
envoyer nfi arc à Cambyfe. Je fais mention,
dit M. Bruce, de la quantité d’or qu’ils avoient
alors de la chafl'e qu'ils faifoient aux éléphans,
de leur manière de vivre de chair crue, 8c fur-
tout de la circonftance de l’arc , parce que ce
font des chofes que je puis certifier avoir vues
moi-même encore en ufage chez eux, Certes, en
voyageant c’eft un grand plaiiir que de pouvoir
être à portée de prouver des vérités que,
par un manque de connoiflanCe du pays, on a
traitées de menfonge , 8c dont on s’eft fervi pour
décréditer les hiftoriens.
Les Perlés étoient tous de fameux archers
suffi l’humiliation qu’ils éprouvèrent en ne pouvant
pas bander l’arc qu’on leur avoit envoyé ,
leur fut très - fenfible. Mais le récit de l’immenfe
quantité *d’or que les ambafladeurs avoient v u ,
fit encore une plus grande impreffion fur l’efprit
de Cambyfe. Toutefois il étoit hors d’état de fe
procurer ces tichefles , parce qu’il n’avoit point
de provifions & qu’il lui étoit impoffible de s’en
procurer dans le pays où il vouloit marcher.
Son armée diminuoit chaque jour ; la mort lui
enlevoit beaucoup de foldats ; d'autres le difper-
foient : il fut contraint de fe retirer en Egypte,
après avoir vu une partie de ceux qui l’avoient
accompagné, réduits à l’extrême néceffité de fe
manger les uns les autres, félon l’expréffion de
Lucain ( L. 2t, v.- 280 ).
Un autre roi de Perfe, Darius', efiaya d’une
manière généreufe 8c vraiment digne d’un monarque
, de faire fleurir le commerce. Il fit partir
des vaifîeaiix, qui pafîerent de XIndus dans l’Océan,
& qui de-là pénétrèrent dans la mer Rouge. Vrai-
femblablement ce voyage lui procura les coii-
noifiances néceflaires pour bien établir ce commerce
dans fes états ; car fes vaifleaux durent
traverfer le golfe Perfique, 8c fuivre la route tout
le long delà côte orientale de l’Arabie. Ils durent
voir les comptoirs où fe vendoient les parfums
ce les épiceries à l’entrée de la mer Rouge , &
apprendre la manière de traiter pour de l’or &
de l’argent, comme il étoit néceflaire qu’on traitât
dans ces lieux de commerce , lefquêls étoient
préciférnent fiuiés fur la même côté d’où l’or &
l’argent étoient tirés.
Je ne fais pourquoi M. de MontefqiUeu ( Ëfp.
des loix, L. i , c. 8 ) a parlé avec tant de mépris
de cette expédition de Darius. Il paroît : pourtant
qu’elle fut exécutée fans beaucoup d’embarras &
de dépenfes , & fans qu’on y perdît des hommes,
ou qu’ils euflbnr à fouffrir. Ce qui , félon M. Bruce,
eft une preuve certaine que le plan , dés l’origine ,
avoit été fagement combiné. Darius étoit fameux
par fon amour pour les fciences , ce que, nous
pouvons voir par l’envie qu’il eut d’être admis
parmi les mages, & par le cas qu’il faifoit d’un
tel honneur, puifqu’il voulut qu’on le gravât fur
ù. tombe.
L’expédition d’Alexandre, dans llnde , fut de
fous les événemens , celui qui menaça fe plus f<y
commerce du continent d’être totalement détruit,
ou du moins d’être difperfé dans divers canaux.
D’abord le renverfement de T y r y fut très—\
nuifible , parce qu’il anéantit pendant quelque
temps la navigation du golfe d’Arabie. Enfuite le
commerce eut auffi à fouffrir de la marche d’A lexandre
à traveVs l’Egypte, lorfque ce prince entra
fur les terres des pafteurs, & qu’il forma le projet de
pénétrer par l’Ethiopie , jufqu’aux fourees du NiJ.
Si nous jugeons de lui par ce que nous favons de
cette expédition , nous ne ferons pas trop dif-
pofés à croire , avec quelques auteurs , que ce
prince mêlât de grands projets de commerce à fes-
projets de conquête. L’inquiétude qu’il témoigna
fur fa naiflance dans le temple de Jupiter Am-
mon , & la première quefiiori qu’il fit au grand-
prêtre : « Où le Nil prend-il fa lource » , decèlent
un efprit occupé de toute autre chofe que de commerce.
