inanité. On voit clairement par ce paffage de la
Genèfe ( cap. 37, v. 27 & 28 ) , que Tufage de
vendre des hommes étoit univerfellement établi.
Jofeph eft acheté .auffi promptement, & vendu
enfuite en Egypte avec autant de facilité que le
l'eroit de nos jours un boeut ou un chameau.
Trois nations, Javan, Tubal & Mcshech, font
citées ( Efech. cap. 27 , v. 13 ), pour avoir fait
leur principal commerce des hommes, qu’elles alïcient
vendre à Tyr. S. Jean rapporte que de fon temps,
ce commerce étoit en vigueur à Babylone ( Ap.
c. 18, v. 13). Malgré cela , nulle défenlè de la part
de Dieu , nulle çtnfure de la part des prophètes,
qui ne taxent pas ce commerce d’être immoral,
& même abominable. Au contraire, il ea efl toujours
parlé dans les livres faints suffi favorablement
que d’un autre commerce : ces faits font conclure
à M\ Bruce qu’apparemment il eft auffi naturel
de-vendre des hommes que des moutons. Ceux
qui fbutiennent le commerce de la traite des nègres,
pourront puifer auffi des argu mens dans la même
fource, & ils auront autant de force. Mais certainement
en employant ainfi l’écriture à fervir
nos paffions, on s’expofe à voir ceux qui font
d’une opinion contraire, à n’avoir que deux moyens
de répondre. Ou bien, diront-ils, le créateur de
tout l’univers, en s’attachant à la -confervation de
toutes les efpèces, ne fait, comme l’a dit Voltaire ,
aucun "cas des individus, qu’il laiffe s’égorger &
dévorer les uns par les autres ; ou bien, ee qu’a
difté fon efprit aux écrivains facrés^ne nous eft
pas parvenu clans toute fa pureté. Puifque la raifon
feule fuffit pour faire voir dans ce commerce des
efclaves abus de la force-, vexation , tyrannie,
violence, & une fource continuelle de maux pour
l’humanité : l’exemple même de Jofeph le prouve.
$i les frères de Jofeph font coupables d’enlever
lin fils chéri à fort père, les marchands ne .le font-
ils pas de lui en faciliter les moyens ? Si Ton m’ob-
jeéfe qu’ils îauroient tué, il eft aifé de.répon dre qu’ils
auroient commis tin crime un peu plus grand en fo i,
crime expreffément défendu, mais qu’à l’égard de
Jacob , ce fut prefque la même çhofe, puifqu’il
crut fon fils mort. Et croira-t-ori que ces frères
de Jofeph , auffi-bien que ces marchands, n’ctoient
pas également, féroces & barbares? Croira-t-on
que ce jeune homme, enlevé à un père tendre,
^rfaït pas dit qui il étoit , n’ait pas employé les
larmes & les Applications pour toucher les coeurs
de ces malheureux > Et l’hiftorien ne les couvre pas
de malédictions! A h ! fans doute, il ne nous a
donné qu’une courte analyfe de ce que Dieu lui
infpircit alore. Certainement fa majefté n’étoit pas
moins outragée alors , que quand les defcendans de
Jacob couch oient avec les. filles de Moab. -
Les pafteurs Ethiopiens portèrent d’abord le
commerce du côté, de la mer Rouge, qu’ils habi-
toient. Us introduifirent les marchandifes qui vex
e n t des Indes à Thèbes, & parmi les différentes
nations des .Nègres répandues dans le fud-oueft
de l’Afrique j dont ils reçurent en échange' <Jer
l’or , qui leur revenoit fans doute moins cher que
celui d’Ophir, parce qu’ils avoient moins de chemin
à faire pour tranfporter leurs marchandifes.
Thèbes devint opulente & fuperbe , quoique
d’après la plus grande enceinte qu’021 lui ait fup-;
pofée, elle ne pût jamais être ni très-grande , n»
très-populeufe. Cette ville n’eft pas défignée dans-
l’Ecriture fainte par fon ancien nom. Avant le
temps où vivoit Moïfe, elle fut détruite par Sa-
latis, prince des Agaazi, ou des pafteurs Ethiopiens.
Le nom qu’elle porte aujourd'hui veut dire
la même -chôfe que celui qu’elle avoit déjà porté.
