
à fon embouchure. Les Tartares & les Turcs lui
ont confervé le même nom, & l’appellent aujourd’hui
AkkUrman, qui lignifie château blanc. Les
Moldaves l’appellent auffi Zetatè-Alba, qui a la
même lignification. Cette ville a porté ancienne*
ment le nom de Mont-Cafbo, & il y a toute apparence
que c’eft YAxia des anciens. L’ile de Selina,
que Conftantin Porphyrogénète place devant les
bouches du Danube, eft une petite île qu’on trouve
efieéfivement à quarante milles de l’embouchure de
ce fleuve. Les Turcs l’appellent Ilan-Adajfy, ou
nie des Serpens : la tempête m’y jeta dans le mois
de novembre 1754, lorfque je panai la mer Noire
pour aller occuper le pofte de conful du roi auprès
du khan des Tartares. Cette île eft entièrement
déferte, & elle n’eft habitée que par une quantité
innombrable de ferpens qui ne font aucun mal à
leurs hôtes. Ceft de-là qu'elle a tiré le nom qu’elle
porte aujourd’hui. Elle n’étoit pas marquée fur les
anciennes cartes de la mer Noire; mais elle eft
bien exactement placée dans celle qui a été*dreffée
par les foins de feu mon père, la meilleure qui ait
encore paru.
Cellarius eft fort embarrafle pour placer une
île que les anciens appeloient l’île d’Achille. Comme
il fuppofe qu’elle étoit unique, il la confond avec
l’ile Mclafiti, qu’il croit etre l’île de Leucé des
anciens, où étoient le temple & le tombeau d’A chille.
Mais il ne fait enfuite comment concilier
ce que difent les uns de l’île d'Achille, qu’ils
placent devant l’embouchure du Boryfthène, avec
ce que rapportent les autres de l’île Melafite, qu’ils
difent être entre le Tyras ou Dnicfler, & YJJler ou
le Danube. Cette difficulté s’éclaircit, dès que Fon
fait qu’il y a réellement deux îles placées comme
les anciens les défignent. Mêla a raifon quand ft
d it, dans le chapitre v u de fon fécond livre, que
l’île de Leucé eft fituée devant la bouche du Boryfthène;
Strabon paroît avoir fait la même erreur
que Cellarius ; il dit dans fon huitième livre que
l’île de Leucé eft éloignée’ de 500 ftades de l’embouchure
du Tyras; qu’elle eft çonfacrée à Achille ; Su’elle eft fort avancée dans la mer, & féparée du
oryfthène par un efpace d’environ 600 ftades.
Il eft évident que ce géographe a pris l’île Melafite ,
que Conftantin Porphyrogénète appelle Sclina,
pour l’île de Leucé ou d’Achille, puifque l’île Melafite
eft réellement, à peu de chofe près, dans la
pofition qu’il a indiquée (1), Il paroît donc ma-
( 1 ) M, d’Anville a fait la même erreur, fi c’en eft
une *, çar to.ute la différence vient de ce qu’il a plutôt
adopté une opinion qu’une autre. Il n’ignorcvit pas qu’il
y avoir, comme le dit Méia, une île.fituée devant
la bouche de Boryfthène : elle eft indiquée fur la partie
prientalç de Y Imperium Romannm. Mais il appela , avec
Strabon , lie de Leucé, l’île qui eft à 500 ftades de
l’embouçhure du Tyras, & y plaça le tombeau d’A chille.
Cette dernière île eft celle appelée Melafite. Je
çpqyiens qu’il eft plus naturel d’adopter pour Ffle Leucé,
nîfeftement; par lé paffage de Mêla & l’erreur
de Strabon, que l’île de Leucé doit être File dé
Saint-Mthere , dont j’ai parlé ci-devant, placée,
comme dit Mêla, à la bouche du Boryfthène.
Ce qui confirme encore mon opinion , eft que
cette île fe trouve devant la pointe de K il-
bouroun, qui eft l’efpace auquel les anciens dpn-
noient le nom de Dromos Achïllcos , ou Curfus
Achïllïs. Mêla rapporte qù’Achille étant entré dans
la mer Pontique pour fe repofer des travaux de
la guerre, célébra dans cet endroit-là des jeux,
& s’exerça à la courfe avec fes compagnons: ce
qui fit donner à ce lieu le nom de Dromos Achilleos,
Afôpcoc A^iKhécoc, ou la courfe ci’Achille. Mêla
fait enfuite une defcription du terrein qui convient
parfaitement à la terre de Kilbouroun , qui s’avance
dans la mer en pointe fort aiguë, & s’élargi fiant
infenfifclement, préfente, comme dit Mêla, la
figure d’une épée. Cette pointe eft fi déliée, que
lés Turcs lui ont., donné le *nom de Kilbouroun,
ou la pointe des cheveux. On peut conclure de
ce que je viens de dire, que l’île de Leucé ou
d’Achille, eft l’île dé Saint - Ethere, placée à la
bouche du Boryfthène; & que 1-îfe Melafite eft
celle de Selina, appelée parlesTurcls Ilan-Adafiy,
& fituée devant l’embouchure du Danube. JVlele-
tius, géographe moderne très - exaft , s’explique
bien clairement au fujet de la première, dans le
quatorzième thème de fon troifième chapitre. « Vis-
»à-vis de l’embouchure du Boryfthène, d it - il,
»eft l’île d'Achille, qui a auffi été appelée Leucé
»par les anciens (2)».
