
Patzinacites , qui avoient paffé le Danube ÿ &
ràvageoîent la Thrace & la Macédoine. Il voulut
tenter d’abord avec eux la voie de la négociation ;
il leur envoya des émiffaîres qui poflédoient leur
langue, pour les porter à mettre bas les armes,
& tâcher de les amener à un traité. Cette nation
étoit alors divifée en plufieurs tribus, qui n’obéif-
foient pas toutes à un même chef; Jean fit des
avances aux principaux capitaines, leur donna de
fplendides feftins, leur fit de riches ptéfens, &
parvint, à force de careffes, à les ébranler, & à
les faire. balancer entre la paix & la guerre. • H
faifit cet inflant d’irréfolution , fit avancer fon
armée vers Berrée, furprit les Barbares encore indécis,
& leur livra bataille. Le carnage fut horrible
de part & d’autre ; Jean commandoit lui-
même avec une valeur & une préfence d’efprit
peu communes; il obligea les ennemis de céder
& de fe retirer jdans un retranchement qu’ils formèrent
avec leurs chariots; ils en fortoient de
temps en temps pour retourner au combat, & y
rentroient pour s’y repofer en fûreté. Ils firent
enfin une fortie générale dans la vue de décider
l'aélion ; l’empereur demeura victorieux, mais fut
bleffé au pied d’un coup de flèche ; il tailla en
pièces la plus grande partie de ces Barbares, les
força de détruire leurs retranchemens piHa leur
camp, fit un nombre infini de prifonniers , & les
difperfa dans les provinces occidentales de l’empire
, où ils s’établirent, & fondèrent un grand
nombre de bourgs & de villages. Les Hamaxobes,
qui s’étoient trouvés mêlés avec les Patzinacites ,
forent extrêmement maltraités dans cette journée,
{jean, en aétion de grâce de cette glorieufe expédition,
fonda une fête qu’on appela la Jeté, des P a t z in a c i t e s
Dans l’année fuivanté 1122, Jean dompta les
Triballes, qui .font les Serviens & les Dalmates
d’aujourd’hui. George, roi de Servie, avpit violé
les traités, & pris la ville de R a fe . Ce prince,
fils de Bodin, dont j’ai parlé ci - devant, étoit
-monté fur le trône .en 1115, au préjudice des
enfans de Braniflaw. Ceux-ci ayant été informés
qu’il vouloit les faire emprifonner, fe réfugièrent
chez Goiflaw leur, oncle, à l’exception de Grubeffa
, qui fut détenu dans les fers. Jean Comnène
envoya une nombreufe armée en Albanie. Les uns
prétendent qu’il da conduifit lui-méme ; d’autres
aflurent qu’il en donna le commandement à Calo-
Jean Cumanus, & que ce nom de C-alo-Jean, que
l’empereur portoit aum, avoit fait croire que
l’empereur s’étoit trouvé en perfonne dans cette
expédition. Les fils de Braniflaw joignirent leurs
forces à celles des Grecs; Georges -fut mis en fuite ;
Pempereur viâerieux s’empara de la ville de S c u ta r i,
délivra GrubefTa , qui y étoit enfermé , & le déclara
roi de Servie & de Dalmatie, du confente-
menf des peuples. L’armée grecque revint enrichie
du butin immenfe qu’elle fit dans cette campagne.
L’empereur afligna à quelques prifonniers,
des habitations- dans la province de N icom éd ie 3
dans l’Afie mineure ; il en incorpora d'autres dans-
fes légions , & rendit toute la nation tributaire.
Eflienne I I , roi de Hongrie, alarmé des progrès
des Vénitiens, entra dans la Dalmatie l’an 1123,
ÿ découvrit leurs artifices , étouffa leur cabale ,
& raffermit les efprits, qui commençoient de fe
laiffer ébranler par leurs féduâions & leurs promef-
fes. Cette expédition fut ttès-pacifique, & Eflienne
retourna chez lu i, après avoir rétabli le bon ordre.
C ’efl ce qui a -fait dire à Bonfinius, que là reddition
de Jadra doit être rapportée au règne de Vital
Michielè , fie non à celui de Dominique Michielé ,
puifque la perte de cette place auroit été un fujet
de guerre, & qu’Effienne, dans ce voyage en
Dalmatie, ne commit aucun aéte d’hoflilité, & fè
contenta de faire ufage de la politique pour ruiner
les projets des Vénitiens.
