
nèceffairement la ville appelée aujourd’hui Koflof
parles RmTes, 8c Guflevé par les Turcs; les indications
des anciens écrivains ne laiffent pas lieu
d’en douter. L’empereur Conftantin Porphyrogénète
établit une diftance de 300 milles du
fleuve Danapris ou Borifène, à Çherfone. Cette
diftance ne répondroit pas à la vérité au calcul
des milles Italiques. L’on ne trouve du Boryfthène
à. Perecop que 36 lieues tartares , qui font environ
40 lieues communes de 3000 pas géométrique^,
8c* 18 lieues tartares, ou 20 lieues communes de
Perecop à Guflevé. Le compte efb exa& & je Tai
vérifié moi-même' la montre à la main; de forte
qu’il -n’y a en tout de ce fleuve à Guefîevé ,• que
60 lieues communes, qui ne feroient que 180
milles; mais il eft manifefte que Conftantin Porphyrogénète
parle de milles beaucoup plus courts,
8c de ceux par lefquels on compte aujourd’hui
dans touteda Turquie , dont il faut cinq pour une
lieue de vingt au degré; ce qui le prouve à n’en
pas douter , eft que ce prince compte également
300 milles de Çherfone au Bofphore: or il eft in-
conteftable que de Guflevé, où étoit cette' ville ,
à Ka^andlp , qui eft le. lieu le plus ' avancé du
Bofphore vers la mer de Zabache, il n’y a que
60 lieues communes , qui font précifément les
300 milles de cet auteur. M. de Tournefort dans
ion voyage du Levant, a fait avant moi la même
obfervation fur les milles de Turquie. « Il eft
3» furprenant, dit-il, que les mefures des anciens
?» fe trouvent quelquefois fi conformes à celles des
s» Grecs d’aujourd’hui ; il femble que ces derniers les
?) aient confervées par tradition: car ils n’ont point
v de mefures certaines, & ne fe fervent que de
33 pas communs, &c. 3». Le pas- commun eft évalué
a trois pieds de r o i, & le pas géométrique à
cinq ; par conféquent il faut 5000 pas communs
ou yooo de Turquie pour une lieue de 3000 pas
ou de 3000 géométriques ; ainfi les 60 lieues qu’il
y a du Boryfthène à Guflevé, reviennent à la diftance
de 300 milles, que Conftantin a.établie entre
le Danapris 8c Çherfone, Les indications des géographes
bien plus anciens concourent pareillement
à déterminer à GuJlevé la place de cette ancienne
ville. Pline & Mêla font ceux qui s’expriment avec
le plus de netteté à ce fiijet. Suivant Pline, après
Taphra, qui eft inconteftablement Perecop, vient
Hcraclea Çharonefus..; cet auteur ne faifant pas
mention des villes d'Eupatoria 8ç de Dandaca ,
que Ptolemée place entre Taphra & Çherfone; la
première après Taphra, fuivant fon fyftème, doit
être Çherfone. Guefîevé eft en effet la première ville
que l’on trouve après Perecop, eu defeendant vers
le midi ; c’eft le feul lieu notable qu’il y ait dans
cet efpace. Cette ville paroît avoir été autrefois
très-grande & floriffante , telle que Çherfone eft
dépeinte par Pline, qui la dit ceinte d’un mur
•çle 5000 pas de circuit. Guefîevé eft encore entouré
aujourd’hui de murailles flanquées de tours ;
ç’eft la feule ville dans cette partie dç la
ptefcnt’ile qui puiffe repréfenter l’ancienne Çherfoneÿ
Conftantin Porphyrogénète donne une autre indication
bien frappante : èv t<m [/.sTpa «Ts hlpcvcu kh
Att/.S'vss siav , SV cé}ç %SP<ravjTcU U.AclÇ içydÇoVTCU ,
au milieu, dit-il, ( c’eft-à-dire entre le Danapris
8c Çherfone ) , il y a des ports & des étangs où les
Cherfonher font le fel. En effet, entre le Boryfthène
8c Guflevé on trouve les falines de Perecop
ou Orkapi , fituées à quatre lieues au midi de
l’ifthme, en-dedans de la prefqu’île ; elles' confièrent
en deux lacs, dont chacun a environ trois
lieues de circonférence : on ne tire du fel que de
celui qui eft à l’occident, & qu’on appelle Khalal-
Gheul, ou lac permis: on ne touche pas à l’autre
nommé Kharam-Ghenl, ou le lac défendu*, quoiqu’il
fait aufti abondant que le premier ; je penfe
que la feule raifon eft qu’on n’en a pas befoin :
car le premier fournit plus de fel qu’il n’en faut
pour le commerce & pour la coiifommation annuelle
des habitans ; on ne fait qu’en écorner tant
foit peu les bords , 8c on en tire encore plus de
fel qu’il n’eft poffible d’en débiter. Ces deux étangs
ne fe deffèchent jamais ; 8c l’on y voit avec fur-
j)rife le fel fe former entre deux eaux comme
une croûte de l’épaiffeur de trois ou quatre pouces.
