il étoit alors occupé, pour venir foumettre les Barbares.
Leur roi déclara qu’il fe contenteroit que
l’on permît à fes fujets de demeurer dans la Thrace
avec leurs troupeaux; mais Valens ne voulut pas
écouter leurs proposions, & ne différa pas de
leur livrer bataille, pour ne pas partager l’honneur'
de la vi&oire avec fou neveu' Gratien,. devenu
empereur d’Occident depuis la mort de Valentinien.
La bataille fut donnée auprès d’Andrisople , le p
d’août 378 ; les Romains y furent battus, & il fe
fauva à peine un tiers de leur armée. Valens
bleffé s’étant réfugié dans ‘ une maifon de payfan
pour faire mettre un appareil fur fa plaie, y fut
confumé par les flammes. Les ravages des Goths
après cette vi&oire s’étendirent jusqu’aux Alpes.
On vient de voir que les Goths n’avoient paffé
le Danube & violé la paix conclue avec Valens
que parce qu’ils fe voyOient chaffés par les Huns,
dès pays au-delà de ce fleuve. Les Huns n’avoient
pas encore été connus fous ce nom. Les Alains
avoient commencé à faire des courfes, unis avec
les Goths , qu’ils fuivirent dans le nord, & avec
lefquels ils defcendirent du feptentrion au midi.
Les Scythes, que j’ai dit être auteurs des Bulgares,
étoient fitués au-deffus des Alains & vOifins du
Volga. Les Huns étoient encore plus feptentrionaux
que ceux-ci, & dévoient habiter au-deffus de
cette partie de la Sarmatie européenne qui eft
arrofée par le Tanaïs, & dans le coude que ce
fleuve forme au - deffus de la mer Cafpienne.
Il ne faut pas les confondre avec les Hongrois,
qui, dans le neuvième fiècle, fortirent du Tur-
queftan , & vinrent dans la Dacie & la Pannonie
fous le nom de Turcs. Claudien parle des Huns
en ces termes:
Ejl gémis, extremos Scyth'm vergentis in ortus,
Trans geltdum Tana'im, quo non famofius ullum
ArÜos, d i t ; turpts habitus obfcenaquc vifu.^
Corpora , mens dura numquam cejfùrn labori ;
Praida cibus , vitanda ceres, frontemque fecari
Ludus, & occifos pulchrum juvare parentes.
Nec plus nubigenas duplex natura biformes.
Cognatis dptavit equis, acerrima nullo
Qrdine mobilitas, infperatique recurfus.
Claué. in Ruf. v. 323, Lib. 1.
Ammien Marcellin dit que les Huns, peuples
peu connus des anciens, habitoient entre le Palus
Moeotide & l’océan Glacial ; il paroît défigner par-là
les anciens Mofcovites : Hunnorum gens vtterum
pionumentis leviier nota ultra- Paludes Moeoticas,
Glacialem cceanum accolens ; omnem modum feritatis
excedit. Il les repréfente aufli toujours à cheval :
Curabant Hunni omnia negotia equis' ir.fidentes, &
vix fiare firmiter folo potcrant. Les portraits que
le poète & l’hiftorien nous donnent de ces peuples,
reffemblent infiniment à nos Tartares d aujourd hui ,
& fur - tout aux Nogaïs, qui font extrêmement
laids & mal-propres, agiles, infatigables, toujours
à cheval, ne fachant prefque pas faire ufage de-
leurs jambes , & pofleaant parfaitement l’art de fe
rallier après avoir été défaits & mis en fuite dans
le 'combat. Quoique l’on obferve entre ces deux
nations une parfaite reflemblance de moeurs, &
qu’elles puiffent avoir une origine commune dans
les temps les plus reculés, il faut les regarder
cependant comme deux peuples très-diftinéls, puif-
que leurs langues n’ont pas la moindre affinité.
Les Huns étoient des Scythes Sclavons ou Sar-
mates, & les Nogaïs font des Scythes Tartares
& Circaffiens. De plus, M. de Guignes a démontré
que les Huns venoient des parties voifines de la
Chine à l’oueft, d’où les Chinois les chaflerent.
E c la irc ijfem en s f u r les S cy th e s N om a d e s . M ig ra tion
des G o th s vers Voccident.
Après la mort de Valens, Gratien fut feul
empereur, mais il s’affocia bientôt Théodofe, duc
de Mcefie. Jufques-là il n’y avoit eu qu’un évêque
pour les Goths , & un autre pour les Scythes.