Les Hongrois n’avoient rien eu à démêler depuis
affez long-temps avec les empereurs. Eflienne I I ,.
leur roi, avoit entrepris' une expédition contre
les Ruffes, pour rétablir Bezen, duc de Rufiie ,
chaffé de fes états , qui s’étoit réfugié chez lui ,
& avoit imploré fon aflifiance. La mort de Bezen ,
tué au fiège de la première ville frontière,. rendit
la bonne volonté d’Eflienne inutile. Il rètourna en
Hongrie, où, après être demeuré pendant trois
ans dans Pinaélion, il déclara la guerre à l’empereur.
Il paffa le Danube , pilla Brani^op & Sar-
diqtte, s’avança de-là dans la Bulgarie , la Thrace ,,
la Macédoine & la Grèce, & ravagea toutes ces
provinces. Bonfinius dorme pour pretexte de cette
guerre, quelques propos peu mefùrés que Jean
Comnène tint au fujet du roi de Hongrie,, en
préfence de l’impératrice fa femme. Cette princeffe *
appelée Pyrifca par les Hongrois, & Hélène par
les Grecs , étoit fille de Ladiflas, & par confé-
quent tante paternelle d’Eftienne. Elle informa fon
neveu que l’empereur avoit parlé de lui dans,
des termes très - offenfans, & hii infpira le defir
d’en tirer raifon. Nicétas & Cinnamus affurent-
que le grief d’Eflienne étoit l’accueil favorable que
Jean Comnène avoit fait à Almus , qui, après;
avoir été chaffé de.Hongrie, où il avoit voulu
faire valoir fon droit au trône, s’étoit réfugié à:
Conflantinople. Ce motif paroît plus plaufible..
Quoi qu’il en foit, l’empereur marcha vers. Phi—
lippopolis, & repouffa d’abord les Hongrois ; if
s’arrêta dans cette ville pour raffembler toutes fes:
troupes, & faire préparer des navires fur le Da-
ftube. Il alla enfuite à la rencontre des ennemis „
qu’il fit reculer jufques au Danube. Il leur livra,
fur ce fleuve un fanglant combat naval, dans
lequel il remporta- une viéloire complète. On affure:
que dans cette journée les Grecs, pour brûler les>
barques des Hongrois,. firent ufage d’un feu- que
l’éau ne pouvoit éteindre, & qui devoit être ce-,
que nous appelons aujourd’hui le feu grégeois. Là.
flotte hongroife fut en effet entièrement détruite;
& confumée par lés flammes. L’empereur paffa le.
Danube, & Eflienne ramaffa toutes fes forces
pour l’attacruef fur terre. Les deux armées engagèrent
l’aâion fur) les bords de la petite riviere
appelée Carafus ; on combattit avec vigueur de
part & d’autre, mais Jean Comnène demeura
vainqueur. Le gain de cette bataille le rendit maître
de Frangocorio, de Zégumin, & de toute la partie
.de la Hongrie qui efl entre le Danube & la Save,
& il termina cette guerre par une paix glorieufe. ^
Je relèverai ici quelques erreurs manifeftes qui
fe trouvent dans Bonfinius & dans Nicetas> Le
premier nous dit que Pyrifca, fille de Ladiflas,
époufe Manuel Comnène. 11 efl cependant mam-
fefle qu’elle fut femme de Jean Comnène. Il place
enfuite l’exil d’Almus, & fa fuite à Conflantinople,
après la guerre dont je viens de parler, tandis
qu’elle doit Favoir précédée, puifqu’elle én etoit
le motif le plus apparent. On trouve affez fouvent
dans cet auteur de femblables anachronifmes.
Nicétas n’efl pas plus exaél quand il nous donne
Almus pour un frère d’Eftienne. Almus etoit
fils de Ladiflas, frère de Coloman, & ( par
conféquent oncle d’Eflienne. Il n’efl pas décidé
d’ailleurs que ce prince fut encore vivant dans le
temps de cette guerre ; il efl certain que fon frère
Coloman i’avoit fait aveugler ; & plufieurs auteurs
hongrois, entre autres Abraham Bakfchay, prétendent
même qu’il le fit mourir peu de temps
après l’avoir privé de la vue,
Grubeffa, placé par Jean Comnène fur le trône
de Servie , avoit régné pendant fept ans avec allez
<le tranquillité. George, le roi detrone, craignant
de tomber entre fes mains, 3’étoit enfui en Jlafcie ,
où, laffé enfin de fe voir errant & fugitif, il leva
une puiffante armée, entra dans la Dalmatie, &
attaqua Grubeffa, qui fut tué dans cette aélion.
Sa mort rendit la couronne de Servie à George.