Il commence à fe coaguler au mois de mai; &
dès qu’il a pris une certaine confiftance, la pluie
l’engraiffe au lieu de le diffoudre; mais lorfqu’il
furvient de fortes pluies en mars 8c en avril,
avant que le fel foit formé, la coagulation n’a
pas lieu, 8c il n’y a plus d’efpoir de récolte pour
cette année-là.
On trouve aufti à une .lieue au fud - eft de
Guflevé, que j’ai démontré être l’ancienne Çherfone ,
deux -autres grands étangs falés, à-peu-près de la
même étendue que ceux dont je viens de parler,
8c dont on tire pareillement une prodigieufe
quantité de fel. Ceux-ci font immédiatement atte-
nans à la mer, 8c doivent être ce que Ptolemée
appelle le port de Ctenus, dont l’entrée paroît
avoir été fermée infenfiblement par la grande
quantité de - fable que la mer y a entraîné, 8c
avoir formé ces deux .étangs qui touchent à la mer,
8c repréfentent un port dont l’embouchure a été
comblée. Suivant Strabon, l’un de ces deux lacs
devoit être le port de Ctenus; mais pour pouvoir
retrouver ^indication de ce géographe, il faut
fuppofer, comme on le voit fur ma carte, qu’au-
trefois les deux lacs n’en faifoient qu’un, qui fe
joignoit à la mer, 8c que l’efpace qui le féparoit
du port des Symboles, formoit l’ifthme de cette
petite Cherfonèfe que Strabon dit être partie de
la grande. Moyennant cette hypothèfé très-rvrai-
femblable, les falines d’aujourd’hui fuppofées réunies
enfemble, 8c jointes à la mer, forment avec le
golfe de Felenk-Bournou, ou le port des Symboles,
■ une véritable prefqu’île ; 8c la ville de Ctenus,
qui, fuivant Strabon, étoit fituée vers le milieu
du lac, fe trouve alors, comme le dit ce géographe
, à une égale diftancè de Çherfone 8c dp
port des Symboles, 8c précifément dans le point
où je l’ai placée.
On ne trouve plus les moindres veftiges des
deux villes d'Eupatoria 8c de Dandaca. La première
pourvoit avoir été placée dans la rade mal furè
où eft aujourd’hui le petit village d'Akmefchid, 8c
l’autre dans le lieu que les Tartares appellent encore
•Eskï-Foros, ou l’ancien Phare | fur la pointe
de la préfiju’île qui s’étend fort loin Vers l’occident,
-au nord de Gueuflevé. J.e ne fan rois leur affi-
gner d’autres placés. Nous voyons dans Strabon ,
qu’Eupatoria fut bâtie par Diophantus, général
des troupes de Mithridate, qui lui donna apparemment
le nom de ce prince : elle a été appelée
dans la fuite PompéiopOtis. Continuons d’examiner
la côte occidentale de la Cherfonèfe.
Pline indique avec raifon immédiatement après
Çherfone, le 'promontoire Parthcnium, que Ptolemée
a placé mal-à-propos au nord de cette ville,
car depuis Gutuflcvé vers le nord , jufqu’à Perecop,
il n’y a -pas fur là côte la moindre .montagne,
cclline , ni élévation qui puiffe jamais avoir été
appelée promontoire ; c’eft un pays entièrement
plat; & là poirite d'Eski-Foros y qui s’étend fort
avant dans la- mer, au feptentrion de Gueuflevé,
n’eft qu’une plage de la même nature. Parthcnium eft
donc indubitablement, fuivant l’indication de Pline,
le cap de Felenk-Bournou, peu éloigné de Gueuflevé
du côté du midi. Ce cap eft parfaitement défigné dans
Pomponius Mêla ; ce géographe dit que le Portuofus,
-8c à caufe de cela nommé Kcixôc aipunv, que l’on
treuvoît après la ville de Çherfone, étoit formé par
deux promontoires, dont l’un étoit le cap Partkenium ,
& l’autre le cap Criumctopon, Kpiîs /ASTccTrov, qui.
faifoit face au promontoire Carambicus en Afte.
Le promontoire Parthenium eft donc, comme je
l’ai déjà, dit, le cap appelé Felcnk - Bournou ; le
Sinus Portuofus eft le golfe du même nom que le
cap; il eft en effet fi rempli de ports, que l’on
en compte jufqu’à dix-neuf dans toute fon étendue.
