
rient. L’or 8c l’argent qu’on envoyoit anciennement
à T yr, prirent la route plus courte de Pifthme,
quand T y r n’exifta plus ; delà on les portoit à
Memphis , & on les embarquoit fur le Nil pour
Alexandrie. L’or qui fortoit de l’occident & du
midi de Ce continent, étoit rendu dans le même port
en moins de temps encore & avec moins derif-
que, parce qu’il n’avoit pas befoin de traverfer
la mer Rouge, & qu’on trouvoit avec profuûon
dans Alexandrie, toutes les marchandifes de l’Arabie
& de l’Inde.
Pour faliciter la communication de l’Egypte
avec l’Arabie, PtoJemée bâtit dans la contrée des
payeurs, fur la côte de la mer Rouge, une ville
à laquelle il donna le nom de là mère Bérénice. Ce
lieu fut deftiné à fervir de relâche aux commerçans
qui remontoient ou defcendoient le golfe , & qui
ve.noient de l’Inde ou de l’Ethiopie ; de-là les car-
gaifons de ceux qui craignoient de perdre le temps
des mouflons, ou quil’avoient déjà perdu, étoient
portées en trois jours fur le Nil par les habitans
de la campagne voifrne , & enfuite le Nil les conduisit
à Alexandrie.
Ptolemée voulut encore rendre la communication
entre le Nil & la mer Rouge plus facile, & il
tenta ce qui avoit été effayé deux fois avec de
grandes pertes. Il eflàya de joindre par un canal
de cent pieds de large, la mer Rouge & le N il,
& il eut le bonheur d’y réuflir , en le faifant conduire
de la mer Rouge dans la branche orientale
du Nil appelée Pthifiaquc. On dit de plus
que Ptolemée fit conftruire ( Strabon , L. v u , p.
932 ) ? en ouvrant ce canal, différentes éclufes ;
mais elles dévoient aflùrément être três-pea né-
ceflàires ; car, aflure M. Bruce , entre le Nil &
la mer Rouge, la différence du niveau n’eft pref-
que rien.
Ce grand ouvrage ne fut pourtant pas auffi utile
dans le commencement que Ptolemée l’avoit ef-
péré. Les marchands, .fatigués de la longueur du
temps qu’il fàlloit employer pour fe rendre à
l’extrémité du golfe , & plus fatigués encore de
la navigation intérieure du canal , & enfuite de
celle du Nil , préféroient la manière plus prompte
& plus commode de charger par terre leurs marchandifes
à Bérénice , & , après trois jours de
chemin , de leur faire descendre'lë Nil jufqu’à
Alexandrie. Le canal fut donc abandonné. Les
marchandifes continuèrent à être tranfportées par
terre de Bérénice au bord du Nil : & cet ufage
dure encore à préfent.
Il femble que Ptolemée vouloit forcer les vaifleaux
de l’Inde & de la mer Rouge à faire le commerce de
la péninfule , & que la manière d’aller traiter dans
rinde direéfement avec des vaifleaux Egyptiens ,
reftoit ignorée ou du moins oubliée. Auffi le roi
d’Egypte envoya-t-il deux ambaflàdeurs, Mégaf-
thenes & Denys , pour connoître par leur rapport
quel étoit l’état de l’Inde depuis la mort d’A -
lexasdre, Ces ambaflàdeurs firent leur voyage
avec promptitude & fans dangers ; & , fi ce qu’i l
racontèrent de l'Inde étoit exactement vrai, il de
voit, à tous égards, animer les Egyptiens à fuivre
le commerce de ces contrées. Pendant ce temps,
Ptolemée voulant procurer plus de facilité aux
vaifleaux qui fàifoient la navigation de la mer
Rouge, rêfolut de pénétrer dans la partie de l’Ethiopie
qui s’étend le long des côtes de cette
mer. Il avoit même l’intention, à ce que difent
les hiftoriens, de dépouiller les Ethiopiens de ce
commerce.
Cependant on ne peut guère fùppofer que Ptolemée
fut affez mal inftruit de ce que produifcit
un pays fi près de l’Egypte, pour ne pas fa voir
qu’il n’y avoit ni or ni argent, & que de vaftes
forêts le couvroient dans toute fon étendue ; car
ce pays n’étoit que la partie de l’Ethiopie appelée
alors Barbaria , aujourd’hui Barabra & habitée
par des pafteurs errans , avec leur bétail, des
plaines dans les montagnes, félon que les pluies
l’exigent. Une conjecturé plus probable , c'eft que
le roi d’Egypte defiroit de changer lès moeurs de
ces peuples', afin qu’ils pufl'ent lui devenir utiles-
pour un objet de la plus grande importance.