La première fignification de fon nom. Médinee
| Tabu, eft, je crois, la ville de notre père i
l’hiftoire nous apprend que ce fut en mémoire cle:
fon père, que Séfoftris la nom me ainfi. Dans l’ancien
I langage, cette même ville fe nommoit Ainmon ou
Ammon-No : on doit regarder comme une explica- -
) tion bien forcée , celle qui fait venir ce nom d^
Thèbes, du mot Tkeba, l’arche de Noé; à moins-
que l ’on n’ait donné d’abord ce nom à une grande'
. •enceinîè où des peuples pouvoient fe retirer en
fureté, comme les fondateurs de Gadcs ( Cadix )
nommèrent d’abord ce lieu Gadir, qui fignine enceinte.
Les pafteurs, prefque toujours amis & alliés des
Egyptiens ou Cushites, étoient cependant quelquefois
en guerre avec eux. Il n’eft pas difficile d’en-
deviner les motifs. Il y en a plufieurs vraifeqi-
blables , pris dans les moeurs oppofées , & far-tour
dans la différence du régime diététique. Les Egyptiens
, laboureurs, adoroient la vache, & les pafteurs
errans d’une contrée à une autre, la tuoient
& la riiangeoient : ces derniers étoient en même
temps Sabéens, ou adorateurs des corps céleftes
le foleil, la lune, & les étoiles.
Immédiatement après la fondation de Thèbes «J
& les progrès des élémens de la fculpture, l’idolâtrie
la plus groffière, & un matérialifmè ftupide,
corrompirent les moeurs pures & la religion fpé-
culative des Sabéens. Il y avoit peu de temps que
cette ville étoit bâtie lorfque, fuivant l’écriture
l’époufe d’Abraham avoit des idoles. D’après tout
ce qui s’eft paffé entre les hommes d’opinioiis différentes
, en fait de religion, nous ne devons
guère chercher d’autres caufes des divifions & des
guerres qui eurent lieu entre ces peuples.
Thèbes fut donc détruite par Salai'is, qui rerç-
verfa la première dynaftie des Cushites, ou des
anciens rois d’E gypte, commençant à Menés.
Ce fut alors l’époque ou le commencement de
ce qu’on appelle le fécond âge de fliiftoire d’Egypte y
ou de la première dynaftie des pafteurs, qui
exercèrent une tyrannie fi cruelle , & qui ravirent
les terres à ceux auxquels elles apparténoient.
Séfoftris détruifit cette dynaftie; enfuite il appela.
Thèbes d’après le nom de fon père Ammon-No ; il
fit faire des embelüffemens, que M. Bruce a vus ,
du moins dont il a vu les reftes dans -les fépukres
âe Thèbes; il fonda hùville’ de Diofpolis, fur la j
ïive oppofée du Nil.
La fécondé fois que les pafteurs conquirent
l’Egypte, ils étoient commandés par Sabaeo. On a
imaginé que Thèbes fut ' renverfée par- ce prince ,
tandis qu’Ezéchias étoit roi de Juda. Il eft dit en
effet qu’Ezéchias fit la paix avec le roi d’Egypte S o,
comme l’appelle le tradu&eur, ( Rois, L. u ,c . >7,
.v-, 4 ) , qui prend pour le nom propre de roi, le nom
de So^ qui défigne feulement un pafteur.
D’après cela, il eft certain que tout ce que dit
l’écriture fainte de Ammon-No, doit s’appliquer à
Diofpolis, fituée fur l’autre bord du Nil. Diofpolis
& Ammon-No , quoique féparées par le fleuve,
étoient -* pourtant - regardées comme une même
ville, au milieu de laquelle le Nilcouloit & qu’il
djvifoit- en deux parties. L’hiftoire profane nous
démontre clairement ce fait, & le prophète Nahum
(c» 3, Vv 8 ) , s’explique auffi exactement, f i , au mot
de mer, on,fubftitüe celui de fleuve, ainfi que cela
doit être.,
Il y eut encore une troificme invafion des pafteurs
; alors Memphis étoit déjà bâtie. On dit .
qu’un roi d’Egypte, nommé Mifphragmutofis, {Manet
bon , apud Jof. Cont.'Apion, L. 1), renferma dans
une ville nommée Abaris, deux cens quarante mille
de ces barbares ,. qu’il prit par capitulation, &
qu’il bannit de la terre de Chanaan. J’avoue qu’il
me femble très-peu probable que deux cens quarante
mille (hommes aient été renfermés dans-- une ville
de manière à ne pouvoir {butenir un fiège , fur-tout
dans un temps où l’ufage des armes à feu n’étant
pas connu ; on ne peut pas fuppofer leurs ennemis
pourvus de fufils & de canons, tandis qu’ils en
feroient entièrement privés.