La côte feptentrionale de ce golfe eft appelée
JBccke-Liman , ou les cinq ports, parce qu’il y en
a réellement cinq excellens, 8c propr-es pour toutes
fortes de navires. La côte méridionale eft connue
fous le nom' cle Ondeurt-Liman, ou les quatorze
ports,. parce qu’on y en trouve effe&ivcmènt
quatorze, tant bons que mauvais. Le promontoire
Criumctopon -, eft le cap formé par les montagnes
de Baly-ïilava ; c’eft le plus avancé de toute la
prefqu’île vers le midi; il eft aufti, comme dit
■ Pomponius Mêla, direélement oppofé au cap
Kcrinc dans la Natolie , entre Ànaboli 8c Ghidoros ;
ce cap eft le Carambicus des anciens,, dans là Paphlagonie.
Le long du promontoire Criumctopon
on trouve le port d’Avlita , reconnu pour très-
bon par les navigateurs de la mer Noire, 8c celui
de Baly-Klava, le meilleur de toute la prefqu’île :
il eft rond, fermé de tous côtés par dé Hautes
montagnes ; fon entrée eft fi étroite , que deux
vaifteaux auroient de la peine , à s’y introduire de
Géographie ancienne. Tome 111.
front ; il y a cependant aflez de fond pour donner
paffage à des vaiffeaux du premier rang. Sur la
montagne qui forme le flanc oriental de l’embouchure
du port, il y a une fortereffe minée,
que l’on dit avoir été bâtie par les Génois, mais ,
que je croirois d’une antiquité plus reculée; elle
prouve en toute -manière que' la place devoit être
de quelqu’importance. Ce port répond à ce qu’Or-
télius appelle dans fa carte Borete Antrum ; fon
embouchure eft en effet fi étroite, qu’elle annonce
plutôt l’entrée d’un antre ou d’une caverne que
celle dhm port. Immédiatement après le. port de
Baly-Klava vient la pointe d'A ïa , qui eft le véritable
Criumctopon, & forme l’angle le plus avancé
de tout le promontoire. Je croirais que c’eft aux
; environs de Baly-Klava qu’étoient les hcLççcl t<bv
K\ip.circàv, urbes Climatum de Conftantin Porphyrogénète.
Ceft en effet dans cet endroit-là que
M. de l’Ifle les a placées dans .fa carte de l’empire
d’Orient, cômpofée d’après le thème de .ce
prince.
La plupart .de nos géographes modernes veulent
que Parthenium foit le cap Rofaphar;■ Criumctopon
Famar; le port Symbolon, Sibula ; le promontoire.
Carambicus, le cap Picello, ainfi du.refte. Il n’y
a dans toute la Crimée r.i Jlofaphar, ni Famar,
ni Sibula; il n’y a pas plus de Picello dans la.
Natolie ; 8c tous les noms orientaux font fi fort
défigurés par nos Européens, qu’il .eft impofîible
'de les retrouver fur nos cartes. J’allai en Tartarie
en 1754, muni des deux cartes de ce pays-là
dreffées par ordre de l ’impératrice deRuffie, lors de
la dernière guerre des Ruffes avec lesTurcs, & tirées
d’après les originaux, levés furies lieux par MM. les
généraux Munich 8c Lazzi. Je cfoyois que ces
cartes rae feroient d’une grande milité ; il me fut
impofîible de m’y reconnoître, ni pour la configuration
de la prefqu’île , ni pour les noms des.
lieux, à l’exception de ceux des principales villes,
qui y font même encore extrêmement défigurés.
Je fus . obligé de recourir à une carte turque infiniment
exaéie à tous éga rd s8 c d’après laquelle
j’ai dre fié celle que j’ai inférée dans mon, ouvragé.
C ’eft après la pointe 'd’Aia.cpe commence la
côte orientale- de la Cherfonèfe Taurique, dont
le premier promontoire etoit celui de Charax : c’eft:
certainement le même que les Tartares appellent
aujourd'hui Cara-Kai.i, qui fignifie la roche noire.
Le mot cara , dont ils ont fait une épithète, eft
vifiblement le nom de Charax un peu changé ; de
Charax-Aui, ou la roche de Charax, ils ont fait
Car a - Kala, ou la roche noire. Après ce cap,
Ptolemée indique -là-ville de Lagyra, kcfsyÿça. ;
elle devoit être placée où eft aujourd’hui le bourg
de- Belbek. Je penfe que le fleuve appelé à- préfenc
Salghir , qukgprend fa fource dans . c,e diftriéf ,
droit fon nomade- celui de l’ancienne Lagyraa que
les Tartares^ ont enfuite un peu corrompu. Le
même géographe place après cette ville, le promontoire
Corax, qui eft certainement le cap connu
WÈ