Premières incurfions des Barbares feptentrionaux.
Sous le règne de Marc-Aurèle on commença
à connoître & à mettre au nombre des ennemis
de l’empire Romain , les Barbares Septentrionaux
fous les noms de Vandales & de Sarmates.
Les Vandales habitoient le long de la mer Baltique,
entre la Viftule, l’Elbe & la Chafule , aujourd’hui
la Drave. Ils avoient au midi les IJloe-
vons & les Hermions, & au feptentrion les In~
gevons. Us étoient divifés en différens peuples,
les Angles, les Varins, les Canons, les Thuringieas,
les Eudolts, les Sindinices, les Suardoniens , les Nui-
thons, les VVardons, les Rugiens, les Hernies, les Limo-
riens3 les Carirs, les Guttohs ou Goitons, les Longobards
& les Bourguignons. Us occupoîent la partie de la
Pologne qui eft au couchant de la Viftule, l’elec-
torat de Brandebourg , la Poméranie & le duché
de Meklembourg. Quelques - uns de ces peuples
B tués à l’occident vers l’embouchure de 1 Elbe ,
font ceux qui ont été connus depuis fous le nom dé
Vandales, & qui, après avoir ravagé les Gaules ,
vinrent l’an 410, battre les Romains dans l’Efpagne
Bétique ; ils y avoient été précédés par les Celtes ,
peuples germains comme eux, qui, s’étant mêlés
avec les Ibérknsdonnèrent le nom de Celti-
bérie aux provinces les plus voifines des Gaules ,
& les Vandales laiffèrent le leur à celle de Van-
dalicie, qui a été depuis appelée par corruption
Andaloufie. Environ trente ans après que les Vandales
fe furent établis en Efpagne , ils en furent
châties par les Suèves, & enfuite par les Goths,
& allèrent en Afrique fonder un royaume, que
Béhfaire, général de l’empereur Juftinien, dé-
truifit l’an 533, par la défaite & la prife du roi
Gelimer. Ces Vandales occidentaux font entièrement
étrangers à mon fujet ; ceux qui, fous
Marc-Aurèle, paffèrent avec les Quades & les
Marcomans dans la-Pannonie-, dévoient être les
Vandales fitués à l’orient le long de la,-Viftule,
& à portée de fe joindre avec les peuples qui
confïnoient au midi.
Les mouvemens des Vandales avoient une fource
plus éloignée ; ils ne fe jettoient fur les peuples
méridionaux, que parce qu’ils étoient preffiés eux-
mêmes par les Goths, qui étoient plus au feptentrion
, & ayoient*déjà remué dans le nord longtemps
avant que les Vandales panifient fur les
terres des Romains.
Les Goths, que Tacite & Juftin appellent Ge-
tones, & qu’on trouve fous le nom de Guttones
dans Pline, habitoient originairement une partie
de ces terres qui font entre l’Océan feptentrion al
& la mer Baltique. Ils quittèrent cette première
demeure, & descendirent jufques fur les bords de
la Vrftule , plus de 300 ans avant J. C. ; alors
ils fe trouvèrent mêlés avec les Vandales, & l’on
eenjeâure qu’ils occupoient le Palatinat de Ma-
. zoyie & les deux Rulfres. Ayant enfuite étendu
leur domination par les conquêtes qu’ils firent fur
les Hernies, les Cajfiubïens, les Rugiens , les Sidins,
les Carias, & quelques autres Vandales, ils ne
firent plus avec toutes ces différentes nations,
qu’un leul peuple fous le nom de Goths, nom
qui. comprenoit généralement- tous les Vandales
orientaux ; celui de Vandales étant demeuré, comme
je l’ai déjà' dit, aux feuls Vandales occidentaux,
qui paffèrent en Efpagne & en Afrique. Ainfi les Van-
dales, qui, fous Marc-Aurèle, joints avec les Quades
& les Marcomans, faifoient la guerre aux Romains,
& les Goths , qui, l’an 2.15 , commencèrent fous
Caracalla d’inonder les terres de l’empire , n’étoient
pas deux nations différentes, mais un même peuple
connu fous les noms différens de Vandales & de
Goths, & divifé en un nombre infini de tribus.
La réfiftance que les Vandales trouvèrent de la
part des Romains dans les tentatives qu’ils firent
pour pouvoir s’établir dans la Pannonie & la
Dacie, les engagea à chercher fortune vers l’orient.