Mais, quand le fait feroit vrai, il s’enfuivroit
feulement que Memphis, bâtie dans la baffe-
Egypte , près, de Delta, fut en guerre avec les
pafteurs.de l’ifihme de Suez, ou des diftriâs voifins,
comme Thèbes l’a voit été avec les pafteurs de la
Thébaïde. Cependant ce que l’on a écrit de l’ex-
pulfion totale des pafteurs, par quelque roi
d’Egypte que l’on nomme, & dans quelque endroit
que l’on défigne, eft abfolunient fabuleux, puisqu'ils
ont demeuré jnfqu’à ce jour dans les lieux
qu’ils avoient envahis. A la vérité ils n’y font
peut-être pas en auffi grand nombre que quand
le commerce des Indes fuivoit la route du golfe
d’Arabie ; mais leur nation y eft enebre bien plus
cônfidérable que' toute autre.
Les, montagnes , a&uellement habitées par
Agaazi, s’appellent Habab , nom qui, dans leur langue
, ainfi que dans l’arabe , fignîfie un fer-
” pent.
Suivant la chronique d’Axum , le plus ancien
recueil des antiquités de cette partie de l’Afrique
& pour lequel oii a , dans le pays, autant de
vénération que pour les livres de l’ancien teftainent :
félon ce livre , dis-je , entre la création du monde
& la naiffance de J. C . , il s’écoula 5500 ans. Le
pays, c’eft-â-dire, l’Abyffinie, ne fut peuplée que
1808 ans avant cette même ère. Et 260 ans après
que les premiers établiffemens y eurent été faits,
ce qui donne . 1608 ans , le pays fut fubmergé
par un déluge, ravagé & défiguré ; de forte qu’on
le nomme Ouré-m id re , c’eft à-dire , la campagne
dévaftée.
Environ 1400 ans avant J. C ., un grand nombre
d’hommes qui parloieiit différens langages ,
* en vinrent prendre poffeffion. Commè ils étoient
amis des Agaazi, pafteurs qui habitoient les hautes
terres du Tigré , ils s’établirent paifiblement, &
^chacun occupa la terre qui lui convient le mieux.
Cet étabiiffement eft appelé-dans la chronique An-
gaba, c’eft-à-dire, l’entrée des nations, d’où fe
forma le peuple de l’Abyffinie. -
La tradition dit encore que ce peuple venoif
de la Paleftine. Tout cela , dit M. Bruce, me femble
porter un grand caraétère de vérité. Quelque
temps après l’année 1500, il y eut une inondation
qui fit de très-grands ravages. Patifànias dit
que cette inondation arriva en Ethiopie , pendant
que Çécrops régnoit dans la Grèce. Environ
1490 avant l’ère vulgaire, les Ifraélites entrèrent
dans la terre promife -fous Caleb & fous Jofué.
Nous ne deyons point être étonnés de Pimpreffion
terrible que fit cette invafion fur Pefprit des ha-
bitans de la Paleftine. Nous voyons, par l ’hiftoire
de la femme de mauvaife vie qui reçut les efpions
hébreux , que les différentes nations établies dans .
■ le pays , avoient été dès long - temps informées
par des prophéties, publiquement accréditées parmi
eux , que ces peuples dévoient être exterminés
par les Ifraélites, qui,- pendant quelque temps,
menaçoient leurs frontières. Je ne puis m’empêcher
de m’interrompre ic i, pour obferver la crédule
bonhomie de M. Bruce, qui fuppofe des prophéties
chez des nations en faveur defquelles, à caufe de la-
manière dont l’écriture fainte les traite, on ne peut pas
fuppofer de miracles. Au lieu de voir dans les dif-
cours de cette femme ,Je réfultat des opinions de
quelques gens de. bon fens , qui, Tachant que cette
horde-d’Ifraélites s’avançant infenfiblement, avoit
annoncé qu’enfin elle parviendroit à s’emparer du
pays. Et on le difoit probablement, afin d’engager
ces petites nations à fe réunir. J’admire bien
fincérement le favoir & le grand. courage de M.
Bruce ; mais je trouve fouvent. fa critique bien
foible & fa foi bien aveugle. Je vais cependant
reprendre le fil de la narration.
J’admire feulement que M. Bruce femble vouloir
accréditer l’opinion de l’exiftence de ces prophéties
, par la manière dont il conclut ou du.
moins termine fa narration. Alors , dit-il, quand
Jofué eut paffé le Jourdain,, qu’il fépara miracu-
leufement avant que fon armée eût conquis le
pays de Canaan, & qu’il eût fait tomber les mu-;
railles de Jéricho , une terreur panique s’empara
de tons' les peuples de la Syrie & de la Paleftine.
Mais vraiment il n’étoit pas befoin de pro-.