Ptolemée eut foin d’entretenir , ainfi que L’a fait
fon père , une flotte nombreufe 8c une piuflàiate
armée ; mais il ne poflédoit pas, comme plufieurs
des princes les rivaux, beaucoup d’éiéphans, dont
on faifoit alors ufage à la guerre. Les Ethiopiens
qui en avoient un grand nombre dans leur pays ,
fàifoient la chaffe à ces animaux & fe nourrif-
foient de leur chair. Probablement Ptolemée defiroit
avoir les éléphans en v ie , parce qu’il fe pro-
pol’oit de réfer ver pour lui ceux qui lui feroient
néceffaires, & d’employer les autres comme un
objet de commerce, dont il pourroit profiter avec
fes voifins.
La manière dont il voulut exécuter fon entre-
prife a quelque chofe de ridicule , & , fans doute ,
a été altérée pour les auteurs mal inflruits.
Craignant de trouver trop de difficulté à fubfifter
dans ce pays , il prit , dit - on , cent cavaliers
Grecs , qu’il fit revêtir d’une forme monftrueufe
& d’une grandeur démefurée , qui ne laifloient
paroître que les yeux de ceux qui les portoient
leurs chevaux étoient également mafqués avec des
harnois énormes qui les cachoient entièrement*.
Ainfi déguifés, ces guerriers entrèrent dans la partie
de l’Ethiopie qu’ils vouloient conquérir , femant,
par leur feul afpecl , ufle terreur que la vigueur
de leur courage augmenta encore toutes
les fois qu’ils en vinrent aux mains. Mais, ni la
force , ni les prières ne purent rien gagner fur
les pafteurs. Ils ne voulurent point abfolument
condefcendre à changer la manière de fe nourrir
, manière à laquelle ils étoient accoutumés de*
puis fi long - temps. Tout le fruit que Ptolemée
put recueillir ce fon expédition, fut de bâtir une
ville fur le rivage de la mer , clans un coin
qui eft au fud-eft du pays ; & il lui donpa le jaojn
de Ptolemée Théron , c’eft-à-dire , Ptolémaïs dans
la contrée des bêtes fauvages.
J’ai déjà dit, & je le répéterai encore, que la
raifon pour laquelle les vaifleaux qui remontent
ou qui defeendent le golfe d’Arabie , rangent toujours
le rivage Ethiopien , & pour laquelle la
plupart des villes font bâties fur le rivage, c’eft
que l’eau y eft beaucoup plus abondante que fur
la côte d’Arabie. Auffi etoit-il très-important pour
le commerce que ce rivage fût connu & civilifé
dans toute fon étendue. Il eft Vraifemblable que
les cent Grecs de Ptolemée ne fe propofoient pas
de faire une conquête, mais feulement d’examiner
le pays , 8c quels étoient les moyens à employer
pour rendre cette côte peuplée de villes.
Ptolemée Evergètes, fils & fucceffeur de Ptolemée
Philadelphe , fe chargea lui-même d’achever
la. découverte. S’étant mis à la tête d’une armée
eu bon ordre & munie de tout ce qui lui
étoit néeefîàire, & ayant ordonné à fa flotte de.
côtoyer le rivage pour remonter la mer Rouge,
il pénétra à travers le pays des pafteurs, jufqu’à
celui des Ethiopiens Troglodites , peuple au teint
noir & aux cheveux laineûx , qui habitent les
contrées adoffées aux montagnes de l’Abyffinie. Il
fit même plus ; il franchit ^:es montagnes, força les
habitans de fe foumettreà lui, bâtit un grand temple
à Axum, capitale du pays appelé Siré, 8c éleva,
un grand nombre d’obélifques, dont plufkurs font
encore dèbout ; enfuite il marcha au fud - eft, &
defeendit dans le pays de la myrrhe & de la
canelle, pays fitué derrière le cap Guardefàn ,
où fe réunifient la mer Rouge & l’Océan Indien.
Là, il traverfa la mer pour fe rendre fur la côte
oppofée : il y trouya les Homérites, nation qui,
vivant fur le rivage de l’Arabie, & féparée des
Abyffiniens par la mer, ne forme pourtant avec
eux qu’un même peuple.
