être fecourus, ayant à craindre de
tomber au pouvoir d’une p.uiffance encore plus
opprelfive, fe joignirent aux Syracufains, & les
Athéniens furent trompés dans leurs projets ambitieux.
Ils en rejetèrent la caufe fur les généraux
de l’armée , en bannirent deux, & contraignirent
le troifième à payer une amende confidérable.
Dix ans environ s’êtoient écoulés ; ll l fe pré-
fenta une nouvelle occafion de reprendre le projet
d’envahir la Sicile. Les villes de Ségefte & de
Sélinonte étoient en guerre, & n’étoient fecourues
par aucun peuple de la Sicile. Les Ségeftains députèrent
à Athènes ; & , malgré l’avis des meilleurs
efprits j & notamment de Nicias, on arrêta de
porter du fecours aux Ségeftains.
Alcibiade, Nicias, & Lamachtisfurent nommés
pour commander la flotte, avec plein pouvoir de
régler les affaires de la-Sicile, dont on ne doutoit
pas qu’ils fifl'ent la conquête.
Je n’entrerai pas dans les détails de cette
guerre, qui finit fi malheureufement pour Athènes.
Alcibiade, dont le caractère efi connu, étoit d’avis
de faire la conquête: Nicias ne vouloit que fecourir
les Ségeftains. Mais l’avis contraire l’emporta,
& caufa la perte de l’armée. Malgré les fecours
envoyés d’Athènes, la flotte & les troupes de
terre furent battues, & ce qui échappa au fer du
vainqueur, fut obligé de fe rendre. Le peuple de
Syracufe, égaré par un orateur qui cherchoit à
fe r.endre recommandable en flattant fes paflîons,
fe couvrit d’une honte éternelle en ne tenant aucune
des, conditions du traité. On fit battre de
verges les généraux, puis ont les mit à mort, &
l’on enferma les foidats dans les carrières ou latomies,
n’ayant, par jour, pour nourriture, q^e
deux petites mefures de farine & une mefure d’eau.
Prefque tous y périrent dè mifere ; fl n’en faut
excepter que quelques-uns qui furent vendus comme
efclaves: cette guerre avoit duré trois ans.
Lés Syfâêufams récompenfèrefit généréufemeflf
leurs alliés. Mais les Ségeftains, attaqués de nouveau
par les habitans de Sélinonte, & craignant
le reffentiment des Syracufains, envoyèrent des
ambaffadeurs à Carthage pour y demander de
paffer fous la domination de cette ville. En effet\
après quelques délais, les Carthaginois les mirent
en état d’attaquer à leur tour ceux qui les avoient
provoqués. La conduite odieufe qu’avoit tenue
Sélinonte, fut caufe de fa perte. Les Carthaginois ,
appelés au fecours des Ségeftains, parvinrent à
prendre Sélimanie, la pillèrent, la brûlèrent, &
enfin la détruifirent de fond en comble, environ 250
ans après fa fondation. Peu après les Carthaginois
prirent Himère, qu’ils traitèrent avec la même
barbarie. Leur chef fe nommoit Annibal: à fon
retour à Carthage, il fut reçu avec les honneurs
les plus diftingués.
Pendant ce temps, des troubles intérieurspré-
paroient à Syracufe des maux encore plus grands.
Le malheur de toutes ces républiques Grecques
étoit l’eforit de faélion. Le peuple, entraîné par
quelques chefs féditieux., fe divife en différens
partis ; & chacun veut enfuite que fon parti foit
le dominant.
Dioclès, auquel l’antiquité attribue de grandes
lumières & les meilleures loix de Syracufe, étoit
à la -tête d’un parti nombreux, vertueux même ,
mais de principes très-févères. Hermocrate, qui
avoit fervi avec gloire dans la dernière guerre
contre Athènes, & qui avoit été envoyé depuis
au fecours des Lacédémoniens, avoit auffi fes
partifans, mais moins nombreux & moins puiffans ;
ils ne purent empêcher qu’il ne fût cité en jugement
pour certains-' points de fa conduite, &
enfin banni, fans avoir été trop écouté : on lui
confeilla de s’en .venger; il ,■ céda à cet avis condamnable,
& entreprit de furprendre Syracufe
avec une petite armée qui, trop foible pour cette
entreprife, fut taillée en pièces , & lui-même fut
tué. Tous ceux qui dans la ville avoient tenu
fon parti furent bannis; Denis, fon gendre, fut
de ce nombre.