Il fe trouvoit préciférnent dans le lieu les
plus propre à acquérir des lumières fur les rapports
de nations commerçantes il fe trouvoifi
dans le fan&uaire du dieu,connu , dit dieu qu’a-
doroient ces p afteur sles voituriers africains des
productions de l’Inde il étoit enfin dans urï
temple qui, quoique fitué au milieu des fables de'
la Libye ,- 8c ne pofîedanf ni or , ni argent,
pouvoit fournir plus de renfeignemens fur le commerce
de l’Inde & de l’ Afrique, que l’on n’en au-
roit raflemblé dans aucun autre lieu du monde.
Cependant on ne voit nulle part qu’Alexandre ait
fait alors aucune queftion , ni qu’il ait pris le
moindre arrangement relativement aû commerce
de l’Inde avec Thèbes ou avec Alexandrie qu’il
bâtit enfuite.
Après avoir examiné le grand Océan au fud y
Alexandre donna ordre à Néarque de ranger la
terre, avec fa flotte en remontant le golfe Perfique,
tandis qu’une partie le fuivoit par ferre, &
qu’ils pourraient fe prêter mutuellement des fe—
cours ^ parce qu’il y avoit beaucoup de difficul*-
tés à vaincre pour ceux qui dévoient faire la route
par terre , & que de bien plus grands dangers
attendoient les navigateurs qui s’expofoient dans
des mers inconnues à aller contre les mouflons. Néarque
lui-même s’étant rendu à Babylone , appris
au roi de Macédoine le fuccès de fon voyage ,
& ce prince lui ayant dit de pourfuivre fa route
fur la mer Rouge , Néarque fe rendit heureufemenC
jufqu’à l’extrémité de cette mer.-
L’hiftoire nous apprend que l’intention d’A lexandre
étoit de faire le commerce de l’Inde
part le golfe Perfique ; & e’eft par cette raifon
qu’il brifa toutes les catara&es 8c les chofes que les
Perfes avoient conftmites fur les rivières qui corn- *
muniquoient avec l’Euphrate. Cependant il paroît
qu’il ne fit aucun ufage de la connoiflance qu’il
avoit de l’Arabie & de l’Ethiopie ; ce qui me fait
croire que l’expédition de fa flotte n’étoit pas une
idée de conquérant, Il eft rapporté , que lorfque
Alexandre alla dans l’Inde, l’Océan Indien étoit
parfaitement inconnu aux Grecs. Malgré cela,-je
fris porté à croire , dit M. B ruceque ce voyage
fut fait d’après quelques mémoires qui étoient reftés
,tles voyages de Darius. Ce voyage de Darius eft
parvenu jufqu’à nous avec fes circonftances , g 8c
fi efï très-probable qu’il n’étoit pas ignoré d’A -
Jexandre. Mais je ne crois pas que jamais ce conquérant
ait eu le deflein de porter le commerce
de l’Inde à Babylone.
Certes , quand il auroît' eu , au contraire, le
deflein formel de l’empêcher, il nauroit pas pu
frire des chofes qui y euffent plus contribué que
je renverfement de T y r , la difperfion des habi-
Æans de cette ville commerçante , la perfécution
des Otites, qui charioient les marchandifes à travers
le grand défert de l’Ariana, enfin la fondation
d’Alexandrie fur la Méditerranée.
Èn bâtiflant la ville d’Alexandrie, il appela le
-commerce de l’Inde , & il y eût été fixé éternellement
fi le paflage par le cap de Bonne-Efpérance
j i ’eût pas été découvert.
Les Ptolemées , les princes les plus fages qui
raient été affis fur le trône d’Egypte, s’appliquèrent
avec la plus grande attention à cultiver le
«commerce de l’Inde , à fe maintenir en paix &
en bonne intelligence avec toutes les contrées qui
pouvoient entretenir quelque branche de ce commerce
; & au lieu de chercher à le troubler en
A f ie , en Arabie ou en Ethiopie, comme avoient
-fait leurs prédécefleurs, ils n’épargnèrent aucun
foin pour l’encourager dé tous les côtés.
