
témoigne Ton étonnement d’avoir trouvé des villes
grecques dans un pays habité par des Barbares.
Philippe de Macédoine, père d’Alexandre, 3 ço
ans avant J; C . , porta la guerre dans la Scythie
Pontique, pour ramaffer, par le pillage , de quoi
faire liibfifter fes troupes occupées au fiège de
Byzance. Il fuppofa d’avoir , pendant ce fiège,
fait un voeu d’élever une ftatue à Hercule, 6c de
la placer à l’entrée du Danube. Le refus que fit
Mathæus, roi des Scythes, lui fervit de prétexte
pour fe venger de ce prince , qui ii’ayoit pas
voulu contribuer aux frais du fiège. Philippe retira
en éffet toutes les troupes qu’il avoir devant cette
v ille, 8c porta la guerre en Scythie, d’où il
amena vingt mille femmes, autant d’enfans, &
quantité de beftiaux ; mais à fon'-retour lesTri-
bàlles lui coupèrent le chemin ; il fut même bleffé
dans le combat, 8c. toute cette capture fut perdue.
Le premier foin d’Alexandre, après la mort de
Philippè , fut de' fubjuguer les nations voifines du
Danube auxquelles fon père avoit fait la guerre ,
& qui penfoient à profiter de la jeuneffe du fils
pour fecouer le joug. Ce prince vainquit les
Triballes , paffa le Danube , mit en fuite les Gètes ,
& les fit repentir d’avoir fièrement répondu à fes
ambaffadeurs qu’ils ne craignoient dans ce monde
que la chûte du ciel.
Première invafion des Barbares occidentaux.
La première invafion des peuples occidentaux
dont. î’hiftoire ait confervé le foiivenir, eft celle
des Gaulois, qui,' après avoir faccagé 8c brûlé
Rome, furent chafles par Camille, vinrent d’occident
en orient fous la conduite de Brennus, 370
ans avant J. C . , & biffèrent, à ce qu’on affure,
aux environs des monts Carpates une colonie qui
donna origine aux Baftarnes, peuples qui occupoient
la Siléfie 8c la Pologne méridionale.
Ceux de cès Gaulois qui continuèrent leur route,
après avoir ravagé la Macédoine 8c la Grèce ,
paffèreat dans l’Afie mineure, où ils occupèrent
le pays connu fous le nom de Galatie ou Gallo-
Grèce, &'furent eux-mêmes appelés Galates. Cette
province, qui étoit divifée en Galatie propre ,
Paphlagonie 8c Ifaurie , confinoit au nord avec le
Pont - Euxin, à l’orient avec la Cappadoce , à
l’occident avec la grande Phrygie, la Bythinie &
le Pont, & au midi avec la Pamphylie.
Les Gaulois qui s’arrêtèrent , comme j’ai déjà
dit, vers les monts Carpates, prirent part clans la
fuite aux affaires des fucceffeurs d’Alexandre. Philippe
, le pénultième de ces rois, avoit conçu, le
deffein d’attirer les Baftarnes dans la Thrace,
pour l’aider à détruire les Dardaniens qui rava-
geoient la Macédoine ; & il efpéroit, après les
avoir établis dans ce pays, pouvoir les engager à y
iaiffer leurs femmes & leurs enfans, & à paffer
avec lui en Italie pour envahir & piller les terres
des Romains. Les Baftarnes s’étoient défi mis lA
chemin quand ce prince mourut : ils continuèrent
pendant leur route malgré cet événement, & firent
la guerre aux Dardaniens ; mais Perfée, fuccef-
feur de Philippe, ayant défavoué auprès des
Romains l’entreprife de ces Barbares, ceux-ci
furent obligés de retourner dans leurs pays. Ils
voulurent traverfer le Danube fur la glace, qui
n’étoit pas encore affez ferme , elle rompit en
effet, & le plus grand nombre fut englouti.