Sous Théodofe, la ville de T om i fut déclarée métropole
de la Scythie, & l’évêque de Cette nation
y établit fon fiège. Il y avoit pourtant encore
auprès du Danube des Scythes payens & errans,
qu’on appeloit N om a d e s ; ils étoient venus des
pays qui font au - delà du Bcryfthène. Pom-
ponius Mêla les place auprès du fleuve H y p a c a ri s ,
& dit que le fleuve P a n tica p es les féparoit de ceux
qu’il défigne par le nom de Georges. Hérodote
rapporte aufli que l’étendue de terre qui efl entre
le Boryfthène & le P a n tica p e s étoit habitée par ies
Scythes Georges, c’eft-à-dire, cultivateurs; & que
depuis- le P a n tica p e s jufqu’au Gerrhus on trouvoit
les Scythes nomades ou bergers, qui ne labotiroient
ni ne femoient, & ne fixoient leur demeure dans
un endroit, qu’autant que les pâturages pouvoient
fuffire à la nourriture de leurs troupeaux. Je ne
crois pas que les hiftoriens & les géographes foient
fondés à afligner une place fixe à ces fortes de
Scythes ; il efl évident que le nom de Nomades
n’a pas été donné fpécialement à une feule tribu ,
mais que c’eft un nom commun à tous les Scythes
errans & pafteurs, dont il y avoit une infinité de
troupes répandues dans diverfes régions. Antio-
chus III, roi de Syrie, ennuyé de la durée de la
guerre contre les rebelles qui s’étoient foulevés
dans les fatrapies fupérieures, réfolut, après plu-
fieurs combats, de rendre fon amitié à leur chef
Euthydème ; il lui envoya Télée pour traiter de
la paix : Euthydème pour engager l’ambafladeur
du roi à accepter les conditions qu’il propofoit,
menaça Télée d’une nombreufe troupe de Scythes
Nomades qui dévoient paroître inceflamment, &
dont la venue feroit également funefte aux deux
partis, parce que ces Scythes introduits dans le
pays, ‘y porteroient leurs moeurs féroces, & cor-
romproient la nation, qui dégénéreroit bientôt par
le mélange & le commerce de ces barbares. Ces
] raifons influèrent beaucoup fur la réfohjtion que
prit
»rit Antiochus d’accepter les conditions de paix. Il
n’efl pas vraifemblable qu’Euthydème eut été chercher
les Scythes au-delà du 1 anaïs ; il falloit qu’ils
fufient plus à fa portée & qu’ils habitaflent dans
l’ifthme entre la mer Cafpienne & le Pont-Euxin,
qui ■ fàifoit partie de la petite Scythie, & ou il
oevoit y avoir des Scythes Nomades, que 1 on
trouvoit par-tour, 8 c dont les courfes & les migrations
continuelles répandent la confufion dans
Feur hifloire &*dans la géographie des pays qu’ils
ont habités.
S. C hryfoftôme ayant appris que les Scythes
Nomades defiroient d’être inftruits dans la religion
chrétienne, leur envoya des hommes apoftoliques
qui y travaillèrent avec beaucoup de fuccès. Il y
avoit de ces Scythes à Conftantinople même.
S. Chryfoftcme leur deftina une églife particulière ,
& leur donna des prêtres, des diacres & des lecteurs
en leur langue. Il alloit quelquefois lui-
même leur parler, 6 l les endoctriner par interprète.
Ces Nomades étoient vraifemblablemcnt venus avec
les autres Scythes qui traveifèrent le Pont-h uxin
fous le règne de Gallien ; & ceux que 1 on voyoit
à Conftantinople, s’y é.oient fans doute établis
îorfqu’ils ravagèrent’ cette ville, alors nommée
Byzance, avant de traverfer le Danube. Tout cela
fait voir qu’il ne faut chercher que chez les Scythes
l’origine des Bulgares.
Les Goths qui étoient au-delà du Danube n’avoient
point encore d’évêques fédentaires. S. Jean
Chryfoftôme, dans fa xliVe lettre à Olympiade,
lui écrit en ces termes : « Olemus, le grand évêque
» que j’ai ordonné il y a quelque temps, & en-
» voyé en Gothie, eft mort après avoir fait de
n grandes chofes, & le roi des Goths prie qu’on
» lui envoie un évêque ». Les Goths dévoient
s’étendre alors jufqu’à l’endroit où efl aujourd’hui
Q k ç a k ow , & même vers la Crimée : car S. Chryfoftôme
ajoute : « faites-leur différer leur voyage ;
» aufli-bien ne leur eft-il pas poflible d’aller main-
» tenant vers le Bofphore».