Conftantin Porphyrogénète, après avoir placé
devant les bouches du Danube l’île de Selina, qui rie
peut être, comme je l’ai déjà d it, que l’île des
Serpens , donne le même nom à un fleuve qui
n’eft autre chofe qu’une des bouches du Danube,
appelée aujourd’hui par les Turcs, les Moldaves
& les Bulgares Solina. Jufques-là les Rufles avoient
à craindre des Patzinacites ; mais en-deçà ils n’a-
voient plus rien à appréhender, parce qu’ils entroient
dans les terres des Bulgares, nation amie1,
avec laquelle ils vênoient commercer. Lorfqu’ils
croient arrivés fur les côtes de Bulgarie, ils ploient
du Danube à Conope, de-là à. Confiance , puis au
fleuve Varna, à la rivière de Ditftna ; ils arrivoient
enfin à Mefembria, où fe terminolt le cours de leur
voyage.
On peut voir par l’idée de la, navigation des
celle» qui fe trouve près du Dromos AchiUis, d’après
ce que Fon dit que fon tombeau y étoit.
(2) M. d’Anville n’a pas appelé Dromos Achillis, ou
la courfe d’Achille, la langue de terre occidentale à
l’extrémite de laquelle eft Kilbouroun ; mais il donne
çe nom à une pointe qu'il figure plus au fud-eft, & /u'il
termine par le promontoire Tamirace , qui n’eft pas fur la
carte de M. Peyffonel Comme je ne trouve rien de tout
cela fur la carte ancienne de l’atlas de cet ouvrage
( l’Encyclopédie) , je ne puis pas m'en ferVir pour mq
teire gueux; entendre de mes le&surs.
les moindres veftiges de ces deux villes ; toutes
les places qui bordent la rive méridionale du
Dniefter, depuis fon embouchure jufques 6 B tnder,
font des villages & des bourgs bâtis nouvellement
par des Moldaves fujets du khan des Tartares,
& dont les noms modernes n’ont aucune affinité
-avec les anciens. Sur le bord feptentrional ds
Tyras. ou Dniefler, on ne voit aucuns, débris de
quelque ville que ce puiffe être. Cellarius eft
embarrafle pour déterminer la pofition d’une île
de ce fleuve, que Pline dit être habitée par les
Tyrimes ; il ne trouve d’autre expédient que de
fuppofer que le Tyras avoit autrefois deux embouchures.
Rtiffes pour le commercé, quelle pouvait être
celle qui avoit pour objet les courtes qu’ils, ve-
noient faire de temps en temps fur les côtes du
Pont-Euxin. Il paroît qu’ils firent la meme route
lorfque, fous la conduite d’Igor, leur prince , ils
vinrent attaquer les Grecs par mer, fous le règne
de Romain, qui ne peut être que le collègue de -
Conftantin Porphyrogénète, puifqu’Igora été contemporain
de ces deux princes & eft mort en,
950. C’eft pour cela que je crois'devoir placer ici
cet événement. Igor étoit duc de Ki6v.ce, & de
flovogorod, & fils de R'urich. Son expédition
maritime contre les Grecs, eft une des plus mémorables
entreprises des Rufles dont l’hiftoire du
moyen âge fafife mention. Luitprand.nous.dit fim-
plement que ce prince, qu’il appelle Inpr-9. fut
défait dans un combat naval par Romain, empereur
de Coriftantinople. Mais Zonare , fans
nommer Igor, nous apprend que les Rufles s’avancèrent
jufques à Conftantinople avec une flotte
de quinze mille navires, qui probablement dévoient
être de petites barques. Cette armée navale fut
entièrement détruite ; il n’échappa qu’un très-petit
nombre de Rufles , & cette défaite les mit pendant
quelque temps hors d’état d’attaquer les Grecs.