O11 peut obferver ici que les incurfions des
peuples barbares, fi fréquentes dans la fuite, doivent
être regardées moins comme un effet du hafard
ou du caractère inquiet de ces peuples, que de la
politique des divers princes , qui atriroient cés
barbares dans leur parti, pour s’en fervir à faire
des diverfions néceffaires à leurs intérêts. Perfée
lui-même, ayant rompu avec les Romains, appela
les Baftarnes à fon fecours ; mais if eut lieu de
fè repentir de les en avoir dégoûtés par une avarice
mal entendue : car ils reprirent le chemin du Danube
, & en fe retirant chez eux , ravagèrent toutes
les provinces voifines de ce fleuve.
Ces Baftarnes doivent être regardés comme les
auteurs des Ruffes 8c des Sclavons, qui ont enfuite
porté leur langue au midi du Danube par des
tranfmigrations dont je parlerai dans la fuite.
Des Barbares Occidentaux depuis la deflru&ion de
l'empire de Macédoine jufquà Dioclétien.
La Moefie ayant été réduite en province romaine
après la deftruélion de l’empire de Macédoine,
l’attention des premiers empereurs Romains fut de
contenir dans l’obéiffance les peuples qu’ils avoient
fournis au midi du Danube , 8c d’étendre leurs
conquêtes au-delà de ce fleuve.
Ovide envoyé en exil à Tomi 9 métropole de
la Scythie Pontique, nous décrit dans fes Triftes
& dans fes épîtres écrites du Pont - Euxin', la
fituation de ces peuples , qui ne tenoient plus que
bien foiblement à l’empire Romain, & avoient
bien de la peine à demeurer tranquilles. Il les
repréfente couverts de peaux de bêtes, &. les
caraétérife par les culottés à-la perfane qu’ils por-;
toient. Il le plaint d’être parmi des nations barbares
dont il n’entend pas le langage, & qui
n’entendent point le fien. Il convient qu’il y a
encore quelques reftcs de colonies grecques ; mais
il ajoute que les Gètes, qu’il confond avec les
Scythes, font le peuple dominant, dont les Grecs
même , tranfplantés dans ces contrées, ont adopté
la langue & les moeurs. Il dépeint Tomi comme
une ville fortifiée de murailles, dans l’enceinte
defquelles il étoit obligé de fe" tenir renfermé pour
éviter les infultes des barbares, qui. profitoient de
la glace du Danube pour faire du ravage en-deçà
de ce fleuve.
Il y avoit, fous le règne de Tibère, plufieurs
légions romaines deftinées à contenir ces peuples
dans le devoir. On en compte deux dans la Pannonie.
, qui eft la Hongrie & l’Autriche ; deux
flans les deux’ Moefiés , qui font la Servie & la
Bulgarie; & deux dans Lilly rie, appelée aujourd’hui
la Sclavonie.
Domitien fit la guerre aux Cattes, aux Sar-
mafes & aux Daces, 8c triompha de ces peuples.
Decebale, roi des Daces, s’étant révolté fous
le règne de l’empereur Trajan, ce prince, l’an
106 ae Jefus-Chrift, porta-la guerre en Dacie ,
défit deux fois ces peuples , 8c forma de, leur pays
une province romaine, qui fut long-temps appelée
Provjncia Trajani. On voit encore à deux heures
de chemin de la ville de Galats dans la Moldavie,
des lignes de circonvallation du camp de Trajan ;
& leur circuit s’appelle encore la Trajane. J’y
paffai en 1758 ; les payfans du pays qui rn’en
parlèrent les premiers, nommoient improprement
cet endroit la Troïana ; mais des perfonnes de
marque à Galats m’affurèrent effe&ivétnent que
c’étoit le lieu où Trajan avoit fait fon premier
campement, lorfqu’il paffa le Danube pour châtier
les Daces. Cet empereur établit dans cette province
plufieurs colonies, dont la principale fut
Ulpia Trajana, appelée autrefois Sarmiçgctkufi ,
comme on le voit dans une infcription relative à
Antonin, 8c rapportée par Gruterus', p. 2/7. in fer. 1.
IMP. CAES. ANTONINO
PIO AUG. COLONIA
SARMI.