Celui-ci craignant les mouvemens que Pradinha,
Draghillus & Draghina, frères de Grubeffa, pourvoient
faire pour la lui ravir, crut devoir fe concilier
leur amitié par de bons procédés; il leur
rendit leurs biens, les attira à fe cour, & les
traita avec toutes fortes de „ménagemens. Draghillus
fut même envoyé dans la Podgorie, où
fl s’empara de la comté d'Onogojle, & rendit des
fervices fignalés à George. Ce prince lui confia
aufli la commiffion de faire rentrer dans le devoir
les Rafciens qui s’étoien^ révoltés, & lui donna
la Jupanie de cette province, après qu’il y eut
remis le bon ordre. Mais George ne tarda pas
d’être jaloux du pouvoir de Draghillus & de fes
frères ; il le fit mettre en prifon, & Draghina fut
■ obligé de fe réfugier à Ragu^e avec fes fils, Pa-
vofck, Grubeffa, Neeman & Sirok.
Dàns . ces entrefaites Jean Comnène mourut
l’an 1143 , & eut pour fncceffeur fon fils Manuel.
Pyrigord, général des troupes de l’empereur, fut
touché du malheur des princes de Servie, marcha
contre George , s’empara de Varania & d'And-
haris, & auroit même pouffé fes progrès plus
loin, s’il navoit été rappelé. Alexis Coiidoffephallus
fut fÜofiimè à fa place à la préfe&urede D y r -
rachium. George, alarmé des fitccès des princes de
Servie, fit créver les yeux à Draghillus & à Michel,
fils de Waldimir, qu’il tenoit en fe puiffance ;
mais Alexis marcha contre lui avec de nombreuféS
troupes , le furprit, le mit en fuite, & tailla fon
armée en pièces. Draghina fut proclamé roi, &
George, pour fe dérober à la fureur de l’ennemi,
•fe retira dans les montagnes. Il fut pris, peu dé
temps après dans la fortereffe ÿ O b o l é n o , & on le
conduifit à Conflantinople où il finit fes jours.
Draghina, fucceffeur de George, gouverna la
Servie pendant onze ans , fuivant Ducange. Il
femble qu’il y a ici une erreur de quelques années.
Ce prince fut proclamé roi fous le règne de Manuel
Comnène, qui n’efl: parvenu à l’empire qu’en 1143 ;
la défection des Serviens, qui obligea Manuel
Comnène de marcher contre eux, comme on le
verra ci-après, efl une époque qui doit être rapportée
à l’an 1151, & Draghina. étoit déjà mort
■ en ce temps - là, puifque Rodoîlaw., fon fils &
fon fucceffeur, régnoit alors depuis quelque temps
en Servie. Il efl donc impoflible que Draghina
ait occupé le trône pendant plus de fept ans, ou
huit ans à toute rigueur.
Rodoflaw III ne prit point le titre de roi, &
‘ fe contenta de celui de comte. On affure qu’il
vint à Conflantinople recevoir de Manuel Comnène
l’inveftiture des états de fon père , qu’il
gouverna de concert avec fes frères Jean, &
Wladimir. Son règne fut agité par dès difeordes
civiles, dont les auteurs furent quelques grands
du pays -, qui ofèrent, l’an 1151, tourner leurs
armes contre les Grecs, pendant que l’empereur
étoit occupé à repouffer Roger, roi de Sicile,
L’an 1153 , Manuel Comnène marcha en perfonne
contre les rebelles avec une armée légère.
L’Arcki-Jupan, que Nicétas appelle le Satrape ,
& qui étoit le principal auteur de la révolte ,
fe préfenta d’abord avec de nombreufes troupes;
mais il reconnut bientôt que fes forces étoient inférieures
à celles des Grecs ; il prit le premier
l’épofivanre, & fe feuva dans les montagnes.
L’empereur fondit fur cette multitude alarmée &
découragée par la fuite de fon chef; il la difperfa
fans peine , ravagea le pays , & amena à
Conflantinople un grand nombre de prifonniers.
Pendant que les chofes fe paffoient ainfi en
Servie, les rois de Hongrie continuoient de pof-
féder la Dalmatie & la Croatie; les Vénitiens oc-
cupoient quelques places fur la côte maritime, &
faifoient tous leurs efforts pour reprendre celles
qu’ils avoient perdues, pendant que de fon côté
l’empereur de Conflantinople affeaoit le domaine
direéfc de ces deux provinces, & tâchoit d’en'
chaffer également les Hongrois & les Vénitiens.
Ceux-ci, l’an 1149, avoient envoyé une flotte
nombreufe fur les côtes d’Iftrie , & leur doge ,
Dominique Morofini s’étoit emparé des villes de
P o l a , R u b in o , P a r en té , H em o n ia & Hum a gq .
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