L’empereur Théodofe eut beaucoup de peine à
réprimer les incurfions des Barbares. Ruffin, tuteur
de fon fils Arcade, engagea les Goths à faire des
courfes dans la Thrace, par une .trahifon contre
laquelle Claudien a fi vivement déclamé dans le
poème qu’il a compofé à ce fujet. L’eunuque Eu-
trope, fans avoir peut-être de meilleures intentions
que H uffin, découvrit la trahifon de ce
dernier, traverfa fes defleins, & le fit maflacrer
aux pieds même d’Arcade ; mais s’etant brouillé
enfuite avec l’impératrice Euxodie, il fut difgracie
lui-même & décapité pour fatisfaire le peuple
irrité de l’infolence de cet eunuque. \ ers l’an 400,
fous le règne d’Honorius, empereur d’Occident,
Stiiicon joua à-peu près le même rôle que Ruffin
venoit de jouer auprès d’Arcade , & eut la même
deftinée.
Les Goths depuis trente ans fe trouvoiert dans
line fltuation violente; les Huns les prefîbient du
Géographie ancienne. Tome 111.
côté du nord ; les Romains rerufoient de les recevoir
au midi-; ils prirent le parti de fe jeter vers
^occident, fous la conduite de leur roi Alaric, &
les Huns, fous celle de Radagufe, les fuivirent
de près. Stilicon les-battit les uns après les autres ,
& fes viéloires font le fujet des éloges que lui
donne Claudien ; mais ce poète, qui étoit créature
de Serène , femme de Stilicon , n’a pas parlé
des foupçons qui furent formés fur la fidélité de
ce général. Cependant quand on vit reparoùr-e le»
Barbares, on l’accufa de les avoir attirés lui-
même pour fufeiter de mauvaifes affaires à Ho-
norius, & placer fon propre fils Eucher fur le
trône. Ils furent décapités l’un & l’autre. Le détail
des expéditions des Barbares dans lTtaiie, les
Gaules & l’Efpagne, eft étranger à mon fujet ,
qui doit fe borner aux révolutions qui ont eu lien
fur les: bords du Danube & du Pont-Euxin.
La mort de l’empereur Honorius donna un
libre cours à l’ambition de Jean , le premier des
fecréraires de l’empire ; il monta fur le trône4’an
424. Aërius, comte de l’empire, un des plus habiles
capitaines de fon fiècle, avoit embralTé fes intérêts ,
& venoit de l’Italie à fon fs cours avec une nombreufe
armée de Huns fous la conduite d’Afpar;
mais Jean fut battu par le parti de Théodofe-la-
Jeune, qui demeura paifible polLfleur de l’empire.
Le règne de Théodofe L-Jeune fin allez tranquille
par la bonne conduite de fa foeur Pulchérieîr
Vers la feizième année du règne de ce prince,
qui revient à l’an 424 , les Gépïdes, défait ,1s fe.
formèrent enfuite les, Lombards & les Avares,
occupoicnt & pofîedoient des ha'ritatious aux environs
de S in g id o n & de Sirm ium ; c’eft en effet
le théâtre des premiers exploits des Av ares dont
on ait entendu parler. Ce n’eft point au refte,
comme -le prétend Conftantin Porphyrogénète ,
fous le règne de Théodofe le-J^-une, mais à la
fin de celui de Juftin , qu’ils commencèrent d’être
connus fous ce nom, & ils ne s’avancèrent vers
les rives du Danube, que fous Juftin fon fuccef-
feur. L’aureur de l’hiftoire Mêlée a rapporté auffi
au règne de Théodofe le-Jeune, l’e xpédition des
Lombards en Italie, unis d'intérêts avec 1 s Avares
qui s’étoient joints à eux; mais Dodwel a prouvé
inconteftablement dans ta lavante di.Tertarion fur
l’Excepteur de Stfabon , que l’écrivain de l’hif*
toire Mêlée s'eft trompé, & que cette affaire ne
s’eft paftèe que ye# la onzième année de Juftin.
La fin du règne de Théodofe - le-Jeune fut
cependant agitée par les troubles caufés dans la
Thrace par les Huns, fous la conduite d’Atrila.
Cette première levée de bouclier de ce co altérant
célébré dans les provinces en-deçà du Danube,
ne fut que le prélude de Tiucurfion qu’il fit en
Italie fous le règne Me Valentinien II, l’an 451,
à la tète d’un nombre prodigieux de Barbares. Il
fut battu par les Romains fous ia conduite d’Aèt us,
par les Vifigoths fous celle ch* Théodcri , & par
les François, commandés par leur roi Merovée,