Et dans une autre de l’empereur Nerva:
FELICIBUS AUSPITIIS
CAESARIS DIVI NERVAE
TRAIANI AGUSTI
CON DITA COLONIA DÀCIA
SARMIZ. PER M.
SCAURIANUM EJUS PROPR.
Une troifième infcription du même recueil lui
donne auffi le nom de Dacica.
COLON. ULPIA TRAJAN
AUG. DACICA. SARMIZGETHUSA.
On croit que c’eft aujourd’hui la ville de Gra-
diska, dans la Walaquie.
Trajan , pour faciliter la communication de cette
province avec la Moefie, fit conftruire fur le Danube
un pont, que fon fucceffeur Adrien fit abattre,
prétendant qu’il ne fervoit.qu’à faciliter les incurfions
des Barbares. Les légions romaines entretenues
dans ces pays, 8c lès colonies que Trajan
y avoit fondées, -ont probablement introduit aux
environs du Danube la langue latine, dont la
Valaque & la Moldave font des idiomes, comme
je l’ai déjà remarqué. L’auteur de Thiftoire de
Moldavie prétend que ces deux derniers peuples
fe font formés des débris de ces légions 8c de
ces colonies romaines ; il obferve que le mot
J V alaqne fignifie italien, foit que Bacikoc foit le
terme corrompu Itclkikoï , ou que ce nom tiré
fon étymologie d’un Flaccus que l’on fuppofe
avoir,été commandant des légions romaines, établies
dans cette province , & qui y font demeurées.
Je traiterai ce point avec plus d’étendue lorfque
je parlerai des Walaques.
Sous l’empereur Marc-Aurèle les Vandales 8c
les Marcomans, peuples de la Germanie, qui de-
meuroient entre le Rhin, le Danube 8c le Neker,
fe joignirent aux Quades, qui habitoient entre
la Bohême, le Danube & la rivière de Mark ;
s’avancèrent dans la Pannonie ; pa fièrent le Danube
, 8c ravagèrent les terres de l’empire. Marc-
Aurèle les repouffa vivement, 8c en les pourfui-
vant s’avança jufqu’en Bohême. Ce fut dans cette
expédition, l’aii 17 4 , que l’armée de ce prince
étant fur le point de périr de foif, fut fauvée,
à ce que l’on dit, par les eaux du c ie l, que les
prières des foldats chrétiens de la légion Mélitine
firent miraculeufemert defeendre fur la terre. Cet
empereur foutint une fécondé guerre contre ces
peuples , & mourut à Sinnium• ou Sirmich, dans la
Pannonie.
Cette incurfon des Quades & des Marcomans
dans la Pannonie , ne fut 'que paffagère , puif-
qu’ils fe virent ' d’abord forcés de rétrograder &
de retourner dans leur pays. Pertinax, depuis
empereur , que Marc-Aurèle employa dans cette
guerre, étoit alors gouverneur des deux Mpefies
& de la Dacie.
Commode & Maximin furent également obligés
de porter la guerre en. Hongrie, pour remettre ■
fous le joug les peuples qui. s’étoient révoltés. Le
deffein de Maximin étoit cle /oumettre toute la
S a rm a tie& de, porter les armes, romaines juf-
qu’à la mer Glaciale. Sur le point d’exécuter ce
vafte projet, il fut maffacré avec fon fils par les
foldats, autorifés par un décret du fénat, qui
lavoit déclaré ennemi de la patrie, - à caufe de fes
cruautés. Ce prince étoit barbare, ‘né en Thrace,
d’un père goth 6c d’une mère de la nation des
Alains.
Ces premières incurfions des peuples Germains,
qui, fous les noms dé Quades 6c de Marcomans ,
vinrent dans la Pannonie 6c les autres provinces
voifines du Danube, y. ont peut-être porté la
langue theutone ou tudefque qui y fubfifte encore
en quelques endroits. Ces peuples occidentaux
firent dans la ' fuite d’autre? courfes. Les Marcomans
furent enfin vaincus par Dioclétien l’an 299,
6c les Quades fe mêlèrent aux peuples barbares
qui inondèrent l’empire Romain dans le quatrième
fiècle 6c les fièçles fuivans.
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