Le pays qui eft entre le Danube & le Boryfthène
, faifant partie de l’étendue que je me fuis
preferite, j’ajouterai encore ici quelques oh fer varions
qui pourront contribuer à éclaircir la géographie
ancienne de cette contrée. Après le fleuve
J fier, qui eft le Danube, les anciens plaçoient, en
allant du fud au nord, le fleuve Tyrax, qui doit
être inconteftablement le Dniefler, puifqu’il a été
auffi appelé Danaflris' dans le moyen âge. Les
peuples placés entre ces deux fleuves étoient appelés
Jflriani. Conftantin Porphyrogénète compte
qu’il y avoit .40 milles du Danube au Danaflris,
& 80 milles du Danaflris au Boryfthène. Ce calcul
n’eft pas êxaft, & le Dniefler le trouve placé à-
peu-prës à une égale diftance entre le Boryfthène
& lé Danube. Les Rufles l’ont reconnu, & Font
marqué de même dans, la carte qu’ils ont dreflee |
lors de la campagne de 1736. Meletius a fait le
même calcul; il compte 50 milles1 du Boryfthène !
au Dniefter & 100 milles du Boryfthène au
Danube. Dans xla route de terre que j’ai faite,
je n’aitrouvé 'qu’en'viron deux lieues de différence
entre ces deux diftancés. J’ai compté 24 lieues
du Boryfthène au Dniefter, & environ 22 de
celui-ci au Danube. La côte maritime eft dans la
même’ proportion. Strabon dit"qu’en s’avançant
dans le Tyras, on trouvoit à une diftance de 140
ftades, les villes tYOphiufa & de Niconia , fituées ,
la première, fur la rive méridionale, & l’autre
fur la feptentrion ale du fleuve. La-ville d’Ophïnfa j
a étévdepuis appeléeTyrqs, du nom.du fleuve: elle
devoit le trouver où- eft' aujourd’hui le bourg de
Pâlàncd, fur* lê' bord ’ nlé'ridîoïial du fléùve, à fix
lieues de fon embouchure, qui font à-peu-près
tes 140 ftades de Strabon, On ne trouve plus
Cette fuppofition feroit auffi fauffe
qu’inutile ; ce fleuve forme, entre Palanca Sç
Bendtr, une, île allez confidérable , & qui doit
être celle que Pline a défignée: on la trouve matr
qyée dans quelques cartes modernes. Une, grande
queftion à prêtent , eft de placer les, trois. fleiiv.es
Axiaces, Rhodus & Hypanis ; les quatre peuples
appelés Chrobi^e, Axiaces, Callipides & Boryfl/ie-
nitee, & les trois villes Axiaca, Odeffus & Olbia
ou Olbiopolis , qui étoient entre le Tyras & le
Boryfthène.
Mêla dit que YLlypartis borne les Callipides \ Sç
que YAxiace, fleuve voifin, defeend entre les
Callipides & les Axiaces , qui font féparés des
Iftriens par le Tyras.
Pline prétend que le Tyras eft éloigné de Pfeu-
doflome dé 130 mille pas ; qu’enfuite on trouve
les Axiaces ,ainfi- appelés du nom du fleuve, &
qu’au-deffus de ceux-ci font les Chroby-fi.^ le fleuve
I Rhodus, le golfe Sagaricus, & le port Odeffus. '
Ptolemée fuit à-peu-*près la même direéiton ;
& Ortéîius, dans la carte qu’il a dreflee d’après
foq fyftême , place après le Tyras, YAxiace ,
puis les Chrobyçcs, le fleuve & le golfe Sagaricus ,
& la ville YYOrdeffus ; enfuite le fleuv.e Hypanis,
la ville (YOlbia confluent de ce fleuve, avec 1#
Boryfthène ; & enfin, vers le nord, les Boryflheniies
& les Callipides.
Meletius confond les Callipides avec les Axiaces,
& n’en fait qu’une même nation, à laquelle 11
donne, pour ville principale Axiaca. Il prétend'
que c’eft la même que les T urcs appell eut aujourd’hui
Odeu ou Oçou, & les Mofcovires. Qk^akowr
Il dit enfuite dans le XIVe thème du 3“ chapitre,
ce que Strabon avoir dit avant lui, que. la ville.
d'Olbiopolis , appellée auffi Miluopplis & Bcryf-
thenis, étoit fituée à 200 ftades de rembouchure
du Boryfthène. On voit une contradiâion mani-
fefte entre ces différons auteurs, & l’on n’en peut
rien inférer qui détermine, la place de ces fleuves ,
de ces nations & de ces villes anciennes.
Pai erai entrevoir que ce qui les a tous induits tn
erreur, eft d’avoir pris le fleuve que nous appelons
aujourd’hui le Bog pour Y Hypanis. l ’ofe/avaçcer
en effet que leur relation n’eft pas. admiffihlç.
Strabon nous dit dans /fon v n e livre, que la
ville d^Olbia eft fituée à 200 ftades de l’embou