Ceux qui relièrent fur les bords de la mer Baltique
, & principalement dans les îles Eleéfrides,
vers les bouches de la Viftule, furent appelés
Gépides, que l’on dit fignifier parejfeux. Les autres
paffèrent la Viftule fous la conduite du roi Filifner,
s’étendirent dans l’orient vers la Sarmatie , devinrent
, en s’avançant,. plus nombreux , par la
jonétiôn des Baftarnes-, paffèrent le Boryfthène,
s’avancèrent vers le Palus Moeotides, & pouffèrent
leurs courfes jufqu’au Tarais; mais ils y furent
mal accueillis par les hàbitans de cette région,
dont les principaux étoient les Alains & les Huns,
qui faifoient partie des Scythes & des Sarmates
orientaux.
Les Alains, peuples Tartares, habitoient dans
le triangle de la Sarmatie afiatique, formé par le
Tanaïs, le Volga & le mont Caucafe. Procope
détermine j>lus précifément leur pofition depuis
cette montagne jufqu’aux portes Çafpiènnes,
indique' par-conféquent les pays que nous appelons
aujourd’hui la Circaflie, le Cabafta & le
Dagueftan. Ces Alains defcendus des anciens Scythes
, qui, dans les temps les plus reculés , avoient
fait des courfes jufqu’en Egypte, & qui firent line
expédition plus mémorable en Médie fous le règne
de l’empereur Vefpafien : ces peuples aguerris ré-
fiftèrent aux Goths , qui étoient venus, comme
je l’ai déjà dit, jufqu’au Tanaïs, & les empêchèrent
de pénétrer plus avant. On donnoif aufli
le nom d’Alains à une infinité d’autres peuples
qui avoient été fubjugués par eux , comme les
Videns , les Gelons, les Neuies, les Agalhyrfes &
plufieurs' autres nations qui habitoient depuis le
Palus Moeotides jufques vers le Gange & les frontières
de l’Inde. Ammien Marcellin donne une
idée de leurs moeurs & de leurs coutumes, qui
reffemfcloient beaucoup à celles des Tartares d’aujourd’hui.
Les Huns, que l’on place aux environs du Palus
Moetides , dévoient , être fitués entre le Tanaïs &
le Boryfthène, dans le pays auquel on donne aujourd’hui
le nom d’Ukraine-Mofcovite ; mais ils ne
furent connus fous le nom de Huns que vers la
fin du quatrième fiècle, fous le règne de Valens.
Les Goths furent arrêtés par ces peuples fcythes,
& ne pouvant pas les foumettre, il y a lieu de
croire qu’ils fe les affocièrent dans la fuite ; &
qu’ayant pris le parti de rétrograder vers l’occident
, & de retourner du côté du Danube, ils
menèrent avec eux plufieurs de ces nations Scythes,
ou qu’ils leur donnèrent en fe retirant, envie de
les fuivre, pour aller comme eux tenter fortune
fur les terres des Romains. Ç’eft pour cette raifon
que l’on confond fouvent depuis ce temps-là les
Goths avec les Scythes, foit que par leur mélange
ils fuffent devenus un feul & même peuple , foit
qu’étant demeurés féparés, on n’ait pas laiffé de j
les confondre, parce que toutes les incurfions ‘
qu’ils ont faites depuis ce temps vers le Danube,
avoient une même direction d’orient en occident.
Cela explique ce que difent plufieurs auteurs, que
les Alains étoient Goths; & c’eft par la même
raifon que l’on voit ces deux peuples fi fouvent
mêlés ik confondus dans les gnerres poftérieures.
Nouvelles incurfions des Scythes orientaux.
Origine des Bulgares.
Les courfes continuelles des Goths & des Scythes
d’orient en occident, donnèrent beaucoup
d’occupation aux fucceffeurs de Gordien ; & les
guerres qu’ils eurent à foutenir contre eux font
appelées, par la plupart des hiftoriens, guerres
. contre les Scythes.
Sous l’empereur Dèce ces barbares avoient paffé
le Danube & ravagé la Thrace. Gallus, à qui
ce prince avoit confié la garde du Tanaïs, s’acquitta
affez négligemment de fa commitiion, dans
l’intention de donner de l’embarras à l’empereur ;
il finit même par le trahir, d’intelligence avec ces
barbares, & l’engagea dans un marais auprès
AÜAbrut en Moefie, où il périt avec fon fils.