Ptolemée I régnoit alors à Alexandrie, dont il
prépara la grandeur , mais qu’il eut le bonheur
de voir arriver au plus haut point de fa gloire. Ce
prince difoit fouvent que la vraie puifl'ance du roi
ne confiée point à acquérir lui-même des richefles,
,mais à enrichir fes fiijets. Il avoit donc ouvert
les ports de l’Egypte à toutes les nations commerçantes,
il encouragea tous les étrangers , protégea
les caravanes 8c la navigation de la mer
Rouge , & il rendit , en peu d’années, Alexandrie
l’entrepôt général des marchandifes de l’Inde,
de l’Arabie & de l’Ethiopie. Il fit plus encore :
pour aflùrer la durée de fon empire , dans le
temps même qu'il paroifloit n’avoir d’autre intérêt
que le bonheur de fon peuple, il éleva avec le
plus grand foin fon fils Ptolemée Philadelphe : 8c
l’heureux génie de ce prince répondit à tout ce
qu’un tel père avoit droit d’en attendre. Auffi ,
dès que le père vit fon fils en âge de gouverner
, fatigué lui-même par les longues guerres qu’il
avoit eu à foutenir, il lui remit fa couronne.
Ptolemée Philadelphe avoit été nourri dès l’enfance
au métier de la guerre. Auffi entretint-il fans ceflë
des forces militaires qui le firent refpeâer de toutes
les nations, dans ces temps de troubles &
de ravages. Il avoit toujours prête à marcher une
flotte de deux cens vaifleaux qu’il tenoit dans le
port d’Alexandrie , la feule partie de fes états
pour laquelle il put craindre quelque irifulte. Tout
ce qui bordoit Ja dernière de fon royaume étoit
fagement gouverné, 8c faifoit un commerce flo—
riflant , à la pr.ofpérité duquel la paix étoit néceflaire.
Enfin ce grand prince mourut dans le
fein du repos , après avoir mérité le glorieux
titre de Soter, ou fauveur du royaume , que lui
feul fonda , & dont la plus grande partie du
peuple différoit de lui, par le langage , les moeurs
& la religion.
- On efl vraiment étonné quand on confidèré jufe
qu’à quel point de pèrfeétion Ptolemée avoit porté
le commerce de l’Inde, de l’Ethiopie & de l’A -
rabië, & quels progrès il avoit déjà faits pour le
réunir à celui de l’Europe. La preuve en eft dans
Athénée ( L. v ) , qui en fait mention à Poçcàfion
d’une fête que Ptolemée Philadelphe donna au
peuple d’Alexandrie , à fon avènement au trôné
que fon père venoit de lui céder.
On fit une efpèce de proceffion , ou de marche
pompeufe , dans laquelle , indépendamment des
femmes des autres pays , il y avoit un grand
nombre d’Indiennes ; & par Indiennes, nous de-,
vons entendre non-feulement les Indiennes d’Afie»
mais encore- les Abyffinienhes & les habitans des
hautes parties de l’Aftiquè, parce que toutes ces
contrées font comprifes fous la dénomination générale
de l’Inde. Ces Indiennes étoient en ha bit
d’efclaves, & chacune d’elles conduifoit un chameau
chargé d’encens , de sheher , de canelle , 8c
d’autres aromates. Après elles, venoient plufieurs
noirs Ethiopiens , portant les dents de fix cens
éléphans. Une autre troupe avoit une grande quantité
d’ébène ; une quatrième étoit chargée de cet
or très-pur qui n’eft point fouillé dans les mines j
mais qui, dans la faifon des pluies du'tropique ,
eft entraîné par les eaux qui tombent des montagnes
, & fe trouve en petits-grains ou boulettes ,
que les gens du pays & les comïnerçans appellent
de nos jours tibbar. .
A la fuite, on menoit 24,000 chiens de l’Inde
afiatique, c’eft-à-dire , de la péninfule de l’Inde.
Ces chiens étoient fuivis par un nombre prodigieux
d’animaux étrangers "& d’oifeaux , tels que des
perroquets, & d’oifeaux d’Ethiopie , qu’orr portoit
dans des cages. Derrière eux marckoient 130
moutons d’Ethiopie , 300 de l’Arabie, & 20 de
Pile de Nubie, c’eft-à-dire , ce me femble de Pilé
de Méroé ; 26 bufles de l’Inde , auffi blancs que
là neige, & 8 d’Ethiopie, 3 ours bruns 8c 1 blanc a
lequel fans doute venoit du nord de l’Europe ou
de P Afie; 14 léopards, 16 panthères, 4 lynx ,
une giraffe 8c 1 rhinocéros d’Ethiopie. Quand
nous' voyons ce prodigieux mélange d’animaux
réunis ainfi, nous devons imaginer quelle quantité
d’objets ordinaires de négoce il devoit y avoir
dans Alexandrie.
Le flux du commerce fe porta vers cette ville
avec la plus grande impétuofité ; on y trouvoit
eh abondance tout ce qui feryoit au luxe de i’Q«
F f f a