Pendant ce temps, les Carthaginois envoyèrent
, de nouvelles troupes eh Sicile, fous la conduite
d’Annibal, qui y avoit déjà commandé, & d’I-
milcon qui le fecondcit. Le premier fuccès de cette
fécondé expédition fut la prife & la ruine d’A -
grigente, où l ’on fit un butin immenfe. Le fiège
• avoir duré huit mois.
La prife d’Agrigente occafionna de nouveaux
j troubles ^ à Syracufe. On y accufa. plufieurs des
principaux perfonnages d’avoir contribué à la
ruine de cette ville. La populace f.e livra à des
aétes de violence. Ce fut à la faveur de ces
troubles,que ce Denis,que j’ai dit plus haut avoir
été éxiîê parce qu’il étoit gendre d’Hermocrate „
& qui avoit été rappelé, parvint à fe mettre à
la tête du parti dominant.
Il étoit brave, & poffédoit le talent de la parole.
Pour s’attirer pleinement la confiance du peuple,
,fi le flatta dans fes foupçons contre-les généraux,
& contre les magiftrats* Les 'gens éclairés démêlèrent
fes vues, le citèrent devant le tribunal, &
le firent condamner à payer une amende confidérable,
avant qu’il, lui fut permis de paroître en :
public & d’y Haranguer. Il n’avoitpas une fortune
qui lui permît de payer cette Tomme ; un homme,
riche citoyen, la paya pour lui.
Il n’en devint alors que plus puiffant, & bientôt
il fit agréer au peuplé de rappeler les citoyens
exilés. Ils étoient nombreux ; il eut en eux autant
dé partifans.
Un événement inattendu favorifa encore fon
ufurpation. De grands troubles s’étoient élevés
dans la ville de Géla. Il s’y porta avec des troupes ,
favorifa le parti du peuple, & mettant à mort les
riches qui avoieftt prétendu dominer, il fit con-
fifquer leurs biens, dont il obtint une partie pour
payer les troupes qu’il avoit armées.
De' retour à Syracufe, il mit en oeuvre les
manoeuvres les plus odieufes pour égarer la multitude
, & rendre les magiftrats odieux.
Je pourrois, je le fens bien, abréger ces détails ;
mais nous fommes dans un moment qui doit rendre
précieux tout ce qui peut tendre à faire diftinguer
ceux qui font réellement bons patriotes, d’avec
ceux qui ne cherchent à flatter le peuple que pour
l ’égarer.
Lorfque Denys reparut dans Syracufe, c’étoit
précifément à l’inftant où l’on fortoit du théâtre :
on pouvoit même foupçonner qu’il avoit pris ce
moment. Le peuple courut en foule au-devant de
lui. Il montra de la reconnoiffance de ce bon
accueil, mais fur-tout une vive trifteffe de la conduite
dés magiftrats ; il les accufa d’amufèr le
peuple par des fpe&acles, pendant qu’ils le tra-
riiffoient ; il alla même jufqu’à dire que le général
Carthaginois l’en avoit convaincu, en lui propofant
de fe laiffer corrompre de même. Les efprits s’échauffèrent
, & la crainte du danger, fe joignant
à un excès de confiance, on nomma Denys gé-
néralilfime , & auffi-tôt il fit arrêter que l’on donnerait
une double paie aux foidats.
H faut bien fe rappeler que prefque, toutes ces
troupes étoient des étrangers. Les citoyens à Syracufe
ne faifoient pas , comme à Paris, la plus
forte partie de l’armée. Denys profita auffi de ce
premier inftant d’égarement pour fe faire donner
•des gardes. Peu après s’étant retiré à Léontini, il
tréufut à fe procurer une garde nombreufe , com-
pofée principalement d’étrangers, & avec laquelle
fl revint à Syracufe.