Ptolemée Evergètes dompta quelques princes
Arabes qui voulurent d’abord lui réfïfter ; & il
eût été en fon pouvoir de faire ceffer dans çes
contrées le commerce de l’Inde, s’il n’avoit pas
été auffi grand politique que vaillant guerrier. Mais
il n’ufa de la viâoire que pour engager & forcer
ces princes à protéger le commerce, à encourager
les étrangers , & à défendre de tout leur pouvoir
la fureté des rapports du négoce, en fàifant de
rigoureux exemples des voleurs de terre 8c de
mer.
Cependant, fi les trois premiers Ptolemée furent
fonder le commerce 8c maintenir fa fplendewr, le
règne des derniers princes de leur nom qui les
remplacèrent, fembloit n’être fait que pour accélérer
fon déclin. Mais fur le penchant de fa ruine ,
le commerce d’Alexandrie fut foutenu par deux
événemens célèbres dans l’hiftoire, la deftrmftion
de Carthage par Scipion , 8c celle de Corinthe
par le conful Mummius.
Ces deux événemens fauvèrent l’Egypte, &
maintinrent fa profpérité, malgré les ravages qu’elle
a foufferts dans le temps de la guerre entre Ptolemée
VI & Ptolemée VII. Alexandrie fut alors
affiégée ; & non-feulement on lui enleva fes ri- •
chefles, mais on la réduifit aux dernières extrémités
; & fi les vexations horribles de Ptolemée VII
avoient duré plus long-temps, cette ville feroit
reftée abfolument déferte. Cependant les effets de
Pinjuftice de Ptolemée firent une forte impreflion
fur ce prince lui-même. Il révoqua bientôt les édits
cruels par lefquels il avoit banni d’Alexandrie tous
les marchands étrangers. 11 s’appliqua dès-lors à
foutenir le commerce & à faire fleurir les fciences
& les arts.
Toutefois la rigueur impolitique qu’il avoit déployée
au commencement de fon règne, avoit
affedé le commerce jufqties dans l’Inde même;
c’eft du moins ce que femble prouver l’anecdote
que >ous a confervée Poflidônius , & que Strabon
critique affez inutilement. Un jour, les troupes
poftées fur le bord du golfe Arabique, trouvèrent
un vaiffeau abandonné à la merci des flots, 8c
dans lequel il n’y avoit qu’un feul Indien, prefque
mort de faim & de foie : on le mena au roi. Cet
Indien raconta, qu’ayant fait voile d’un port de
l’Inde,, il s’étoit égaré dans fa route, & qu’après,
avoir confommé toutes fes provifions & avoir vu
•périr tous fes compagnons de voyage, il avoit été.
conduit par les vents dans le lieu où l’on venoit
de le trouver, fans qu’on fût où il étoit. Il finit
fon difeours en offrant au roi de fervir de guide
à ceux que ce prince voudrôit envoyer dans l’Inde.
Cette propofition fut acceptée, & le r-oi nomma
Eudoxe pour accompagner l’Indien. Strabon fe moque
de c^tte hiftoire. Cependant nous pouvons
dire qu’il n’a pas faifi ce qu’elle a de plus ridicule.
On dit que le rof ordonna que l’on apprit la
langue grecque à l’Indien, & qu’il attendit avec
patience qu’il la sût parler. Sûrement il failoit que
le maître chargé d’inftruire cet Indien eût quelque
langage commun arec fon écolier, & il valoir
mieux que l’on apprît à Eudoxe la langue indienne ,
parce que cela auroit été auffi aifé & plus utile
dans le voyage qu’il devoir entreprendre : en outre,
eft-il poffible de croire que depuis le temps que
les Egyptiens trafiquoient dans l’Inde, il n’y avoit
pas un feul homme dans Alexandrie qui pût fervir
d’interprète au roi-, tandis qu’un grand nombre
d’Egyptiens alloient tous les ans faire le commerce
dans l’Inde, & y féjournoiem plufieurs mois à
chaque \ oyage ? Ptolemée Philadelphe avoit pu
trouver dans Alexandrie fix cens femmes indiennes
à la fois, lorfqu’il donna une fête à fon père; &
dans le moment où le commerce duroit depuis
bien plus long- temps, le nombre des Indiens avoit-il
pu décroître dans lé capitale de l’Egypte ? ou bien
leur largue y étoit-elle moins entendue ? Ajoutons
encore que la fageffe du roi ne brilla dans la confiance
qu’il marqua en cet Indien , auquel il confie
un vaiflèau 8c quelques-uns de fes fujets, qqpi