Gallus fit la ptiix avec les Scythes , moyennant
un tribut annuel qu’il s’engagea de leur payer.
Cette paix, faite à des conditions fi honteufes
pour les Romains, fut bientôt rompue. Les Barbares
paffèrent de nouveau le Danube, & commirent
d’affreux défordres dans la Thrace, la
Theffalie & la Macédoine. Emilien, gouverneur
de Moefie, les battit fur les frontières de la Sarmatie
, & les repouffa jufques dans leurs anciennes
demeures.
Valérien avoit promis au fénat de terminer la
guerre des Scythes; mais il crut devoir commencer
par foumettre les Perfes leurs alliés. Il fut trahi
& retenu prifonnier dans une conférence qu’il eut
au fujet de la paix avec Sapor, roi de Perfe ; &
après dix ans du plus dur elclavage, d’où fon fils
■ fe.foucia»très-peu de le tirer, Sapor le fit écorcher.
v if, fit teindre fa peau en rouge, & la dépofa
dans un temple, pour la montrer enfuite aux am-
baffadeurs romains.
Sous Gallien-, fils de ce malheureux prince, il
y eut une double incurfion de barbares. Les
Goths, mêlés aux Scythes, fondirent du côté du
nord fur la Dacie & la Moefie, au nombre de
320 mille hommes ; une autre multitude de
Scythes vint féparément par mer des côtes de
l’Afie mineure aux embouchures du Danube. Ils
s’embarquèrent fur le Pont-Euxin dans des navires
qui leur avoient été fournis par les peuplés du
Bofphore; ils prirent Trébizonde, paffèrent tous
les habitans au fil de l’épée, fe rendirent maîtres
de Calcédoine , de Nicomédie & de Nicée ; mirent
à feu & à fang tout le territoire de Byfance ,
d’où ils emportèrent un immenfe butin; ils entrèrent
de - là dans le Danube, & dévaftèrent
toutes les provinces romaines voifines de ce
fleuve.
On peut regarder cette dernière incurfion des
Scythes par le Pont-Euxin, comme l’époque de
l’établiffement des Bulgares dans la Scythie Portique
; ils n’étoient pas encore connus fous ce
nom, qu’ils ne prirent que long-temps après. On
doit obferver que le nom de Bulgares ne tire
point fon étymologie du fleuve Volga, comme
quelques-uns l’ont prétendu; ce fleuve, connu
par les anciens fous le nom de Rha, a été appelé
dans le moyen âge Aid ou Edel, nom que
les Tartares lui donnent encore aujourd'hui ’ &
par lequel Conftantin Porphyrogénète le défigne
dès le dixième fiècle ; c’eft plutôt le fleuve lui-
même qui a pris le nom de la Bulgarie ou Vo l-
garie, en prononçant comme les Grecs le B en V.
Ce pays fe nomme aujourd’hui la Bulgarie noire ou
grande Bulgarie. C’eft de cette partie de la Scythie
au-delà du Volga, & au nord de la mer Cafpienne,
que font fortis les Scythes orientaux, qui, fous le
nom de Bulgares, font venus s’établir dans la Scythie
Pontique ; & au lieu que.les Scythes, Huns
& Alains , qui avoient fuivi les Goths * dans leur
expédition, fe trouvèrent confondus avec eux,
& firent partie dès Barbares feptentrionaux. Les
Scythes Bulgares, qui, à leur exemple, vinrent
fondre fur l’empire Romain par une autre route,
c’eft-à-dire, par l’Afie mineure & le Pont-Euxin,
furent diitingués long-temps aprèsN leur arrivée ,
par le nom de Bulgares. Il me paroît qu’on doit
attribuer l’origine de cette diflindion aux différens
chemins que prirent ces Barbares pour venir inonder
les terres de l’empire. Les Bulgares peuvent être
mis au rang des Scythes Tartares ; mais ils adoptèrent
dans leur nouvelle habitation la langue
flave , par leur voifinage & leur commerce continuel
avec les peuples S.lavons, comme je l’ai
déjà fait obferver plus haut. le s Huns & les
Alains au contraire étoient des Scythes véritablement
Sclavons ou Sarmates. J’ai tâché d’en
apporter des preuves dans ma differtation fur l ’ori