Peu après les Carthaginois, fous la conduite
d’Imilcon, s’étant empares de Géla & de Cama-
nne , que Denys, qui s’étoit porté vers eux avec
cinquante mille hommes, auroit pu défendre, fa
cavalerie le foupçonna de trahifon, le quitta, &
ffiymt à la hâte pour lui fermer les portes de la
r ville. Mais au.lieu de prendre j en effet, les précautions
les plus fages'pour qu’il n’y pût rentrer,
ils fe portèrent à fon palais, Je .pillèrent, & traitèrent
fa femme avec tant d’indignité, qu’elle fe
• donna la mort enfuite.
Denys accourut, mit le feu à la porte de la
viile ; & dès qu’il y fut entré , y commit des
cruautés horribles. Peu après il conclut avec les
Carthaginois*, affoiblispar la pefte qui s’étoit mifei
dans leur armée, une paix qui leur étoit avan-
tageufe.
Pour empêcher que les Syracufains-ne tournaf-
fent contre lui le repos que leur laifîoit la paix
avec les Carthaginois , il réfolnt de fe fortifier
contre eux dans la ville même ; & pour cet .effet,
il fit bâtir des forts & des murailles autour de la
partie appelée Ortygic.
Il étoit occupé d’un fiège d’une petite v ille ,
lorfqù’une partie de l’armée, & bientôt toute la
ville fe révoltèrent contre lui. Il revint, s’empara
de l’Epipole; mais on l’y tint affiégé, & l’on envoya
de toutes parts demander de nouvelles forces ;
c’étoit la caufe de la liberté. Les députés furent
bien reçus à Rhège & à Meffine. Alors on fit
publier que l’on donneroit une grande réoompenfe
à celui qui tueroit le tyran, & Ier droit de bour-
geoifie à ceux de fes foidats qui l’ab.andonneroient.
Il s’enfuivit une défertion prefque générale, &
Denys mit en délibération avec fes amis s’il ne
fe tueroit pas. Il prit le parti plus doux de négocier,
& obtint des Syracufains qu’il pourrait fe
retirer. Mais il avoit en même temps offert de
grandes récompenfes à des foidats Campaniens,
auxquels Imilcon avoit confié ; la garde de fes
conquêtes. Je vois avec douleur que prefque toutes
. ces troupes de l’antiquité font dè* farouches affaflins,
qui vendent leurs forces & la mort qu’ils peuvent
donner , à qui veut les payer plus chèrement.
On avoit quitté les armes à Syracufe, & l’on
croyoit le tyran prêt à partir, lorfque les Cam-
paniens arrivèrent à l’improvifte , pénétrèrent jufqu’à
l’endroit où étoit Denys, d’autres arrivèrent
encore ; enfin , Denys parvint à fe retrouver une
fécondé fois le maître. Il renvoya les foidats
! Campaniens, Mais ces hommes féroces & cruels
6’étant portés à l’oueft, vers la ville d’Entella, demandèrent
à y paffer une nuit. Ils prirent ce
temps pour égorger tous les hommes & s’emparer
de leurs femmes & de leurs filles, avec lefquelles
ils relièrent en poiTefiion de la ville.
Denys parvint à défarmer tous les Syracufains en
s’emparant de leurs armes pendant qu’ils étoient
occupés à leurs moiffons. 11 fortifia la citadelle ,
puis chercha à étendre fes conquêtes ; & en effet,
il réuffit à s’emparer de Naxe, de Catane, de
Léontini, d’Etna & d’Enna, &c. Les habitans
furent traités avec beaucoup de bonté.
Rhège & Meffine , qui avoient une flotte j
offrirent leurs fervices aux Syracufains ; mais la
I difeorde £e mit ejitre leurs chefs, & l’offre refis-
A a 3.